Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/François de Malherbe

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FRANÇOIS DE MALHERBE

1555-1628


Malherbe


Après Ronsard, vint Malherbe. Ce Réformateur du Parnasse estimait peu le Prince des poètes de l’âge précédent. Il se montrait, à cet égard, incomparablement plus cruel qu’équitable et, l’on peut dire, que bien sensé. Une anecdote est fort connue, que racontent, l’un après et d’après l’autre, et dans les mêmes termes, Racan, Ménage et Tallemant des Réaux :


« Il avoit effacé plus de la moitié de son Ronsard et en cottoit à la marge les raisons. Un jour, Yvrande, Racan, Coulomby et quelques autres de ses amis le feuilletoient sur sa table, et Racan lui demanda s’il approuvoit ce qu’il n’avoit point effacé : Pas plus que le reste, dit-il. Cela donna sujet à la compagnie, et entr’autres à Coulomby, de lui dire que si l’on trouvoit ce livre après sa mort, on croiroit qu’il auroit pris pour bon ce qu’il n’auroit point effacé ; sur quoi il lui respondit qu’il disoit vray, et tout à l’heure il acheva d’effacer tout le reste. »


Un mauvais plaisant s’aviserait-il de faire subir à Malherbe lui-même le même traitement ? — je dis mauvais plaisant, quand je pourrais employer quelque autre terme, car enfin l’histoire littéraire note de plus complets revirements, et de moins équitables ! — il n’aurait certes pas tant de travail à couvrir de traits d’encre la centaine de pages, ou cent cinquante, dont se compose l’œuvre du gentilhomme bas-normand que celui-ci en eut à oblitérer l’imposant et compact in-folio du Vendômois. Et, par un juste retour des choses, nous en sommes venus à penser que, quand bien le critique entendrait, plus raisonnablement, sauver ce qui demeure très bon et très beau, il ne saurait laisser vierges que quelques suites de quelques vers.

Il n’épargnerait peut-être pas ce


SONNET

fait à Fontainebleau, pour Madame d’Auchy,

en 1608.


Beaux et grands bastimens d’eternelle structure,
Superbes de matiere et d’ouvrages divers,
Où le plus digne roy qui soit en l’univers
Aux miracles de l’art fait ceder la nature ;
 
Beau parc et beaux jardins, qui, dans vostre closture,
Avez tousjours des fleurs et des ombrages verts.
Non sans quelque demon qui défend aux hivers
D’en effacer jamais l’agréable peinture ;
 
Lieux qui donnez aux cœurs tant d’aimables desirs,
Bois, fontaines, canaux, si, parmy vos plaisirs,
Mon humeur est chagrine et mon visage triste,

Ce n’est point qu’en effet vous n’ayez des apas ;
Mais, quoy que vous ayez, vous n’avez point Caliste,
Et moy, je ne vois rien quand je ne la vois pas.


S’il faut en croire Guez de Balzac, c’était celui de tous ses sonnets que Malherbe préférait. Il n’était pas, cette fois, extrêmement difficile ! Une certaine bonne volonté est utile pour rien voir que d’assez froid en cette pompeuse description enflée à l’excès sans autre raison que d’aboutir à une fade plainte d’amour et d’amener à une comparaison plate. Un prédécesseur, bien avant, était tombé déjà dans la même erreur ; il l’avait outrée encore, puisqu’il avait pris le semblable thème pour magnifier non plus une maîtresse (or la passion, surtout quand elle n’est pas sincère, peut fournir à un rimeur l’excuse traditionnelle, que n’apportera point avec elle la flatterie) non plus une maîtresse, disais-je, mais un roi, François Premier.


Ce Dixain est de Melin de Sainct-Gelays :


DE FONTAINE-BELLEAU.


Je ne vins onc (Sire) en vostre maison
Que d’elle, et plus de vous ne m’esbahisse.
Vous estes seul hors de comparaison
Et seule elle est sur tout autre édifice :
Cette grandeur, estoffe et artifice.
Et les entours clairement nous font voir
Que seul vostre œuvre est pour vous recevoir ;
Bien que selon vostre grâce et merite
Pour vous loger le ciel deuriez avoir ;
Car ceste terre est pour vous trop petite.


De François Premier, redescendons brusquement les années jusqu’à Henri Quatrième du nom. HenriIV, dans la chronique galante de son époque, s’affuble de ce sobriquet : le grand Alcandre. Et Pour Alcandre Malherbe écrivit les Stances : Quelque ennuy donc qu’en ceste absence… ; les Stances Au retour d’Oranthe à Fontainebleau ; la Plainte d’Alcandre Sur la captivité de sa maistresse ; la Chanson : Que n’estes vous lassées… ; les Stances : Donc ceste merveille des cieux….

Il faut bien entendre ici que ce ne sont pas vers destinés à être offerts au monarque comme chantant ses amours, mais exactement des pièces rimées pour lui, c’est-à-dire en son lieu et place, et en son nom, et sur sa commande. Encore que la façon ne lui en fût pas inconnue, le roi préférait emprunter une plume plus habile, et complaisante, pour déclarer sa flamme, pour venir à bout des rigueurs d’une dame et obtenir ses suprêmes faveurs. Et, à proprement parler, le poëte (d’ailleurs Malherbe ne fut pas le seul de ses confrères à exercer une telle fonction), faisait l’office, pour employer un terme plus moderne, de Chandelier.

Mais, dans la circonstance, ce mot dépasse la réalité, car le dernier amour du Vert-Galant ne fut, contre sa volonté, et à son grand regret, et quelque emportement qu’il y mît, que platonique. À cinquante-six ans, il s’était épris d’une passion « forcenée qui ne se pouvoit contenir dans les bornes de la bienséance » pour Charlotte-Marguerite de Montmorency, une enfant de seize ans, « d’une beauté extraordinaire ». Cela le jeta dans mille extravagances. Pour lui plaire, « il couroit la bague avec un collet de senteurs et des manches de satin de la Chine. » Il allait « avec une fausse barbe, à dés chasses où elle devoit être. » Tallemant ajoute encore : « Pour la voir en passant, il se desguisa en postillon, une grande emplastre sur la moitié du visage… Il obtint une fois d’elle qu’elle se monstreroit un soir toute eschevelée sur un balcon avec deux flambeaux à ses costez. Il s’en esvanouit quasy et elle dit : Jésus ! qu’il est fou ! »

Afin de l’avoir à son gré, il l’avait mariée, en mai 1609, à Henri de Bourbon, prince de Condé, « lequel aimoit mieux la chasse cent mille fois que les dames. » Mais il arriva que l’indocile époux ne voulut point du tout du rôle qu’on prétendait lui faire jouer. Il emporta sa femme dans ses terres, afin de la soustraire aux dangereuses assiduités du maître. Sur un ordre formel, il dut revenir avec elle à la Cour, à Fontainebleau. Le péril devenait grave, d’autant que la belle Charlotte-Marguerite était de connivence avec son royal amant et s’affichait très encline à lui céder. Condé prit un parti décisif. Il la fit enlever et, sans s’arrêter à ses larmes, conduire à Bruxelles, une moitié du chemin en carrosse et l’autre en croupe de l’un de ses gentilshommes. Des gardes, des émissaires, envoyés pour les arrêter et les ramener de vive force, les manquèrent de peu. Henri IV en devint presque fou de rage. Il faillit déclarer la guerre à l’Archiduc d’Autriche, gouverneur des Pays-Bas, et au prince d’Orange. Il essaya même d’un hardi coup de main, avec la complicité de la princesse, pour la reprendre. Mais elle était bien gardée — c’est ce que Malherbe appelle la Captivité d’Oranthe — et elle ne reparut en France qu’après l’avènement de Louis XIII.


Malherbe exprima-t-il, dans ses Stances, toutes ces ferveurs, toutes ces fureurs, toutes ces rancœurs d’un sentiment qu’il ne manifestait que par procuration ? Eh ! non. André de Chénier dit : « Les vers qu’il a faits pour les amours d’autrui valent mieux que ceux où il chante les siens ; mais tout cela est encore bien froid. On ne s’échauffe pas de la chaleur d’un autre, et il n’avait jamais aimé lui-même. Je n’aime point à voir sa lyre devenir l’entremetteuse du roi et de plusieurs particuliers. »

Ces particuliers étaient monseigneur le duc de Montpensier et monsieur le duc de Bellegarde ; et l’expression employée semble légèrement malsonnante. Pourtant l’offense inexpiable est autre part ; elle réside en cette appréciation répétée par André de Chénier, qui, lui, fut un tendre et un amant : « Ces vers là même prouvent qu’il n’avait jamais aimé. » Mais on l’appelait « le pere Luxure », disent les Mémoires que Racan écrivit sur ou pour sa vie. Et il s’en vantait fort sans paraître se douter que ce n’est pas la même chose.

Au reste Malherbe ne semble envisager son travail qu’à un point de vue très spécial. Il écrit à son ami Peiresc : « Marc-Antoine (son fils) vous fera voir des vers que j’ai faits pour le roi : il les a si extrêmement loués, que je crains qu’il ne pense que nous soyons quittes : ce n’est pas là comme je l’entends ; car s’il trouve des vers qu’il m’a commandés de nouveau aussi bons que les precedents, je suis resolu de lui parler de grille (paraphe en forme de grille), c’est-à-dire d’une pension. »

Il n’y a donc nul doute qu’il ne fût là, ou ne voulût être un simple faiseur à gages de billets doux, d’une sorte, il est vrai, supérieure ; gardant la conscience artistique que l’on ne saurait lui dénier, il faisait ces petits poëmes, avec force labeur, tels qu’il n’eût pas à en désavouer la paternité. Il y a un joli passage descriptif dans les Stances pour Alcandre Au retour d’Oranthe à Fontainebleau. C’est au moment où le prince de Condé fut forcé de reparaître à la Cour, non seul, et où le vieux roi coquetait avec sa belle sur les terrasses de la pièce d’eau.

Avecque sa beauté toutes beautés arrivent ;
Ces déserts sont jardins de l’un à l’autre bout,
Tant l’extresme pouvoir des graces qui la suivent
        Les penetre partout.

Ces bois en ont repris leur verdure nouvelle ;
L’orage en est cessé, l’air en est esclaircy ;
Et mesme ces canaux ont leur course plus belle
        Depuis qu’elle est icy.

M. Jamin, dans son Fontainebleau ou Notice historique et descriptive sur cette résidence royale (1834) pense que c’est la fameuse source d’où la ville tire son nom qui inspira à Malherbe le quatrain suivant.


Vois-tu, Passant, couler cette Onde
Et s’ecouler incontinent ?
Ainsi fuit la gloire du monde
Et rien que Dieu n’est permanent.


Le malheur (si malheur il y a, toutefois) c’est que, suivant l’affirmation de Ménage, cette inscription fut rimée pour la fontaine de l’hôtel de Rambouillet, rue Saint-Thomas du Louvre, à Paris. Rayons le quatrain de nos papiers. Et en vérité, si nous y perdons, nous n’y perdons guère.


Il faut donc que nous restions sur l’impression précédente, mais, là même, allons-nous sentir que Malherbe aimait, comprenait Fontainebleau, lui que sa charge de Gentilhomme ordinaire de la Chambre y amenait fréquemment ? Il en considérait les splendeurs ; et il leur rend un hommage indirect, destiné plutôt à rejaillir, comme toujours, sur sa propre personne et sur son talent, sur son génie. C’est à la fin d’une Ode à la Reine, mere du Roi, sur les heureux succès de sa régence. Malherbe s’apprête à tracer de Marie de Medicis le plus beau portrait qui se puisse imaginer. Il est sûr d’avance d’en faire une merveille. « En cette hautaine entreprise, dit-il, Commune à tous les beaux esprits, Je me ferai quitter le prix,


Et quand j’auray peint ton image.
Quiconque verra mon ouvrage
Avoûra que Fontainebleau,
Le Louvre, ny les Thuileries,
En leurs superbes galeries,
N’ont point un si riche tableau.


Les fréquents témoignages de satisfaction que Malherbe se décerne à lui-même, fussent-ils anticipés, doivent nous laisser froids ; et nous n’avons à retenir que l’éloge qui, de pair avec les Tuileries et le Louvre, place, à bon droit, Fontainebleau.


Il voyait encore, céans, des magnificences lyriques et métaphoriques que nous sommes, il est bien fâcheux d’être obligés d’en convenir, dans l’impossibilité d’y rencontrer nulle part. Car ce ne serait rien moins que le Pactole aux fiots roulant des paillettes d’or, qui coulerait par ici !

Du moins l’affirme la Sibylle Tiburtine, dans un poëme écrit en 1612 sur la fête des alliances de France et d’Espagne, et à l’occasion du double mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche et de l’infant don Philippe avec madame Elisabeth. Chacune à son tour, les Sibylles Persique, Libyque, Delphique, Cumée, Erythrée, Samienne, Cumane, Hellespontique, Phrygienne, viennent réciter un compliment en six vers, et, la dernière, la Tiburtine s’adresse à la Reine mère :


Sous la bonté s’en va renaistre
Le siècle où Saturne fut maistre ;
Themis les vices destruira ;
L’honneur ouvrira son ecole,
Et dans Seine et Marne luira
Mesme sablon que dans Pactole.


Voici de l’inattendu ! Parmi ses prophéties, Malherbe annonce, presque deux siècles d’avance, le nom que les organisateurs d’octobre 1789 donneront à la région. Les poëtes sont des devins.

Pour en rester à l’âge d’or, comme Malherbe devait se plaire dans un séjour qu’il pare de si belles et si riches couleurs ! Il s’y ennuyait fort, et il le dit sans ambages, dans une lettre adressée à la vicomtesse d’Auchy :

« A cette heure que la resolution est prise de demeurer encore dix ou douze jours en ce malheureux lieu (je parle selon le compte ordinaire, car selon le mien ce seront dix ou douze siècles… »

Ce malheureux lieu ! Fontainebleau !

Il est providentiel qu’un si vilain blasphème soit racheté par Henri IV lui-même, qui, avec une tendre chaleur d’expression, datait un billet à Gabrielle d’Estrées de cette sorte :

« Ce xij° septembre, de nos délicieux deserts de Fontainebleau. »

Et il est bon qu’un roi nous venge d’un poëte.