Récits de voyages d’un Arabe/L’histoire d’Alexandre

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Traduction par Olga de Lébédew.
(p. 93-106).
L’histoire d’Alexandre


AU NOM DU DIEU UNIQUE ET ÉTERNEL, etc.


Commençons, avec l’aide de Dieu, à décrire en détail l’histoire d’Alexandre.

Zou’l Karnèïne (bicornue), conquérant de sept climats d’Orient et d’Occident sur mer et sur terre. Parlons de sa vie et de la cause de sa mort.

L’historien dit :

J’ai lu sa biographie décrite en sept tomes, d’une manière très détaillée, mais je l’ai abrégée, comme l’exigeait mon récit.

Il régna sur la Macédoine après son père, à l’âge de seize ans. Lorsque le roi de Perse, de Babylone, etc. apprit qu’Alexandre régnait sur les Grecs, il en fit peu de cas à cause de sa jeunesse et lui écrivit une lettre menaçante en laquelle il lui reprochait d’être monté sur le trône sans lui avoir écrit pour lui en demander la permission. Il s’exprimait en des termes grossiers et exigeait qu’Alexandre se soumit à son pouvoir, qu’il le reconnût comme suzerain, et qu’il lui envoya tous les ans un tribut fixé d’avance.

Alexandre, révolté de tant d’impertinence, rassembla les nobles de son État, leur lut cette lettre et leur demanda ce qu’ils en pensaient.

Ils estimèrent nécessaire, unanimement, de déclarer la guerre au roi de Perse.

Alexandre en parla à Aristote, qui lui conseilla de même de combattre, en lui disant :

« Ton étoile élevée annonce que tu vas conquérir beaucoup de pays. » Il le pria d’attendre quelques jours afin qu’il lui préparât des choses qui lui seraient utiles pendant l’expédition.

Cet Aristote, qui connaissait en perfection toutes les dix sciences, a écrit pour lui un livre sur la politique, manuel pour gouverner l’État, il y a mis de sages conseils, des talismans et des informations médicales touchant l’homme et les animaux. Et il lui conseilla de prendre ce livre comme guide pour la conservation de sa santé ainsi que pour le gouvernement de son État.

Il lui prépara des talismans qui indiquaient le temps propice aux expéditions contre les ennemis, et aux conquêtes, et lui enseigna quelques conjurations qu’il devait répéter sans cesse.

« Sache, ô roi, » lui dit-il, « que les étoiles dirigent ce bas monde, et ce microcosme qui se trouve sous la sphère de la lune, est sous leur dépendance. Et sache, que chaque pays a des étoiles qui le dirigent. L’étoile de la Perse — c’est Mercure ; mais c’est Vénus qui la guide, et Jupiter est son protecteur. Saturne est son adversaire, tandis que Mars est son ennemi mortel.

Son défenseur est le soleil, et la lune est le soutien de son État. Chacune de ces étoiles est puissante dans sa sphère d’action. Tiens-toi donc, ô roi, sous le gouvernement de Saturne et de Mars et prie-les de conjurer la Perse et de s’allier pour t’aider. Alors tu atteindras ton but et tu vaincras. »

Il dit encore : « Sache, roi, que je vois d’après ta haute étoile, que tu conquerras la Perse, que tu t’en empareras, et que les chefs persans se révolteront contre leur roi et se soumettront à toi. Mais cela arrivera après une longue lutte qui sera désespérée. »

Puis il ajouta : « J’ai fait pour toi quatre talismans, dont l’un te conservera avec ton armée, n’importe où tu voudras t’arrêter, et il te gardera contre les assauts inattendus ; il détruira les embûches des ennemis et les détournera de toi. Le second te servira pour t’emparer des villes et des forteresses, même de celles qui paraîtront inabordables par leur situation sur les montagnes élevées ; tu mettras ce talisman du côté oriental de telle ville ou de telle forteresse, et leurs portes s’ouvriront devant toi et l’on se soumettra volontiers à ta puissance. Le troisième est pour l’eau. Tu le poseras dans une grotte ou au désert, quel qu’il soit, où l’eau manquera, et il en jaillira immédiatement une source suffisante pour ton armée et tes bêtes. Le quatrième est contre toutes sortes de maladies qui ne pourront t’atteindre, ni toi, ni tes bêtes. »

Puis il lui dit :

« Tu as besoin de quatre amulettes. L’une d’elles est la pierre de ta bague ; celui qui te regardera en fait d’hommes ou de démons, devra t’obéir. La seconde amulette est contre la pluie, le froid et la neige que ton armée rencontrera en route. Dans ces cas, tu n’auras qu’à lever cette amulette vers le ciel dans la paume de ta main, et rien de tout cela ne te touchera ni toi ni tes hommes.

« Tu porteras la troisième sur toi pendant le combat, et alors ni les glaives ni les lances ne pourront te nuire.

« La quatrième retiendra ton armée de la passion pour les femmes, car le libertinage dans l’armée est un trop grand mal, dont on ne peut ni se corriger ni atténuer les mauvais effets, et dont l’ennemi profite souvent pour en arriver à ses fins. »

Aristote lui fit un grand coffre où il mit des statues qui représentaient ses ennemis ; les uns tenaient en main des sabres recourbés en plomb ; d’autres — des lances renversées. Il les cloua toutes dans le coffre, la face contre terre, et les lia avec des chaînes de fer en lui disant de répéter continuellement les conjurations qu’il lui avait enseignées.

« Sache, ô roi », lui dit-il encore, « que je vois d’après ta haute étoile que tu vaincras les rois et augmenteras tes richesses. Voilà tout ce que je vois concernant la force de ton étoile, l’élévation de ton empire et la grandeur de ta mission. Va, avec l’aide et la bénédiction de Dieu qui t’accordera le succès et la conquête de tes ennemis ».

Aristote n’est pas allé lui-même avec Alexandre, mais il envoya à sa place Philémon, un de ses disciples les plus intelligents, pour qu’il veillât à l’exécution exacte de toutes ses recommandations.

Ne pouvant entrer en détails trop longs, disons, en quelques mots, qu’Alexandre ayant rassemblé son armée, marcha contre Darius, le roi de Perse. Ayant eu vent de l’expédition d’Alexandre, ce dernier se fortifia et entoura sa ville de cinq fossés. Il confia le commandement de chaque fossé à douze mille hommes. Lorsque Alexandre eut appris que Darius s’était entouré de fossés et voulait combattre derrière les murs de la ville, il lui envoya dire : « sors avec ton armée et combattons face à face ; et Dieu accordera la victoire à celui qu’il voudra vainqueur ».

Darius, sentant qu’il serait honteux de ne point sortir de la ville, en sortit avec son armée, et il s’engagea un combat acharné, pendant lequel il fut tué beaucoup d’hommes de part et d’autre.

Alexandre voyait que son armée cédait, et que l’ennemi, grâce à la supériorité du nombre, était sur le point de remporter la victoire ; il déclara alors à son armée qu’il élèverait au-dessus des plus hauts dignitaires de l’État, celui qui tuerait Darius. Dès que les soldats de Darius apprirent ceci, deux d’entre eux se jetèrent sur lui et le tuèrent pendant le combat, pour se venger de ce qu’il avait fait exécuter leurs fils, jadis, pour des crimes quelconques. Ils passèrent aussitôt dans l’armée d’Alexandre et lui déclarèrent leur exploit. Après la mort de Darius son armée l’abandonna et se mit en fuite, en le laissant par terre avec un reste de vie. Alexandre, l’ayant trouvé, le reconnut, descendit de cheval, s’assit auprès de lui et lui dit :

« Je remercie les dieux que tu n’aies pas été tué par les miens ; il paraît que c’était écrit par Dieu. Ne veux-tu pas me charger de quelque mission ? ? » Darius répondit : « Oui, je veux que tu me venges de mes assassins, car si tu les laisses vivre ils agiront avec toi comme ils ont agi avec moi. Et je voudrais que tu épousasses ma fille et que tu eusses soin de ma mère ». Alexandre y consentit et Darius mourut.

Après avoir enterré Darius avec pompe, Alexandre appela ses ministres, les tranquillisa et les laissa à leur poste. Puis il épousa la fille de Darius et entoura sa mère des soins les plus tendres. Quant à ses assassins, il les fit crucifier sur un endroit élevé, pour les punir de leur trahison envers leur souverain. L’historien dit : lorsque Alexandre se fut emparé de tout l’Empire Perse, il en invita les dignitaires et causa avec eux. Leur érudition et leur énergie provoquèrent son admiration, au point qu’il écrivit à Aristote :

« J’ai trouvé dans les dignitaires de la Perse des hommes d’un esprit éclairé, d’une vive imagination, d’une raison saine, d’une énergie et d’un courage étonnants. Tout cela est garant de leur capacité administrative. J’ai donc pris la décision de les tuer l’un après l’autre. Fais-moi connaître ton opinion là-dessus. » Aristote répondit ce qui suit : « Si tu as le pouvoir de les tuer, tu n’as pas de pouvoir sur l’air et l’eau de leur pays. Tu ferais donc mieux de les vaincre par tes bienfaits et ta bienveillance, afin de gagner leur affection et leur dévouement ».

Alexandre suivit ce conseil.

De la Perse il passa à Babylone qu’il attaqua et conquit.

Puis il rapprocha de sa personne quelques-uns des dignitaires de ce pays, après quoi il envoya un messager à Aristote pour lui demander ses conseils.

Aristote réfléchit quelque temps, puis il alla au jardin avec le messager et se mit à déraciner de vieux arbres et à en planter de jeunes. Puis il dit au messager : « Va et raconte à Alexandre ce que j’ai fait de ces arbres, et dis-lui que toute maladie a son remède ».

Le messager transmit à Alexandre ce qu’il avait vu et entendu, et ce dernier comprit l’allusion. Après cela, il commença à éloigner graduellement les anciens fonctionnaires du pays et à les remplacer par des jeunes gens de son armée. Dès lors, ce système, devenu célèbre, a été adopté par tous les souverains.

De là, Alexandre se porta sur l’Inde. Avant de commencer la guerre, il y envoya des messagers chargés d’inviter les Hindous à reconnaître sa suzeraineté et à lui envoyer un tribut annuel. Mais ils refusèrent.

Alors, il y conduisit ses armées. Lorsque le combat commença, Alexandre vit devant lui une armée nombreuse sur le front de laquelle s’avançaient des éléphants montés par plusieurs hommes. Les cavaliers d’Alexandre s’effrayèrent quand ils virent les éléphants se ruer sur eux, et son armée se dispersa. Alexandre demanda conseil à ses dignitaires au sujet des éléphants. Ils lui conseillèrent de faire faire des éléphants en cuivre et en fer creux et de les mettre sur des roues. Il suivit ce conseil ; il ordonna en secret de préparer la construction de ces éléphants et en confia la charge à quelques officiers. Dans cet intervalle il écrivit au roi des Indes, voulant le tromper, et l’autre faisant de même. Chacun des deux voulait tromper l’autre. En même temps, le roi des Indes écrivait à d’autres rois avoisinants pour les informer de la venue d’Alexandre et les prier de venir à son aide, en les conjurant de se réunir et à être tous comme un seul homme, contre Alexandre. Il disait que, s’ils se divisaient, Alexandre marcherait contre chacun d’eux séparément, les vaincrait l’un après l’autre et les chasserait de leurs royaumes. Ils y consentirent et se préparèrent à la guerre. Quelques-uns d’entre eux, comme le roi de l’extrême Chine, celui de la Chine plus rapprochée, le roi de Sind et celui de Coniane, arrivèrent auprès de lui avec leurs armées.

Pendant ce temps, les éléphants commandés par Alexandre furent prêts. Le roi de Sind demanda son alliance, à laquelle Alexandre consentit. Puis il avança avec ses armées et s’arrêta sur un plateau élevé qui domine la capitale des Indes. Il ordonna de remplir ses éléphants de bois et d’allumer ce bois.

Le lendemain matin, ils étaient noirs et ressemblaient parfaitement à de vrais éléphants ; il les fit pousser sur des roues en fer et les fit conduire par des chaînes de même métal sur le devant de son armée.

Un mercredi de la vingt-et-unième année du règne d’Alexandre, les deux armées se rencontrèrent.

Lorsque les vrais éléphants de l’armée hindoue virent les éléphants d’Alexandre, ils se ruèrent sur eux, mais ils se brûlèrent et prirent la fuite, suivis de toute l’armée hindoue.

Le lendemain, jeudi, Alexandre appela ses dignitaires et leur dit : « Vous savez le nombre des soldats de l’armée ennemie ? »

Ils lui conseillèrent de remettre le combat à sept jours, pour préparer une petite ruse. Ce désir fut aussi celui du roi des Indes et de ses alliés.

Pendant cet armistice, les soldats d’Alexandre en traient en relations avec les soldats du roi des Indes, comme d’ordinaire. Les premiers dirent aux derniers :

« Notre Alexandre est jeune et inexpérimenté dans les guerres ; à part cela, il est faible et petit de taille, et ne ressemble pas à votre roi qui est célèbre par sa bravoure. Vous feriez bien de lui conseiller de provoquer notre roi en duel ; celui qui vaincra l’autre sera le vainqueur en cette guerre, tandis que vous et nous, nous nous reposerons de toutes les fatigues que nous avons eues à supporter ».

Ce conseil parut excellent à leur roi et ce dernier envoya provoquer Alexandre, qui y consentit volontiers.

Quand les armées se furent rangées en bataille et que les deux rois s’avançaient déjà pour se rencontrer en combat singulier, Alexandre dit au roi des Indes :

« Qu’est-ce que cela ? Tu as amené avec toi des aides ?

« Ce n’était pas dans nos conditions ».

Ce dernier se tourna pour regarder et Alexandre en profita pour lui donner un coup de lance, et il le tua, ce qui mit l’armée en fuite.

Alexandre s’empara de la capitale de l’Inde et fit prisonniers tous les princes qui étaient venus à l’aide du roi ennemi. Il leur imposa un tribut annuel, à chacun selon la richesse de son pays, après quoi il fit une alliance avec eux et les laissa partir, tandis qu’il confiait la capitale des Indes et tout le pays à l’un de ses dignitaires, en le chargeant de lui envoyer tous les ans un certain tribut. Après cela il continua sa marche.

L’historien dit : « Alexandre fit beaucoup d’invasions et conquit sept contrées, et arriva jusqu’au mont Kaf, auprès du lever du soleil, et entra dans les ténèbres ».

Il conquit toutes les contrées de l’Orient et de l’Occident et tous leurs rois ; il agrandit le nombre de ses armées jusqu’à le porter à six cent mille soldats, construisit une quantité de villes en Orient et en Occident, et en Égypte il construisit la ville qui porte son nom, il creusa des canaux, bâtit des ponts et des aqueducs, tua trente-cinq rois et s’empara de leurs royaumes.

Puis il revint à Babylone pour étudier son État et y mettre ses affaires en ordre.

Mais ici, il fut empoisonné. On dit que ce fut son préfet de Macédonie qui lui fit prendre du poison. La raison en est que la mère d’Alexandre, dans une lettre, s’était plainte de lui. Alexandre en fut courroucé et voulut le condamner à mort. Le préfet en ayant eu vent, envoya son fils à Alexandre avec de grands cadeaux, il lui donna aussi un poison mortel en lui ordonnant de trouver le moyen de le faire prendre à Alexandre.

Arrivé à Babylone, le jeune homme présenta à Alexandre les cadeaux dont il était porteur. Il apporta un beau présent à l’échanson du roi qui lui aussi, cachait dans son cœur une sourde colère contre son maître qui l’avait offensé.

Il s’entendit avec le jeune homme et lui prit le poison qu’il mêla au vin présenté à Alexandre, et celui-ci but, étant en état d’ivresse.

Lorsqu’il revint à lui, il sentit l’effet du poison et écrivit à sa mère pour la consoler :

« Sache, ô ma mère, que notre vie sur cette terre ressemble à un songe passager ; l’un suit l’autre. Arme-toi donc de patience. Rejette ta peur et prépare un grand festin auquel tu inviteras beaucoup de monde. Quand les hôtes se seront rassemblés, fais déclarer que personne ne touchera aux plats si ce n’est les malheureux. Tu sauras alors combien cela donne de consolation ».

Après avoir cacheté la lettre, il l’envoya à sa mère. Il ordonna a son ministre Philémon de se hâter de revenir avant sa mort.

Il mourut dans l’espace de quelques jours.

La mère d’Alexandre, se conformant au désir de son fils, organisa un grand festin et ordonna que personne n’y mangeât excepté les malheureux.

Et en effet, personne ne toucha aux mets, si ce n’est les malheureux. Elle apprit alors qu’il n’existe presque pas d’heureux sur la terre, et voyant qu’elle n’était pas seule malheureuse, elle se consola. Philémon, après avoir fait embaumer le corps d’Alexandre, le déposa dans un sarcophage en or.

Pendant le transport du sarcophage à Alexandrie, les abeilles y firent une ruche, y travaillant jour et nuit.

À Alexandrie, le peuple entoura le sarcophage, et Aristote et d’autres philosophes grecs prononcèrent des discours, chacun selon son inspiration.

Avant tous, Aristote prit la parole. Il se tenait devant le sarcophage d’Alexandre, bel exemple de vanité et du néant de ce monde. Il dit :

« Un monde qui finit ainsi est digne de mépris ! Antinous dit : Ce chemin est inévitable. Cherchez donc la vie éternelle et abandonnez celle qui est passagère.

Salomon dit : Voici le jour en lequel le mal que l’on n’attendait pas est survenu, tandis que le bien que l’on attendait s’est éloigné.

Platon dit : Ô toi, qui accumules des richesses, la boue de ce que tu as rassemblé s’est collée à toi, et le plaisir en a été pour d’autres.

Diogène dit : Alexandre a vécu parmi nous dans le silence, et sa mort nous vaut un discours.

Jaros dit : En ce jour le troupeau garde son pasteur.

Libnon dit : En ceci, il y a une grande leçon. L’or qui était hier le trésor d’Alexandre, a servi aujourd’hui pour l’y enfermer.

Un autre dit : Tu seras bientôt suivi de celui que ta mort a réjoui, comme tu as suivi, en ce jour, celui dont la mort t’a réjoui.

Un autre dit : Alexandre nous a aimés de son vivant et nous avons perdu en lui notre soutien.

Un autre dit : Hier nous pouvions t’écouter sans oser parler devant toi. Aujourd’hui, nous parlons sans pouvoir t’entendre.

Un autre dit : Cet homme a fait périr quantité d’hommes, par ambition, mais en mourant il a dû céder son pouvoir à d’autres.

Un autre dit : La vie d’Alexandre n’a pas été aussi édifiante que sa mort.

Un autre dit : Ô toi, dont la colère portait la mort ! Peux-tu exprimer ta colère contre la mort ?

Un autre dit : Tes forteresses ont tremblé à ta mort, tandis que celles de tes ennemis en ont été fortifiées.

Un autre dit : Ô peuples ! Ne pleurez pas Alexandre ! mais pleurez sur vous-mêmes !

Un autre dit : Tu ne te contentais pas de la largeur du monde, comment supportes-tu l’étroitesse du tombeau ?

Un autre dit : Tu étais heureux et tu es devenu bienheureux.

Un autre : Les simples mortels trouvent dans la mort l’égalité avec les rois, et les rois reçoivent une leçon par la mort des simples mortels.

Un autre : Tu étais heureux et ton empire était grand. À présent ton nom et ton règne sont tombés.

Un autre : Tu pouvais être bienfaisant dans la vie, tandis qu’aujourd’hui l’on dit : Que Dieu soit miséricordieux envers celui qui a été bienfaisant lorsqu’il en avait le pouvoir.

Un autre : Hier, tout le monde te craignait, tandis qu’aujourd’hui personne ne te craint plus. Quand tout le monde eut cessé de parler, sa femme, la fille de Darius, s’avança et dit, en mettant sa main sur le bord du sarcophage :

« Je ne pensais pas, ô roi, que la mort vaincrait celui qui a brisé le pouvoir de Darius. »

Puis sa mère s’approcha et dit, en appuyant sa joue sur le sarcophage :

« Vous avez prononcé beaucoup de paroles consolantes. Ce que je craignais pour Alexandre est arrivé ! Et rien ne nous est resté, ni conquêtes, ni royaumes ! Il faut donc se retirer du monde avant qu’il ne nous quitte. J’accepte vos consolations et j’ordonne de l’ensevelir. »

Et il fut enseveli à Alexandrie. C’était à la fin de l’an cinq mille deux cent soixante-treize de la création du monde.

Un des papes de Rome dit dans son histoire qu’Alexandre a vécu soixante-douze ans, dont seize avant de régner et soixante-six étant roi !

Mais Saïd ben Batrique et Diméchki disent qu’il a vécu trente-deux ans, dont seize avant de régner et seize sur le trône. L’auteur du livre « Mébdâ » dit qu’Alexandre est monté sur le trône jeune et a régné pendant mille ans, dans le courant desquels il a conquis tous les pays de la terre.

Un autre dit qu’il a commencé à régner à quarante ans et qu’il a vécu cinquante-six ans.

L’historien dit qu’Alexandre a divisé son Empire de son vivant entre quatre de ses généraux : Ptolémée Kyliadakis, auquel il donna l’Égypte jusqu’à l’Occident ; Philothée, auquel il donna la Macédonie et les contrées grecques environnantes. C’est le même Philothée qui avait fait empoisonner Alexandre par son fils.

Il donna à Démétrius l’Asie et la Syrie; et à Séleucus la Perse jusqu’aux extrémités de l’Orient.

Du vivant du roi, ils gouvernaient ces contrées au nom du roi, et après sa mort chacun d’eux s’appropria le pays qu’il gouvernait et s’en fit roi.


Que Dieu soit béni éternellement.