Réflexions critiques sur la poésie et la peinture/II/32

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que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant.

la destinée des écrits de Ronsard ne me paroît pas à craindre pour les ouvrages de nos poetes françois. Ils ont composé dans le même goût que ceux des bons auteurs de l’antiquité. Ils les ont imitez, non pas comme Ronsard et ses contemporains les avoient imitez, c’est-à-dire servilement, et comme Horace dit que Servilius avoit imité les grecs. Cette imitation servile des poetes qui ont composé en des langues étrangeres, est le sort des écrivains qui travaillent, quand leur nation commence à vouloir sortir de la barbarie. Mais nos bons poëtes françois ont imité les anciens comme Horace et Virgile avoient imité les grecs, c’est-à-dire, en suivant comme les autres l’avoient fait le génie de la langue dans laquelle ils composoient, et en prenant comme eux la nature pour leur premier modele. Les bons écrivains n’empruntent des autres que des manieres de la copier. Le stile de Racine, de Despreaux, de La Fontaine et de nos autres compatriotes illustres, ne sçauroit vieillir assez pour dégoûter un jour de la lecture de leurs ouvrages, et jamais on ne pourra les lire sans être touché de leurs beautez. Elles sont naturelles. En effet, notre langue me paroît être parvenuë depuis soixante et dix ans à son point de perfection. Au temps de D’Ablancourt, un auteur imprimé depuis soixante ans paroissoit un écrivain gothique. Or, quoiqu’il y ait déja plus de quatrevingt ans que D’Ablancourt a écrit, son stile ne nous paroît point vieilli. Pour bien écrire, il faudra toujours s’assujettir aux regles que cet auteur et ses premiers successeurs ont suivies. Tout changement raisonnable qui peut arriver dans une langue dès que sa syntaxe est devenuë reguliere, ne sçauroit plus tomber que sur des mots. Les uns vieillissent, d’autres redeviennent à la mode, on en fabrique de nouveaux, et l’on altere l’ortographe de quelques autres pour en adoucir la prononciation. Horace a fait l’horoscope de toutes les langues quand il a dit en parlant de la sienne. L’usage est toujours le maître des mots, mais il l’est rarement des regles de la syntaxe. Or, des mots vieillis ne font point abandonner la lecture d’un auteur qui a construit ses phrases regulierement, ou qui même s’est approché dans leur construction de la régularité. Ne lisons-nous pas encore avec plaisir Amiot ? Je le dirai ici en passant, ce n’est point parce que les auteurs latins du second siecle et ceux des siecles suivans, se sont servis de mots nouveaux, ou qu’ils n’ont pas construit leurs phrases suivant les regles de leur grammaire, que leur stile nous paroît tellement inferieur à celui de Tite-Live et de ses contemporains. Les auteurs du second siecle et ceux des siecles suivans, ont, generalement parlant, emploïé les mêmes mots que Tite-Live. Ils ont construit leurs phrases suivant les mêmes regles de syntaxe que lui, du moins il s’en faut très-peu que cela ne soit absolument vrai. Mais de leur temps les tranpositions vicieuses étoient à la mode, l’abus des mots étoit autorisé, et l’on les emploïoit sans égard à leur signification propre, soit dans des épithetes insensées, soit dans ces figures dont le faux brillant ne presente point une image distincte. Il est si vrai de dire que ce sont les jeux de mots et l’abus des métaphores, qui, par exemple, défigurent la prose de Sidonius Apollinaris, que les loix faites par Majorien et par d’autres empereurs contemporains de cet évêque, paroissent faites du temps des premiers Cesars, parce que les auteurs de ces loix astreints par la dignité de leur ouvrage à ne point sortir d’un stile grave et simple, n’ont pas été exposez au danger d’abuser des figures et de courir après l’esprit. Mais quoique le stile se corrompe, quoiqu’on abuse de la langue, on ne laisse point d’admirer toujours le stile des auteurs qui ont écrit quand elle étoit dans sa force et dans sa pureté. On continuë à loüer leur noble simplicité, même quand on n’est plus capable de l’imiter ; car c’est souvent par impuissance de faire aussi-bien qu’eux qu’on entreprend de faire mieux. On ne substituë souvent les faux brillans, et les pointes au sens et à la force du discours, que parce qu’il est plus facile d’avoir de l’esprit que d’être à la fois touchant et naturel. Virgile, Horace, Ciceron et Tite-Live ont été lûs avec admiration tant que la langue latine a été une langue vivante, et les écrivains qui ont composé cinq cens ans après ces auteurs, et dans les tems où le stile latin étoit déja corrompu, en font encore plus d’éloge qu’on n’en avoit fait du temps d’Auguste. La veneration pour les auteurs du siecle de Platon a toujours subsisté dans la Grece, malgré la décadence des ouvriers. On admiroit encore ces auteurs comme de grands modeles, deux mille ans après qu’ils avoient écrit et quand on les imitoit si peu. J’en appelle à témoin les grecs qui vinrent nous les expliquer après la prise de Constantinople par les turcs. Les bons auteurs du siecle de Leon X comme Machiavel et Guichardin, ne sont pas vieillis pour les italiens d’aujourd’hui. Ils en préferent le stile au stile plus orné des écrivains postérieurs, parce que la phrase italienne étoit parvenuë à sa régularité dès le seiziéme siecle. Ainsi, soit que le stile dans lequel nos bons auteurs du temps de Louis Xiv ont écrit, demeure toujours le stile à la mode, je veux dire le stile dans lequel nos poetes et nos orateurs tâchent de composer, soit que ce stile ait le sort du stile en usage sous le regne des deux premiers Cesars qui commença de se corrompre dès le regne de Claudius, sous qui les beaux esprits se donnerent la liberté d’introduire l’excès des figures en voulant suppléer par le brillant de l’expression à la force du sens et à l’élegance simple où leur génie ne pouvoit pas atteindre ; je tiens que les poetes illustres du siecle de Louis Xiv seront comme Virgile et comme l’Arioste, immortels sans vieillir. En second lieu, nos voisins admirent ceux des poetes françois que nous admirons déja, et ils rédisent aussi volontiers que nous, ceux des vers de Despreaux et de La Fontaine qui sont passez en proverbes. Ils ont adopté nos bons ouvrages en les traduisant en leur langue. Malgré la jalousie du bel esprit, presque aussi vive de nation à nation que de particulier à particulier, ils mettent quelques-unes de ces traductions au-dessus des ouvrages du même genre qui se composent dans leur patrie. Nos bons poemes, ainsi que ceux d’Homere et de Virgile, sont entrez déja dans cette bibliotheque commune aux nations et dont nous avons parlé. Il est aussi rare dans les païs étrangers de trouver un cabinet sans un Moliere que sans un Terence. Les italiens qui évitent autant qu’ils le peuvent de nous donner des sujets de vanité, peut-être parce qu’ils se croïent tous chargez du soin de notre conduite, ont rendu justice au mérite de nos poetes. Comme nous admirions et comme nous traduisions leurs poetes dans le seiziéme siecle, ils ont admiré et traduit les nôtres dans le dix-septiéme. Ils ont mis en italien les plus belles pieces de nos poetes comiques et de nos poetes tragiques. Castelli secretaire de l’électeur de Brandebourg a mis en italien les œuvres de Moliere, et cette version a été réimprimée plusieurs fois. Il y a même des pieces de Moliere, qui non-seulement ont été traduites plus d’une fois litteralement en italien, mais qui ont encore été trouvées assez bonnes pour mériter d’être habillées et travesties, pour ainsi dire, en comédies italiennes. Nous avons une comédie italienne intitulée, Don Piloné,

que Monsieur Gigli son auteur dit avoir tirée de la piece du Tartuffe de Moliere. Pour le dire en passant, comme Monsieur Gigli ne fait pas mention dans la préface de ce qu’il me souvient d’avoir lû autrefois dans quelque mémoire : que le Tartuffe étoit originairement une comédie italienne, et que Moliere n’avoit fait que l’accommoder à notre théatre, on peut bien en douter. L’auteur de ces mémoires l’a peut-être entendu dire. Les italiens rient et ils pleurent à ces pieces avec plus d’affection qu’à la représentation des pieces de leurs compatriotes. Quelqu’uns de leurs poetes s’en sont même plaint. M l’abbé Gravina dans sa dissertation sur la tragédie qu’il fit imprimer il y a dix-sept ans, dit que ses compatriotes adoptent sans discernement des pieces dramatiques françoises, dont les défauts sont blâmez de notre nation, qui s’en est expliquée par la bouche de deux de ses plus fins critiques. Il entend parler du pere Rapin et de Monsieur Dacier, dont il vient de rapporter les jugemens sur les tragédies françoises, jugemens qu’il adopte avec d’autant plus de plaisir qu’il a composé son ouvrage, principalement pour montrer la supériorité de la tragédie ancienne sur la tragédie moderne. Mais je vais rapporter en entier le passage de monsieur l’abbé Gravina. Le lecteur ne sçauroit avoir oublié déja que lui-même il étoit poete, et qu’il avoit composé plusieurs tragédies à l’imitation de celles des anciens. Si, comme cet auteur le prétend, ses compatriotes ajoûtent de faux brillans et des expressions romanesques à nos pieces, le reproche ne nous regarde point. Les jeunes gens à qui l’on a donné de l’éducation connoissent autant Despreaux qu’Horace, et ils ont retenu autant de vers du poete françois que du poete latin, à La Haye, à Stockholm, à Coppenhague, en Pologne, en Allemagne et même en Angleterre. On ne doit point se défier de l’approbation des anglois. Ils louent cependant Racine. Ils admirent Corneille, Despreaux et Moliere. Ils leur ont fait le même traitement qu’à Virgile et qu’à Ciceron. Ils les ont traduit en anglois. Dès qu’une piece dramatique réussit en France, elle est comme certaine de parvenir à cet honneur. Je ne crois point même que les anglois aïent trois traductions differentes des églogues de Virgile, et cependant ils ont trois traductions differentes de la tragédie des H oraces de Corneile. Dès 1675 les anglois avoient une traduction en prose de l’Andromaque de Racine, retouchée et mise au théatre par Monsieur Crown. En mil sept cent douze, Monsieur Philips fit représenter, et puis imprimer une nouvelle traduction en vers de cette même tragédie. Il y a véritablement ajoûté trois scénes à la fin du cinquiéme acte, et comme elles sont propres à faire connoître le goût de la nation de Monsieur Philips, je dirai ce qu’elles contiennent. Dans la premiere de ces scénes ajoûtées, Phoenix paroît avec une nombreuse suite, à laquelle il ordonne de poursuivre Oreste. Dans la seconde, Andromaque rentre sur le théatre, non pas comme M Racine l’y fait revenir dans la premiere édition de sa tragédie, c’est-à-dire, comme captive d’Oreste qui va l’emmener à Sparte. Mais elle y revient pour promettre au corps de Pyrrhus qu’on apporte sur le théatre, tous les soins d’une femme tendre et affligée de la mort de son mari. Dans la troisiéme de ces scénes, Andromaque qui entend un bruit de guerre qui annonce la proclamation de son fils Astianax, se livre aux sentimens convenables à son caractere. Je ne parle ici que des traductions qu’on donne pour ce qu’elles sont, car il arrive souvent que les traducteurs anglois nient de l’être, et qu’ils veulent donner leur copie pour un original. Combien de fois M Dryden, au jugement même de ses compatriotes, a-t-il copié les auteurs françois dans des ouvrages qu’il donnoit pour être de son invention ? Mais ces détails deviendroient fatiguans pour le lecteur. Les allemands ont voulu avoir en leur langue beaucoup d’ouvrages des bons poëtes françois, quoique ces traductions leur fussent moins necessaires qu’à d’autres, d’autant qu’ils font l’honneur à notre langue de la parler très-communément. Il est même très-ordinaire qu’ils s’écrivent entr’eux en françois, et plusieurs princes se servent de cette langue pour entretenir la correspondance avec leurs ministres, bien que les uns et les autres ils soient nez allemands. En Hollande toutes les personnes qui ont quelque éducation sçavent parler françois dès leur jeunesse. L’état se sert de cette langue en plusieurs occasions, et il applique même son grand sceau à des actes redigez en françois. Les hollandois ont traduit néanmoins nos bons ouvrages, principalement les dramatiques. Ils ont voulu, pour ainsi dire, les naturaliser flamands. Le comte d’Ericeyra, le digne héritier du Tite-Live de sa patrie, a mis en portugais l’art poëtique de Monsieur Despreaux. Enfin nos voisins ne traduisoient pas les tragédies de Jodelle et de Garnier. On ne voïoit pas sous Henri Iv des troupes de comédiens françois parcourir la Hollande, la Pologne, l’Allemagne, le nord, et quelques états d’Italie pour y joüer les pieces de Hardi et de Chrétien. Il y a même aujourd’hui des troupes de comédiens françois qui ont des établissemens fixes dans les païs étrangers. Le suffrage de nos voisins, aussi libre et aussi désinteressé que le suffrage de la postérité pourra l’être, me semble un garand de son approbation. Les loüanges que Despreaux a données à Moliere et à Racine, concilieront autant de suffrages à ces deux poëtes dans l’avenir, qu’elles peuvent leur en avoir procuré parmi les anglois et parmi les italiens nos contemporains. Qu’on ne dise point que la vogue où la langue françoise est depuis soixante ans, est la cause de la vogue que nos poësies peuvent avoir dans les païs étrangers. Les étrangers nous diront eux-mêmes que ce sont nos poëmes et nos livres, qui plus qu’aucun autre évenement ont contribué à donner à la langue dans laquelle ils sont écrits un si grand cours, qu’elle a presque ôté à la langue latine l’avantage d’être cette langue que les nations apprennent par une convention tacite pour se pouvoir entendre. On peut dire aujourd’hui de la langue françoise ce que Ciceron disoit de la langue greque. Lorsqu’un ministre allemand va traiter d’affaire avec un ministre anglois ou un ministre hollandois, il n’est pas question quelle langue ils emploïeront dans leurs conferences. La chose est c onvenuë depuis long-temps. Ils parlent françois. Les étrangers se plaignent même que notre langue envahisse, pour ainsi dire, les langues vivantes en introduisant ses mots et ses phrases à la place des anciennes expressions. Les allemands et les hollandois disent que l’usage que font leurs concitoïens des mots, et principalement des verbes françois, en parlant hollandois et allemand, corrompt leurs langues comme Ronsard corrompoit le françois par les mots et par les locutions des langues sçavantes qu’il introduisoit dans ses vers. L’examinateur, c’est l’auteur d’un écrit qui se publioit il y a vingt ans à Londres plusieurs fois chaque semaine, dit que le françois s’est tellement introduit dans les phrases angloises, lorsqu’il s’agit de parler de guerre, que les anglois ne peuvent plus entendre les rélations des sieges et des combats que leurs compatriotes écrivent en anglois. L’abbé Gravina a fait une pareille plainte pour la langue italienne dans son livre sur la tragédie. On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-àdire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte. Mais, dira-t-on, ne pourra-t-il pas arriver que les critiques à venir fassent remarquer dans les écrits que vous admirez des fautes si grossieres, que ces écrits deviennent des ouvrages méprisez par la posterité ? Je répons que les remarques les plus subtiles des plus grands métaphysiciens ne feront pas décheoir nos poëtes d’un dégré de leur réputation, parce que ces remarques, quand bien même elles seroient justes, ne dépoüilleront pas nos poësies des agrémens et des charmes dont elles tiennent le droit de plaire à tous les lecteurs. Si les fautes que ces critiques reprendront sont des fautes contre l’art de la poësie, ils apprendront seulement à connoître la cause d’un effet qu’on sentoit déja. Ceux qui avoient vû le Cid avant que la critique de l’académie françoise parut, avoient senti des défauts dans ce poeme, même sans pouvoir dire distinctement en quoi consistoient ces défauts. Si ces fautes regardent d’autres sciences, si elles sont contre la géographie ou contre l’astronomie, on aura de l’obligation aux censeurs qui les feront connoître, mais elles ne diminueront gueres la réputation du poete, qui n’est pas fondée sur ce que ses vers soient exempts de fautes, mais sur ce que leur lecture interesse. J’ai dit quand même ces remarques seroient bonnes, car suivant les apparences, pour une bonne remarque, il s’en fera cent qui ne vaudront rien. Il est certainement plus facile de ne point faire de mauvaises remarques sur des poesies dont a connu les auteurs, et qui parlent des choses que nous avons vûes, ou dont une tradition encore récente a conservé les explications, ou si l’on veut, les applications, qu’il ne le sera dans l’avenir, quand toutes ces lumieres seront éteintes par le temps et par toutes les revolutions ausquelles les societez sont sujettes. Or, les remarques qui se font présentement contre nos poetes modernes, et qui roulent sur des erreurs, où l’on prétend qu’ils soient tombez en parlant de physique ou d’astronomie, montrent souvent que les censeurs ont envie de reprendre, mais non que ces poetes aïent fait des fautes. Citons un exemple. Monsieur Despreaux composa son épitre à Monsieur De Guilleragues vers mil six cens soixante et quinze, dans un temps où la nouvelle physique étoit la science à la mode, car il est parmi nous une mode pour les sciences comme pour les habits. Les femmes même étudioient alors les nouveaux systêmes que plusieurs personnes enseignoient à Paris en langue vulgaire. On peut bien croire que Moliere qui composa ses femmes sçavantes vers mil six cens soixante et douze, et qui met si souvent dans la bouche de ses héroïnes les dogmes et le stile de la nouvelle physique, attaquoit dans sa comédie l’excès d’un goût regnant, et qu’il y joüoit un ridicule où plusieurs personnes tomboient tous les jours. Quand M Despreaux écrivit son épitre à M De Guilleragues, les conversations de physique ramenoient donc souvent sur le tapis les taches du soleil, à l’aide desquelles les astronomes observoient que cet astre tourne sur son axe à peu près en vingt-sept jours. Quelqu’une de ces macules qui étoient disparues avoient même fait beaucoup de bruit jusques sur le Parnasse. Les beaux esprits avoient dit dans leurs vers que le soleil, pour se rendre encore plus semblable au feu roi qui l’avoit pris pour le corps de sa dévi se, se défaisoit de ses taches. Dans ces circonstances, Monsieur Despreaux, pour dire poetiquement que malgré le goût regnant, il s’attachoit à l’étude de la morale préferablement à celle de la physique, sentiment très-convenable à un poete satirique, écrit à son ami, qu’il abandonne aux recherches des autres plusieurs questions que cette derniere science traite. Qu’un autre, c’est lui qui parle, aille chercher si le soleil est fixe ou tourne sur son axe. Il est clair que le poete entend parler ici uniquement de la question, si le soleil placé dans le centre de notre tourbillon y tourne sur son axe ou bien s’il n’y tourne pas sur son axe. La construction de la phrase prouve seule qu’elle ne sçauroit avoir un autre sens, et ce sens se présente d’abord. Cependant il a plu à quelques critiques d’interpreter ce vers comme si leur auteur avoit voulu opposer le systême de Copernic, qui fait tourner les planetes autour du soleil placé dans le centre de notre tourbillon, au sentiment de ceux qui soutiennent que le soleil a un mouvement propre par lequel il tourne sur son axe. Monsieur Despreaux, s’il avoit eu cette vûe, auroit fait une faute. L’opinion de ceux qui soutiennent que le soleil tourne sur son axe, et l’opinion de ceux qui soutenoient avant l’expérience que le globe du soleil étoit immobile au centre du tourbillon, supposent également que le soleil soit placé au milieu du tourbillon, où Copernic a dit qu’il étoit placé. Monsieur Perrault a donc objecté à Monsieur Despreaux, il y a déja plus de trente ans. que ceux qui tiennent que le soleil est fixe et immuable,… etc.

mais ce n’est point la faute de Monsieur Despreaux si Monsieur Perrault l’entend mal, et c’est encore moins sa faute s’il plaît à d’autres censeurs de se figurer que par ces mots, si le soleil est fixe ou tourne sur son axe, il ait voulu opposer le systême de Copernic avec le systême de Ptolomée, qui suppose que c’est le soleil qui tourne au tour de la terre. Monsieur Despreaux a dit cent fois qu’il n’avoit songé qu’à opposer le sentiment de ceux qui faisoient tourner le soleil sur son axe au sentiment de ceux qui n’avoient pas voulu qu’il tournât sur son axe, et le vers le dit même assez distinctement pour n’avoir pas besoin d’être interpreté. De pareilles injustices ne diminueront point la réputation de nos poëtes, puisque celles qu’on fait aux anciens ne diminuent point la leur, quoiqu’elles soient en bien plus grand nombre. Comme ils ont écrit en des langues qui sont mortes aujourd’hui, et comme bien des choses dont ils ont parlé ne sont connuës qu’imparfaitement aux plus doctes, on peut croire sans témerité que leurs censeurs ont tort fort souvent, même en plusieurs occasions où l’on ne sçauroit prouver qu’ils n’ont pas raison. Ainsi nous pouvons promettre sans trop de témerité la destinée de Virgile, d’Horace et de Ciceron aux écrivains françois, qui font honneur au siecle de Louis Le Grand, c’est-à-dire, d’être regardez dans tous les temps et par tous les peuples à venir comme tenans un rang entre les grands hommes, dont les ouvrages sont réputez les productions les plus précieuses de l’esprit humain.