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Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Poniatowski

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Napoléon/Poniatowski
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 278-280).
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XXXVII

PONIATOWSKI

 
Ainsi qu’une noire fumée,
Au flanc des monts, toute une armée
S’est dissipée avant la nuit.
Avant le jour, pâle et sans bruit,
Un cavalier passe dans l’ombre.
Ah ! Que sa lance est froide et sombre !
Sur son chemin retentissant,
Qu’elle a déjà pleuré de sang !


—Ma bonne lance polonaise,
Qui ce matin tressaillais d’aise,
Pourquoi pleures-tu, dis-le-moi ?
—Poniatowski, noble roi,
Je ne sais pas quand vient cette heure,
Pourquoi j’ai froid, pourquoi je pleure.
Le ciel est lourd ! L’herbe gémit.
Le fleuve est grand. Le bord frémit.
—Toi, mon vaillant cheval de guerre,
Qu’as-tu pour baisser ta crinière ?
—Poniatowski, noble roi,
Le sabre est las ! La lance a froid !
Fuyons là-bas vers mon étable,
Où dans leur litière de sable,
Comme un cheval sous le harnais,
Dorment les fleuves polonais.
—Ton étable est dans la mêlée.
Sous les pas des lions foulée
Ton herbe croît dans les combats.
La Pologne n’est plus là-bas.
Elle est toute ici sur la grève,
Avec ma lance, avec mon glaive,
Avec la dépouille des morts
Que ce fleuve arrache à ses bords.
Sans que l’aiguillon l’éperonne,
Ah ! Le noble cheval frissonne.
Sans que son maître ait dit un mot,
Il s’est élancé dans le flot :
Le flot blêmit, l’onde murmure.
On voit surnager une armure ;

Puis, tout se tait ; puis, tout sanglant,
Le fleuve se ride en tremblant.
Ah ! Quand reviendra sur la grève
Le cavalier avec son glaive ?
Déjà cent vagues l’ont bercé ;
Déjà mille flots ont passé.
Quand sortira-t-il de l’abîme ?
La vague pâlit à sa cime.
L’hirondelle effleure le bord ;
Le flot se tait, le flot s’endort.
Quand reviendra dans sa vaillance
Le cavalier avec sa lance
Au bord des fleuves polonais ?
Quand son cheval sous le harnais
Retrouvera-t-il son étable ?
La vague caresse le sable,
Le pluvier niche sur le bord.