Réflexions sur l’esclavage des nègres/Épître et préface

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Société typographique (p. iii-x).

ÉPÎTRE DÉDICATOIRE AUX NÈGRES ESCLAVES


Mes amis,

Quoique que je ne ſois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardé comme mes freres. La nature vous a formés pour avoir le même eſprit, la même raiſon, les mêmes vertus que les Blancs. Je ne parle ici que de ceux d’Europe, car pour les Blancs des Colonies, je ne vous fais pas l’injure de les comparer avec vous, je ſais combien de fois votre fidélité, votre probité, votre courage ont fait rougir vos maîtres. Si on alloit chercher un homme dans les Isles de l’Amérique, ce ne ſeroit point parmi les gens de chair blanche qu’on le trouveroit.

Votre ſuffrage ne procure point de places dans les colonies, votre protection ne fait point obtenir de penſions, vous n’avez pas de quoi ſoudoyer les avocats ; il n’eſt donc pas étonnant que vos maîtres trouvent plus de gens qui ſe déſhonorent en défendant leur cauſe, que vous n’en avez trouvés qui ſe ſoient honorés en défendant la vôtre. Il y a même des pays où ceux qui voudroient écrire en votre faveur n’en auroient point la liberté. Tous ceux qui ſe ſont enrichis dans les Isles aux dépens de vos travaux & de vos ſouffrances, ont, à leur retour, le droit de vous inſulter dans des libelles calomnieux ; mais il n’eſt point permis de leur répondre. Telle eſt l’idée que vos maîtres ont de la bonté de leur droit ; telle eſt la conſcience qu’ils ont de leur humanité à votre égard. Mais cette injuſtice n’a été pour moi qu’une raiſon de plus pour prendre, dans un pays libre, la défenſe de la liberté des hommes. Je ſais que vous ne connoîtrez jamais cet Ouvrage, & que la douceur d’être béni par vous me ſera toujours refuſée. Mais j’aurai ſatiſfait mon cœur déchiré par le ſpectacle de vos maux, ſoulevé par l’inſolence abſurde des ſophiſmes de vos tyrans. Je n’emploierai point l’éloquence, mais la raiſon, je parlerai, non des intérêts du commerce, mais des loix de la juſtice.

Vos tyrans me reprocheront de ne dire que des choſes communes, et de n’avoir que des idées chimériques ; en effet, rien n’eſt plus commun que les maximes de l’humanité et de la juſtice ; rien n’est plus chimérique que de propoſer aux hommes d’y conformer leur conduite.


PRÉFACE

DES ÉDITEURS.


M. Schwartz nous ayant envoyé son manuſcrit, nous l’avons communiqué à M. le Pasteur B*******, l’un de nos aſſociés, qui nous a répondu que cet Ouvrage ne contenoit que des choses communes, écrites d’un style peu correct, froid et sans élévation ; qu’on ne le vendroit pas, et qu’il ne convertiroit personne.

Nous avons fait part de ces obſervations à M. Schwartz, qui nous a honorés de la lettre ſuivante.


« Messieurs,


Je ne ſuis ni un bel eſprit Parisien, qui prétend à l’académie françoiſe, ni un politique Anglois, qui fait des pamphlets, dans l’eſpérance d’être élu membre de la chambre des Communes, & de ſe faire acheter, par la Cour, à la première révolution du miniſtere. Je ne ſuis qu’un bon homme, qui aime à dire franchement son avis à l’univers, & qui trouve fort bon que l’univers ne l’écoute pas. Je ſais bien que je ne dis rien de neuf pour les gens éclairés, mais il n’en eſt pas moins vrai que, si les vérités qui se trouvent dans mon Ouvrage étoient si triviales pour le commun des François ou des Anglois, &c. l’eſclavage des Negres ne pourroit ſubſiter. Il eſt très-poſſible cependant que ces réflexions ne ſoient pas plus utiles au genre humain que les ſermons que je prêche depuis vingt ans, ne ſont utiles à ma paroiſſe, j’en conviens, & cela ne m’empêchera pas de prêcher & d’écrire tant qu’il me reſtera une goutte d’encre & un filet de voix. Je ne prétends point d’ailleurs vous vendre mon manuſcrit. Je n’ai beſoin de rien, je reſtitue même à mes paroiſſiens les appointemens de Miniſtre que l’État me paye. On dit que c’eſt auſſi l’uſage que font de leur revenu tous les Archevêques & Évêques du clergé de France, depuis l’année 1750, où ils ont déclaré ſolemnellement à la face de l’Europe, que leur bien étoit le bien des pauvres.

» J’ai l’honneur d’être avec reſpect, &c.

» Signé Joachim SCHWARZ,
avec paraphe. »


Cette lettre nous a paru d’un ſi bon homme, que nous avons pris le parti d’imprimer ſon ouvrage. Nous en ſerons pour nos frais typographiques, ou les lecteurs pour quelques heures d’ennui.