Questions extérieures

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QUESTIONS
EXTÉRIEURES.

i.
DES RAPPORTS DE LA FRANCE AVEC LE MONDE.

Deux fois à un siècle de distance, en 1713 et en 1815, la France a été obligée de souscrire à une paix achetée par de nombreux sacrifices. Le traité d’Utrecht, comme le traité de Paris, fut précédé par d’éclatantes prospérités, qui ne purent prévaloir jusqu’à la fin de la lutte, et l’Europe, au commencement du xviiie siècle comme au commencement du xixe, s’était coalisée contre la France pour lui faire sa part.

Destinées singulières dans leur grandeur, comme dans leurs mauvais jours ! Ne sont-elles pas le signe d’un rôle original départi à la nation qui les a traversées ? Des faits aussi puissans ne sauraient être une lettre grossière, sans esprit et sans raison.

Deux pensées ont tour à tour préoccupé la France : constituer son territoire et développer son génie. Tantôt elle débat chez elle, avec ses enfans, les idées dont elle cherche la solution et la vérité ; tantôt elle s’emploie à répandre au dehors et ses idées et sa puissance. Quand elle a consacré la dernière moitié du xvie siècle à vider la question de l’unité religieuse et politique, elle songe, avec Henri IV et Richelieu, à s’asseoir solidement en Europe ; elle choisit ses frontières et les demande à la victoire ; quand Mazarin eut transmis à Louis XIV la puissance royale, dont il avait défendu l’autorité nécessaire contre les tracasseries de la noblesse et des parlemens, la France entra dans une déduction glorieuse de conquêtes et de triomphes, suivie d’amères disgraces, que termina cependant un coup d’éclat ; en 1712, à Denain, nous fûmes vainqueurs dans la dernière bataille, fortune qui nous fut refusée en 1815.

La paix d’Utrecht, comparée aux prospérités mêmes du règne de Louis XIV, était dure ; mais si on la rapprochait de l’état de la monarchie à la mort de Henri IV, on reconnaissait un progrès, même au milieu de nos pertes récentes. Les traités de 1712 furent pour l’Europe, vis-à-vis la France, jusqu’à la révolution française, ce que sont aujourd’hui les traités de 1815. Le xviiie siècle fut consacré au triomphe de l’esprit humain, dans ses droits et sa liberté ; on courut aux idées avant de courir aux armes. Mais en 92, la guerre devint nécessaire à la cause du siècle, et vingt-trois ans d’évènemens merveilleux, où la puissance humaine semble doublée, nous conduisirent aux traités de Paris, qui nous obligent aujourd’hui.

Jusqu’en 1830, la France passa quinze ans à définir ses idées et ses principes de liberté politique, dont elle assura le règne par une énergie impétueuse et soudaine : sur-le-champ l’Europe, je parle de l’instinct des peuples, conclut de la révolution à la guerre, trouvant naturel que la France passât rapidement du triomphe de sa liberté intérieure au soin de reculer un peu ses limites et d’étendre au loin son influence. La nation française reçut la même impression, car dans l’espace de quelques mois il se fit dans notre armée trente mille engagemens volontaires. Il est impossible qu’un instinct aussi unanime ait porté à faux, et nous ne conseillerions à personne de se railler des déceptions éprouvées par d’héroïques courages. On ne s’est pas trompé sur le fond, mais sur le temps, mais sur le mode des évènemens. La logique poussait les peuples à la guerre ; les intérêts particuliers enchaînaient les gouvernans à la paix. Les affaires de l’Europe étaient gérées, comme elles le sont encore, par des hommes qu’avaient fatigués vingt et un ans de guerres, de luttes ardentes, de conjonctures, de hasards extrêmes, et qu’ensuite la paix et le bonheur avaient pendant quinze ans récompensés et amollis : la passion enflammait les hommes jeunes et les masses ; mais les rois et les ministres de l’Europe ne voulaient pas jouer un repos que rendaient bien cher d’anciens souvenirs et une longue jouissance. Cette situation dure encore et ne doit pas étonner, si l’on prend en considération les passions humaines. La vie des peuples, comme celle des individus, est semée d’accidens et de traverses :


Per varios casus, per tot discrimina rerum
Tendimus
.....


Au surplus, la paix est toujours un bien, quand elle n’est pas achetée aux dépens de l’honneur, et, Dieu merci ! nous ne l’avons pas payée d’un tel prix : la France n’a pas été héroïque, mais elle n’a reçu la loi de personne ; elle n’a pas tiré l’épée, mais elle a mis la main sur la garde d’une assez militaire façon. Elle s’est abstenue d’agir, parce qu’on l’y a contrainte ; rien n’a été résolu, mais aussi rien n’a été entamé ; et s’il est permis d’appliquer un terme de droit civil à de si grands intérêts, nous sommes en paix avec l’Europe, toute chose demeurant en état.

Puisqu’aujourd’hui la réflexion a succédé à l’enthousiasme, et que les peuples ont du loisir, pour étudier la nature des rapports entre eux, la raison de leurs amitiés, de leurs alliances, il nous a semblé qu’il ne serait pas inutile de rechercher quels sont les véritables intérêts de la France vis-à-vis les autres nations. La politique ne vit plus à l’ombre du mystère, et il importe d’autant plus d’avoir raison, que le secret est désormais refusé aux desseins illégitimes et déraisonnables. Désormais la publicité, comme la lumière, tombe partout ; et il ne s’agit plus de rien cacher, mais de bien faire. Nous dirons donc sans détour et sans crainte nos opinions et nos vues : en nous lisant, on pensera que nous aimons beaucoup la France ; mais on devra nous reconnaître aussi quelque affection pour les autres peuples et quelque sollicitude pour leur grandeur. Le patriotisme n’est pas pour nous l’exclusion de l’humanité, mais, au contraire, le point central dont l’homme s’élance pour la comprendre et pour l’aimer. L’ancienne Rome élevait sa grandeur sur la ruine et la honte des peuples ; Paris ne peut affermir la sienne que par la liberté des nations. Nous ne songeons pas à nous en défendre, mais plus nous avançons dans la vie et la connaissance de l’histoire, plus grandit en notre intelligence la sainte union du monde et de la patrie. Nous ne trouverions de sens ni à notre siècle ni à notre pays, s’ils répugnaient à s’élever à l’universalité, et si le temps n’était pas pour eux un pressentiment de l’infini ; à l’intolérance religieuse, qui maudit les hommes, ses frères, l’écume à la bouche et la Bible à la main, il faut faire lire et connaître les Vedas, Confucius et Laotseu ; à l’intolérance politique, il faut apporter la carte du monde ; au désespoir et au scepticisme, qui veulent justifier leurs douleurs et leurs doutes avec des lambeaux de l’histoire, il faut leur tourner la page, leur montrer les nombreux triomphes du droit et de la liberté, et leur montrer aussi les feuilles blanches qui attendent la main de l’homme.

Parmi les nations modernes qui ont déjà une longue histoire, la France est la moins fatiguée par les épreuves qu’elle a soutenues. Qui s’étonnera que l’Amérique et la Russie aient un long avenir, puisqu’elles manquent de passé ? Il y a à peine deux siècles que, sous Jacques Ier, l’Angleterre envoyait dans la Virginie des défricheurs et des colons ; et c’est seulement pendant la vieillesse de Louis XIV que Pierre-le-Grand jeta les fondemens de Saint-Pétersbourg et de la jeune Russie. Il est donc naturel que deux puissances nées d’hier, dont l’une a la moitié d’un nouveau continent, et dont l’autre est établie à la fois en Europe, en Asie et en Amérique, doivent trouver de la gloire dans l’avenir, et se procurer par leurs actes une éclatante et durable histoire. Mais la France a déjà beaucoup vécu ; et si néanmoins elle est restée jeune, si, à la fois vieille et nouvelle, elle a un abondant passé et en même temps un long avenir, on peut envier la fortune des écrivains qui, dans plusieurs siècles, traceront les annales françaises.

Au surplus ce mouvement de continuité et de rénovation n’appartient pas moins au système général du monde qu’à la vitalité française : ainsi, à l’origine des sociétés modernes, nous avons vu l’Italie commencer une seconde histoire, pendant que l’Allemagne, la France et l’Angleterre commençaient la première. La renaissance italienne fut même, sur plusieurs points, la condition de la naissance des autres nations, et les descendans des Latins et des Étrusques montrèrent que la terre de Peruse et du Latiun n’était pas épuisée. De nos jours, la Grèce fait le même effort que l’antique Italie ; et la postérité saura combien de temps demandera sa résurrection politique. Cette reprise de l’histoire sur un ancien théâtre est nécessaire à la conscience complète que le monde doit avoir de lui-même. Des peuples jeunes trouveront des destinées illustres ; des nations déjà connues recommenceront ou continueront à vivre, et c’est ainsi que s’établira la personnalité solidaire et continue du genre humain.

La France est merveilleusement douée pour obéir à cette loi générale, et en éprouver les bienfaits : son inépuisable vie peut résister à tous les échecs et revêtir toutes les formes ; elle a de l’infini, de l’imprévu, des caprices, des faiblesses, mais aussi des excès et des soudainetés de grandeur ; elle peut tantôt tromper ; tantôt surpasser l’attente du monde ; la foudre glisse sur son front sans l’abattre ; la torpeur peut enchaîner ses mouvemens, mais jamais lui glacer le cœur et la vie. On la réputait languissante ; tout à coup on la trouve enflammée : dix-huit mois après la terreur elle était invincible ; trois ans après l’invasion elle était opulente et heureuse. Insensés qui croiraient avoir raison de cette France, et l’épuiser jamais dans ses veines et son génie ; elle n’est pas parfaite, mais elle est vivace, et il vaut mieux pour tout le monde s’arranger avec elle, que de s’user à la contrarier et à la combattre.

La France a pour limites deux mers, une chaîne de montagnes et un grand fleuve. L’Atlantique et la Méditerranée baignent ses côtes et la mettent en communication avec l’Amérique, l’Afrique et l’Asie ; les Pyrénées la séparent de la Péninsule hispanique qu’elle ne saurait songer à conquérir, mais seulement à guider dans les voies de la civilisation nouvelle. Le Rhin seul est à la fois une limite naturelle et toujours mise en question par les rivalités germanique et gauloise ; mais, sur ce point, il n’y a pas urgence de controverse et de lutte, et même il y a ceci de salutaire qu’un agrandissement pour la France sur la rive gauche du Rhin ne pourrait s’accomplir qu’avec le consentement et le bien-être des peuples et des villes qui se réuniraient à nous : la solidarité des principes et des idées serait aussi nécessaire à la conquête que les armes mêmes.

Louis XIV a constitué proprement le territoire et le corps de la France ; Napoléon a répandu partout son génie : la France doit ajouter encore quelque chose à l’œuvre du grand roi, et poursuivre celle de l’empereur.

Dans un livre consciencieux et distingué qui a paru il y a quelques mois sous le titre d’Études politiques et historiques, par l’auteur de la Revue politique de l’Europe en 1825 (M. d’Herbigny), nous lisons le passage suivant : « Il est inutile de révéler sa force à la France ; elle en a la connaissance et le sentiment, puisqu’elle menace tous les jours d’en accabler l’Europe. Il nous suffira donc de la prendre elle-même à témoin qu’elle se juge assez grande et assez puissante pour braver elle seule tous les peuples du continent, et qu’ainsi sa part doit paraître assez large dans la répartition des forces européennes. Il est important de démontrer que rien ne manque à ses grandeurs ; qu’elle peut attendre la guerre sans crainte, et demeurer en repos sans danger. Mais la France est agitée de l’esprit de Rome ; elle se plaît dans la force plus que dans la justice, et il est difficile de lui faire supporter la paix. Non, la France ne puise pas ses inspirations dans les injustices orgueilleuses de l’ancien Capitole ; elle n’a pour les autres peuples ni mépris, ni colère, mais estime et sympathie ; si son génie la pousse à faire dans le monde moral des expériences et des progrès dont peuvent profiter les autres nations, elle ne saurait pousser l’héroïsme jusqu’à renoncer, pour prix de son labeur, à certains avantages positifs et raisonnables. Loin de ressembler à Rome, elle ne peut conquérir quelque chose qu’après avoir bien mérité de la liberté du monde ; et son propre intérêt lui défend l’égoïsme. »

Puisque nous avons cité l’ouvrage de M. d’Herbigny, nous ne saurions nous refuser à l’apprécier en passant. L’auteur appartient aux anciennes traditions politiques et à l’école de Montesquieu ; il écrit sous l’empire moral du traité de Westphalie et de la paix d’Utrecht ; pour lui nos cinquante dernières années sont une anomalie, une violation coupable des seules lois politiques qu’il connaisse ; mais dans cette sphère un peu ancienne, l’auteur montre des qualités qui ne sont pas communes, des faits mis en saillie avec art, des observations justes et nettes, des traits brillans. L’auteur a beaucoup étudié l’antiquité ; il la cite toujours avec prédilection, parfois avec bonheur, parfois aussi un peu à contresens : son style est une imitation élégante et ambitieuse de la phrase et du ton de Montesquieu ; mais toujours l’ouvrage se fait lire avec plaisir ; il provoque la pensée, il peut même la féconder par les contradictions que doit lui opposer le lecteur, et l’on ne saurait refuser à l’écrivain cette louange qu’il paraît surtout rechercher, d’avoir écrit avec indépendance et dignité.

Ce qui sépare les anciennes traditions de la politique nouvelle, c’est précisément l’intervention d’intérêts moraux dont les révolutions ont annoncé l’avènement et assuré le triomphe. La pensée est venue faire cause commune avec la politique positive, la guider, la transformer et l’agrandir. Il importe ici de s’expliquer nettement et de tomber d’aplomb sur la réalité même.

Quand, à la fin du siècle dernier, la France dut résister à toute l’Europe, elle eut nécessairement l’instinct de lui opposer ses principes, et de lui lancer, au milieu de ses bombes, ses passions et ses idées. En développant sur tous les points une propagande armée, la France pourvoyait non-seulement à sa vengeance, mais à sa sûreté ; en faisant adopter ses principes aux peuples, non-seulement elle satisfaisait sa fierté, et, pour ainsi parler, son amour-propre d’auteur, mais elle facilitait la victoire, gagnait des alliés, reculait ses frontières, et devait à la contagion de l’enthousiasme de notables profits.

Ce qui était alors naturel et utile, ne le serait plus aujourd’hui : depuis cinquante ans les principes de la révolution française sont disséminés et connus ; beaucoup de peuples les ont adoptés et cherchent à les exprimer suivant la convenance de leurs mœurs et de leur nationalité ; une moitié de l’Europe est convertie à la liberté constitutionnelle.

D’un côté, la France a déjà fait passer dans sa constitution une partie des principes nouveaux ; de l’autre, l’Europe, ou s’est empressée de l’imiter, ou est obligée de l’accepter. Il n’y a plus d’intérêt à une propagande ardente et altière ; mais il y a place pour les sympathies et les affinités morales.

La France est naturellement l’amie des peuples et des gouvernemens dont les lois se rapprochent des siennes ; mais elle n’est pas nécessairement l’ennemie des nations soumises au pouvoir absolu elle ne se chargera pas de professer le régime démocratique à main armée, mais de le faire respecter et désirer par la dignité de son propre exemple.

Il y a donc pour la France, depuis cinquante ans, de nouveaux intérêts et de nouveaux rapports, dont le fonds et la vérité ne doivent pas être confondus avec les premières formes qu’ils ont dû prendre au milieu des premières luttes. La France a aujourd’hui cette fortune de n’être pas contrainte de délibérer entre ses principes et ses intérêts : leur union fait sa force. Elle peut tenir son amitié et son appui à la disposition des peuples qui sont libres et qui veulent véritablement le devenir ; elle doit présenter aux monarchies absolues une attitude calme, noble et sincèrement pacifique, tant qu’un motif sérieux de guerre ne se produira pas.

La saine politique, comme la vraie philosophie, a son plus ferme fondement dans la compréhension complète de tous les élémens de la vie générale. Pour ne pas agir à faux sur un point, il faut avoir tout saisi. L’instinct de la France la porte à cette intelligence que sa réflexion doit cultiver. Elle embrasse avec impétuosité une idée, mais elle passe à une autre qui doit balancer la première, et obtient ainsi, de ces deux termes opposés en apparence, une résultante plus féconde. C’est la même nation qui, la première, à la fin du onzième siècle, déclara la guerre à l’empire de Mahomet, sous l’inspiration exclusive du christianisme, et qui, la première, au seizième siècle, traita avec la Porte-Ottomane. François Ier se sépare de Henri VIII et de Charles-Quint, et fonde la politique qui se continue aujourd’hui. Déjà, avant le traité de 1535 entre le chevalier de La Forêt, et le grand-visir Ibrahim, le sultan Sélim, ayant conquis l’Égypte, avait confirmé les priviléges des Français. Dans cette même Égypte, Bonaparte, à la fin du dix-huitième siècle, écrivait au divan : « Notre sabre est long et fort. Faites connaître aux habitans du Caire que mon principal dessein, et ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est de faire beaucoup de bien et d’assurer la tranquillité. Le Nil est la source la plus abondante de prospérité. Je veux que les Égyptiens soient les plus heureuses de toutes les créatures, par la permission du Dieu des deux mondes : salut[1]. »

Lorsqu’en 1821 la Grèce se leva, demandant sa liberté à une insurrection persévérante qui lutta pendant sept ans, le cimeterre au poing et la foi dans le cœur, elle eut pour elle l’admiration et les vœux de la France : nous lui envoyâmes de l’or, des soldats. La communauté de religion, les souvenirs de sa civilisation antique nous enflammaient pour elle ; nous voulions sauver tout ensemble la croix et le Parthénon. Néanmoins, aujourd’hui, nous tendons aux Turcs une main amie, et notre goût pour Athènes ne nous interdit pas de prêter notre appui à Constantinople. Cette impartialité nécessaire entre le Christ et Mahomet, si naturelle au génie national, doit nous inspirer aussi en Afrique, et nous y faire triompher des résistances de la race arabe.

Chrétienne, la France s’est illustrée ; elle a bien mérité de ses enfans et du monde : si elle fût restée exclusivement chrétienne, elle eût été privée des grandeurs du xviiie siècle et de la révolution. Monarchique, la France s’est constituée ; si elle n’eût pas pénétré cette forme monarchique par les ardeurs du génie populaire, elle n’eût pas trouvé la gloire martiale et littéraire qui est sortie de ses entrailles plébéiennes.

C’est que la loi de la France est de marcher toujours, non qu’elle ne partage cette admirable nécessité avec le reste du genre humain ; mais elle semble y satisfaire plus vivement que les autres peuples. On la dirait plus pressée d’aboutir, d’arriver à un but pour s’élancer du point qu’elle occupe à une autre conquête.

Aujourd’hui, à ce premier quart du xixe siècle, la France doit avoir souci de trois choses : de son esprit progressif, de sa grandeur continentale, de son influence universelle.

Esprit progressif. — De toutes les nations modernes, la France est celle qui a cherché le plus ardemment l’unité et la liberté à travers maints changemens et vicissitudes : chaque siècle, elle a modifié les formes de son gouvernement ; toujours elle est sortie plus forte de ses troubles et de ses épreuves. Après la ligue, Richelieu ; après la fronde, Louis XIV ; après la révolution, l’empereur. Les forces et les principes de la société se développent de concert. Nous avons aujourd’hui une constitution qui n’est pas octroyée, mais consentie ; différence féconde dont il serait bon de reconnaître l’étendue et la profondeur, différence qui émeut aujourd’hui l’Espagne, et qui effraie les gouvernemens moins avancés. L’exemple donné par la France en 1830, est le triomphe de la volonté raisonnable d’un peuple : elle doit offrir maintenant celui d’une lutte persévérante et constitutionnelle contre les obstacles suscités aux principes écrits dans son pacte. Les gouvernemens libres comportent les surprises et les déceptions ; la liberté peut être jouée au moyen même des formes destinées à l’exprimer et à la satisfaire. Mais quand une nation s’aperçoit qu’elle est dupe, et veut sérieusement cesser de l’être, elle peut, avec le secours de ses institutions, ramener son gouvernement à la sincérité. L’esprit progressif se manifeste surtout par cette déduction d’efforts patiens contre les empêchemens et le mauvais vouloir. Maintenant la France sera, aux yeux de l’Europe, plus originale et plus utile par la pratique soutenue des mœurs constitutionnelles que par l’abattement ou des convulsions.

Grandeur continentale. — Il est telle situation pour un état où il doit à tout prix reculer sans délai ses frontières et conquérir un point qui importe à sa sûreté, à sa vie même. La France ne connaît pas cette nécessité pressante ; elle peut attendre le moment de s’étendre et de se prolonger jusqu’où ses convenances naturelles doivent la porter un jour ; elle peut choisir son heure, ou laisser aux circonstances le soin d’amener une occasion. Au surplus la situation morale de l’Europe ne permet plus de guerre dans le but unique d’un agrandissement, d’une conquête. Les intérêts moraux sont trop étroitement unis aux résultats positifs, pour que les principes et les idées n’interviennent pas parmi les causes qui feraient prendre les armes. Mais la France doit toujours cultiver la pensée et l’amour de sa grandeur continentale ; elle doit aussi entretenir avec soin son esprit militaire et ne rien permettre qui puisse l’affaiblir ou le déprécier. L’industrie et le commerce ont leurs avantages et leurs qualités ; ils exercent même aujourd’hui une certaine prépondérance, mais ils ne sauraient suffire à l’éclat et à la sûreté de la France. Maintenons à côté d’eux l’énergie de notre esprit guerrier ; que l’honneur, métal impalpable et toujours pur, sonne au moins aussi haut que l’argent. N’oublions pas que, pendant que, dans chaque profession, le bien-être matériel s’augmente, et que les jouissances individuelles deviennent plus abondantes et plus faciles, le soldat seul ne voit pas sous le drapeau ses privations diminuer et la dureté de sa vie s’adoucir. Qu’au moins il se sente honoré, comme il doit l’être, et que l’oisiveté frivole ne vienne pas en partage des récompenses qu’il paie de ses fatigues et de son sang.

Influence universelle. — Rome voulait mettre partout son joug ; la France plus humaine, doit vouloir partout répandre son nom. Il n’est pas un coin de l’univers où elle ne doive ambitionner d’être connue ; elle est appelée par la nature à communiquer avec le monde, car elle est assise sur deux mers ; elle est à la fois sur la route de l’Amérique et de l’Orient. Pour cette position, ses forces maritimes sont insuffisantes ; sans égaler exactement la puissance numérique des flottes de la Grande-Bretagne, nous devons progressivement mettre plus d’harmonie entre notre appareil et notre vocation maritime.

Depuis six ans, la France est descendue sur les côtes d’Afrique ; elle y a commencé la fondation d’une vaste colonie. Cette conquête doit lui assurer la prépondérance dans la Méditerranée, prépondérance utile à la marine renaissante de la Grèce et de Constantinople. Quant à l’Afrique elle-même, nous travaillons aujourd’hui à faire connaître aux Arabes la supériorité de nos armes et de notre civilisation. Ici la guerre est vraiment utile aux progrès du monde, et voici un point de jonction entre le mahométisme et le christianisme, qui doit être fécond.

Que le travail soit long, nul doute, mais depuis quand une ou deux générations suffisent-elles à une œuvre immense et durable ? Voici ce qu’écrit un officier français sur le théâtre même de nos rapports et de nos luttes avec l’Arabe. « Nous devons nous installer au milieu des Arabes, et comme souverains et comme colons ; mais notre souveraineté devra-t-elle s’exercer pour les mettre simplement sous la même dénomination, ou pour mieux dire, sous le même gouvernement que les Français, ou consacrera-t-elle à tout jamais la prééminence d’une race sur une autre ? Le dernier système fut celui des Arabes en Espagne et des Turcs en Grèce et partout ; de graves inconvéniens y sont attachés, car il n’y a guère que les Juifs qui ne se soient pas encore lassés d’être dans une position d’infériorité humiliante. Le premier fut celui des Francs dans les Gaules il donna naissance à la nation la plus compacte, la plus unie du globe, la nation française enfin. C’est le système de fusion, le seul rationnel, le seul qui offre des résultats durables, parce qu’il est le seul juste. Les conquérans qui le suivent sont des instrumens dont se sert la Providence pour modifier presque toujours à leur avantage les sociétés humaines ; les autres ne sont que des fléaux transitoires. Nous devons donc l’adopter, et comme le plus avantageux et comme le plus juste. Comment l’appliquerons-nous ? Ici les difficultés se présentent en foule, mais elles ne sont pas insurmontables, elles sont même bien loin de l’être. Si la France était en position d’envoyer pour quelques années 50,000 hommes en Afrique, il serait facile d’occuper tous les points importans depuis Tlemcen jusqu’à Constantine, d’y établir des municipes, et de dominer de cette manière des peuples qui, s’ils n’étaient menacés ni dans leur liberté, ni dans leur fortune, se soumettraient facilement. Alors on donnerait successivement aux diverses tribus arabes les droits des Français coloniaux, comme récompense de la tranquillité de leur conduite, de leur respect pour les lois et de leurs progrès dans les travaux agricoles… Le point essentiel serait de favoriser les alliances mixtes et d’affaiblir les préjugés religieux sans détruire les croyances ; il est possible d’y parvenir[2]. »

On éprouve une satisfaction singulière à lire ces pages échappées à l’intelligence d’un soldat qui comprend la haute mission de la guerre. Au surplus, M. Pellissier a l’esprit aussi pratique qu’élevé, et il expose avec détail les moyens d’exécution qui lui paraissent devoir être les plus heureux. La lecture des Annales algériennes est nécessaire à qui veut connaître l’Afrique, les Arabes, la situation de la France vis-à-vis sa nouvelle conquête, ce qu’elle peut et ce qu’elle doit.

Ce n’est ici ni le lieu ni le moment de développer dans toute sa grandeur la question de l’Orient. Nous noterons seulement ce point en passant, c’est que la France en Afrique ayant trouvé ses Indes, elle n’a plus à se préoccuper de conquêtes positives sur d’autres côtes, mais seulement du soin de porter partout son commerce et son nom. Dans un siècle, il doit y avoir une France d’Orient ; et puis partout, dans toutes les mers, chez tous les peuples, le nom et l’influence de la France. Voilà une ambition qui ne sent pas la vieille Rome, mais qui honore et sert l’humanité.

Les gouvernemens sont préposés à la tête des sociétés pour en exprimer les idées et les sentimens. Pour la politique extérieure, leur génie doit deviner et systématiser les instincts de la nation. Dans cette sphère, ils sont plus maîtres, parce qu’ils sont plus responsables encore. Le secret et la liberté d’action leur appartiennent plus qu’ailleurs, mais les résultats sont plus clairs, et tournent davantage à leur gloire ou à leur confusion.

Le dernier gouvernement que l’an 1830 a vu tomber était enlacé dans une situation fatale. Il vivait sous le poids de ses obligations envers les puissances de l’Europe. Il était assez malheureux pour avoir dû son avènement à nos désastres ; notre ruine l’avait élevé, et ce n’était pas au milieu d’une armée française que le roi de France était entré dans Paris. On comprendrait mal notre pensée, si l’on voyait dans l’évocation de ce souvenir une injure adressée à ce qui reste du sang d’Henri IV et de Louis XIV. Nous rougirions de calomnier le malheur, en contestant l’élévation des sentimens personnels ; nous parlons seulement des conjonctures historiques.

Or, l’ancienne dynastie sentait si bien elle-même la dureté de sa condition vis-à-vis l’étranger, qu’après quelques années de règne, on la vit s’agiter en tous sens pour s’efforcer de la changer ; elle travaillait par sa diplomatie à obtenir des puissances la permission de faire un mouvement, puis un autre ; elle songeait même à quelque agrandissement. Pour être juste, il faut ajouter que, malgré ses disgraces et les malheurs de la France, elle avait toujours aux yeux de l’Europe l’autorité d’une race antique qui primait les autres couronnes par l’éclat séculaire de son origine ; elle comblait par les souvenirs du passé l’infériorité du présent, et le roi de France, même après Mittau, n’en était pas moins pour les cours le premier gentilhomme de l’Europe[3].

Cette situation qui le fortifiait vis-à-vis l’Europe, était une source de périls en face du pays qui supportait avec peine que son gouvernement dût à l’étranger tant de reconnaissance. Aussi, à sa chute, la France jeta comme un cri de délivrance ; elle se sentait plus libre ; elle mettait à sa tête, un pouvoir qui, cette fois, ne devrait rien qu’à elle-même.

Ici les choses changèrent de fond en comble. Le pouvoir nouveau était suspect à l’Europe, et agréable à la France par cette suspicion même. Chez nous, on aimait l’indépendance de son origine ; au dehors, on en réprouvait le caractère révolutionnaire, et les sentimens des puissances européennes ne sont pas près de changer.

En effet, si la maison d’Orléans paraissait, aux yeux de la France, servir de lien historique entre son passé et son avenir, et si elle semblait prêter le plus possible à une brusque usurpation les couleurs de la légitimité, au dehors, il n’en est pas ainsi. La dynastie de 1830 est marquée d’un signe aussi révolutionnaire que si elle était plébéienne, et jamais, vis-à-vis les autres puissances, elle ne perdra ce caractère. Elle peut penser que c’est là sa faiblesse ; mais quand elle le voudra ce sera sa force.

Si le gouvernement nouveau croyait pouvoir succéder à la situation de l’ancien vis-à-vis l’Europe, cette illusion le pousserait contre des écueils. Au dehors, elle lui ôterait ses forces ; au dedans, elle sèmerait la défiance. Ici ce ne sont pas les passions qui déclament, mais les faits qui parlent. La restauration semblait enchaînée devant l’Europe ; le gouvernement nouveau doit être libre ; la restauration puisait une sorte d’inviolabilité dans le principe de la légitimité ; le gouvernement nouveau doit trouver sa force dans le principe de la révolution. Il y aurait un extrême danger à méconnaître ces contrastes et ces nécessités. On risquerait de donner à penser à la France qu’on rend sa condition moins bonne que ne faisait la restauration elle-même, puisqu’on n’aurait pour sauvegarde ni le respect qui s’attache au passé, ni la crainte que devrait inspirer l’énergie du présent.

Canning, dans le parlement britannique, comparait le rôle de l’Angleterre, au milieu des luttes de principes qui agitent différentes contrées du globe, à celui d’Éole dans Virgile :


...... Celsa sedet Æolus arce,
Sceptra tenens, mollitque animos et temperat iras.
Ni faciat, maria ac terras cœlumque profundum
Quippe ferant rapidi secum, verrantque per auras.


Ce rôle que la haute politique de cet homme d’état cherchait à ravir à la France, nous était bien facile après une révolution qui avait montré la puissance des orages et des vents populaires. Il fallait témoigner qu’on avait la force de modérer l’esprit révolutionnaire, mais qu’on ne voulait pas l’abdiquer.

Il ne faut pas s’abuser sur les dispositions de la France : elle accepte volontiers la paix, bien qu’il y a six ans elle eût fait la guerre avec plaisir ; mais elle n’a pas perdu cette conviction, que la révolution de 1830 a changé ses rapports moraux avec l’Europe, et l’a relevée des souvenirs de l’invasion. Elle a confusément la conscience de commencer une phase nouvelle qui, dans l’avenir, troublera l’économie des traités de 1815, comme la fin du dernier siècle a changé quelque chose à ceux de 1713.

Mais si le gouvernement a de grands devoirs à remplir pour la politique étrangère, la société a les siens aussi. Il ne suffit pas de s’occuper des affaires extérieures la veille d’une bataille ou le lendemain d’une victoire : une nation libre doit prêter une attention constante à ses rapports avec les autres peuples. Napoléon nous avait habitués à lire l’histoire de l’Europe dans ses bulletins ; sous la restauration, nous cherchions surtout dans les premiers momens à ne pas porter notre pensée au-delà de nos frontières. En 1830 nous nous occupâmes vivement de l’Europe, comme elle s’occupa de nous ; on crut un instant à une mêlée générale, mais la guerre n’éclatant pas, on est rentré dans une indifférence qui est une grande faute pour un pays libre. Voyez l’Angleterre ; il ne se fait pas dans le monde un mouvement politique que le public anglais ne ressente et ne comprenne sur-le-champ. Là, le gouvernement est averti, aiguillonné, contenu : la politique extérieure est exécutée par le pouvoir ; mais elle est pressentie et consentie par les majorités parlementaires et par le pays.

Telle est la portée des gouvernemens représentatifs. Ils doivent assurer le triomphe du génie et la volonté nationale dans les relations extérieures comme partout ailleurs. Si l’article 13 de la Charte porte : « Le roi est le chef suprême de l’état ; il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, » ce texte n’implique pas le pouvoir illimité de la couronne dans le cercle des affaires étrangères. Le chef constitutionnel de l’état n’est pas là plus absolu qu’ailleurs ; il agit sous l’influence des inspirations nationales que doivent lui exprimer officiellement les pouvoirs parlementaires.

Le temps n’est plus où le tiers-état ne pouvait intervenir dans les rapports de la France avec les autres peuples, que par les subsides et l’argent qu’on lui demandait. Il doit associer l’intelligence et la direction des affaires étrangères à l’administration intérieure ; la déduction de ses progrès politiques doit le conduire à cette nouvelle conquête, et il doit s’initier à la connaissance du monde, aussi bien qu’à la liberté dans ses foyers. Pour cela, il faut bannir l’insouciance et dissiper l’ignorance ; il faut s’intéresser aux mouvemens des peuples, connaître leurs rapports, leur histoire, leur géographie, comprendre que, puisque la France est si fort regardée du monde, elle doit lui répondre par une attention constante ; la souveraineté nationale impose à un peuple l’obligation de tout saisir comme celle de souscrire volontiers aux efforts et aux sacrifices que peut réclamer sa grandeur morale.

Nous croyons mieux mériter du pays en lui tenant ce langage qu’en lui prêchant je ne sais quel égoïsme étroit et mesquin qui tend à ravaler l’état aux proportions d’un ménage. Quel peuple, moins que la France, peut échapper à la double obligation d’avoir l’œil ouvert, tant sur les effets intérieurs de sa constitution que sur les rapports qu’il doit soutenir avec les autres pays ? Au moins, autant que l’Angleterre, la France a besoin d’un art persévérant dans ses relations extérieures. Si elle a moins d’intérêts maritimes et commerciaux semés sur tous les points du globe, elle a plus d’affaires continentales. Une Europe constitutionnelle et libre travaille à se former, et réclame l’appui moral de la France. Après sa révolution de 1688, l’Angleterre n’eut pas à s’occuper de l’état intérieur du continent, et sa constitution restait enfermée dans son île. Depuis cinquante ans, au contraire, la révolution française sert de premier chapitre à l’histoire de la rénovation européenne. D’un autre côté, voici plusieurs années que la Russie et l’Angleterre se harcèlent et se disputent l’Orient ; leurs débats diplomatiques, notre possession du littoral africain, les mouvemens intérieurs de la Turquie et de la Perse, tout nous convie à une politique active, qui ait son thème décrété d’avance, comme celle de Saint-Pétersbourg et de Westminster.

À l’intérieur, la société et le gouvernement peuvent paraître séparés sur certains points ; quelquefois la société semble devancer son gouvernement ; parfois, au contraire, le gouvernement éclaire et guide la société. Mais à l’extérieur, la solidarité et l’unité sont complètes, ou plutôt une nation n’existe politiquement, vis-à-vis les autres, que par son gouvernement. Aux yeux des autres peuples, il la représente et la constitue ; il la glorifie ou l’abaisse dans leur opinion. Voilà pourquoi il importe à un peuple libre de surveiller et de conduire la politique étrangère, de la redresser, s’il y a lieu, par l’organe des pouvoirs parlementaires. Il y va de l’honneur et du salut des institutions représentatives de ne pas servir moins efficacement la gloire et la prospérité nationale que n’ont fait les cabinets absolus.

Au surplus, dans quelques semaines, la politique extérieure va paraître sur le premier plan de la scène parlementaire. Un ministère s’est retiré pour n’être pas infidèle à la politique qu’il avait adoptée ; une autre administration s’est formée en l’absence des chambres. M. Thiers doit nous expliquer sa retraite, M. Molé son avènement. La chambre entre nécessairement dans une phase nouvelle ; nous verrons si son éducation politique lui permet déjà d’attacher aux questions extérieures l’importance qu’elles méritent, et d’en faire, pour le cabinet, une condition d’existence. Son droit n’est pas douteux ; deux fois un ordre du jour motivé a constaté le pouvoir de la chambre des députés dans la direction des affaires étrangères ; il reste à comprendre et à saisir les occasions d’user du droit.

Les débats de la session prochaine nous promettent un intérêt élevé : deux hommes d’état, MM. Thiers et Molé, viendront expliquer, devant le pays, les raisons de leur conduite ; M. Thiers a besoin de la tribune ; il y reparaîtra sans doute brillant et vif, et trouvera l’art d’être indiscret et piquant sans inconvenance comme sans ingratitude. Nous ignorons les motifs qui ont dirigé M. Molé. Il faut attendre les explications parlementaires de cet homme politique, dont le caractère est, au reste, justement considéré, et qui doit avoir présent à la pensée l’éloge dont le cardinal de Retz décorait son aïeul, qu’il voulait le bien de l’état préférablement à toutes choses. Ces discussions sur de grands intérêts, que viendront féconder les talens de l’opposition, auront cet avantage de donner aux débats politiques à la fois plus d’étendue et de réalité, et d’éclairer la France sur ses rapports avec l’Europe.

Un historien, envisageant le peuple romain comme un seul homme, partageait sa vie en quatre périodes, son enfance, son adolescence, sa virilité et sa vieillesse ; son enfance se passa sous les rois ; le temps qu’il mit à soumettre l’Italie fut son adolescence ; la conquête du monde occupa sa virilité ; après César commença sa vieillesse. Nous avons eu notre César, mais nous n’en sommes pas à notre décrépitude ; et la France ne saurait oublier que la virilité d’un peuple comme d’un homme a pour caractère l’union de l’intelligence et de la force.


Lerminier.
  1. Relation Égyptienne, par Abdul-Rahman-Effendi.
  2. Annales Algériennes, par E. Pellissier, capitaine d’état-major. Tom. ii, p. 441, 442.
  3. Mot de George IV.