Réflexions critiques sur la poésie et la peinture/I/38

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Pierre Jean Mariette (Première partiep. 351-386).

PARTIE 1 SECTION 38


que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité.

nos poëtes françois sont donc à plaindre lorsqu’on veut leur faire essuïer la comparaison des poëtes latins qui avoient tant de secours et tant de facilitez pour faire mieux qu’il n’est possible de faire aux poëtes françois. Ils pourroient dire ce que Quintilien répond pour les poëtes latins aux critiques qui auroient voulu exiger des écrivains latins, qu’ils plussent autant que les écrivains grecs. Rendez donc notre langue aussi feconde en expressions et aussi agréable dans la prononciation, que la langue de ceux que vous pretendez que nous devions égaler pour meriter votre estime. L’architecte qui ne sçauroit bâtir qu’avec de la brique, ne peut pas

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élever un édifice qui plaise autant que s’il pouvoit le bâtir avec de la pierre et avec du marbre. Nos peintres sont en cela bien plus heureux que nos poëtes. Les peintres qui travaillent aujourd’hui emploïent les mêmes couleurs et les mêmes instrumens qu’ont emploïez les peintres, dont on peut opposer les ouvrages à ceux qu’ils font tous les jours. Nos peintres, pour ainsi dire, composent dans la même langue que parloient leurs prédécesseurs. En parlant des peintres les prédécesseurs des nôtres, je n’entends point parler des peintres du tems d’Alexandre Le Grand et de ceux du tems d’Auguste. Nous ne sçavons pas assez distinctement les détails de la mécanique de la peinture antique, pour en faire un paralelle avec la mécanique de la peinture moderne. Par les peintres prédécesseurs des nôtres, j’entends parler seulement des peintres qui se sont produits depuis le renouvellement des lettres et des beaux arts. Je ne sçache point qu’il soit venu jusques à nous aucun tableau des peintres de l’ancienne Grece. Ceux qui nous restent des peintres de l’ancienne Rome, sont en si petite quantité, et ils sont encore d’une espece telle, qu’il est bien

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difficile de juger sur l’inspe ction de ces tableaux de l’habileté des meilleurs ouvriers de ce tems-là, ni des couleurs qu’ils emploïoient. Nous ne pouvons point sçavoir positivement s’ils en avoient que nous n’aïons plus ; mais il y a beaucoup d’apparence qu’ils n’avoient point les couleurs que nos ouvriers ne tirent que de l’Amérique et de quelques autres païs où l’Europe n’a un commerce reglé que depuis deux siécles. Un grand nombre des morceaux de la peinture antique qui nous reste, est executé en mosaïque, c’est-à-dire, en peinture faite avec de petites pierres coloriées, et des aiguilles de verre compassées et rapportées ensemble, de maniere qu’elles imitent dans leur assemblage le trait et la couleur des objets qu’on a voulu representer. On voit par exemple dans le palais que les barberins ont fait bâtir dans la ville de Palestrine, à vingt-cinq milles de Rome, un grand morceau de mosaïque qui peut avoir douze pieds de long sur dix pieds de hauteur, et qui sert de pavé à une espece de grande niche, dont la voute soutient les deux rampes separées, par lesquelles on monte au premier palier du principal escalier de ce bâtiment. Ce superbe

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morceau est une espece de carte géographique de l’égypte, et, à ce qu’on prétend, le même pavé que Sylla avoit fait placer dans le temple de la fortune Prénestine, et dont il est parlé dans le vingt-cinquiéme chapitre du trente-sixiéme livre de l’histoire de Pline. Il se voit gravé en petit dans le latium du pere Kircher ; mais en mil sept cens vingt-un le cardinal Charles Barberin le fit graver en quatre grandes feüilles. L’ouvrier ancien s’est servi pour embellir sa carte de plusieurs especes de vignettes telles que les géographes en mettent pour remplir les places vuides de leurs cartes. Ces vignettes representent des hommes, des animaux, des bâtimens, des chasses, des ceremonies et plusieurs points de l’histoire morale et naturelle de l’égypte ancienne. Le nom des choses qui y sont dépeintes, est écrit au-dessus en caracteres grecs, à peu près comme le nom des provinces est écrit dans une carte generale du royaume de France. Le Poussin s’est servi de quelques-unes de ces compositions pour embellir plusieurs de ses tableaux, entr’autres celui qui represente l’arrivée de la sainte famille en égypte. Ce grand peintre vivoit

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encore quand cette superbe mosaïque fut déterrée des ruines d’un temple de Serapis, qui devoit être, pour parler à notre maniere, une chapelle du temple celebre de la fortune Prenestine. Tout le monde sçait que l’ancien Prenesté est la même ville que Palestrine. Par bonheur elle ne fut tirée très-entiere et très-bien conservée ; mais malheureusement pour les curieux, elle ne sortit de son tombeau que cinq ans après que M Suarez évêque de Vaissons eut fait imprimer son livre proenestes antiquae libri duo. La carte dont je parle étoit alors ensevelie dans les caves de l’évêché de Palestrine où elle étoit comme invisible. On en appercevoit seulement quelque chose à force d’en laver les endroits qui étoient déja découverts, et l’on ne les voïoit encore qu’à la clarté des flambeaux. Ainsi M Suarez n’a pu nous donner dans son ouvrage que la description de quelques morceaux que le cavalier Del Pozzo avoit fait dessiner sur les lieux. On voit encore à Rome et dans plusieurs endroits de l’Italie des fragmens

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de mosaïque antique, dont la plûpart ont été gravez par Pietro Santi Bartoli, qui les a inserez dans ses differens recueils. Mais pour plusieurs raisons on jugeroit mal du pinceau des anciens, si l’on vouloit en juger sur ces mosaïques. Les curieux sçavent bien qu’on ne rendroit pas au Titien la justice qui lui est duë, si l’on vouloit juger de son merite par celles des mosaïques de l’église de saint Marc de Venise, qui furent faites sur les desseins de ce maître de la couleur. Il est impossible d’imiter avec les pierres et les morceaux de verre dont les anciens se sont servi pour peindre en mosaïque toutes les beautez et tous les agrémens que le pinceau d’un habile homme met dans un tableau, où il est maître de voiler les couleurs et de faire sur chaque point physique tout ce qu’il imagine, tant par rapport aux traits que par rapport aux teintes. En effet les mosaïques sur lesquelles on se recrie davantage, celles qu’on prend d’une certaine distance pour des tableaux faits au pinceau, sont des mosaïques copiées d’après de simples portraits. Tel est le portrait du pape Paul Cinquiéme, qu’on voit à Rome au palais Borghese. Il ne reste dans Rome même qu’un

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petit nombre de peintures antiques faites au pinceau. Voici celles que je me souviens d’y avoir vûës. En premier lieu la nopce de la vigne Aldobrandine, et les figurines de la pyramide de Cestius. Il n’y a point de curieux, qui du moins n’en ait vû des estampes. En second lieu les peintures qui sont au palais Barberin dans Rome, et qui furent trouvées dans des grottes soûterraines lorsqu’on jetta les fondemens de ce palais. Ces peintures sont le paysage ou le nymphée dont Lucas Holstenius a publié l’estampe avec une explication qu’il avoit faite de ce tableau, la Venus retouchée par Carle Maratte, et une figure de Rome qui tient le palladium. Les connoisseurs qui ne sçavent pas l’histoire de ces deux fresques, prennent l’une pour être de Raphaël, et l’autre pour être du Correge. On voit encore au palais Farnese un morceau de peinture antique, trouvé dans la vigne de l’empereur Adrien à Tivoli, et un reste de plafonds dans le jardin d’un particulier auprès de s Gregoire. On a trouvé depuis la premiere édition de cet ouvrage plusieurs autres peintures antiques dans la vigne Farnese sur le mont Palatin, mais monsieur le duc de Parme à qui elle appartient,

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ne les a point fait encore graver. On voïoit aussi il y a quelque tems plusieurs morceaux de peintures antiques dans les bâtimens qui sont compris vulgairement sous le nom des ruines des thermes de Titus ; mais les uns sont peris, comme le tableau qui representoit Coriolan, que sa mere persuadoit de ne point venir attaquer Rome, et dont le dessein fait par Annibal Carrache, et qui a été gravé, est aujourd’hui entre les mains de Monsieur Crozat le cadet ; les autres ont été enlevez. C’est de là que le cardinal Massimi avoit tiré les quatre morceaux qui passent pour representer l’histoire d’Adonis, et deux autres fragmens. Ces sçavantes reliques sont passées à sa mort entre les mains du marquis Massimi, et l’on en voit les estampes dans le livre de M De La Chausse intitulé : le pitture antiche delle grotte di Roma. Cet auteur a donné dans ce livre plusieurs desseins de peintures antiques qui n’avoient pas encore été rendus publics, et entr’autres le dessein du plafonds d’une chambre qui fut déterrée auprès de saint étienne in rotunda en mil sept cens cinq, c’est-à-dire, une année avant l’édition de son ouvrage. La figure de femme peinte sur un

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morceau de stuc qui étoit chez le chanoine Vittoria, est presentement à Paris chez M Crozat le jeune. Quant à ce qui reste dans les thermes de Titus il n’y a plus que des peintures à demi effacées, le pere De Montfaucon nous a donné l’estampe du morceau le plus entier qui s’y voïe, et qui represente un paysage. On voïoit encore en mil sept cens deux dans les ruines de l’ancienne Capouë, éloignée d’une lieuë de la ville moderne de Capouë, une gallerie enterrée, en latin Cripto-Porticus, dont la voute étoit peinte, et representoit des figures qui se joüoient dans differens ornemens. En 1709 le prince Emmanuel D’Elbeuf en faisant travailler à sa maison de campagne, située entre Naples et le mont Vesuve, sur le bord de la mer, trouva un bâtiment orné de peintures antiques ; mais je ne sçache point que personne ait publié le dessein de ces peintures, non plus que le dessein de celles de la vieille Capouë. Je ne connois point d’autres peintures antiques faites au pinceau et qui subsistent encore aujourd’hui, que les morceaux dont je viens de parler. Il est vrai

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que depuis deux siecles on en a déterrez un bien plus grand nombre, soit dans Rome, soit dans d’autres endroits de l’Italie ; mais je ne sçai par quelle fatalité, la plûpart de ces peintures sont peries, et il ne nous en est demeuré que les desseins. Le cardinal Massimi avoit fait un très-beau recueil de ces desseins, et par une avanture bizarre, c’étoit d’Espagne qu’il avoit rapporté à Rome les plus grandes richesses de son recueil. Durant sa nonciature il y avoit fait copier un porte-feüille qui étoit dans le cabinet du roi d’Espagne, et qui contenoit le dessein de plusieurs peintures antiques, qui furent trouvées à Rome lorsqu’on commença durant le seiziéme siecle à y foüiller avec ardeur dans les ruines, pour y chercher des débris de l’antiquité. Le cavalier Del Pozzo, dont le nom est si celebre parmi les amateurs de la peinture, le même pour qui le Poussin peignit ses premiers tableaux des sept sacremens, avoit fait aussi un très-beau recueil de desseins d’après les peintures antiques que le pape Clement Xi a acheté depuis quelques années pour le mettre dans la bibliotheque particuliere qu’il s’est formée. Mais presque toutes les peintures d’après

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lesquelles ces desseins furent faits, sont peries. Celles du tombeau des Nasons qu’on déterra près de Pontemole en 1674 ne subsistent déja plus. Il ne nous est resté des peintures de ce mausolée, que les copies coloriées qui furent faites pour M Colbert et pour le cardinal Massimi, et les estampes gravées par Pietro Santi Bartoli, qui font avec les explications du Bellori un volume in folio imprimé à Rome. à peine demeuroit-il il y a déja trente ans quelques vestiges des peintures originales, quoiqu’on eut eu l’attention de passer dessus une teinture d’ail, qui est si propre à conserver les fresques. Malgré cette précaution elles se sont détruites d’elles-mêmes. Les antiquaires prétendent que c’est la destinée de toutes les peintures anciennes, qui durant un grand nombre d’années ont été enterrées en des lieux si bien étouffez, que l’air exterieur ait été long-temps sans pouvoir agir sur elles. Cet air exterieur les détruit aussitôt qu’elles redeviennent exposées à son action, au lieu qu’il n’endommage les peintures enterrées en des lieux où il avoit conservé un libre accès, que comme

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il endommage tous les tableaux peints à fresque. Ainsi les peintures qu’on déterra il y a vingt ans à la vigne Corsini bâtie sur le Janicule, devoient durer encore long-tems. L’air exterieur s’étoit conservé un libre accès dans les tombeaux dont elles ornoient les murailles ; mais par la faute du proprietaire elles ne subsisterent pas long-temps. Heureusement nous en avons les estampes gravées par Bartoli. Cette avanture n’arrivera plus desormais. Le pape Clement Xi qui avoit beaucoup de goût pour les arts, et qui aimoit les antiquitez, n’aïant pu empêcher la destruction des peintures de la vigne Corsini sous le pontificat d’un autre, n’a point voulu que les curieux pussent reprocher au sien de pareils accidens, qui sont pour eux des malheurs signalez. Il fit donc rendre un édit dès le commencement de son regne par le cardinal Jean-Baptiste Spinola, camerlingue du saint siege, qui défend à tous les proprietaires des lieux où l’on aura trouvé quelques vestiges de peinture antique, de démolir la maçonnerie où elles seroient attachées, sans une permission expresse. On conçoit bien qu’on ne peut sans

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temerité entreprendre un para lelle de la peinture antique avec la peinture moderne, sur la foi des fragmens de la peinture antique, qui ne subsistent plus qu’endommagez du moins par le tems. D’ailleurs ce qui nous reste et ce qui étoit peint à Rome sur les murailles, n’a été fait que long-tems après la mort des peintres celebres de la Grece. Or il paroît par les écrits des anciens, que les peintres qui ont travaillé à Rome sous Auguste et sous ses premiers successeurs, étoient très-inferieurs à Zeuxis et à ses illustres contemporains. Pline qui composoit son histoire sous Vespasien, et quand les arts avoient atteint déja le plus haut point de perfection, où ils soient parvenus sous les empereurs, ne cite point parmi les tableaux qu’il compte pour un des plus grands ornemens de la capitale de l’univers, aucun tableau qu’il donne lieu de croire avoir été fait du tems des césars. On ne sçauroit donc asseoir sur les fragmens de la peinture antique qui nous restent, aucun jugement certain concernant le dégré de perfection où les anciens pourroient avoir porté ce bel art. On ne sçauroit même décider par ces fragmens du dégré de perfection où la peinture pouvoit être

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lorsqu’ils furent faits. Avant que de pouvoir juger sur un certain ouvrage de l’état où l’art étoit lorsque cet ouvrage a été fait ; il faudroit sçavoir positivement en quelle estime l’ouvrage a été dans ce tems-là, et s’il y a passé pour un ouvrage excellent en son genre. Quelle injustice, par exemple, ne feroit-on pas à notre siecle, si l’on jugeoit un jour de l’état où la poësie dramatique auroit été de notre tems sur les tragedies de Pradon, ou sur les comedies de Hauteroche ? Dans les tems les plus féconds en artisans excellens, il se rencontre encore un plus grand nombre d’artisans médiocres. Il s’y fait encore plus de mauvais ouvrages que de bons. Or nous courerions le risque de prononcer sur la foi d’un de ces ouvrages médiocres, si, par exemple, nous voulions juger de l’état où la peinture étoit à Rome sous Auguste, par les figures qui sont dans la pyramide de Cestius ; quoiqu’il soit très-probable que ces figures peintes à fresque aïent été faites dans le temps même que le mausolée fut elevé, et par consequent sous le regne de cet empereur. Nous ignorons quel rang pouvoit tenir entre les peintres de son tems l’artisan qui les fit, et

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ce qui se passe auj ourd’hui dans tous les pays nous apprend suffisamment que la cabale fait distribuer souvent les ouvrages les plus considerables à des artisans très-inferieurs à ceux qu’elle fait négliger. Nous pouvons bien comparer la sculpture antique avec la nôtre, parce que nous sommes certains d’avoir encore aujourd’hui les chefs-d’ œuvres de la sculpture grecque, c’est-à-dire, ce qui s’est fait de plus beau dans l’antiquité. Les romains dans le siecle de leur splendeur, qui fut celui d’Auguste, ne disputerent aux illustres de la Grece que la science du gouvernement. Ils les reconnurent pour leurs maîtres dans les arts, et nommément dans l’art de la sculpture. Pline est du même sentiment que Virgile. Mais ce qu’il y avoit de plus pretieux dans la Grece avoit été apporté à Rome, et nous sommes certains d’avoir

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encore aujourd’hui les plus beaux ouvrages qui fussent dans cette capitale du monde après qu’elle eut été enrichie des chef-d’ œuvres les plus précieux, nez sous le cizeau des grecs. Pline nous dit que la statuë d’Hercule, qui présentement est dans la cour du palais Farnese, étoit reputée quand il écrivoit, et Pline écrivoit quand Rome avoit déja dépoüillé l’orient, l’un des beaux morceaux de sculpture qui fussent à Rome. Ce même auteur nous apprend encore que le Laocoon qu’on voit aujourd’hui dans une cour du palais de Belvéder, étoit le morceau de sculpture le plus précieux qui fut à Rome de son temps. Le caractere que Pline donne à ces statuës, les lieux où il nous dit qu’elles étoient dans le temps qu’il écrivoit, et qui sont les mêmes que les lieux où elles ont été déterrées depuis deux siecles, rendent constant malgré les scrupules de quelques antiquitaires, que les statues que nous avons sont les mêmes dont Pline a parlé. Ainsi nous sommes en état de juger si les anciens nous ont surpassez dans l’art de la sculpture. Pour me servir de cette phrase, les parties au procès ont produit leurs titres.

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Or je n’entendis jamais prononcer en faveur des sculpteurs modernes. Je n’entendis jamais donner la préference au Moïse de Michel Ange sur le Laocoon du Belvéder. J’avoüerai après cela qu’il seroit imprudent de soûtenir que les peintres de l’antiquité grecque et romaine aïent surpassé nos peintres, parce que les sculpteurs anciens ont surpassé les sculpteurs modernes. La peinture et la sculpture, il est vrai, sont deux sœurs, mais elles ne sont pas dans une union si parfaite, que toutes leurs destinées leur soient communes. La sculpture, bien que la cadette, peut laisser derriere elle sa sœur aînée. Il ne seroit pas moins témeraire de décider la question sur ce que nos tableaux ne font point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois : suivant les apparences, les récits des écrivains qui nous racontent ces effets sont exagerez, et nous ne sçavons pas même ce qu’il en faudroit rabattre pour les réduire à l’exacte verité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de l’art de la peinture peut avoir euë dans l’impression qu’on veut que certains tableaux aïent fait sur les spectateurs. Les premiers tableaux,

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quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L’admiration pour un art naissant fait tomber aisément dans l’exageration ceux qui parlent de ses productions, et la tradition en recueillant ces récits outrez, aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu’elle ne les a reçus. On trouve même dans les écrivains anciens des choses impossibles données pour vraïes, et des choses ordinaires traitées de prodiges. Sçavons-nous d’ailleurs quel effet auroient produit sur des hommes aussi sensibles et aussi disposez à se passionner que l’étoient les compatriotes des anciens peintres de la Grece, plusieurs tableaux de Raphaël, de Rubens et d’Annibal Carrache ? Enfin on ne sçauroit donner une idée un peu précise des tableaux à ceux qui ne les ont pas vûs absolument, et qui ne connoissent pas la maniere du peintre qui les a faits, que par voïes de comparaison. Nous-mêmes, lorsque nous parlons à quelqu’un des tableaux d’un peintre qu’il ne connoît pas, nous sommes poussez par l’instinct à nous servir de cette voïe de comparaison. Nous donnons l’idée du peintre inconnu en le comparant aux peintres connus, et cette voïe est

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la meilleure voïe de description quand il s’agit des choses qui tombent sous le sentiment. Il colorie à peu près comme un tel, disons-nous, il dessine comme celui-là ; il compose comme l’autre. Or nous n’avons pas sur les ouvrages des anciens peintres de la Gréce, le sentiment de personne qui ait vû les ouvrages de nos peintres modernes. Nous ne sçavons pas même quelle comparaison on pouvoit faire autrefois entre les fragmens de la peinture antique qui nous restent, et les beaux tableaux des peintres de la Gréce qui ne subsistent plus. Les écrivains modernes qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus sçavans sans nous rendre plus capables de juger la question de la superiorité des peintres de l’antiquité sur les peintres modernes. Ces écrivains se sont contentez de ramasser les passages des auteurs anciens qui parlent de la peinture, et de les commenter en philologues, sans les expliquer par l’examen de ce que nos peintres font tous les jours, et même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Je pense donc que pour se former une idée aussi distincte de la

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peinture antique qu’il soit possible de l’avoir, il faut considerer séparément ce que nous pouvons sçavoir de certain sur la composition, sur l’expression et sur le coloris des peintres de l’antiquité. Nous avons crû à propos de diviser l’ordonnance en composition pittoresque et en composition poëtique. Quant à la composition pittoresque, il faut avoüer que dans les monumens qui nous restent, les peintres anciens ne paroissent pas superieurs, ni même égaux à Raphaël, à Rubens, à Paul Véronese ni à Monsieur Le Brun. Supposé que les anciens n’aïent fait rien de mieux dans ce genre que les bas reliefs, les médailles et les peintures qui nous sont demeurées, ils n’ont pas égalé les modernes. Pour ne point parler des autres défauts des compositeurs anciens, leur perspective est ordinairement mauvaise. Monsieur De La Chausse, dit en parlant du païsage des thermes de Titus : da questa pittura… etc. . Quant à la composition poëtique, les anciens se piquoient beaucoup d’exceller dans ses inventions, et comme ils

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étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilité pour y réussir. Pour donner une idée du progrès que les anciens avoient fait dans cette partie de la peinture qui comprend le grand art des expressions, nous rapporterons ce qu’en disent les écrivains de l’antiquité. De toutes les parties de la peinture, la composition poëtique est celle dont il est plus facile de donner une idée avec des paroles. C’est celle qui se décrit le mieux. Pline qui nous a parlé de la peinture encore plus méthodiquement que les autres écrivains, compte pour un grand mérite dans un artisan les expressions et les autres inventions poëtiques. Il est sensible par ses récits que cette partie de l’art étoit en honneur chez les anciens, et qu’elle y étoit cultivée autant que dans l’école romaine. Cet auteur raconte comme un point d’histoire important, que ce fut un thébain, nommé Aristide, qui fit voir le premier qu’on pouvoit peindre les mouvemens de l’ame, et qu’il étoit possible aux hommes d’exprimer avec des traits et des couleurs les sentimens d’une figure muette, en un mot, qu’on pouvoit parler aux yeux. Pline parlant encore d’un tableau

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d’Aristide qui representoit une femme percée d’un coup de poignard, et dont l’enfant sucçoit encore la mammelle, s’énonce avec autant de goût et de sentiment que Rubens l’auroit pû faire en parlant d’un beau tableau de Raphaël. On voit, dit-il, sur le visage de cette femme, abatuë déja et dans les simptômes d’une mort prochaine, les sentimens les plus vifs et les soins les plus empressez de la tendresse maternelle. La crainte que son enfant ne se fit mal en sucçant du sang au lieu de lait, étoit si bien marquée sur le visage de la mere, toute l’attitude de son corps accompagnoit si bien cette expression, qu’il étoit facile de comprendre quelle pensée occupoit la mourante. On ne parle pas de l’expression aussi-bien que Pline et les autres écrivains de l’antiquité en ont parlé, quand on n’a pas vû un grand nombre de tableaux riches dans cette partie de la peinture. D’ailleurs il falloit bien que des statuës où il se trouve une expression aussi sçavante et aussi correcte que celle du Laocoon, du rotateur, etc. Rendissent les anciens connoisseurs, et même difficiles sur l’expression. Les anciens qui outre les statuës que j’ai citées, avoient encore

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une infinité d’autres pieces de comparaison excellentes, ne pouvoient pas se tromper en jugeant de l’expression dans les tableaux, ni prendre le médiocre en ce genre pour l’exquis. Nous lisons encore dans Pline un grand nombre de faits et plusieurs détails qui prouvent que les peintres anciens se piquoient d’exceller dans l’expression, du moins autant que les peintres de l’école romaine se sont piquez d’y exceller. La plûpart des loüanges que les auteurs anciens donnent aux tableaux dont ils parlent, font l’éloge de l’expression. C’est par-là qu’Ausonne vante la Medée de Timomache, où Medée étoit peinte dans l’instant qu’elle levoit le poignard sur ses enfans. On voit, dit le poëte, la rage et la compassion mêlées ensemble sur son visage. à travers la fureur qui va commettre un meurtre abominable, on apperçoit encore des restes de la tendresse maternelle. On sçait avec quelle affection Pline p374

vante le trait ingénieux de Timante, qui peignit Agamemnon, la tête voilée au sacrifice d’Iphigenie, pour marquer qu’il n’avoit osé tenter d’exprimer la douleur du pere de cette jeune victime. Quintilien parle de cette invention, comme Pline, et plusieurs écrivains de l’antiquité en parlent comme Quintilien. vt fecit Timanthes… etc. c’est un trait qu’il propose pour modele aux orateurs. Lucien décrit avec admiration une grande composition qui représentoit le mariage d’Alexandre et de Roxane. Il est vrai que ce tableau devoit surpasser pour les graces de l’invention et pour l’élegance des allegories, ce que L’Albane a fait de plus riant dans le genre des compositions galantes. Roxane étoit couchée sur un lit. La beauté de cette fille relevée encore par la pudeur qui lui faisoit baisser les yeux à l’approche d’Alexandre, p375

fixoit sur elle les premiers regards du spectateur. On la reconnoissoit sans peine pour la figure principale du tableau. Les amours s’empressoient à la servir. Les uns prenoient ses patins et lui ôtoient ses habits. Un autre amour relevoit son voile afin que son amant la vit mieux, et par un sourire qu’il adressoit à ce prince, il le félicitoit sur les charmes de sa maîtresse. D’autres amours saisissoient Alexandre, et le tirant par sa cotte d’armes, ils l’entraînoient vers Roxane dans la posture d’un homme qui vouloit mettre son diadême aux pieds de l’objet de sa passion. Ephestion le confident de l’intrigue, s’appuïoit sur l’himenée pour montrer que les services qu’il avoit rendus à son maître, avoient eu pour but de ménager entre Alexandre et Roxane une union légitime. Une troupe d’amours en belle humeur badinoit dans un des coins du tableau avec les armes de ce prince. L’énigme n’étoit pas bien difficile à comprendre, et il seroit à souhaiter que les peintres modernes n’eussent jamais inventé d’allegorie plus obscure. Quelques-uns de ces amours portoient la lance d’Alexandre, et ils paroissoient courbez sous un fardeau trop pesant pour p376

eux. D’autres se joüoient avec son bouclier. Ils y avoient fait asseoir celui d’entr’eux qui avoit fait le coup, et ils le portoient en triomphe, tandis qu’un autre amour qui s’étoit mis en embuscade dans la cuirasse d’Alexandre, les attendoit au passage pour leur faire peur. Cet amour embusqué pouvoit bien ressembler à quelqu’autre maîtresse d’Alexandre, ou bien à quelqu’un des ministres de ce prince qui avoit voulu traverser le mariage de Roxane. Un poëte diroit que le dieu de l’himen se crut obligé de récompenser le peintre qui avoit célebré si galamment un de ses triomphes. Cet artisan ingénieux ayant exposé son tableau dans la solemnité des jeux olimpiques, Pronexides qui devoit être un homme de grande consideration, puisque cette année-là il avoit l’intendance de la fête, lui donna sa fille en mariage. Raphaël n’a pas dédaigné de craïonner le sujet décrit par Lucien. Son dessein fut gravé par un des disciples du celebre Marc-Antoine. L’auteur spirituel de qui j’emprunte cette histoire, vante encore principalement la composition poëtique d’un tableau de Zeuxis, représentant la famille

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d’un centaure. Mais il est superflu de citer davantage les écrivains de l’antiquité. Qui peut douter après avoir vû l’expression des figures du grouppe de Laocoon, que les anciens n’aïent excellé dans l’art qui sçait donner une ame au marbre et au bronze, et qui sçait prêter la parole aux couleurs. Il n’y a point d’amateur des beaux arts qui n’ait vû des copies du moins de la figure d’un gladiateur expirant, laquelle étoit autrefois à la vigne Ludovise, et qu’on a vûë depuis au palais Chigi. Ce malheureux blessé à mort d’un coup d’épée à travers le corps est assis à terre, et il a encore la force de se soûtenir sur le bras droit. Quoiqu’il aille expirer, on voit qu’il ne veut pas s’abandonner à sa douleur ni à sa défaillance, et qu’il a encore l’attention à sa contenance, que les gladiateurs se piquoient de conserver dans ce funeste moment. Il ne craint point de mourir, il craindroit de faire une grimace. quis mediocris gladiator… etc. dit Ciceron, dans l’endroit où il nous raconte tant de choses merveilleuses sur la fermeté de ces malheureux.

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Je reviens au gladiateur expi rant. C’est un homme qui se meurt, mais qui vient de recevoir le coup dont il meurt. On sent donc que malgré la force qui lui reste, il n’a plus qu’un moment à respirer, et l’on regarde long-temps dans l’attente de le voir tomber en expirant. Qui ne connoît pas le grouppe célebre qu’on voit encore à la vigne Ludovise, et qui représente un évenement célebre dans l’histoire romaine, l’avanture du jeune Papirius. Tout le monde sçait que cet enfant étant un jour demeuré auprès de son pere durant une assemblée du sénat ; sa mere lui fit plusieurs questions à la sortie pour sçavoir ce qui s’y étoit dit, choses qu’elle n’esperoit pas d’apprendre de son mari, les romains étant encore aussi peu polis qu’ils l’étoient alors. La mere ne put jamais tirer de son fils qu’une réponse, laquelle ne lui permettoit pas de douter qu’il n’éludât sa curiosité. Le sénat répondit-il constamment, a déliberé si l’on donneroit deux femmes à chaque mari, ou deux maris à chaque femme. Cet incident a donné lieu au proverbe

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latin. curiae capax praetexta, qu’on emploïe pour dire qu’un enfant à beaucoup plus de discretion qu’on n’en doit avoir à son âge. Aucun sentiment ne fut jamais mieux exprimé que la curiosité de la mere du jeune Papirius. L’ame de cette femme paroît être toute entiere dans ses yeux qui percent son fils en le caressant. L’attitude de toutes les parties de son corps concourt avec ses yeux, et donne à connoître ce qu’elle prétend faire. D’une main elle caresse son fils, et l’autre main est dans la contraction. C’est un mouvement naturel à ceux qui veulent réprimer les signes de leur inquiétude prêts à s’échapper. Le jeune Papirius répond à sa mere avec une complaisance apparente ; mais il est sensible que cette complaisance n’est qu’affectée. Quoique son air de tête soit naïf, quoique son maintien paroisse ingénu, on devine à son sourire malin, qui n’est pas entierement formé, parce que le respect le contraint, comme au mouvement de ses yeux sensiblement gêné, que cet enfant veut paroître vrai, mais qu’il n’est pas sincere. On voit qu’il promet de dire la verité, et on voit en même-temps qu’il ne la dit pas. Quatre ou cinq traits que

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le sculpteur à sçu placer à propos sur son visage, je ne sçais quoi qu’on remarque dans l’action de ses mains, démentent la naïveté et la sincerité qui paroissent d’ailleurs dans son geste et sur son visage. On peut donner les mêmes loüanges à la figure nommée ordinairement le rotateur ou l’aiguiseur, déterrée à Rome et transportée depuis quarante ans à Florence, où l’on peut la voir dans le cabinet de son altesse roïale. Cette figure représente l’esclave, qui suivant le récit de Tite-Live, entendit par hazard le projet que faisoient les fils de Brutus pour rétablir dans Rome les tarquins, et qui sauva la république naissante en révelant leur conjuration au consul. Les personnes les moins attentives remarquent, en voïant la statuë dont je parle, que cet esclave qui se courbe et qui se montre dans la posture convenable pour aiguiser le fer qu’il tient,

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afin de paroître uniquement occupé de ce travail, est néanmoins distrait, et qu’il donne son attention, non pas à ce qu’il semble faire, mais à ce qu’il entend. Cette distraction est sensible dans tout son corps, et principalement dans ses mains et dans sa tête. Ses doigts sont bien placez comme ils le doivent être pour peser sur le fer, et pour le presser contre la pierre à aiguiser, mais leur action est suspenduë. Par un geste naturel à ceux qui écoutent en craignant qu’on ne s’apperçoive qu’ils prêtent l’oreille à ce qu’on dit, notre esclave tâche de lever assez la prunelle de ses yeux pour appercevoir son objet sans lever la tête comme il la leveroit naturellement s’il n’étoit pas contraint. Le talent du dessein donne de grandes facilitez pour réussir dans les expressions. Or il suffit de voir l’antinous, la venus de Medicis et plusieurs autres monumens de l’antiquité, pour être convaincu que les anciens sçavoient du moins aussi-bien que nous dessiner élegamment et correctement. Leurs peintres avoient même plus d’occasions que les notres n’en peuvent avoir, d’étudier le nud, et les exercices qui étoient alors en usage pour dénoüer et pour fortifier p382

les corps, les devoient rendre mieux conformez qu’ils ne le sont aujourd’hui. Rubens dans un petit traité latin que nous avons de lui sur l’usage qu’on doit faire en peinture des statuës antiques, ne doute point que les exercices en usage chez les anciens, ne donnassent aux corps une perfection à laquelle ils ne parviennent plus aujourd’hui. Comme le temps a éteint les couleurs et confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne sçaurions juger à quel point les peintres de l’antiquité ont excellé dans le coloris, ni s’ils ont égalé ou surpassé les grands maîtres de l’école lombarde dans cette aimable partie de la peinture. Il y a plus. Nous ignorons si la nopce de la vigne Aldobrandine, et les autres morceaux sont d’un grand coloriste ou d’un ouvrier médiocre de ces temps-là. Ce qu’on peut dire de certain sur leur execution, c’est qu’elle est très hardie. Ces morceaux paroissent l’ouvrage d’artisans, autant les maîtres de leurs pinceaux que Rubens et que Paul Veronése l’étoient du leur. Les touches de la nopce Aldobrandine qui sont très-heurtées, et qui paroissent même grossieres quand p383

elles sont vuës de près, font un effet merveilleux quand on regarde ce tableau à la distance de vingt pas. C’étoit apparemment de cette distance qu’il étoit vû sur le mur où le peintre l’avoit fait. Il semble que les recits de Pline et ceux de plusieurs auteurs anciens dussent nous persuader que les grecs et les romains excellassent dans le coloris ; mais avant que de se laisser persuader, il faut faire refléxion que les hommes parlent ordinairement du coloris par rapport à ce qu’ils peuvent avoir vû. Le coloriste qui aura mieux réussi que tous les autres coloristes qui seront venus jusques au temps d’un historien qui parlera de l’état où la peinture se trouve de ses jours, sera cité par cet historien pour le plus grand coloriste qui puisse être, pour un homme dont la nature même étoit jalouse. Mais il arrive des temps dans la suite où l’on fait mieux qu’on n’avoit encore fait. Le coloriste divin des temps passez, celui que les écrivains ont tant vanté, devient un artisan ordinaire en comparaison des nouveaux artisans. On ne sçauroit décider notre question sur des recits. Il faut pour la juger avoir des pieces de p384

comparaison. Elles nous manquent. On ne sçauroit former un préjugé contre le coloris des anciens, de ce qu’ils ignoroient l’invention de détremper les couleurs avec de l’huile, qui fut trouvée en Flandres il n’y a gueres plus de trois cens ans. On peut très-bien colorier en peignant à fresque. La messe du pape Jules, un ouvrage de Raphaël dont nous avons déja vanté le coloris, est peinte à fresque dans l’appartement de la signature au vatican. Quant au clair-obscur et à la distribution enchanteresse des lumieres et des ombres, ce que Pline et les autres écrivains de l’antiquité en disent est si positif, leurs recits sont si bien circonstanciez et si vrai-semblables, qu’on ne sçauroit disconvenir que les anciens n’égalassent du moins dans cette partie de l’art, les plus grands peintres modernes. Les passages de ces auteurs que nous ne comprenions pas bien quand les peintres modernes ignoroient encore quels prestiges on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si embroüillez et si difficiles depuis que Rubens, ses éleves, Michel Ange de Caravage, et d’autres peintres les ont expliquez bien mieux les pinceaux à la

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main que les commenta teurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres. Il me paroît résulter de cette discussion, que les anciens avoient poussé la partie du dessein, du clair-obscur, de l’expression et de la composition poëtique, du moins aussi loin que les modernes les plus habiles peuvent l’avoir fait. Il me paroît encore que nous ne sçaurions juger de leur coloris, mais que nous connoissons suffisamment par leurs ouvrages, supposé que nous aïons les meilleurs, que les anciens n’ont pas réussi dans la composition pittoresque aussi-bien que Raphaël, Rubens, Paul Veronése et quelques autres peintres modernes. Le lecteur se souviendra de ce qui a donné lieu à cette digression sur la capacité des anciens dans l’art de la peinture. Après avoir parlé de l’avantage que les poëtes latins avoient sur les poëtes françois ; j’avois avancé que les peintres des siecles précedens n’avoient pas eu le même avantage sur les peintres qui travaillent aujourd’hui, ce qui m’a mis dans la necessité de dire les raisons pour lesquelles je ne comprenois pas les peintres grecs et les anciens peintres

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romains dans ma proposition. J’y reviens donc et je dis, que les peintres qui ont travaillé depuis que les arts sont sortis du tombeau, que Raphaël et ses contemporains n’ont point eu aucun avantage sur nos artisans. Ces derniers sçavent tous les secrets, ils connoissent toutes les couleurs dont les premiers se sont servis.