Questions révolutionnaires - L’abbé Grégoire fut-il régicide ?

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QUESTIONS RÉVOLUTIONNAIRES.


L’ABBÉ GRÉGOIRE FUT-IL RÉGICIDE ?


C’est un malheur pour l’histoire que la Révolution française soit, après un siècle, un terrain encore si brûlant. On ne peut parler de certains hommes de ce temps, tel l’abbé Grégoire, sans s’exposer à rallumer des passions mal éteintes, à provoquer les colères de ceux-ci, les applaudissements de ceux-là. Cependant, quelque opinion qu’on professe sur les doctrines politiques que ces hommes nous ont léguées, il ne semble pas qu’elle doive nécessairement influencer l’esprit de l’historien, changer ses lois, fausser ses instruments de recherches, ni même ses procédés d’appréciation. L’histoire, avant tout science des faits, est analogue aux autres sciences expérimentales. Quand un fait s’est produit et qu’il a subi le contrôle de la critique historique, peu importe qu’il plaise ou qu’il déplaise : il est. Ainsi dégagée de toute préoccupation étrangère au seul examen des faits, l’étude de la Révolution perd sans doute de son intérêt d’actualité ; mais que ne gagne-t-elle pas en impartialité ?

C’est dans cet esprit que nous nous sommes efforcé de résoudre l’intéressant problème que soulève l’attitude de Grégoire dans l’affaire du procès de Louis XVI. Toute sa vie, l’ancien évêque de Blois protesta qu’il n’avait pas voté la mort du roi de France. Accusé de régicide par l’opinion publique, lors de l’assemblée des évêques constitutionnels en 1801, il fit produire par Moïse, ex-évêque de Saint-Claude, une justification qui consistait en extraits de journaux contemporains du procès et en deux documents certifiés par Camus, garde des Archives nationales[1]. Ces documents étaient : 1o un extrait du procès-verbal de la Convention du 19 janvier 1793, qui mentionne « une lettre du 13 janvier des députés Grégoire, Hérault, Jagot et Simond, commissaires de la Convention nationale au département du Mont-Blanc, exprimant leur vœu pour la condamnation de Louis par la Convention, sans appel au peuple, » et 2o une copie de cette lettre même que voici :

Chambéry, 13 janvier 1793.

Nous apprenons par les papiers publics que la Convention nationale doit prononcer demain sur Louis ; privés de prendre part à vos délibérations, mais instruits par une lecture réfléchie des pièces imprimées et par la connaissance que chacun de nous avait acquise depuis longtemps des trahisons non interrompues de ce roi parjure, nous croyons que c’est un devoir pour tous les députés d’annoncer leur opinion publiquement et que ce serait une lâcheté de profiter de notre éloignement pour nous soustraire à cette obligation. Nous déclarons donc que notre vœu est pour la condamnation de Louis par la Convention nationale, sans appel au peuple. Nous proférons ce vœu dans la plus intime conviction, à cette distance des agitations où la vérité se montre sans mélange, et dans le voisinage du tyran piémontais.

Le certificat de Camus accompagnant ces deux pièces était ainsi libellé :

Collationné et trouvé conforme à l’original du procès-verbal, registre Aii, no  184, et à l’imprimé in-fol. du Bulletin de correspondance étant aux Archives, par moi, garde des Archives. En foi de quoi, j’ai signé et fait apposer le sceau desdites Archives. Paris, le 2 vendémiaire an X de la République. Signé : Camus.

Nous n’avons pas à tenir compte de l’inapplication à Grégoire de l’article 7 de la loi du 12 janvier 1816 qui, rappelons-le, bannissait à perpétuité du royaume les anciens conventionnels régicides, coupables d’avoir, pendant les Cent jours, accepté l’Acte additionnel ou quelque fonction publique. Quelle qu’eût été leur opinion, les « absents par commission, » n’ayant pas pris part aux appels nominaux qui avaient décidé du sort de Louis XVI, furent considérés comme non atteints par cette loi ; aucun d’eux ne fut exilé. En ce qui concerne spécialement Grégoire, Daunou, alors garde des Archives, se contenta de reproduire purement et simplement les deux documents précités, et de les revêtir de la même certification que Camus[2]. Au surplus, l’ancien évêque de Blois avait voté contre l’Acte additionnel et n’avait accepté aucun emploi pendant l’interrègne : il était donc doublement amnistié.

Lorsque, sous la Restauration, l’élection de Grégoire à la Chambre des députés donna lieu aux violentes discussions que l’on sait sur son passé révolutionnaire et notamment sur sa participation au jugement de Louis XVI, il adressa, le 4 octobre 1820, au rédacteur de la Quotidienne une lettre dont voici l’analyse :

Un M.  Dubouchage, qu’il ne connaît pas et qu’il ne désire pas connaître, a fait imprimer dans des journaux une lettre où plusieurs fois on lit ces mots : le régicide Grégoire. Le devoir de souffrir chrétiennement n’ôte pas le droit de repousser la calomnie, et certes, égorger un homme pour le dévaliser est quelquefois un crime moins atroce que le calomnier. Un fait prouvé jusqu’à l’évidence, c’est que le prétendu régicide était absent aux quatre appels nominaux du procès de Louis XVI. C’est que, dans un discours imprimé, il demanda à la Convention qu’on supprimât la peine de mort et que Louis profitât le premier du bienfait de la loi. C’est que, dans la lettre écrite de Chambéry, déposée aux Archives, où l’on voulait insérer la condamnation à mort, il exigea la radiation de ces mots qui, en effet, ne s’y trouvent pas. Ces faits sont indéniables, ils sont actuellement connus dans les deux mondes[3].

La censure n’ayant pas autorisé la publication intégrale de cette lettre, Grégoire en écrivit une autre, quatre jours plus tard, au duc de Richelieu, pour se plaindre du procédé. Nous ne résistons pas à l’envie de la reproduire aussi, non qu’elle contribue à éclaircir la question, mais parce qu’elle nous offre, en passant, l’occasion de donner le plus parfait portrait moral de son auteur :

Monsieur le duc, je n’ai jamais sollicité de grâce sous aucun gouvernement, et je serai fidèle à la règle que je me suis prescrite à cet égard, mais j’invoque votre justice.

Un M.  Dubouchage a inséré dans les feuilles publiques sous forme de lettre un libelle contre moi ; j’ai envoyé à tous les journaux une réponse dont copie authentique est cy-jointe, et de cette réponse mutilée par la censure, quelques lignes seulement ont obtenu place dans quelques journaux. Est-ce ainsi que se réalise la promesse faite à la tribune nationale par le ministre actuel de l’intérieur, que la censure protégerait les personnes et les réputations ?

Le secret des lettres paraît être protégé avec la même délicatesse, car tout récemment encore, par la petite poste de Paris, il m’est arrivé, indignement décachetée et découpée, une lettre de Lauzanne de mon estimable ami M.  de la Harpe, que sûrement vous connaissez[4]. Je dois me féliciter qu’on en sache le contenu, mais cette violation n’en est pas moins un attentat punissable.

L’histoire n’offre peut-être pas un système de persécution et de diffamation pareil à celui qui est dirigé contre moi depuis 1814[5].

Ce n’est pas ici le cas d’en dévoiler les auteurs, le motif et le but ; tout cela est réservé à l’histoire qui, sur une foule d’événements, recevra de si nombreuses et si étranges révélations. Mon âme inflexible se roidira toujours contre la fourberie, la calomnie, l’iniquité : je suis comme le granit, on peut me briser, mais on ne me plie pas.

Dans le cours de cette persécution, également lâche et atroce, est-ce trop, Monsieur le duc, d’obtenir en six ans un acte de justice ? Je réclame de la vôtre avec confiance l’ordre de faire insérer dans le Moniteur et autres journaux ma réponse textuelle et intégrale.

D’après ce que l’opinion publique raconte d’honorable sur votre caractère, l’espérance que je conçois est en même temps un hommage d’estime. Si mon attente était déçue, j’en serais affligé pour moi… et pour vous.

Grégoire, ancien évêque de Blois,
rue de l’Odéon, no  35[6].

Enfin, dans ses Mémoires, Grégoire revint sur la fameuse lettre envoyée par ses collègues et lui à la Convention le 13 janvier 1793, et voici ce qu’il en dit : « Lorsque la première rédaction de cette lettre par mes collègues fut présentée à ma signature, je refusai d’y souscrire, attendu qu’elle demandait que Louis fût condamné à mort. Alors on en substitua une autre dans laquelle effectivement les mots à mort ne se trouvent pas. On peut la voir aux Archives d’où M.  Moïse en a tiré une copie certifiée par Camus. Mais, ce qui est remarquable, c’est que, pour avoir supprimé ces mots, les commissaires furent dénoncés aux Jacobins dont la tribune était alors vouée à l’exagération la plus outrée, et Jeanbon-Saint-André jugea à propos de prendre notre défense[7]. »

Ainsi, rien de plus simple. Grégoire était absent. Ses collègues en mission, voulant participer au jugement du roi, envoyèrent une lettre d’adhésion à la condamnation, à laquelle il apposa sa signature après qu’on en eut fait disparaître les mots à mort. Attaqués pour cette manifestation équivoque, Jeanbon-Saint-André s’efforça de faire respecter en eux la liberté des opinions.

Rien de plus simple… en apparence. Au fond, rien de plus discutable.

Écartons d’abord du débat l’opinion de Grégoire sur le jugement de Louis XVI[8]. Dès le retour de Varennes, il fut un des plus ardents à attaquer l’inviolabilité et à réclamer la mise en accusation du roi. Mais, si nous l’avons bien compris, c’est la royauté, non le roi, qu’il voulait supprimer. Cette opinion n’a que faire ici où il ne s’agit plus du jugement, mais de la condamnation. Ils sont très nombreux les conventionnels qui, au moment des appels nominaux, changèrent instantanément de manière de voir. Fouché non plus ne voulait pas la mort du roi. « Tu verras, — disait-il à Daunou, — tu verras mon opinion lorsqu’elle sera imprimée, et tu seras étonné du courage que je déploierai contre ceux qui veulent la mort de Louis. » Et l’opinion imprimée de Fouché commençait par ces mots : « Je ne puis concevoir comment on peut hésiter un moment à voter la mort d’un tyran. » Daunou racontait encore cette anecdote : il avait auprès de lui un député qui paraissait prendre un grand intérêt à la vie de Louis XVI. Lorsqu’un membre se prononçait pour la mort, ce député témoignait par ses gestes combien il était opposé aux votes de cette nature. Son tour arrive. Les tribunes, qui avaient sans doute remarqué l’énergique désapprobation manifestée par lui contre la mort, font entendre des menaces telles qu’il est quelques moments sans pouvoir se faire entendre. Enfin le silence se rétablit, et il vote… la mort[9]. C’est le cas de tous ceux qui s’opposèrent au sursis, après avoir voté le bannissement ou la détention, — et de combien d’autres !

Sous l’apparente inflexibilité de son caractère, Grégoire cachait, lui aussi, une âme faible et versatile. Lui aussi, il a subi, quoi qu’il en dise ou qu’on en dise, l’influence des temps et des milieux, et ce sont ses apologistes mêmes qui en donnent, de très bonne grâce d’ailleurs, la preuve. Hippolyte Carnot avait remarqué, dans des exemplaires de plusieurs de ses ouvrages trouvés après sa mort dans ses papiers, des annotations qui tendaient à renier ou à supprimer certains passages trop révolutionnaires ou trop peu chrétiens[10].

De son côté, M.  Aulard, rapprochant des comptes-rendus contemporains du discours de Grégoire à la Convention, lorsqu’il refusa d’abjurer, le texte que l’orateur donna plus tard dans ses Mémoires, dit qu’« on emporte de cette comparaison l’impression que le discours de Grégoire s’était un peu transfiguré après coup dans son imagination[11]. » Ainsi il n’était pas moins facile à Grégoire qu’à beaucoup de ses collègues de se déjuger ou de se flatter selon l’occasion. Il n’y a donc aucun argument à tirer de son opinion sur le jugement de Louis XVI en faveur de son opinion sur la condamnation.

Dégagée de cette objection, voyons maintenant ce que vaut en elle-même la thèse de Grégoire. Il faut qu’il ait eu, comme le remarque M.  Aulard, l’imagination singulièrement transfigurative pour prétendre que Jeanbon-Saint-André se fit l’avocat des commissaires auxquels on reprochait l’équivoque de leur opinion. Ce n’est nullement pour faire respecter en eux la liberté des suffrages, comme on pourrait le présumer d’après le passage des Mémoires de Grégoire cité plus haut, que Jeanbon-Saint-André prit leur défense, mais tout au contraire pour dissiper cette équivoque, en affirmant qu’ils voulaient la mort. Le document suivant ne peut laisser subsister aucun doute sur ce point.


Lettre autographe signée de Jeanbon-Saint-André à ses collègues représentants du peuple dans les départements (sic) du Mont-Blanc.

Paris, 16 février 1793.

Votre lettre à la Convention au sujet de la mort du tyran portant le mot de condamnation, quelques personnes se plaisaient à dire qu’il y avait de l’équivoque dans l’expression de votre vœu. Il me sembla alors que votre confiance m’imposait le devoir de faire pour vous ce que j’eusse désiré qu’en pareil cas vous fissiez pour moi, de mettre au grand jour vos vrais sentiments qui étaient pour la mort, sans appel au peuple. Cette note fut insérée dans le Créole-Patriote, et j’ose croire que vous ne désapprouverez pas le parti que j’ai pris à cet égard[12].

Si l’interprétation de Jeanbon-Saint-André n’avait pas été la bonne, il est probable que l’abbé Grégoire se serait fait un « cas de conscience » de la désavouer, — la chose en valait, certes, la peine, — et il y aurait trace de ce désaveu au moins dans ses Mémoires. Or, non seulement il ne l’a jamais fait, que nous sachions, mais, quelques mois plus tard, il laissa échapper sa pensée, cette fois sans équivoque, et c’était pour la mort, — pour la mort sans condition ni restriction d’aucune sorte, comme Jeanbon l’avait dit, — qu’il se prononçait. C’est dans ce passage de son rapport sur sa mission dans la Savoie et les Alpes-Maritimes :

Parmi les causes qui ont glacé ou attiédi le patriotisme dans cette contrée, on doit compter la conduite de la Convention nationale. Législateurs, après avoir encore royalisé, en quelque manière, l’Europe, par la longueur de vos discussions sur un tyran qu’il fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud, vous avez encouragé les ennemis de la République, indigné la France et surtout les armées par le scandale de vos débats[13].

Un tyran qu’il fallait se hâter d’envoyer à l’échafaud. Cela a été dit, écrit et signé par Grégoire, trois mois après la lettre où il opinait « pour la condamnation sans appel au peuple, » deux mois après celle où Jeanbon-Saint-André expliquait que ces mots signifiaient la mort. Qu’est-ce à dire, sinon que ce membre de phrase est le commentaire ajouté par l’auteur à son texte jugé obscur, l’approbation donnée par lui à l’explication de son officieux glossateur ?

Que plus tard Grégoire ait « jeté l’interdit sur son rapport au sujet de la Savoie, » ainsi que nous l’apprend Hippolyte Carnot[14], cela est fort possible. Mais qu’importe ? C’est tout au plus un regret, dont les âmes sensibles lui tiendront compte, mais qui ne peut empêcher son opinion régicide de s’être manifestée ouvertement au lendemain de la condamnation et, par déduction, implicitement la veille.

Dès lors, que faut-il penser de l’histoire de la lettre de laquelle auraient été retranchés les mots à mort ? Si elle est vraie (et nous n’avons pas le moyen de la contrôler), il ne nous paraît pas admissible qu’elle ait eu primitivement le sens que lui attribua Grégoire par la suite. Il ne nous paraît pas que les commissaires aient voulu autre chose que créer une équivoque dont ils pussent bénéficier, quelle que fût l’issue du procès. Condamner Louis XVI sans appel, après avoir pris soin de rappeler « les trahisons non interrompues de ce roi parjure, » cela ne pouvait avoir d’autre sens que de le condamner à mort. Seulement le mot fatal n’était pas prononcé, et c’était tout ce que désiraient les commissaires, qui s’inspiraient encore plus du voisinage de la patrie de Machiavel que de celui « du tyran piémontais. »

Une dernière observation.

Ni Jeanbon-Saint-André, ni Camus, ni Daunou ne disent qu’ils ont vu l’original de cette fameuse lettre. Et cependant Grégoire nous invite à l’aller voir aux Archives. M.  Aulard l’y a vainement recherchée[15] ; nous ne l’avons pas trouvée non plus et nous ne pensons pas que personne ait été plus heureux. Ce que Camus et Daunou ont certifié l’un après l’autre, c’est simplement la conformité de leur copie avec le Procès-verbal de la Convention, d’une part, et le Bulletin en placard de la même assemblée, d’autre part. Or, le Procès-verbal n’est qu’un résumé, d’ailleurs fautif et erroné, nous l’avons prouvé ailleurs[16], et le Bulletin est, avant tout, un instrument de propagande révolutionnaire[17] dont la valeur historique reste à déterminer.

Résumons-nous et concluons.

Nous n’avons pas la lettre originale où les commissaires exprimaient leur vœu, et la disparition de cette pièce capitale peut donner à penser. Nous n’en avons qu’un texte imprimé dont nous sommes hors d’état d’apprécier l’exactitude. À supposer qu’il soit la reproduction fidèle de l’original, ce texte équivoque doit être interprété dans le sens d’une opinion régicide. Cela résulte : 1o de la lettre de Jeanbon-Saint-André l’interprétant ainsi sans que les commissaires aient protesté, et 2o du passage du rapport de Grégoire où celui-ci reproche à la Convention d’avoir tant tardé à envoyer le roi à l’échafaud, — lettre et rapport contemporains de l’événement. Cette opinion régicide n’a pas contribué en fait à la mort du roi, pas plus que d’autres de la même espèce, celle de Merlin (de Thionville) par exemple, parce que la Convention ne tint pas compte des vœux de ses membres « absents par commission. »


Eug. Welvert.
  1. Annales de la religion, t. XIV, p. 38 et suivantes.
  2. Archives nationales, F7 6707, lettres de Daunou au comte Decazes, 24 février 1816 ; — les copies conformes de Daunou ont été classées par erreur dans F7 6713 (dossier du conventionnel Haussmann).
  3. Catalogue d’une belle collection de lettres autographes, etc., vendue le 15 avril 1858 par le ministère de M.  Laverdet.
  4. Il s’agit sans doute de l’ancien précepteur de l’empereur de Russie Alexandre Ier.
  5. Voici un petit document daté précisément de 1814 et qui à la fois atteste les méfiances de l’autorité vis-à-vis de Grégoire et contient de curieux renseignements sur son existence pendant cette période : « À M.  Palluy, chef de la 1re  division de la direction générale de la police. Paris, le 11 décembre 1814. J’ai reçu, Monsieur, la note que vous m’avez adressée le 6 de ce mois portant avis qu’il se tenait chez les ex-sénateurs Garat et Grégoire des conciliabules dont l’objet ne serait rien moins qu’étranger à la politique. Je me suis empressé de faire prendre à cet égard les renseignements les plus positifs dont voici le résultat. L’avis donné au sujet de ces conciliabules n’est pas fondé, car il y a deux mois que M.  Garat est avec sa famille dans le pays des Basques (Basses-Pyrénées), lieu de sa naissance, et il ne reste dans sa maison, rue Notre-Dame-des-Champs, no  2, que le portier ; et M.  Grégoire, qui demeure rue Pot-de-Fer, no  22, ne reçoit personne. Cet ex-sénateur tient maison avec une Mme  Dubois, ancienne chanteuse à l’Opéra, dont le mari, nommé La Tour, et qui avait été danseur, est mort il y a environ deux ans. Cette femme est si âgée qu’on ne peut soupçonner aucun commerce scandaleux entre elle et M.  l’abbé Grégoire, mais elle le gouverne et dirige tout dans la maison. Il l’appelle la sainte femme. Tout le monde est ordinairement couché à huit heures du soir. Cependant il y a quelquefois le dimanche un thé très modique qui se prolonge jusqu’à neuf ou dix heures. M.  Grégoire ne donne point à manger, et son ordinaire est très exigu. Lorsque M.  Garat était à Paris, il y venait de temps en temps ; MM.  Lambrecht et Lanjuinais s’y rendaient aussi quelquefois, et l’on remarquait dans le temps que, lorsque ce dernier était chez M.  Grégoire, on n’y admettait plus personne ; mais, depuis la formation de la Chambre des pairs, il a cessé d’y venir. M.  Grégoire craint à présent jusqu’à son ombre, et il y a tout lieu de croire qu’il n’est nullement disposé à se livrer à aucune intrigue. Recevez, etc. L’inspecteur général : Foudras. » (Arch. nat., F7 32004 provisoire.) — Ce rapport nécessite au moins une rectification, au sujet de M.  et de Mme  Dubois. C’étaient, nous dit Hippolyte Carnot, d’honorables bourgeois, compatriotes de Grégoire, qui, après l’avoir hébergé à Paris lorsqu’il avait été élu député aux états généraux, ne le quittèrent plus. Veuve depuis le 17 octobre 1812, Mme  Dubois fut la légataire universelle de Grégoire qui ne laissait pas d’héritiers à réserve ; et, lorsqu’elle-même mourut, le 12 mai 1836, elle légua sa fortune personnelle jointe à celle de Grégoire, moitié à l’hôpital de Blois, moitié à l’hôpital de Sens. Le total montait à 450,000 fr. en chiffres ronds. On peut voir à ce sujet un intéressant article dans l’Intermédiaire des chercheurs, 25 nov. 1878, col. 688-692.
  6. Collection Dentu, autographes, t. I, no  443, p. 74.
  7. Mémoires de Henri Grégoire, ancien évêque de Blois, membre de l’Assemblée constituante et de la Convention, publiés par H. Carnot (Paris, 1837, 2 vol. in-8o), t. I, p. 412.
  8. Opinion du citoyen Grégoire concernant le jugement de Louis XVI (Paris, 1792, in-8o), réimprimée sous ce titre : De l’opinion de M.  Grégoire, ancien évêque de Blois et sénateur, dans le procès de Louis XVI (s. l. n. d., in-8o).
  9. A.-H. Taillandier, Documents biographiques sur P.-C.-F. Daunou, 2e édition (Paris, 1847, in-8o), p. 38 et 42.
  10. « Pareille exaltation démagogique se remarque dans son Histoire patriotique des arbres de la liberté, publiée en 1794. L’auteur lui-même désavoue, sur un exemplaire que nous possédons, plusieurs passages destinés à être supprimés, si jamais on réimprimait ce petit livre. » Et en note : « Grégoire signale aussi, dans cet ouvrage comme dans plusieurs de ses discours, des altérations et intercalations qui, selon lui, sont le fait des commis auxquels la correction des épreuves était confiée. » Et plus loin : « Grégoire avait également jeté l’interdit sur son rapport au sujet de la Savoie et même sur son Éloge de la poésie, dont le ton lui semblait peu en harmonie avec la gravité du ministère ecclésiastique. » Donnons enfin ce dernier passage : « Grégoire aussi a laissé un ouvrage manuscrit sur l’Histoire de l’émigration ecclésiastique ; mais on lit, sur la première page, une note de sa main, dans laquelle il recommande de n’imprimer cet ouvrage qu’après avoir rectifié certains faits désavantageux à l’égard de quelques personnes sur lesquelles il a été involontairement induit en erreur. » (Mémoires de Grégoire, notice préliminaire par Hippolyte Carnot, t. I, p. 85 et 86.)
  11. La Révolution française, revue historique, 14 février 1891, p. 117.
  12. Catalogue d’une collection d’autographes (Charon expert), 8 avril 1844, no  272. — Cette lettre, après avoir passé dans les collections Chambry et Bovet, figurait en dernier lieu dans un catalogue de M.  Eugène Charavay, 1887, no  72, p. 17.
  13. Convention nationale. Rapport présenté à la Convention nationale, au nom des commissaires envoyés par elle pour organiser les départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, par Grégoire, représentant nommé par le département de Loir-et-Cher (Paris, Impr. nat., in-8o, 49 p.). Nous avons reproduit ce passage d’après M.  Aulard, Recueil des actes du Comité de salut public, t. I, p. 463, note 1.
  14. Voir la note 1 de la page 322.
  15. Recueil… Salut public, t. I, p. 463, note 1.
  16. Archives historiques, t. I, p. 455.
  17. Aulard, Recueil… Salut public, Introduction, p. viii.