Quelques réflexions sur l’avenir financier

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Quelques réflexions sur l’avenir financier
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 899-922).
RÉFLEXIONS
SUR
L’AVENIR FINANCIER

Tant que dura la guerre, l’avenir financier pouvait à bon droit sembler très sombre : la gloire de nos armes victorieuses nous le fit un moment oublier. Est-il besoin de dire qu’il ne serait guère sage de nous le représenter aujourd’hui sous de trop riantes couleurs, avec l’idée qu’à elle seule la Victoire, « en chantant, » et comme par enchantement, arrangera toutes choses, et qu’il n’y a plus à s’inquiéter de rien ? Il convient, croyons-nous, d’éviter ici un excès d’optimisme, en même temps qu’un pessimisme si l’on peut dire « défaitiste, » et de se rendre compte que, la guerre finie, c’est maintenant que s’ouvre l’ère la plus critique de notre épreuve financière : redoutable épreuve qui ne sera finalement surmontée qu’au prix d’efforts acharnés et de lourds sacrifices, au prix de l’abnégation, de la sagesse et de la prévoyance de tous, de nos gouvernants tout en premier. Il va falloir non seulement subvenir aux besoins de la liquidation, procéder à la restauration monétaire de la France et à la consolidation de la dette flottante, pourvoir au déficit de notre balance économique vis-à-vis de l’étranger, mais encore faire face aux énormes charges de la nouvelle dette de guerre. L’impôt n’écrasera-t-il pas fatalement le pays ? Notre budget « civil » de 1918 s’élevait à huit milliards ; ajoutez-y les intérêts des emprunts à venir, l’amortissement, les pensions militaires, les dépenses de réparation et de « reconstruction » économique et sociale, les services ordinaires de la guerre et de la marine : il est à prévoir que les budgets prochains pourront atteindre au moins 16 à 18 milliards, plus de trois fois le chiffre d’avant-guerre. Or, le revenu national de la France était évalué en 1914 aux environs de 30 milliards ; c’est donc plus de moitié du revenu national ancien que devra prendre l’impôt futur : à supposer que ce soit possible, ne sera-ce pas détruire sans recours les moyens d’existence de la majorité des Français, briser tout essor économique et arrêter la vie même du pays ? La France victorieuse sera-t-elle accablée à jamais sous le poids de sa victoire ?

Certes nous avons, avec des motifs d’anxiété, de légitimes raisons de confiance. Les forces morales dominent tout ici-bas : nous voulons donc espérer d’abord dans l’ascendant glorieux que notre France s’est acquis aux yeux du monde entier dans la guerre et par la guerre. Allié, ami, ou neutre, l’étranger sait ce qu’il lui doit : la liberté du monde. Justice est rendue à sa valeur comme à sa droiture. De toutes parts les témoignages lui en sont offerts. C’est ce que reconnaissent nos ennemis eux-mêmes : « de toutes les régions de l’univers, écrivait Maximilien Harden dans la Zukunft en août dernier, un grand et admirable courant d’affection, plus puissant que jamais au cours des siècles, afflue vers les Français... » Devant l’aréopage des peuples, la « douce France, » qui est aussi la « forte France, » a gagné en honneur, en respect, en crédit : c’est notre droit et notre fierté de le constater.

Nous voulons espérer aussi dans la force et l’autorité que donne à notre pays la victoire des armes dans une juste cause. La victoire sera-t-elle vaine au vainqueur, comme le prédisait Norman Angell, l’auteur de la Grande Illusion, avec les apôtres du pacifisme économique, ceux-là mêmes qui juraient autrefois qu’une grande guerre mondiale serait impossible, à raison de la complexité du monde moderne et de l’étroite inter-dépendance des intérêts de nation à nation, ceux-là mêmes encore qui assuraient qu’un envahisseur serait incapable de s’approprier la richesse matérielle d’un pays, à raison de ce qu’ils appelaient l’intangibilité du capital : la malheureuse Belgique et nos populations du Nord savent, hélas ! ce que valent de pareilles « illusions ! » Nous ne sommes pas de ceux qui crient Væ Victis ou Victoribus spolia. Nous n’avons pas fait la guerre pour le profit, ad prædam, mais pour le droit et la justice. Il est bien permis cependant de compter qu’une complète réparation sera tirée de l’agresseur vaincu pour toutes ses déprédations et destructions, ainsi qu’une certaine compensation pour les frais de guerre dont il -nous a imposé la charge, et que le retour de nos provinces perdues apportera une vigueur nouvelle à la mère patrie. Il est bien permis de penser aussi que le vainqueur aura pour lui, avec la faveur du monde, le prestige de la victoire ; sa valeur financière sera grandie de toute sa valeur militaire, et la fortune économique lui viendra à la suite de celle des armes.

Nous voulons enfin espérer dans les bienfaits de l’étroite union qui lie les Puissances alliées, et qui, née de la guerre, survivra à la guerre. D’abord politique et militaire, elle s’est étendue à l’ordre économique et financier : elle s’élargira encore. Que ce soit en matière de circulation, .de change, ou d’emprunts, l’entr’aide éventuelle des États de l’Entente ouvrira d’heureuses perspectives en vue de la liquidation des charges de la guerre. Les possibilités en sont encore incertaines, les modalités nuageuses ; mais ce qui semblait chimérique hier paraîtra demain sans doute nécessaire, et prendra peut-être corps bientôt : nul meilleur terrain pour les débuts de la Ligue des Nations !

Voilà, n’est-il pas vrai ? de précieux gages d’espoir. Mais, à côté de ces promesses de l’ordre moral ou virtuel, on peut se demander, — et c’est ce que nous voudrions faire ici, — comment et dans quel sens vont agir sur nos finances quelques-unes des forces qui de tout temps ont fait mouvoir le monde matériel. Loin de nous la pensée de vouloir établir un pronostic, ni même un diagnostic en règle devant le cas aigu de pathologie financière dont nous sommes à la fois les témoins et les sujets. Il ne s’agit que d’essayer de voir un peu clair dans notre situation et dans l’influence que pourront exercer sur elle tels ou tels mouvements économiques dont aussi bien le jeu devra régler notre action. Mais d’abord nous demanderons la permission de montrer, en manière d’illustration historique, ce qu’est l’écrasant fardeau qu’a pu supporter, sinon sans faiblir, du moins sans faillir, une grande nation, alors notre adversaire, aujourd’hui notre alliée, au cours et au sortir d’une guerre qui passait jusqu’à nos jours pour la plus grande des guerres de ce monde : nous voulons parier de l’Angleterre dans sa lutte contre la Révolution et l’Empire.


I

La situation financière de la Grande-Bretagne, à la veille des guerres de 1792-1815, n’était pas brillante. Elle venait d’être fort compromise par les huit années de la guerre de l’Indépendance américaine. Hume, le plus sagace des observateurs de l’époque, disait en ce temps-là que le poids de la dette menaçait l’existence même de la nation. En 1784, William Pitt, en arrivant au pouvoir, avait trouvé, selon Lecky, les finances « dans un état de dépression déplorable et désastreux, » et si le grand ministre, nourri de la saine doctrine d’Adam Smith, réussit à améliorer les choses et à remettre de l’ordre dans le désordre, les charges financières n’en continuèrent pas moins à peser très lourdement sur le pays. De 1783, date du traité de Paris, à 1791, l’impôt s’était même accru d’un tiers, passant de 12 millions et demi de livres sterling à 16 millions et demi, en pleine paix. De 1775 à 1792, le budget avait doublé de chiffre. Et de même la dette publique, dont le capital s’élevait en 1793 à 239 millions sterling, chiffre énorme pour l’époque, et qui représentait environ 16 pour 100 de ce qui devait être alors le capital national de la Grande-Bretagne ; si l’on sait, pour prendre un terme de comparaison, que notre dette française de 1913, fort considérable au dire unanime, ne dépassait pas 11 pour 100 (lu capital de li France, on conviendra que l’Angleterre était fort chargée de dette, aussi bien que d’impôts, au moment d’engager contre la France une guerre qui devait durer vingt-trois ans.

La conduite financière n’en fut pas heureuse, au début du moins, car, pendant six ans, Pitt ne sut qu’emprunter, à des conditions très onéreuses, et demander des avances à la Banque d’Angleterre, au prix de l’établissement du cours forcé et d’un accroissement énorme des billets en circulation. Ce n’est qu’à partir de 1798 que l’Angleterre se décida à augmenter ses impôts ; elle le fit d’ailleurs dès ce moment avec une énergie croissante jusqu’après Waterloo, donnant ainsi au monde un bel exemple, bien qu’un peu tardif, le courage fiscal et de rigueur financière. N’empêche que le crédit britannique était touché ; les consolidés, qui avaient atteint le cours de 97 en 1792, tombaient à 47 cinq ans après ; le billet de la Banque d’Angleterre perdait en 1814 plus de 29 pour 100 de sa valeur ; l’or se cachait, la « cavalerie de Saint-Georges » ne servait plus qu’à l’extérieur. Comme aujourd’hui, les prix des choses, qui depuis l’avènement de George III avaient déjà subi une forte hausse, — de 1768 à 1786 ils s’étaient accrus, selon Hume, plus que dans les 150 années antérieures, — s’élevaient démesurément ; le quarter de blé, qu’on payait 51 shillings en 1767-1770, en valait 110 en 1810 ; la viande haussa dans la même période de 146 pour 100, le beurre de 140 ; et ainsi du reste.

Grâce au renchérissement, grâce aussi à l’introduction des machines, l’industrie progresse, malgré la guerre ; nombreux sont alors comme aujourd’hui les « profiteurs ; » mais alors comme aujourd’hui la prospérité apparente repose pour une bonne part sur l’inflation monétaire et la spéculation. Les salaires ouvriers, bien que haussés en chiffres absolus, voient leur pouvoir d’achat diminué, du fait de la hausse des denrées nécessaires. Seuls, les agriculteurs, landlords et fermiers, jouissent pour un temps d’une fortune sans précédent. Les produits de la terre ont doublé de prix. La rente du sol, comptée en 1800 pour 22 millions et demi de livres, est évaluée en 1815 à 34 millions passés. Comme aujourd’hui, on cultive tout ce qui est cultivable. Tout le monde s’y met ; le Roi daigne se faire appeler « le fermier George ; » Burke et Fox rivalisent dans leurs essais... de culture maraîchère. De même que nous avons eu ces années-ci des potagers militaires ou scolaires, on voyait alors, oh ! scandale, des jardins ecclésiastiques dans les cimetières, et un jour, comme certain archidiacre en tournée dans une paroisse protestait en voyant des plants de navets autour de l’église, et insistait auprès du rector pour qu’il ne recommençât pas l’an d’après : « Bien sûr, lui répondit-on, l’année prochaine on mettra de l’orge ! »

L’Angleterre a souffert, ces vingt-trois années durant ; mais, comme Sieyès pendant la Révolution, elle a vécu. Les pires épreuves devaient lui venir avec la paix, une paix qui, comme on sait, ne lui apporta d’ailleurs pas de bénéfices matériels, hors la possession de quelques points d’appui maritimes et coloniaux. C’est après 1815 qu’on la voit aux prises avec les plus graves difficultés financières.

Ce que sont les charges que lui lègue la guerre, quelques chiffres suffisent à le faire voir. La délie publique était déjà fort lourde, nous l’avons dit, en 1793, à 239 millions sterling ; en 1816, elle se trouve presque quadruplée en capital et s’élève à 885 millions de livres. Le budget ordinaire se montait en 1791 à 16 millions et demi de livres (deux fois plus qu’en 1775) : en 1815, il atteint 79 millions, soit près de cinq fois plus ; l’impôt a presque quintuplé. Représentons-nous bien ce que cela veut dire : c’est comme si nos budgets de demain devaient s’élever à quelque 24 milliards de francs, au lieu des 5 milliards de 1914, ce qu’on peut tout de même espérer qui ne sera pas le cas ! Voilà l’énorme charge fiscale annuelle qui incombe alors à l’Angleterre, la guerre finie. Napoléon avait prédit qu’elle succomberait sous le poids ; les hommes d’État, les économistes lui annonçaient l’appauvrissement définitif, sinon la ruine fatale ; l’industrie, le commerce devaient être paralysés à jamais. Or, elle tint le coup, fil mentir les Cassandre et réussit, à l’étonnement même des plus patriotes et des plus clairvoyants de ses fils, à porter un fardeau que tous jugeaient au-dessus de ses forces.

Les huit ou dix premières années qui suivirent Waterloo furent les plus dures, et semblèrent d’abord justifier les présages des plus pessimistes. Très vite, les prix naguère surélevés de toutes les denrées se mirent à fléchir, non sans de regrettables fluctuations qui firent le jeu des spéculateurs et causèrent bien des paniques. L’agiotage engendre les crises : en deux ans, deux cent quarante banques durent cesser leurs paiements en Grande-Bretagne. La chute des prix, aggravée par la surcharge de l’impôt, déprime alors l’industrie, abaisse les profils et les salaires, provoque le chômage. C’est d’ailleurs l’agriculture, qui avait le plus profilé de la guerre, qui perd le plus à la paix, et ce sont les produits de la terre qui subissent la plus forte baisse : le quarter de blé, de 110 shillings (en 1810), tombe à 74 en 1819, à 43 en 1822. Les fermiers ne peuvent plus payer les hauts fermages consentis pendant la guerre, ni les landlords leurs hypothèques ; la terre se déprécie ; les plus beaux domaines, écrit un membre du Parlement en 1816, se vendent avec 50 pour 100 de perte. La culture dépérit, bien des terres tombent en friche, les expropriations se multiplient, et on voit disparaître ce qui restait chez nos voisins de petits propriétaires, de ces yeomen qui avaient fait autrefois la force de l’Angleterre. Cependant la masse du peuple souffre plus qu’elle n’avait fait au cours de la guerre. Les salaires bas s’aggravent du manque de travail à la ville ; dans les campagnes, les ouvriers agricoles ne sont plus payés que 7 à 8 shillings la semaine, au lieu de 15 ; nombre d’anciens fermiers tombent à la charge de la « loi des pauvres, » et celle-ci même craquant sous le poids du paupérisme, il arrive que des administrations de paroisses tombent en faillite. Troubles et émeutes se multiplient ; des bandes armées brûlent les récoltes, pillent les boutiques ; les Luddites brisent les machines ; l’Habeas corpus doit être suspendu en 1817, et le nouveau parti radical aura de la peine à canaliser l’agitation dans le mouvement politique qui aboutira à la réforme électorale de 1832.

Ce qui sauve alors le pays, c’est l’essor industriel qui, par les merveilleuses applications de la science, se développe, lentement d’abord, avec peine, puis d’un vol rapide, et rend à l’Angleterre la prospérité par le travail et la production. Il avait commencé avant la guerre et s’était continué pendant la guerre, mais ce n’est qu’après 1815 qu’il s’épanouit à la faveur de la paix, les premières années de crise passées. Avec la vapeur, la machine et les progrès mécaniques, l’industrie dans toutes ses branches prend peu à peu un élan prodigieux. Les découvertes et les inventions se succèdent. La navigation à vapeur fait ses débuts tout de suite après Waterloo ; les chemins de fer une dizaine d’années après. Dans la fabrication textile, qui tient la première place à cette époque dans le Royaume-Uni, le métier à main était encore en 1815 d’un usage général ; on ne comptait guère, cette année-là, que 3 000 métiers mécaniques : en 1825, on en compte 30 000 et 100 000 en 1834. L’importation du coton brut ne dépassait pas 92 000 livres en 1815 : elle atteint 202 000 livres en 1825. Celle de la laine passe dans le même temps de 13 000 à 43 000 livres. La production du fer s’élève de 258 000 tonnes en 1806 à 581 000 en 1825, et montera à 1 million en 1835. L’Angleterre, d’agricole qu’elle était surtout, devient surtout industrielle ; elle se mue en une immense manufacture.

Sans doute la transformation n’a pas lieu sans heurt ni dommage. Le retour au bien-être matériel est lent ; le paupérisme ne diminuera qu’avec le temps. Cependant l’Angleterre s’accroît en population : de 1815 à 1832, les Iles Britanniques gagnent 6 millions d’habitants. Financièrement, le progrès économique donne au pays le point d’appui nécessaire à son relèvement. Il rétablit le crédit de la nation ; dès 1824, les consolidés britanniques sont remontés à 96, le plus haut point depuis 1792 ; la dette se réduit peu à peu, en capital et en intérêts, par l’amortissement et les conversions ; son capital ne se monte plus en 1830 qu’à 784 millions de sterling, au lieu de 885 en 1816. De même, le chiffre du budget annuel s’abaisse progressivement jusqu’en 1833, date à partir de laquelle il reprendra sa marche ascendante. La fortune du Royaume-Uni, de 1815 à 1832, s’augmente de 50 pour 100, ce qui équivaut, si l’on tient compte de la baisse des prix, à une hausse réelle de 80 p. 100. En 1814, le capital national était évalué à 2 700 millions de livres, en pleine période de renchérissement ; en 1840, au temps de la dépréciation, on le comptera à 4 milliards. Grâce à cet accroissement de richesse, l’impôt, si lourd soit-il, se supporte. L’effort industriel est venu à l’aide de l’effort fiscal, il le soutient, il le « conditionne. »

Faut-il ajouter qu’il le suppose, et prétendrons-nous que si la rapide croissance économique du pays a permis alors à l’Angleterre de supporter une charge de contributions qui autrement l’eût écrasée, il n’est pas moins vrai de dire qu’inversement la surélévation de l’impôt a elle-même contribué au développement industriel de la nation, et que, sans la guerre, l’industrie britannique n’aurait pas réalisé en si peu de temps de si magnifiques progrès ? C’est la thèse de l’impôt « stimulant, » qui se fait jour alors en Angleterre, sous l’empire des événements, et que l’économiste Mac Culloch développera bientôt dans son « Traité sur la taxation : » elle n’est pas moins de circonstance à l’heure actuelle et chez nous qu’elle n’était il y a cent ans chez nos voisins ! Comme l’oisiveté est la mère des vices, la nécessité est celle des vertus économiques, efforts, invention, épargne ; en poussant l’homme à la production, en excitant son énergie, la pression de l’impôt provoque dans le pays une tension générale des volontés, un développement de toutes les forces, comparable, observe Mac Culloch, à l’influence exercée sur un père de famille par la venue des enfants et la multiplication des bouches à nourrir. « Le poids toujours croissant de la taxation pendant la guerre commencée en 1793, écrit-il, fut senti par toutes les classes et donna de l’aiguillon à l’industrie, à l’entreprise et à l’invention, et engendra un esprit d’économie tel qu’on aurait en vain tenté de le développer par d’autres voies... Sans la guerre contre la France, il y aurait eu moins d’industrie et moins de frugalité, parce qu’il aurait eu moins de nécessité de l’une et de l’autre. L’homme ne subit pas seulement l’influence de l’espérance, mais aussi celle de la crainte : la taxation met en jeu ce dernier principe. » Hume l’avait déjà, observé : « Toute taxe nouvelle crée chez celui qui y est assujetti une faculté nouvelle de la supporter, et toute augmentation des charges publiques accroit proportionnellement l’activité industrielle du pays. »

C’est là une vue bien optimiste des choses, et qu’il faudrait se garder de pousser trop loin ; seule l’ironie cruelle d’un Swift se permettrait de représenter le percepteur ou le gabelou sous la figure d’un agent du progrès ! Il est clair qu’il y a un point où l’imposition, comme l’oppression, loin de stimuler les énergies, les décourage, et tend à rendre l’homme indolent et pauvre au lieu de le rendre industrieux et entreprenant. C’est au reste ce que Hume et Mac Culloch étaient eux-mêmes bien loin de contester, et c’est ce que Montesquieu avait en son temps fait ressortir en disant que « la pesanteur des charges produit d’abord le travail, le travail l’accablement, l’accablement la paresse. » Mais on doit reconnaître qu’il y a tout de même une part intéressante de vérité psychologique dans cette thèse, si curieusement anglo-saxonne d’esprit, et dont il est opportun et salutaire de se souvenir en notre temps d’épreuves et de sacrifices. Quand la surcharge fiscale dérive d’une nécessité patriotique indiscutée, quand elle est répartie avec une équité suffisante et sans opprimer systématiquement l’épargne ou la production, il y a chance pour que, dans un pays industrieux et ordonné, on voie jouer le phénomène compensateur de réaction individuelle qui portera ceux qui produisent à produire davantage, ceux qui épargnent à épargner davantage. Puissions-nous voir aujourd’hui en France l’effet bienfaisant de ce facteur de résistance économique qui, s’il n’a pas été autrefois, comme on l’a paradoxalement soutenu, la cause du progrès industriel de nos voisins britanniques, ne laisse pas sans doute d’avoir joué un rôle dans le « rétablissement » de l’Angleterre après 1815 !

Cet extraordinaire rétablissement de l’Angleterre d’il y a cent ans, avons-nous bien le droit d’en proposer le témoignage comme un « précédent, » et de tirer de ce « précédent, » avec, une leçon, des conclusions favorables pour l’avenir de notre pays ? Entre les luttes européennes d’autrefois et la guerre mondiale d’aujourd’hui, tout rapprochement n’est-il pas vain, même du seul point de vue économique et financier ? Nul doute que les pertes subies alors par les Anglais en vies, en biens, en argent, ne nous apparaissent bien modiques, un siècle après, en chiffres absolus ; et pourtant on ne saurait nier que la charge finale et totale de la guerre contre la France n’ait pesé d’un poids extrêmement lourd sur le pays, eu égard à ce qu’étaient alors ses moyens et ses ressources, et. que l’effort nécessaire pour supporter cette charge n’ait été, en proportion de ce qu’étaient ses forces, assez comparable à celui que nous devons nous préparer à faire actuellement en vue de la liquidation de la guerre : cet effort, l’Angleterre l’a fait, elle nous a montré ce qu’une nation résolue et fière peut faire sans y succomber, et c’est toute la conclusion que nous voutions faire ressortir ici. D’autre part, on peut dire qu’il y a un siècle, le temps de l’après-guerre ayant coïncidé avec la grande période d’éveil de l’industrie moderne, les conditions économiques ont favorisé chez nos voisins de façon exceptionnelle l’effort financier. L’Angleterre a été sauvée par Watt, Arkwright et leurs émules. C’est la « révolution » industrielle qui, multipliant avec la production les ressources, a permis au pays de supporter les charges de la guerre. La leçon à en tirer, c’est qu’il faut qu’une « révolution » analogue, autre dans ses moyens, mais pareillement féconde, se produise demain chez nous dans le domaine de la production comme dans celui de l’exploitation des richesses naturelles. Qu’il nous suffise de dire ici qu’une telle « révolution » est à la fois nécessaire et possible, et que dans une certaine mesure elle a déjà commencé…


II

Pour juger de l’effort nécessaire au relèvement de la France, pour savoir même simplement où nous en sommes de nos affaires, il faudrait d’abord mesurer les pertes qu’a subies le pays du fait de la guerre. Dans quelle proportion sa richesse est-elle atteinte, jusqu’à quel point s’est-il appauvri, « décapitalisé » ? Le saura-t-on jamais ? En tout cas il est trop tôt à l’heure actuelle pour calculer avec quelque précision des perles dont on ne peut que passer en revue les intitulés de chapitres : elles sont trop, et trop diverses, et trop difficiles, — sinon même souvent impossibles, — à traduire en chiffres.

Ce n’est que d’hier qu’il nous est permis de compter nos morts : c’est là, pour le pays, la perte essentielle, la grande perle irréparable et incalculable qui de génération en génération laissera la France saignante et blessée. N’y aurait-il pas comme un sacrilège à vouloir évaluer ce que le pays a perdu en les perdant, ce qu’il perdra encore du fait des soldats mutilés, et de tous ces non-combattants martyrisés par un ennemi sans foi, comme si la vie humaine, cette chose divine, était susceptible d’une évaluation en capital et intérêts ? Devant le deuil et la souffrance, nous ne voulons avoir d’yeux que pour pleurer, de parole que pour louer ceux dont le sacrifice a payé notre victoire.

Pour ne parler ici que de pertes matérielles, nous dirons qu’on n’a fait encore que commencer le recensement des dommages de guerre causés par l’agresseur en pays envahi, dans la zone de feu, à l’arrière, sur les mers. Œuvre délicate, et qui menace d’être parfois inextricable. Comment apprécier ce que l’art, l’histoire, la science ont perdu dans nos provinces ravagées ? Qui évaluera en argent ce qu’a souffert la cathédrale de Reims ? Qui dira ce que valaient ces forêts rasées et ces champs condamnés, ce que coûtera la réfection des usines, des voies ferrées et des routes, la reconstruction des villes et villages, la remise en état des mines du Nord ? Le compte est ouvert. Sera-ce, pour la France seule, aux prix actuels, 75 milliards, ou 100, ou davantage ? Qui sait ? Ce que nous savons, c’est qu’il faut qu’à tout prix, et par quelque moyen que ce soit, le compte soit soldé par l’Allemagne responsable du crime [1] : et il le sera.

Compterons-nous, au passif de la guerre, tout ce que la guerre a empêché le pays de créer en fait de richesses nouvelles . épargnes qu’il n’a pas réalisées ou qu’il a offertes à la guerre, produits qu’il n’a pas mis en stock ou exportés parce que les producteurs se battaient pour lui dans la tranchée ? Rien qu’en économies normales, il mettait autrefois de côté près de 4 milliards annuellement ; pour quatre ans et demi de guerre, voilà 18 milliards d’ « acquêts » qui lui ont échappé. J’entends bien que ce sont là des valeurs qui n’ont pas été soustraites réellement de l’actif national : elles n’y ont pas été ajoutées, voilà tout, il y a eu « manque à gagner, » et non perte effective, hors le cas où, les produits non créés manquant à la consommation, celle-ci a fait appel à l’importation de l’étranger. Mais ce « manque à gagner » n’en est pas moins grave comme facteur d’appauvrissement pour l’avenir.

Voici enfin le gros bloc des dépenses exceptionnelles de guerre proprement dites : on sait que les crédits ouverts atteignaient la somme de 140 milliards à la fin de 1918, non compris les services civils [2]. Tel était alors le coût financier de la guerre. Est-ce là une perte définitive pour la communauté ? Non, car la majeure part de ces dépenses est restée dans le pays. Ecartons l’illusion monétaire, le voile d’argent qui cache ou fausse la réalité économique. La guerre ne se fait pas avec des louis d’or ou des billets de banque, mais avec des produits, des richesses, qu’elle consomme et détruit. Ces richesses, le pays a pu en fournir une partie, en sus de la grosse masse de sa production journalière. Il a utilisé ses réserves en capitaux circulants, stocks, matières premières, cheptel. Il a mis à contribution ses capitaux fixes, soit directement, lorsqu’il a par exemple coupé ses bois, soit indirectement, quand il a usé de son outillage économique ou industriel (chemins de fer, matériel, bateaux, usines, machines, bâtiments) sans le réparer ou le reconstituer. Dans l’un et l’autre cas, c’est du capital qui a été absorbé ou s’est détérioré : d’où une perte qu’on a évaluée, pour la France non envahie, et en valeur d’avant-guerre, — ce serait deux ou trois fois plus aujourd’hui, — à une dizaine de milliards, chiffre qui nous semble devoir être bien inférieur à la vérité. D’autre part, tout ce que la guerre ou le ravitaillement ne trouvaient pas en France a dû être demandé à l’étranger, et payé en or, en valeurs, ou en emprunts : nos emprunts publics extérieurs s’élevaient à eux seuls, au 31 décembre dernier, à une trentaine de milliards. Seconde perte qui, jointe à la précédente, permet de se faire grosso modo une idée de ce que pouvait être à la fin de 1918 la diminution de l’actif économique du pays, la « décapitalisation » de la France, en sus des perles humaines, des dommages de guerre et du » manque à gagner » sur le temps de paix.

A cette perte-là, il y a une contre-partie. L’Etat français a fait à plusieurs de ses alliés des prêts, moindres à la vérité que ceux dont l’Angleterre a pris dans le même temps la charge, mais dont le total s’élève cependant à dix milliards environ : un jour sans doute il pourra rentrer dans quelques-unes de ces avances. Puis les armées de nos alliés ont dépensé chez nous des sommes considérables, sur le montant desquelles on n’a encore aucune donnée : le règlement en viendra en déduction de nos dettes extérieures. Enfin la guerre, si elle a été surtout destructive, a été aussi par ailleurs créatrice de richesse : usines et installations nouvelles, améliorations des ports et voies ferrées, industries même créées de toutes pièces, toutes ces immobilisations ont été faites en vue de la guerre, mais une partie, une bonne partie sans doute pourra servir, après la paix, à des buts de paix.

Certes ces divers « à-côté » seront bien loin de compenser nos pertes en capital, dont le peu que nous avons dit suffit à montrer que le total, si jamais on arrive à l’établir, sera terriblement gros. Elles eussent été moindres, si le pays avait réduit sa consommation privée, en vue de laisser aux besoins de la guerre plus de produits français et de diminuer les achats à l’étranger ; s’il ne l’a pas fait, la faute en est moins peut-être au public qu’à nos gouvernants qui n’ont cessé de pousser à la consommation par l’abus systématique des allocations, des salaires surélevés, et des taxations de denrées. Elles eussent aussi été moindres, s’ils n’avaient eux-mêmes donné l’exemple du gaspillage et pris, semble-t-il, pour principe de donner sans compter, et de sacrifier sans contrôle « la dépense à la défense. » Mais ce n’est pas ici le lieu d’entamer un procès dont le développement nous mènerait trop loin. Notons seulement que nos pertes en revenu seront dans l’avenir plus fortes proportionnellement que ne sont nos perles en capital, puisqu’il nous manquera toute l’activité productrice de nos morts, une partie, de celle de nos mutilés : il faudra que ceux qui restent travaillent deux fois plus pour remplacer les absents, il faudra que le pays produise et épargne deux fois plus pour réparer la brèche faite dans son patrimoine héréditaire.


III

Bien téméraire qui voudrait préciser davantage le calcul de nos pertes de guerre, car rien n’est hasardeux comme d’apprécier aujourd’hui des « valeurs, » en présence de ce fait capital, et d’ailleurs général, la hausse des prix. De tous les phénomènes économiques nés de la guerre, c’est l’un des plus graves et des plus troublants. En grossissant la valeur de toutes choses, il donne au pays l’apparence, — trompeuse, — de la prospérité. Il rend la vie difficile, ou même plus, à beaucoup : à beaucoup en même temps il profite, et s’il fait le désespoir de ceux qui achètent, il fait la joie de ceux qui vendent. A la vérité personne n’y peut rien, ou du moins il n’y a que « tout le monde » qui y pourrait quelque chose, si « tout le monde » voulait bien, devant la restriction de la production, restreindre sa consommation ; mais « tout le monde, » eut-il, ce que je ne crois pas, plus d’esprit que M. de Voltaire, ne brille toujours pas par l’esprit de sacrifice.

On ne sait que plaindre, et non d’ailleurs sans cause. D’après une des dernières enquêtes, portant sur le prix des denrées alimentaires dans les villes, ce qui coulait 100 francs à un budget ouvrier avant la guerre en coûtait 233 en juin dernier. Et cette hausse considérable est très dépassée par celle qui atteint bien des matières premières ou des produits manufacturés. Telle de nos compagnies de chemins de fer qui payait avant la guerre son charbon 25 francs la tonne en moyenne, l’a payé 90 francs en 1918. Sans doute n’est-il pas indiscret de dire que le papier sur lequel est imprimé cette Revue a presque quintuplé de prix depuis quatre ans. Il ne manque d’ailleurs pas de produits dont la valeur marchande a décuplé dans le même temps. Et combien n’y a-t-il pas de denrées, de denrées même nécessaires, qui ont encore renchéri depuis l’armistice ! Mais à quoi bon des exemples, quand chacun ne sait que trop ce qui en est ? Dans l’ensemble, on peut dire que la hausse parait un peu moins forte en Angleterre qu’en France, et beaucoup plus en Italie, en Suède, en Norvège, comme a fortiori chez nos ennemis.

Natura non fecit saltus ! Le « saut, » ici, est d’importance, et, par sa soudaineté, sans précédent. En peut-on conclure que le phénomène disparaîtra aussi vite qu’il est apparu ? Ne nous y lions pas, car il dépend à la fois de trop de causes et de causes trop complexes. C’est d’abord la raréfaction des produits, due à la guerre qui absorbait la plus grosse part du travail et des matières premières, et la réduction des moyens de transports : or, ce n’est que peu à peu que le monde recommencera à produire dans la paix et pour la paix, qu’il trouvera assez de bateaux pour ses expéditions, de locomotives pour ses trains, sans compter que partout la hausse des impôts haussera les prix de revient. C’est, d’autre part, l’accroissement des consommations, tant civiles que militaires : si les besoins de l’armée vont diminuer, en sera-t-il de même et de sitôt, à l’arrière, pour ces appétits de jouissance que la guerre a déchaînés et que les hauts prix eux-mêmes n’ont pas réussi à refréner ? C’est enfin l’ « inflation, » la multiplication des « signes » monétaires, la surabondance des billets, qui a fait fléchir le pouvoir d’achat de la monnaie. Au 1er janvier 1914, il circulait en France 6 milliards de billets et un peu plus de 4 milliards d’or ; aujourd’hui il y a 33 milliards de billets émis et peut-être encore un peu d’or qui se cache : la muasse de la monnaie en circulation a plus que triplé. Il est vrai que les besoins monétaires ont aussi augmenté : on thésaurise non seulement l’or, mais les billets ; on paie comptant plus qu’autrefois ; il y a plus d’argent qui traîne dans les poches ; et puis, comme tous les phénomènes économiques réagissent les uns sur les autres, il est clair que plus les prix s’élèvent, plus il faut de monnaie pour les transactions. Seulement, la demande de moyens de paiement n’a pas triplé, tant s’en faut, comme l’offre, et l’excès de celle-ci sur celle-là a contribué, en abaissant la valeur de la monnaie, à faire hausser les prix. Dans quelle mesure ? C’est ce qu’il est impossible de préciser. En Angleterre, on estimait naguère que l’inflation monétaire pouvait être pour un tiers environ dans le renchérissement des denrées. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de sitôt qu’on arrivera chez nous à remettre l’ordre dans la circulation fiduciaire. Pour l’instant, les billets sortent encore de la Banque de France bien plus vite qu’ils n’y rentrent ; les maux et les dangers de l’inflation ne font que s’accroitre, et il serait grand temps d’y remédier, si l’on veut protéger le crédit du billet de banque. En mettant tout au mieux, il est à croire que le renchérissement, s’il doit disparaître ou plutôt s’atténuer largement dans l’avenir, ne diminuera que lentement.

Préparons-nous donc à vivre avec lui encore un temps : un temps qui sera critique pour le plus grand nombre, critique au premier chef pour les démobilisés du front ou de l’usine. Quant à nos finances publiques, elles souffrent et profitent à la fois des hauts prix. S’ils alourdissent les charges des budgets, ils aident en même temps les budgets à porter ces charges. Acheteur de produits et services, l’État paie tout plus cher ; collecteur d’impôts, c’est-à-dire vendeur de produits et services, il fait meilleure recette. Dans l’augmentation des dépenses publiques, le renchérissement tient une large, une trop, large place, qui pourrait et devrait être réduite par des économies compensatrices. En revanche, le rendement de l’impôt s’accroît du fait même du renchérissement. S’il était perçu en nature, comme naguère en Chine, il ne varierait de produit que selon le revenu réel du pays ; perçu en argent, comme il l’est partout aujourd’hui, son apport tend à suivre le mouvement général des valeurs. Tel un profiteur de guerre, le fisc bénéficie de la hausse des prix, soit qu’il vende plus cher sa marchandise, le tabac par exemple, soit qu’il réalise des plus-values plus ou moins importantes sur les impôts ad valorem, douane, bénéfices de guerre, taxes sur le revenu, enregistrement et timbre. Si donc le renchérissement accroît les dépenses budgétaires, il accroît en revanche les recettes du Trésor.

Et aussi le revenu national, c’est-à-dire l’ensemble des produits créés et des services faits en France, ou dus par l’étranger à la France, en évaluation monétaire : la valeur de la monnaie ayant baissé, le revenu national voit la sienne haussée en proportion. La guerre l’a diminué en réalité, in re, et la hausse des prix l’augmente en valeur, in specie. — Mais c’est fictif, dira-t-on, et voici que nous retombons dans l’illusion de l’argent, dans la fausse conception « monétaire » des choses ; qu’importe, économiquement, que notre revenu national soit grossi en argent, s’il est réduit en nature ? — Sans doute, mais financièrement, plus ce revenu national est accru, fût-ce en valeur, plus il est à même de satisfaire à un impôt accru : si la France supporte actuellement sans trop de peine une grosse surcharge fiscale, — trois milliards d’impôts nouveaux, alors que nous avons en moins les contributions des pays envahis et des mobilisés, — c’est grâce à la hausse en valeur du revenu national, grâce au renchérissement qui allège le fardeau et facilite le jeu de nos finances. La nef budgétaire, bien qu’alourdie, flotte mieux en hautes eaux.

Seulement, il faut se garder de croire que ce secours temporaire nous fournisse la solution du problème financier de l’avenir : les difficultés, aujourd’hui dissimulées, n’en sont que remises, et c’est pourquoi nous ne pouvons nous féliciter du bénéfice que tire aujourd’hui le fisc du phénomène du renchérissement, ni espérer, comme on nous y invite parfois, que, par sa seule vertu, l’impôt futur ne pèsera guère sur le pays d’un poids plus lourd qu’il ne faisait avant la guerre. Un jour viendra où la baisse des prix fera baisser à la fois le rendement des impôts et la valeur du revenu national, et ce jour-là, nos déficits budgétaires, déjà énormes, se verront singulièrement aggravés. Dieu veuille qu’on n’écoule pas alors ceux qui voudraient, à l’exemple des inflationists américains d’après la guerre de Sécession, prolonger l’ère des hauts prix, parce qu’ils en profitent : le remède .serait pire que le mail Mais Dieu veuille que le développement économique ait alors fait progresser le revenu réel du pays en même temps que ses forces contributives, et que, par un phénomène inverse à celui dont nous sommes aujourd’hui témoins, une hausse effective de ce revenu national soit venue compenser, et au delà, sa baisse en valeur ! Ce n’est qu’à ce prix que pourra s’opérer, au point de vue financier, la transition entre l’ancien ordre de choses et l’ordre du monde nouveau, entre le passe et l’avenir.


IV

L’avenir ! Au lieu de regarder, comme nous venons de le faire, dix ou vingt ans en avant de nous, ou trente, — qu’est-ce que cela dans la vie d’un peuple ? — essayons d’envisager les temps plus lointains, au delà des années de liquidation et à partir du moment où l’équilibre sera retrouvé, la stabilité revenue. Et tâchons d’apercevoir ce que cet avenir nous réserve quant à la charge de notre dette de guerre.

Cette charge est effroyable. Le capital, à la fin de 1918, en dépassait 130 milliards, sans compter la dette viagère, et en plus de nos 34 milliards de dette antérieure ; et si la guerre est finie, nous ne sommes pas au bout des emprunts de guerre : le Trésor aura encore bien des dizaines de milliards à demander au crédit. Voici mieux, ou pis, en Angleterre : on estime qu’au 31 mars 1919, la dette du Royaume-Uni s’élèvera à 7 milliards et demi de livres (187 milliards et demi de francs), y compris les 706 millions de livres de la dette ancienne. Chiffres inouïs et fantastiques, que l’imagination la plus folle n’aurait jamais osé envisager il y a seulement cinq ans, alors qu’on n’estimait qu’à un peu moins de 300 milliards le capital national de la France, et celui du Royaume-Uni à 15 milliards de livres (375 milliards de francs). Certes, nous saurons porter le fardeau, à l’exemple de l’Angleterre d’aujourd’hui, et de l’Angleterre d’il y a un siècle : mais à quel prix ?

Cette dette de guerre, il est à vrai dire de notre droit d’en faire subir la charge, en tout ou en partie, à nos ennemis. L’équité stricte demande que l’agresseur porte, avec la responsabilité, les conséquences de son agression, et qu’il indemnise le vainqueur des dépenses qu’il lui a imposées comme des pertes qu’il lui a infligées. « Le plus terrible compte de peuple à peuple est ouvert, » a dit M. Clemenceau. Et M. Lloyd George : « Il faut que l’Allemagne paie le coût de la guerre jusqu’à la limite de sa capacité de payer. » A la veille de la guerre, l’Allemagne se vantait d’être la plus riche des nations européennes ; c’est du moins ce qu’un de ses financiers en vue. qui depuis lors a paru, sans succès d’ailleurs, sur la scène des affaires à Berlin, le docteur Helfferich, s’est évertué à démontrer dans un gros ouvrage publié en 1913, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de Guillaume II. Aujourd’hui, vaincue, elle va sans doute tâcher de se faire passer pour la plus pauvre ; et la seconde imposture ne sera pas pire que la première. Il est certain que, malgré l’appauvrissement dû à la guerre, elle possède encore de grosses ressources qui peuvent servir de gage à nos revendications : forêts, chemins de fer, mines de charbon et autres, forces hydrauliques, ports, docks, et voies de navigation intérieure, sans oublier les réserves en impositions ou monopoles fiscaux. Mais quand elle aura pourvu et la réparation des dommages de guerre dont elle s’est rendue coupable dans les pays envahis, — cette réparation doit être obtenue, et par priorité, jusqu’au dernier centime, — il est assez à craindre que, quelle que soit sa richesse restante, les Alliés ne réussissent en fin de compte à se faire verser, sur l’énorme total de leurs dépenses de guerre, qu’un dédommagement très insuffisant.

D’autre part, la France, qui dès le début a été le principal théâtre, le premier acteur et la grande victime de la guerre, est de toutes les grandes puissances de l’Entente la plus éprouvée dans ses forces vives ; c’est elle qui, de beaucoup, a le plus souffert. Elle a perdu, à proportion de sa population, deux fois plus d’hommes que l’Angleterre ; elle a dépensé pour la guerre, par rapport à sa richesse nationale, plus de moitié en plus ; ses plus riches province^ sont pour longtemps frappées de paralysie industrielle : la France s’est usée, économiquement, plus qu’aucune des grandes nations alliées. De cette primauté dans le sacrifice, les Alliés ne lui tiendront-ils pas compte, et ne voudront-ils pas développer l’Entente financière proclamée par M. Lloyd George, afin d’aider la France à panser ses plaies et à reprendre sa place, à égalité avec les autres nations, dans la vie du monde ? Ce serait de leur part une œuvre de justice. Emprunts interalliés, partage de charges ou mise en commun de ressources, les moyens ne manqueraient pas...

Quoi qu’il en soit, nous ne saurions oublier que nous avons une part notable de notre dette publique entre les mains de créanciers étrangers : cette dette « extérieure » devait atteindre à la fin de l’année l’Jl8 environ 28 milliards, dette à terme et dette flottante, à quoi il faut ajouter un peu plus de deux milliards souscrits par l’étranger à nos grands emprunts de consolidation. C’est là le point le plus sensible, pour ne pas dire critique, de notre situation financière. Intérêts à payer, capital à rembourser, c’est une grosse hypothèque qui grève notre actif et draine nos ressources, en un temps où la balance économique nous est défavorable. Il n’est pour nous qu’un moyen de remédier au mal : mettons tous nos efforts à développer, à décupler notre exportation, de manière à nous mettre à même de solder nos dettes étrangères en nature, en produits français, l’or ne pouvant guère servir que d’appoint dans des paiements internationaux de cette importance. L’afflux à prévoir des visiteurs étrangers en France après la paix nous aidera sans doute à nous libérer peu à peu de lourdes obligations dont au reste nos créanciers, principalement l’Angleterre et les États-Unis, sont, nous n’en doutons pas, très disposés à nous faciliter le règlement.

La majeure partie de notre dette est, en revanche, une dette « intérieure, » c’est affaire entre Français. Point de sorties d’or ou de valeurs : l’intérêt, prélevé sur le pays par l’impôt, retourne au pays ; ce ne sont pas des milliards « jetés à la mer » que ceux qui rentrent dans le fonds commun de la nation. Il n’y a plus ici perte économique, destruction de richesse, il ne s’agit que de répartition de valeurs. Cette répartition engendrera sans doute de graves difficultés fiscales et sociales : ménager d’une part les moyens de la classe la plus nombreuse, et de l’autre les forces productives du pays, son pouvoir d’épargne, quel problème à résoudre ! Mais à considérer l’économie nationale dans son ensemble, et la masse des citoyens comme une même unité économique, un « doit » qui est en même temps un « avoir » n’est pas a priori, dans un pays sain et ordonné, une cause fatale d’écrasement.

D’ailleurs, cette dette intérieure est une dette en argent, en valeur, donc soumise aux fluctuations des valeurs et du taux de l’intérêt : avons-nous, de ce chef, à espérer, comme on le dit parfois, quelque allégement à nos charges ?

Le taux de l’intérêt ne restera sans doute pas dans l’avenir ce qu’il est actuellement. S’il a beaucoup monté depuis quatre ans, du fait des besoins de la guerre, si l’après-guerre même, absorbant beaucoup de disponibilités, risque de le maintenir d’abord assez haut, il est à croire que, la période de reconstruction passée, l’épargne grandissant, — si on le lui permet,— et la demande de capitaux diminuant, nos enfants et petits-enfants verront se reproduire le mouvement qui, au cours du XIXe siècle, a abaissé de 5 à 3 le loyer de l’argent. C’est alors que s’ouvrira la voie aux conversions des emprunts publics, avec le notable soulagement qu’elles apportent aux budgets. Mais nos budgets français n’en profiteront pas autant qu’il serait souhaitable, car les plus gros de nos emprunts consolidés ayant été émis très au-dessous du pair, leur conversion éventuelle ne pourra être envisager, si elle doit l’être, que dans Un temps très éloigne. On ne peut que regretter qu’une politique financière plus prévoyante n’ait pas su réserver ici au Trésor, sans surcharge présente, une précieuse décharge d’avenir.

Quant au mouvement des valeurs, comment en présager le sens et l’influence sur notre dette en capital ? Plaçons-nous au jour où, l’ « inflation » ayant disparu, le renchérissement actuel et temporaire des prix aura été résorbé ou stabilisé : verrons-nous alors la valeur de la monnaie métallique, régulatrice des prix, reprendre cette marche à la baisse, d’ailleurs coupée d’incidentes réactions, dont les siècles passés ont été les témoins ? Les belles études, si savantes et si vivantes à la fois, de M. le vicomte d’Avenel, nous enseignent en effet que cette valeur était six fois plus grande en l’an 1500 qu’en 1900, trois fois plus en 1750, deux fois en 1800. De 1800 à 1900, la valeur de la livre sterling, comme celle du franc, a baissé de moitié : on conçoit donc que les 885 millions sterling de la dette britannique de 1815 aient fait, aux yeux des Anglais de 1900, l’effet de quelque chose de beaucoup plus modeste qu’ils n’avaient paru à ceux des contemporains de Wellington.

Si le mouvement de dépréciation de la monnaie métallique devait continuer du même pas, il est clair que dans cent ans d’ici nos 130 milliards de dette de guerre, qui nous paraissent aujourd’hui si monstrueux, ne manqueraient pas de sembler assez modiques aux regards de nos arrière-neveux ; le jour où le capital de la France aurait doublé de valeur par le jeu de cette dépréciation, le rapport entre ce qui nous resterait alors de dette publique et ce qui serait alors notre capital national n’aurait plus rien d’effrayant. Mais le mouvement se poursuivra-t-il ? Rien n’est moins sûr. Le fait que, ces dernières années, la production de l’or, au lieu d’augmenter comme autrefois, a diminué, doit donner à réfléchir ; et tandis que la production décroit, les besoins d’or ne cessent de s’accroître dans le monde. Ne verra-t-on pas à l’avenir un temps d’arrêt, sinon un rebroussement, dans la marche à la dépréciation des métaux précieux ? Il ne serait guère prudent en tout cas d’escompter que la roue de la fortune continuera toujours de tourner dans le même sens, en favorisant les débiteurs au détriment des créanciers, et que le XXe siècle nous allégera gratuitement notre dette de guerre comme le XIXe a allégé celle de l’Angleterre.


V

N’espérons donc pas trop dans le secours du temps : il n’est pas sûr qu’il travaille pour nous. Il faut s’aider soi-même, si l’on veut l’être par les circonstances. Nous n’avons qu’un moyen, économiquement parlant, de supporter et de réduire notre dette de guerre, c’est de développer notre richesse nationale, sous ses trois formes, ressources naturelles, force de production, pouvoir d’épargne. Et nous le pouvons, en voici la preuve : de 1812 à 1914, le capital du Royaume-Uni s’est élevé de 2 190 millions de livres à 15 milliards ; de 1815 à 1911, celui de la France a passé de 45 à près de 300 milliards de francs ; c’est-à dire qu’en France comme en Angleterre, au cours d’un siècle, le capital national a plus que sextuplé, ce qui, compte tenu d’une baisse de moitié dans la valeur de la monnaie, fait encore ressortir une hausse effective du triple. Ce que l’industrie humaine a réalisé au XIXe siècle, pourquoi ne le réaliserait-elle pas au XXe.

Il faut bien entendre, d’ailleurs, qu’autre chose est le capital d’un pays, c’est-à-dire le total des capitaux possédés par les nationaux, tel qu’il est très approximativement évalué par la statistique, autre chose est la richesse de ce pays. Comprenons bien que cette richesse n’est pas quelque chose de fini, de défini, d’immobilisé, qui se laisse enfermer dans les cadres d’un bilan, mais un ensemble de possibilités actuelles ou virtuelles, latentes ou patentes, susceptibles, avec le temps et par l’action combinée de la nature, de la science et du travail, d’une expansion quasi illimitée. A côté de la richesse « acquise, » il y a la richesse à acquérir, les réserves en ressources ou forces matérielles, en découvertes et inventions, que l’avenir se charge de faire apparaître et de mettre en œuvre. La Grande-Bretagne possède, dit-on, 200 milliards de tonnes de charbon, valant 100 milliards de livres. Combien la France, avec la Lorraine retrouvée, a-t-elle de tonnes de fer ? Combien de millions de chevaux-vapeur encore inutilisés dans les torrents des Alpes et des Pyrénées ? Combien de milliards de matières premières dans son empire colonial ? Nous n’avons jusqu’à présent fait que commencer l’exploitation des trésors du monde. D’autre part, la science est en train d’apporter un ordre nouveau, une « révolution, » dans les moyens comme dans les objets de la production. Sans parler des secrets de demain, tels que l’utilisation des marées ou de la chaleur solaire, que ne peut-on attendre après la paix, dans l’ordre économique, des progrès de la chimie, de la métallurgie, de la mécanique, de l’électricité, à en juger par les miracles accomplis pendant la guerre ? N’est-ce pas un signe des temps que la récente création par l’Académie des sciences d’une section des sciences appliquées ? Il est certain que les forces productives de la France n’ont pas progressé depuis un quart de siècle comme celles des autres pays. En agriculture, on sait que l’Allemagne tirait avant la guerre 23 quintaux de blé à l’hectare, la Hollande 24, l’Angleterre 21, tandis qu’avec un sol supérieur, nous n’en obtenions que 13 et demi. De même à l’usine, à l’atelier : nous sommes en retard quant aux procédés, à l’outillage, au rendement du travail. L’ouvrier américain produit trois fois plus que l’ouvrier anglais : est-il bien sûr que le Français ne produise pas moins que l’Anglais, lequel a d’ailleurs doublé son rendement pendant la guerre ? Le machinisme, si avancé qu’il paraisse aux yeux des profanes, n’est encore qu’au début de sa carrière. Dans tous les ordres de la production, une immense perspective de développement s’ouvre à notre pays, s’il le veut.

Il faut qu’il le veuille, il faut qu’il apporte dans les arts de la paix, avec une ambition nouvelle, ce même esprit d’effort, méthodique et discipliné, dont il a donné pendant la guerre un si bel exemple. Cet esprit d’effort avait faibli chez nous, au temps de nos divisions politiques et sociales ; ce doit être le bénéfice moral de l’épreuve de le revivifier, et celui de la victoire de lui rendre confiance en lui-même. Et de l’esprit d’effort ne séparons pas l’esprit d’épargne, qui lui aussi avait baissé en France, et que la longue durée de la guerre a dangereusement altéré. Cette vertu traditionnelle de notre race, il faut qu’elle renaisse : c’est une commune nécessité, en un temps où nous avons à réparer les pertes de la guerre ; c’est aussi l’heure favorable, quand tous les prix sont hauts, et non moins haut le taux de l’intérêt. Moins noble, si l’on veut, que celle de la production, la fonction de l’épargne n’est pas moins essentielle dans notre économie nationale : si l’une crée la richesse, l’autre la conserve et la féconde au profit de l’avenir.

Ce sont là d’évidentes vérités, de tous les temps et de tous les lieux, — surtout des lieux communs ! Au vrai, il n’y a que ces vérités-là qui comptent. Notre pays est en un tournant décisif. Que par la production et l’épargne il entre largement dans la voie du progrès économique, et il sera sauvé : le poids de la dette s’abaissera à mesure que les forces et les moyens du pays s’élèveront, et le fardeau en sera aisément porté, comme il en a été en Angleterre après 1815. Revenir purement et simplement à la situation d’avant la guerre ne serait pas, avec nos charges nouvelles, une solution. Il faut que nous devenions plus forts et plus riches, sans quoi nous deviendrons plus pauvres, pauvres à jamais. Entre le progrès et la décadence économique il n’y a pas de milieu, pas d’état stationnaire : si la France ne s’enrichit pas, elle va fatalement à la misère. Il faut « tenir » pendant les années de liquidation, de transition, comme nous avons « tenu » pendant la guerre ; mais cela ne suffit pas : il faut qu’un large et puissant essor économique nous vienne donner une vie nouvelle. Si le malheur veut que nous n’ayons rien appris et rien oublié, si nous devions retomber comme autrefois dans la discorde et le désordre, l’incurie et l’inertie, alors ce serait à désespérer de l’avenir. Noire salut n’est que dans l’effort acharné de travail et d’épargne. Puissent nos gouvernants favoriser cet effort, au lieu de l’étouffer par le socialisme, de l’épuiser par la fiscalité, ou de le décourager par le gaspillage, et puissent toutes les classes comprendre qu’elles sont solidaires devant le problème de notre avenir économique et financier ! Plus difficile est la tâche, plus méritoire est l’effort : où a-t-on vu que les grandes œuvres aient jamais été réalisées autrement que dans la peine et l’épreuve ?


L. PAUL-DUBOIS.

  1. Autre dommage, — indirect, — de guerre : c’est la perte subie par les porteurs français de valeurs ennemies, et il faut ajouter : de fonds russes. On sait que la plupart des valeurs mobilières ont baissé depuis le début de la guerre ! dans la mesure où cette baisse en capital correspond à la hausse du taux de l’intérêt, s’il y a perte financière, il n’y a pas perte économique, le fonds ou gage représenté par le titre étant supposé intact : mais où est le gage des créanciers de la Russie, des ex-empires centraux, de la Turquie ou de la Bulgarie ? Le déficit sera considérable ; sera-t-il un jour couvert ou compensé ?
  2. Et non compris les intérêts de la dette. A ce chiffre il faudrait ajouter les déficits des comptes spéciaux. Les services exceptionnels de 1919, et toutes les dépenses que vote actuellement le Parlement, dans un vertige étourdissant, et dans une incroyable inconscience de la gravité de notre situation financière : le gouffre des milliards ne cesse de se creuser, bientôt nous serons à 200 milliards de dépenses exceptionnelles de guerre.