Râmâyana (trad. Roussel)/Bâlakânda/I

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Traduction par Alfred Roussel.
(1p. 1-7).

BÂLAKÂNDA




SARGA Ier

RÉSUMÉ DU RAMAYANA



1. L’ascète Vâlmîki interrogea Nârada, versé dans l’ascétisme et la science des Védas, le prince des orateurs et le taureau des Munis.

2. Quel est actuellement, dans ce monde, l’homme vertueux, l’homme fort, juste, reconnaissant, véridique, ferme dans ses vœux ?

3. Quel est l’homme d’une noble conduite ? Quel est celui qui se rend utile à tous les êtres ? Quel est le savant, l’homme habile, dont l’abord est toujours agréable ?

4. Quel est celui qui est maître de lui-même, qui dompte sa colère, qui est plein de gloire, étranger à l’envie, et dont les Dieux eux-mêmes redoutent le courroux, sur le champ de bataille ?

5. Je désire l’apprendre ; cela m’intéresse au suprême degré. Ô grand ascète, tu peux me faire connaître un tel homme.

6. Nârada, qui connaît les trois mondes, ayant ouï ce langage de Vâlmîki : — Écoute, lui dit-il. Et se prêtant joyeux à son instruction, il lui dit :

7. Les nombreuses et difficilement accessibles qualités que tu viens d’énumérer, ô Muni, je te dirai, car je le sais, l’homme qui les possède ; écoute.

8. C’est un rejeton de la tige d’Ikshvâku, nommé Râma, illustre parmi les hommes. Maître de lui-même, doué d’une grande énergie, magnifique, plein de fermeté, de volonté,

9. Instruit, de mœurs réglées, éloquent, fortuné, destructeur de ses ennemis, d’une forte corpulence, aux bras puissants, une conque dessinée sur le cou, les mâchoires fortes,

10. La poitrine large, armé d’un grand arc, les clavicules charnues, vainqueur de ses ennemis, dont les bras s’allongent jusqu’aux genoux, (héros) à la belle tête, au front superbe, à la démarche élégante ;

11. Bien proportionné, dont les membres sont bien conformés, le teint reluisant, le port majestueux, le sein développé, les yeux grands, beau, l’aspect fortuné ;

12. Instruit dans la loi, sincère, qui se plaît à se rendre utile aux gens, chargé de gloire, doué de science, pur, docile, l’esprit attentif ;

13. Semblable à Prajâpati, prospère, (un autre) Dhâtar, le fléau de ses ennemis, protecteur du monde des êtres, bouclier de la loi ;

14. Gardien de son devoir, abri de sa race, versé dans la science des Védas et des Védângas, sachant à fond le Dhanurveda ;

15. Instruit du sens et de la substance de tous les Çâstras, possédant la Smrǐti, doué de discernement, ami de tous les mondes, plein de mansuétude et de générosité, sage ;

16. Accueillant de toute part les gens de bien, comme l’Océan les fleuves, noble, équitable à l’égard de tous et d’un abord toujours prévenant :

17. Il est doué de toutes les qualités, celui en qui la joie de Kausalyâ trouve son accroissement ; il égale la mer en profondeur et l’Himavat en fermeté.

18. Semblable à Vishnu pour l’énergie, il offre un aspect séduisant comme Soma ; son courroux est pareil au feu de Kâla ; sa longanimité semblable à (celle de) la Terre.

19. Il égale Dhanada en libéralités ; pour l’équité, c’est un autre Dharma. L’homme doué de toutes ces qualités, c’est Râma, vrai héros.

20. Ce cher fils aîné, pourvu des qualités éminentes qui assurent le bonheur des peuples, le roi Daçaratha, soucieux de plaire à ses sujets,

21. Désira dans son affection l’associer au trône. À la vue des préparatifs de la consécration, son épouse Kaikeyî,

22. Cette reine à qui précédemment il avait promis une double faveur à son choix, demanda (au roi) l’exil de Râma et l’intronisation de Bharata.

23. Fidèle à sa parole, lié par son engagement, le roi Daçaratha exila Râma, son fils bien-aimé.

24. Le héros partit pour la forêt, afin de dégager la parole de son père, et sur son ordre dicté par son amour pour Kaikeyî.

25. Pendant qu’il s’éloignait, son cher frère Lakshmana s’attacha à ses pas dans son amitié pour lui, plein de sagesse, lui l’accroissement de la joie de Sumitrâ.

26. Chéri de son frère, il lui témoigna ainsi sa tendresse fraternelle. L’épouse bien-aimée de Râma qui lui était toujours aussi précieuse que l’existence, remplie de dévouement,

27. Issue de Janaka, formée à l’image de la Mâyâ divine, douée de tous les signes (de la beauté), l’épouse la plus accomplie de toutes les femmes,

28. Sîtâ aussi accompagna Râma comme Rohinî (le dieu) Çaçin. Les habitants de la ville le suivirent à une grande distance, de même que son père Daçaratha.

29. Dans la ville de Çriñgavera, sur les bords de la Gangâ, (Râma) renvoya son écuyer. Le héros magnanime alla trouver Guha, le souverain des Nishâdas, son ami.

30. Guha, Lakshmana et Sîtâ s’attachèrent aux pas de Râma. Ils allaient de forêt en forêt, traversant des rivières aux eaux profondes.

31. Ayant atteint le Citrakûta, sur l’ordre de Bharadvâja, les trois (exilés), pleins de joie, se construisirent dans la forêt un agréable abri.

32. Pareils aux Dévas et aux Gandharvas, ils séjournèrent là heureux. Râma ainsi retiré sur le Citrakûta, son père tomba malade de chagrin, à cause de lui.

33. Le roi Daçaratha alla au ciel en pleurant son fils. Lui mort, les Deux-fois-nés, ayant Vasishstha à leur tête,

34. Sollicitèrent Bharata de prendre l’empire ; le héros vaillant ne le voulut point, mais il partit pour la forêt déposer ses hommages aux pieds de Râma.

35. Étant (donc) allé trouver le magnanime Râma plein de loyauté et de courage, le prince au noble caractère adjura son frère :

36. C’est toi le roi, ô (prince) instruit de tes devoirs, dit-il à Râma. Mais Râma au naturel excellent, à la belle physionomie, à la gloire immense,

37. Refusa la couronne, par égard pour la volonté paternelle. Le puissant héros, après de nombreuses instances, remit ses chaussures (à son frère), comme gage de l’autorité royale.

38. Il renvoya ainsi Bharata. Celui-ci, ne pouvant obtenir ce qu’il désirait, toucha les pieds de Râma son aîné.

39. Il établit à Nandigrâma le siège de son gouvernement, en attendant le retour de Râma (dont il déposa les pantoufles sur le trône). Bharata parti, le vénérable Râma, plein de loyauté, maître de ses sens,

40. Réfléchissant aux incessantes visites (que ne manqueraient de lui faire) les habitants de la ville et (son frère), s’enfonça résolument dans les bois de Dandaka.

41. Ayant ainsi pénétré dans la grande forêt, Râma, aux yeux de lotus, tua le Râkshasa Virâdha ; puis il visita Çarabhañga,

42. Sutîkshna, Agastya et son frère. Sur le conseil d’Agastya, il se saisit de l’arc d’Indra,

43. D’une épée et de deux carquois inépuisables ; il était au comble de la joie. Tandis que Râma séjournait ainsi dans la forêt, au milieu des fauves,

44. Tous les Rǐshis accoururent (lui demander de les) débarrasser des Râkshasas. Il leur promit (de purger) la forêt de ces démons.

45. Râma promit aux solitaires, pareils à Agni, qui habitaient la forêt de Dandaka, de combattre et de tuer les Râkshasas.

46. Durant son séjour (dans cette forêt), la Râkshasî Çûrpanakhâ qui habitait le Janasthâna, et changeait de forme à volonté, fut défigurée (par Lakshmana).

47. À la voix de Çûrpanakhâ, tous les Râkshasas se réunirent contre lui. Khara, Triçiras, Dûshana,

48. Râma les tua dans le combat ainsi que leurs troupes. Pendant qu’il habitait la forêt, de ces Râkshasas qui avaient établi leur retraite sur le Janasthâna,

49. Quatorze milliers furent (ainsi) exterminés. Râvana, ayant alors appris le meurtre de ses parents, transporté de fureur,

50. S’associa le Râkshasa Mârîca qui multiplia ses efforts pour le détourner (de son dessein).

51. — Tu ne saurais lutter contre ce (héros) puissant, ô Râvana. — Sans tenir compte de cette parole, Râvana, poussé par Kâla,

52. S’en alla suivi de Mârîca dans l’ermitage de Râma. Ayant, à l’aide de (Mârîca) et de son déguisement magique, écarté de l’ermitage les deux fils de roi,

53. Il enleva l’épouse de (Râma), et frappa mortellement le vautour Jatâyus. Râghava rencontra le vautour blessé qui lui apprit le rapt de Maithilî.

54. Enflammé de colère, il s’épancha en lamentations, les sens troublés. Plein de douleur, il brûla le cadavre du vautour Jatâyus.

55. Pendant qu’il courait dans la fort, à la recherche de Sîtâ, il aperçut un Râkshasa, nommé Kabandha, d’une forme étrange, à l’aspect effrayant.

56. Le héros aux grands bras l’ayant tué, brûla (son corps). (Kabandha), monté au ciel (grâce à Râma), lui parla de la religieuse Çabarî.

57. — Cette Çramanâ, remplie de mérites, va la trouver, ô Râghava. — Le héros à la gloire éclatante, destructeur de ses ennemis, alla trouver Çabarî.

58. Reçu par elle avec honneur, Râma, le fils de Daçaratha, (sur son conseil), s’aboucha aux bords de la Pampâ avec le singe Hanumat.

59. Hanumat l’adressa à Sugrîva à qui le puissant Râma raconta

60. Depuis le commencement ce qui lui était arrivé, spécialement ce qui concernait Sîtâ. Le singe Sugrîva ayant ouï toute l’histoire de Râma,

61. S’allia de grand cœur avec lui, en présence d’Agni. Alors il lui dit son inimitié avec le roi des singes.

62. Râma, mis au courant de tout par l’affection que lui portait l’infortuné, lui promit de tuer Vâli.

68. Le Vânara Sugrîva apprit la force de Vâli à Râghava, doutant que la sienne (lui fût égale).

64. Dans le but d’éprouver Râghava, Sugrîva lui montra le cadavre colossal, semblable à une haute montagne, de Dundubhi.

65. Souriant à la rue du squelette, le héros valeureux, puissant, le lança de l’orteil à une distance de dix Yojanas.

66. Puis il traversa sept Çâlas d’un seul trait, de grande dimension, ainsi qu’une montagne et le Rasâtala. Il inspira ainsi (toute) confiance (à Sugrîva).

67. Plein de joie et d’espoir, le grand Kapi, accompagné de Râma, se dirigea vers la caverne Kishkindhâ.

68. Sugrîva, le meilleur des Haris, au teint jaune d’or, poussa un rugissement. À ce grand cri, le roi des singes sortit,

69. Avec l’agrément de Târâ, pour combattre Sugrîva. Râghava cependant le tua d’un seul dard.

70. Ayant ainsi vaincu Vâli dans le combat, à sa prière, Râghava établit Sugrîva sur son trône.

71. Alors, convoquant tous les singes, le taureau des singes les envoya dans (toutes) les directions, afin de découvrir (la retraite) de la fille de Janaka.

72. Sur l’avis du vautour Sampâti, le puissant Hanumat traversa (un bras) de la mer salée, large de cent Yojanas.

73. S’étant rendu à Lañkâ, ville gouvernée par Râvana, il aperçut Sîtâ, pensive, assise dans un bosquet d’Açokas.

74. Il lui montra un signe (de reconnaissance), et lui raconta ce qui s’était passé. Il gagna ainsi la confiance de Vaidehî, puis il enfonça une porte,

75. Tua cinq généraux d’armée, sept fils de ministres, broya (les membres) du héros Aksha ; après quoi il se laissa prendre.

76. Sachant (qu’il serait) délivré par un trait dû à la faveur de l’Aïeul, le héros supporta, de son plein gré, les brutalités des Râkshasas.

77. Il incendia la ville de Lañkâ, à l’exception de (la demeure de) Sîtâ, la princesse de Mithilâ. Le grand Kapi vint ensuite informer Râma de ce qu’il désirait (savoir).

78. Il se rendit près du héros à la grande âme et tourna autour de lui en le laissant à droite. (Hanumat) au courage sans bornes lui annonça : — J’ai vu Sîtâ en personne — lui dit-il.

79. (Râma), accompagné de Sugrîva, se rendit au bord de l’immense Océan dont il troubla les flots de ses dards brillants comme le soleil.

80. L’Océan, l’époux des rivières, se fit voir (au héros) qui, sur son conseil, fit construire un pont par Nala.

81. Rama se rendit à la ville de Lañkâ et tua Râvana dans le combat. En rejoignant Sîtâ, il éprouva une grande perplexité.

82. Râma lui parla durement devant tout le monde. Ne pouvant supporter (ses reproches), la vertueuse Sîtâ entra dans les flammes.

83. Il reconnut alors, par le témoignage d’Agni, l’innocence de son épouse. Ce grand exploit du magnanime Râghava réjouit les trois mondes avec les êtres qui se meuvent et ceux qui ne se meuvent pas,

84. Les troupes des Dieux et des Rǐshis. Râma fut rempli d’allégresse ; il fut comblé d’honneurs par toutes les Divinités.

85. Après avoir sacré à Lañkâ Vibhîshana comme roi des Râkshasas, son devoir rempli, Râma, délivré de la fièvre (de l’inquiétude), se sentit plein de joie.

86. Objet de la faveur des Divinités, Râma, protecteur des singes, s’en retourna, escorté d’amis sur (le char) Pushpaka, dans Ayodhyâ.

87. Arrivé à l’ermitage de Bharadvâja, Râma dont l’héroïsme formait l’essence, députa Hanumat près de Bharata.

88. Il raconta son histoire ; puis, accompagné de Sugrîva, il remonta sur le (char) Pushpaka et se rendit à Nandigrâma.

89. À Nandigrâma, il dénoua sa tresse. Entouré de ses frères, l’irréprochable Râma, ayant reconquis Sîtâ, recouvra son royaume.

90. Son peuple partageait sa félicité, content, vivant dans l’abondance, très religieux, exempt d’infirmités et de maladies, sans avoir à craindre la disette.

91. (Désormais), personne nulle part ne verra plus mourir ses enfants ; les femmes ne connaîtront plus le veuvage ; elles seront toujours dévouées à leurs époux.

92. Le feu ne sera plus à redouter pour les êtres, non plus que les inondations, ni le vent, ni même la fièvre.

93. Il n’y aura plus de famine à craindre, ni de voleurs ; les villes et les royaumes regorgeront d’or et de grains.

94. Tous vivront dans une félicité perpétuelle, comme durant le Kritayuga. Le glorieux (Râma), après avoir offert des centaines d’Açvamédhas accompagnés de beaucoup d’or,

95. Donné des vaches par myriades de Kotis aux sages, suivant les règles, et fait aux Brahmanes des libéralités sans mesure,

96. Râghava fondera des dynasties royales, douées de cent qualités. Il affermira les quatre castes, en ce monde, chacune dans son devoir.

97. Après avoir régné dix mille ans et dix siècles de plus, Râma se rendra au Brahmaloka.

98. Cette histoire sanctifiante, qui efface les péchés, qui est sainte et pareille aux Védas, celui qui la raconte est délivré de toutes ses fautes.

99. Cette légende salutaire du Râmâyana, l’homme qui la récite vit entouré de ses fils, de ses petits-fils, d’un nombreux cortège, et à sa mort, il est magnifié dans le ciel.

100. Le Brahmane qui la récite acquiert l’empire de l’éloquence ; le Kshatriya la domination sur le monde ; le Vaiçya voit son commerce prospérer ; le Çûdra lui-même, (en l’entendant réciter), obtient une situation supérieure.


Tel est, dans le vénérable Râmâyana,

Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rĭshi,

Le premier Sarga du Bâlakânda.