Réflexions critiques sur la poésie et la peinture/II/17

La bibliothèque libre.
◄  16
18  ►

de l’étenduë des climats plus propres aux arts et aux sciences que les autres. Des changemens qui surviennent dans ces climats.

on m’objectera que les arts et les sciences ont fleuri sous des climats bien differens. Memphis, ajoutera-t-on est plus près du soleil que Paris de dix-huit dégrez, et cependant les arts et les sciences ont fleuri dans ces deux villes. Je réponds que tout excès de chaleur, et que tout excès de froid ne sont pas contraires à une heureuse nourriture des enfans, mais seulement les excès outrez, soit du froid, soit du chaud. Loin de borner à quatre ou cinq dégrez la temperature convenable à la culture des sciences et des beaux arts, je crois que cette temperature peut comprendre vingt ou vingt-cinq dégrez de latitude. Ce climat fortuné peut même s’étendre et gagner du terrain à la faveur de plusieurs évenemens. Par exemple, l’étenduë du commerce donne aujourd’hui aux nations hyperborées le moïen qu’elles n’avoient point autrefois de faire une partie de leur nourriture ordinaire, des vins comme des autres alimens qui croissent dans les païs chauds. Le commerce qui s’est infiniment accru dans les deux derniers siecles, a fait connoître ces choses où l’on ne les connoissoit pas. Il les a renduës très-communes en des lieux où elles étoient fort rares auparavant. L’accroissement du commerce a rendu le vin une boisson d’un usage aussi commun dans plusieurs païs où il n’en vient point, que dans les contrées où l’on fait des vendanges. Il a mis dans les païs du nord le sucre et les épiceries au nombre de ces denrées, que tout le monde consomme. Depuis un temps les eaux de vie simples et composées, le tabac, le caffé, le chocolat et d’autres denrées qui ne croissent que sous le soleil le plus ardent, sont en usage, même parmi le bas peuple, en Hollande, en Angleterre, en Pologne, en Allemagne et dans le nord. Les sels et les sucs spiritueux de ces denrées jettent dans le sang des nations septentrionales une ame, ou, pour parler avec les physiciens une huile étherée, laquelle ne se trouve point dans les alimens de leur patrie. Ces sucs remplissent le sang d’un homme du nord d’esprits animaux formez en Espagne, et sous les climats les plus ardens. Une portion de l’air et de la seve de la terre des Canaries passe en Angleterre dans les vins de ces isles qu’on y transporte en si grande quantité. L’usage frequent et habituel des denrées des païs chauds rapproche donc, pour ainsi dire, le soleil des païs du nord, et il doit mettre dans le sang et dans l’imagination des habitans de ces païs une vigueur et une délicatesse que n’avoient pas les ayeux, dont la simplicité se contentoit des productions de la terre qui les avoit vû naître. Comme on ressent aujourd’hui dans ces contrées des maladies qu’on n’y connoissoit pas avant qu’on y fit un usage aussi fréquent d’alimens étrangers et qui ne sont peut-être pas assez en proportion avec l’air du païs, on y doit avoir pour cela même plus de chaleur et plus de subtilité dans le sang. Il est certain qu’en même-temps qu’on y a connu de nouvelles maladies, ou que certaines infirmitez y sont devenuës plus fréquentes qu’autrefois, d’autres maladies ou sont disparuës ou sont devenuës plus rares. J’ai oüi dire à Monsieur Regis, célebre medecin d’Amsterdam, que depuis que l’usage des denrées dont je viens de parler, s’étoit introduit dans cette ville parmi les gens de toute condition, on n’y voïoit plus la vingtiéme partie des maladies scorbutiques qu’on y voïoit auparavant. Il ne suffit pas qu’un païs soit à une certaine distance de la ligne pour que le climat en soit propre à la nourriture des hommes d’esprit et de talent. L’air y peut être contraire par ses qualitez permanentes à l’éducation physique des enfans que la délicatesse de leurs organes destineroit à être un jour des hommes d’un grand esprit. Le mélange des corpuscules qui entrent dans la composition de l’air dont je parle, peut être mauvais par quelques excès d’un de ses bons principes. Il se peut faire qu’en un certain païs les émanations de la terre soient trop grossieres. Tous ces défauts qu’on conçoit pouvoir être infinis, doivent faire que l’air d’une contrée, dont la temperature paroît la même que celle d’une contrée voisine, ne soit pas aussi favorable à l’éducation physique des enfans, que l’air qu’on respire dans cette derniere. Deux regions qui sont à la même distance du pole peuvent avoir un climat physiquement different. Puisque la difference de l’air d’une contrée limitrophe d’une autre contrée où les hommes sont grands, y rend les habitans petits, pourquoi ne les rendra-t-elle pas plus spirituels dans un païs que dans un autre ? La taille des hommes doit varier plus difficilement que la qualité et le ressort des organes du cerveau. Plus un organe est délié, plus le sang qui le nourrit le change facilement. Or de tous les organes du corps humain, les plus délicats sont ceux qui servent à l’ame spirituelle à faire ses fonctions. Ce que je dis ici n’est que l’explication de l’opinion generale, qui a toujours attribué aux differentes qualitez de l’air, la difference qui se remarque entre les peuples. le climat de chaque peuple est toujours… etc.,

dit un homme à qui l’on pouvoit appliquer l’éloge qu’Homere fait d’Ulisse.