Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Finale

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FINALE



Fontainebleau, peu à peu, voit la Solitude entrer dans ses Salles et ses Galeries magnifiques, glisser à pas inentendus sous les lambris où bruirent jadis, avec quelle folie de joie et de faste, les générosités de François Premier, les chevaleries déjà surannées et périlleuses encore de Henri, les caprices que raffine une morbidesse d’Italie, en ses fils insinuée par la fille des Médicis de Florence, et les élégances artistes de ces derniers Valois, les vaillantises et les galantises de Henri, les bravoures des capitaines de Louis XIII, les somptuosités de Louis XIV en sa jeunesse.

Une buée ternit d’Oubli le miroir de l’Étang et du Canal, estompe de Silence le murmure d’autrefois des Fontaines.

C’est comme l’histoire d’une belle Reine naguères adorée et ores délaissée pour une rivale, qui se replie sur elle-même, se recueille en ses souvenirs, et va se réfugier dans l’ombre vénérable, dans la pitié maternelle de la Forêt.

La Forêt, pleine de mystère, semble reprendre tout le territoire qui lui avait été enlevé.

Voici qu’elle revient faire planer sa paix muette sur ces toits pressés en un dessin fourmillant et charmant ; elle refait, dans les cours où l’herbe pousse, dans les jardins où les seules statues érigent des gestes figés, l’ancien, le délicieux, et, cette fois, le vrai Dezert.

Et voici qu’un autre phénomène se produit, parallèle, si même ce n’est pas une influence identique qui est la cause commune : la Poésie se retire du siècle, ou plutôt le siècle se retire d’elle.

J’entends la Poésie Lyrique exubérante en libres et vivaces effloraisons, débordante en frondaisons échevelées, et qui s’agrandit en d’infinies profondeurs de rêve, — la Poésie Lyrique qui se plait aussi (et cela implique en effet ceci) aux constructions fantasques, aux escaliers capricieux, aux ornements fouillés et chantournés de fines sculptures, — supplantée par la grave Tragédie : larges allées d’arbres architecluralement disposés, pompeux portiques de froid marbre blanc, sévères et régulières colonnades où retentissent d’abord les récits emphatiques, les analyses de passions héroïques ou tendres, puis la vaine éloquence des dissertations philosophiques.

Après Fontainebleau, Versailles !

C’en est ainsi pour près de deux cents ans. Et Ronsard, Desportes, ni Tristan, n’ont de successeurs.


A l’ère où nous sommes, les poètes rentrent dans la Forêt.

Ils négligent, dans leur retour à Fontainebleau, ils négligent un peu le Château. Il n’y a plus de fêtes à chanter, ou ils n’y ont plus le cœur. Il n’y a plus de Cour, et ils ne sont plus courtisans. Ils laissent aux écrivains spéciaux la description des merveilles d’art, aux historiens la résurrection des époques passées. Ce qui les attirera plutôt, c’est, pour calmer leur inquiétude, la grandeur antique et la reposante majesté des Chênes et des Hêtres, le doux bruissement des Trembles, la grâce argentée des Bouleaux, l’essor religieux des Sapins ; c’est l’âpreté passive des Rocs ; c’est le recueillement des bois mystiques où le sentiment de soi se fond dans l’extase latente de la vie universelle.


Un autre livre parlera de Chateaubriand, d’Alfred de Musset, d’Auguste Barbier, de Théodore de Banville, et de tant d’autres — car il est innombrable le nombre de ceux-là qui, de nos jours, sont venus rêver, pleurer ou penser, ou chercher l’oubli, dans la Forêt de Fontainebleau.