Réflexions critiques sur la poésie et la peinture/I/48

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Pierre Jean Mariette (Première partiep. 484-485).


SECTION XLVIII.

Des estampes & des poëmes en prose.


Je comparerois volontiers les estampes, où l’on retrouve tout le tableau, à l’exception du coloris, aux romans en prose, où l’on retrouve la fiction et le stile de la poësie. Ils sont des poëmes à la mesure & à la rime près. L’invention des estampes et celle des poëmes en prose, sont également heureuses. Les estampes multiplient à l’infini les tableaux des grands maîtres. Elles mettent à portée d’en joüir, ceux que la distance des lieux condamnoit à ne les voir jamais. On voit de Paris par le secours d’une estampe, les plus grandes beautez que Raphaël ait peintes sur les murs du vatican. Un particulier peut même mettre dans son cabinet, tout l’esprit & toute la poësie qui sont dans des chef-d’œuvres, dont les beautez sembloient reservées pour les cabinets des princes, ou de ceux qui se sont rendus aussi riches qu’eux en maniant leurs finances. De même nous avons

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l’obligation à la poësie en prose, de quelques ouvrages remplis d’avantures vrai-semblables et merveilleuses à la fois, comme de préceptes sages et praticables en même-temps, qui n’auroient peut-être jamais vû le jour, s’il eut fallu que les auteurs eussent assujetti leur génie à la rime et à la mesure. Les auteurs de la princesse De Cleves et de Telemaque, ne nous auroient peut être donné jamais ces ouvrages, s’ils avoient dû les écrire en vers. Il est de beaux poëmes sans vers, comme il est de beaux vers sans poësie, et de beaux tableaux sans un riche coloris. Qu’on ne dise point que c’est la partie du coloris qui constituë le peintre, et qu’on n’est peintre qu’autant qu’on sçait colorier. C’est alléguer pour preuve une question que je crois même devoir demeurer sans décision. Expliquons-nous.