Réflexions sur la révolution de France - 1819/Avis de l’imprimeur

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Traduction par J. A. A***, sur la troisième édition.
Adrien Égron (p. v-viii).


AVIS DE L’IMPRIMEUR.



Dans un moment où de fausses doctrines en politique se propagent avec une nouvelle et déplorable activité ; dans un moment où de vieux incorrigibles et de jeunes énergumènes essaient de justifier les erreurs et même les crimes de la révolution, nous avons cru qu’il serait utile de publier une nouvelle édition de l’ouvrage d’Edmond Burke, intitulé : Réflexions sur la Révolution de France. Cet homme, que le célèbre et modeste auteur de l’Esprit de l’Histoire (le comte Ferrand, Pair de France) appelle le citoyen de tous les empires, prophétisa nos malheurs, dans sa retraite de Beaconsfield. « Lorsque l’Europe presqu’entière s’était engouée de la révolution française, et applaudissait, avec une admiration stupide, à ses premières catastrophes, Burke la jugea telle qu’elle était ; son âme, oppressée par toutes les injustices qu’il voyait commettre, exhalait son indignation avec des traits que Tacite lui eût enviés. Aucune des conséquences qu’une telle révolution allait entraîner n’échappa à sa prévoyance ; il les prédit toutes ; et l’événement a tellement vérifié ses prédictions, qu’il a été appelé le prophète de la révolution[1]. »


La traduction que nous devons à M. Dupont, intendant de la marine à Toulon, magistrat recommandable, trop tôt enlevé à son pays, à sa famille et à ses nombreux amis, fut faite sous les yeux mêmes de Burke, à la fin de l’année 1790. L’auteur anglais corrigeait lui-même ce qui ne lui semblait pas assez expressif, comme nous en avons la preuve sur les manuscrits du traducteur, restés entre les mains de madame sa veuve. M. Dupont sacrifia souvent son goût aux désirs de son ami ; et c’est à cette condescendance qu’on doit attribuer les tournures de phrases plus anglaises que françaises, et quelquefois peu intelligibles, qui se rencontrent dans cette traduction.

M. Dupont, mu par l’amour seul du bien public qui l’anima toujours, eut le courage de revenir à Paris, d’où nos premiers troubles l’avaient éloigné, pour faire imprimer son ouvrage. Dix-huit éditions furent publiées dans un espace de temps très-court, et ce prodigieux succès fut la douce et la seule récompense de son zèle désintéressé ; il n’avait d’autre but que de répandre des vérités utiles, au milieu du torrent des erreurs et de l’égarement trop général. Il fut payé de ses efforts généreux par l’estime des honnêtes gens et par la haine des méchans ; mais les méchans étaient en majorité. Proscrit sous le double rapport de membre du Parlement et de traducteur de Burke, il fut obligé de fuir, laissant à madame Dupont, sa mère, tous les matériaux qu’il avait rapportés d’une terre hospitalière, ainsi que les notes relatives à sa traduction. Mais madame Dupont fut elle-même arrêtée ; et ses fidèles domestiques, craignant pour les jours de leur respectable maîtresse, brûlèrent sans pitié tous les papiers de son fils : il y était quelquefois question d’Anglais, d’Angleterre ; et, à cette époque, c’était un crime de haute trahison.

La traduction que nous réimprimons aujourd’hui, a été revue sur la 8e édition anglaise. Le style offrira, nous l’espérons, cette correction et cette clarté que l’on regrettait quelquefois de ne pas trouver dans les premières éditions. Ces légères taches avaient pour excuse l’aménité et la com plaisance de M. Dupont qui céda trop aux désirs de son honorable ami dont le bouillant génie, peu familiarisé avec les règles austères de la langue française, exigea plus d’une fois qu’on sacrifiât la justesse de l’expression à l’énergie de sa pensée.

Les notes qui accompagnent notre édition ajouteront peut-être quelque prix au mérite de l’ouvrage même ; elles forment un commentaire perpétuel de Burke, en faveur de ceux qui, par quelque cause que ce soit, n’ont point été à portée de connaître les premiers événemens de la révolution, et qui n’en savent qu’imparfaitement l’origine et les terribles résultats. La personne qui les a tracées a vu les hommes et les choses de cette trop longue période de dé sastres…

.........Quæque ipse miserrima vidit,
Et quorum pars ipse fuit.

Il en fut le témoin, hélas ! et la victime.

(Énéide, trad. de Delille.)

Le but de ces notes est de montrer l’accomplissement des prophéties de Burke, et de répondre par des faits aux déclamations des révolutionnaires, répétées aujourd’hui par une foule d’écrivains perfides ou ignorans, et qui tendent à replonger la France dans les calamités si bien prédites par le publiciste anglais.

A. Egron.

Paris, 1er mai


  1. Extrait des Observations sur les Quatres Concordats, par Bernardi, pag. xvii. (Paris, A. Egron.)