Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Les Pyramides

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Napoléon/Les Pyramides
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 198-201).
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XII

LES PYRAMIDES

 
En Égypte où le Nil se perd
Sept pyramides au désert
Se sont assises dès l’aurore.
Là, qu’attendent-elles encore ?
Quand a passé l’orage noir,
Elles ont dit au vent du soir :

Où l’as-tu vu passer, vent qui viens d’Italie ?
Où l’as-tu vu passer, mer d’orages remplie ?
Dis, viendra-t-il bientôt, ou ce soir, ou demain,
Aux pèlerins d’Alep demander mon chemin ?
De mon faîte éternel si je pouvais descendre,
J’irais, agenouillée, au bord des flots l’attendre.
Quand son sultan la quitte, au sommet de sa tour
La sultane à Stamboul demeure tout le jour.
Ah ! Que son calumet sur sa natte l’ennuie !
Du haut de ses créneaux où son coude s’appuie,
Au détour du Bosphore, en pleine mer, là-bas,
Elle cherche une voile, et ne la trouve pas.
Et moi, j’attends ici mon sultan et mon maître.
Gazelles qui passez, le voyez-vous paraître ?
Est-il sur les flots purs ? Est-il dans les autans ?
Est-il dans mon soleil ? Je l’attends, je l’attends,
Pour que sa gloire écrite au bout d’un fer de lance
Remplisse mon désert, et rompe mon silence.


Que me fait la mosquée abaissée en arceaux ?
Que me font à mes pieds cent villes à créneaux,
Et tous leurs minarets à genoux sur les dalles,
Comme un esclave noir qui nouerait mes sandales ?
Pour s’asseoir devant moi sur mon sable aujourd’hui
Un géant doit venir ; et ce géant, c’est lui !
—Dites-le-nous de votre cime,
Nous le redirons à l’abîme.
Votre sultan, comment est-il ?
Vient-il du Bosphore ou du Nil ?
Comment est fait son cimeterre
Quand il jette son cri de guerre ?
—Comme un serpent ailé son cimeterre a lui :
Une étoile l’éclaire, et marche devant lui.
Comme un lion qui passe auprès de sa lionne,
Sur son front est écrit : " voyez-vous ma couronne ? "
Et déjà dans la gloire entré par cent endroits,
Son visage a pâli de la pâleur des rois.
Jamais en mon désert rien n’a laissé de trace,
Ni peuple, ni cité, que d’un souffle j’efface.
Ainsi qu’un livre ouvert, avec sa marge d’or,
Où pas un mot entier ne s’aperçoit encor,
Pour écrire le nom de ses jours à venir,
Tout mon sable s’étend de Thèbes jusqu’à Tyr.
Depuis que l’éternel en ce lieu m’a menée,
J’ai conservé mon deuil, à me taire obstinée.
Dans leurs songes mes sphinx m’ont dit : " le voyez-vous ?
Il marche en son combat. Le voilà, cachez-nous.


Comme un pâtre il nous pousse au fond de votre étable.
Ouvrez ! Son doigt écrit son nom sur votre sable. "
Après eux les lions ont passé ce matin.
Les lionnes disaient, attendant leur butin :
" Le lionceau d’Arcole a déjà sa crinière ;
" Des os des nations il se fait sa litière ;
" Il vient, il fait trois bonds, et franchit l’univers ;
" En feriez-vous autant, beaux lions des déserts ?
C’est pour lui jusqu’aux cieux qu’ici mon toit s’élève.
J’ai roulé dans mon ombre un chevet à son rêve.
Comme une lampe d’or pour éclairer son nom,
La lune à mon pilier pendra par mon chaînon ;
Et comme un mamelouk avec son cimeterre,
Mon désert veillera, couché dans sa poussière.
Comme une caravane aux tentes de granit,
J’attends mon chamelier sous ma pesante nuit ;
Quand mes cieux tariront, si je demande à boire,
Il répandra sur moi le flot de sa victoire.
Si je suis égarée en mon vide chemin,
Il m’apprendra la voie où va le genre humain.
À ma rive il dira le nom d’une autre rive,
Si l’ombre de mon faîte au bout du monde arrive ;
Si les tours des chrétiens, sous leur long voile noir,
Songent aux minarets, quand vient l’heure du soir,
Et si les clochers d’or, sous leurs brumes humides,
Rêvent pendant leur nuit des nuits des pyramides.
Ah ! Qu’il tarde à venir ! Cigognes du Carmel,
Sur mon faîte montez. Voyez-vous sous le ciel

Un épervier de Corse ? -oui, j’ai vu sa grande aile.
Là-bas sa griffe saigne, et son œil étincelle.
Épervier d’Aboukir, ferme ton aile d’or !
Sauve-toi dans ton nid, pélican du Thabor !