Réfutation des sophistes

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LOGIQUE D’ARISTOTE

TRADUITE
EN FRANÇAIS POUR LA PREMIÈRE FOIS
ET ACCOMPAGNÉE DES NOTES PERPETUELLES
PAR
J. BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE
MEMBRE DE L’INSTITUT
(ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES)
PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE GRECQUE ET LATINE
AU COLLÈGE ROYAL DE FRANCE
TOME IV
TOPIQUES
RÉFUTATION DES SOPHISTES
PARIS, LIBRAIRIE DE LADRANGE
19 QUAI DES AUGUSTINS
M DCCC XLIII.

PLAN DES RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.



PREMIÈRE SECTION.

ESPÈCES DIVERSES DES PARALOGISMES.


Une réfutation sophistique est celle qui paraît seulement réfuter, mais qui, au fond, ne réfute pas. Elle n’a pour elle que l’apparence, comme ces gens qui n’ont de la santé que les dehors, comme ces métaux trompeurs qui n’ont de l’or et de l’argent que l’éclat. La véritable réfutation est celle qui contredit vraiment la conclusion d’abord avancée. La fausseté de la réfutation tient le plus ordinairement à une équivoque purement verbale. Mais ces réfutations ne sont qu’à l’usage du sophiste, c’est-à-dire du faux sage, qui veut se donner l’extérieur de la science et de la vertu, afin de tirer un lucre des prétendues qualités qu’il n’a pas. Pour atteindre son but, il a deux moyens : cacher d’abord les ruses honteuses qu’il emploie, et, en second lieu, donner à son adversaire, du moins à l’apparence, les torts de raisonnement qu’il a lui-même.

Il n’est pas besoin de dire que l’argumentation sophistique est la dernière de toutes ; car elle ne se propose ni, comme l’analytique, d’instruire l’interlocuteur en le conduisant au vrai ; ni comme la dialectique, de l’éclairer par le probable ; ni même d’essayer ses forces. Elle ne se propose que de le tromper ; le syllogisme qu’elle fait est purement contentieux.

On peut dire que le sophiste poursuit toujours Fune de ces cinq choses : ou il veut réfuter son interlocuteur et l’amener à se contredire ; ou il veut le pousser à soutenir une thèse fausse, ou tout au moins paradoxale ; ou il veut le contraindre à faire des fautes de langue, des solécismes ; ou, enfin, il veut l’amener à de vaines et ridicules redites. On sent que, de ces cinq objets, c’est surtout le premier que le sophiste recherche avec ardeur.

Les réfutations sophistiques sont de deux espèces : ou purement verbales, ou en dehors des mots. Les réfutations fausses et purement verbales viennent : de l’homonymie, quand on fait équivoque sur les divers sens d’un mot : de l’amphibologie, quand on fait équivoque sur les divers sens d’une phrase : de la composition, quand on réunit des mots qui devraient être séparés : de la division, quand on sépare des mots qui devraient être réunis : de la prosodie, quand on prononce ou qu’on écrit un mot avec une inflexion qui en dénature le sens ordinaire : enfin, de la forme même du mot, quand, sur la foi d’une simple terminaison, on change le genre et la nature grammaticale du mot.

Les paralogismes en dehors des mots, et qui ne viennent pas d’une erreur verbale, ont lieu selon qu’on les tire : de l’accident, quand on suppose que les attributs d’un sujet doivent être aussi les attributs de tous les accidents de ce sujet : de la confusion de l’absolu et du relatif, quand on prend pour vrai absolument ce qui n’est vrai qu’en partie : de l’ignorance de la réfutation, quand on ne sait pas d’une manière très-précise ce qu’est le vrai syllogisme, la vraie réfutation : de la pétition de principe : de la consécution erronée de certains termes, que l’on croit, à tort, réciproquement conséquents l’un de l’autre, erreur qui se reproduit bien fréquemment en rhétorique et même en philosophie : de la méprisé sur la cause de la conclusion, quand on réfute une proposition comme si elle produisait la conclusion fausse, tandis que c’est une autre proposition qui la produit : enfin, de la réunion de deux questions en une seule, quand elles devraient l’une et l’autre être distinctes et séparées.

On peut, du reste, ramener tous les paralogismes à une cause unique : l’ignorance de la réfutation, la troisième de celles que nous avons énumérées en dernier lieu. Verbales ou réelles, les réfutations sophistiques ne paraissent réfuter que parce que l’interlocuteur ne se rend pas bien compte de ce qu’est la réfutation. Qu’on définisse ce qu’on doit entendre par réfutation, et l’on verra sur-le-champ la fraude peu loyale dont on est victime. Qu’on parcoure une à une toutes les espèces de paralogismes, et l’on se convaincra que toutes peuvent être repoussées par une distinction exacte sur ce point.

On peut rapporter à cette cause unique, non pas seulement les syllogismes irréguliers et faux par la forme, mais tous les syllogismes faux par la matière, c’est-à-dire, tous ceux où les propositions ne sont pas vraies. Au fond, la réfutation sophistique, fausse comme elle l’est, n’en peut devenir une que par la faiblesse ou l’ignorance de l’interlocuteur, qui concède à son déloyal adversaire ce qu’il ne devrait pas lui accorder.

Chaque science a des réfutations qui lui sont propres, comme elle a des syllogismes qui ne sont qu’à elle. Autant de réfutations possibles que de syllogismes : c’est-à-dire que les réfutations sont en nombre infini. Mais ces réfutations sont vraies, tandis que celles des sophistes sont complètement fausses.

Fausses ou vraies, les réfutations ne s’adressent jamais uniquement aux mots, comme quelques-uns le soutiennent ; du mot, elles vont jusqu’à la pensée. Elles peuvent bien s’appuyer seulement sur les mots, ainsi que nous l’avons fait voir, mais elles vont au-delà. Et d’une manière générale, la réfutation porte à la fois sur la pensée tout aussi bien que sur les expressions qui la font comprendre.

Il faut du reste distinguer avec soin les paralogismes qui se forment dans chaque science par des principes qui, tout faux qu’ils sont, appartiennent cependant à cette science, et les paralogismes qui ne viennent que de principes communs. Ces derniers sont les plus ordinaires parce qu’ils sont à la portée même des gens les moins éclairée.

Tel est le premier objet que se propose le sophiste : la réfutation apparente de ses interlocuteurs.

Le second et le troisième, c’est de les amener à soutenir le faux, ou tout au moins un paradoxe. Pour y parvenir, le sophiste laisse d’abord la thèse dans le vague, et n’en précise ni les termes ni le sujet ; puis il multiplie tant qu’il peut ses interrogations ; il feint de vouloir s’instruire par les réponses qu’on lui fait, et séduit ainsi la bonne foi du novice auquel il s’adresse. Il s’appuie, pour faire accepter le paradoxe, sur les opinions souvent contradictoires des philosophes, sur la distinction des intentions et des paroles, surtout sur la distinction, si chère à tous les sophistes, de la nature et de la loi, sur l’opposition des sages et du vulgaire, dont les uns ne suivent que la vérité, et dont les autres obéissent aveuglément à l’opinion.

La tautologie, quatrième écueil sur lequel les sophistes poussent leur adversaire, tient surtout à la confusion des relatifs. Comme aussi, les fautes de langue, les solécismes tiennent le plus souvent à la confusion des genres, laquelle est surtout facile avec le pronom neutre démonstratif, qui s’adresse encore tout aussi bien au masculin et au féminin.

Il est bon aussi de voir quelle est la méthode que suit le sophiste dans ses interrogations, afin de se mettre en garde contre ses pièges : prolixité de l’exposition, volubilité de paroles, provocation à l’interlocuteur pour le mettre hors de lui par l’impatience ou la colère, désordre, dissimulation, emploi de propositions qui n’ont pas été formellement concédées, distinctions captieuses, déplacement de la discussion, etc., etc. : tels sont les moyens mis en œuvre par le sophiste, et contre lesquels il faut nous savoir défendre.


DEUXIÈME SECTION.


SOLUTION DES PARALOGISMES.

Savoir résoudre les paralogismes, est utile non pas seulement contre les sophistes : la philosophie elle-même peut y profiter. On connaît mieux les choses quand on sait ainsi connaître les mots ; et l’on se trompe moins soi-même dans ses études personnelles, quand on sait ainsi réfuter les erreurs des autres.

Il faut bien se dire que, de même que la réfutation, la solution peut être vraie ou seulement apparente ; et cette dernière, tout imparfaite qu’elle est, doit être aussi quelquefois employée contre les sophistes. La réfutation, quand elle est véritable, est par cela même insoluble. La vraie solution consiste le plus ordinairement à faire dès le début les distinctions nécessaires : et c’est un soin de la plus haute importance devant lequel il ne faut jamais reculer, etc., etc.

Il faut, pour donner la solution vraie, regarder d’abord à la forme du syllogisme, et s’assurer qu’elle est bien régulière : puis ensuite au fond, et s’assurer s’il est faux ou vrai. On doit, du reste, être aussi rapide que possible dans la discussion, et s’habituer à trouver sur-le-champ la solution convenable, sans accorder à la réflexion un temps que le sophiste ne manquerait pas de mettre à profit.

Les paralogismes par homonymie sont faciles à résoudre, que l’erreur soit d’ailleurs dans les prémisses ou dans la conclusion, en montrant que le sophiste a fait porter la réfutation sur un sens dont il n’était pas question.

Pour la combinaison et la division, il suffit de diviser les mots quand le sophiste les réunit, de les réunir quand il les divise.

Les paralogismes de prosodie sont plus rares ; mais on les résout aussi aisément en faisant les distinctions convenables, d’après la prononciation diverse des mots.

On résout ceux qui tiennent à la forme grammaticale des mots, en rétablissant les genres véritables des choses que le sophiste confond à dessein, en séparant les catégories qu’il mêle par une simple analogie dans les terminaisons, etc., etc.

En général, pour les paralogismes de mots, il suffit de toujours soutenir le contraire de ce qu’a soutenu le sophiste.

Pour les paralogismes tirés de l’accident, la solution consiste à nier que les attributs de l’accident appartiennent nécessairement au sujet de cet accident. Cette statue, disent les sophistes, est à vous ; or cette statue est une œuvre, donc cette statue est une œuvre à vous, elle est votre œuvre. Ce chien, ajoutent-ils, est à vous : or ce chien est père, donc il est père à vous, il est votre père. Pas le moins du monde : cette statue, ce chien ne sont œuvre et père que par accident : donc l’œuvre et le père ne m’appartiennent pas, mais seulement la statue et le chien m’appartiennent, etc., etc.

La solution des paralogismes formés par confusion de l’absolu et du relatif, s’obtiendra en distinguant soigneusement l’un de l’autre. De ce qu’une chose est limitativement telle chose, il ne s’ensuit pas qu’elle est absolument. Ainsi, le non-être est concevable ; mais ceci ne veut pas dire qu’il est, etc., etc.

Quand le paralogisme tient à l’ignorance de la réfutation, il suffit de comparer la réfutation à la thèse soutenue et de prouver qu’elle ne la contredit pas réellement.

La pétition de principe est résolue par cela même qu’on la signale.

Pour la consécution erronée, il faut faire voir que le sophiste raisonne, en effet, d’après cette consécution, qui n’est point exacte. On peut conclure de l’existence de l’antécédent à l’existence du conséquent, et de la destruction du conséquent à celle de l’antécédent ; mais on ne peut réciproquement conclure de l’existence du conséquent à celle de l’antécédent, ni de la perte de l’antécédent à celle du conséquent.

Pour prouver qu’on s’est attaché a une cause fausse, à une cause qui n’est pas cause, on n’aura qu’à montrer, que, même en enlevant cette proposition, la conclusion n’en subsiste pas moins.

Pour la confusion de plusieurs interrogations en une seule, il suffit de les distinguer les unes des autres, et de répondre à chacune séparément.

On évitera les répétitions inutiles et ridicules, en montrant que le mot isolé n’a pas la même signification que lorsqu’il est réuni à d’autres.

On évitera les solécismes en distinguant avec soin les genres et les cas.

Il ne faut pas, du reste, s’y méprendre : si quelques paralogismes sont grossiers et faciles à résoudre, il en est dont la solution est extrêmement difficile. On voit bien que le raisonnement est faux ; mais en quoi est-il faux ? c’est ce que souvent on ne saurait dire. Les plus embarrassants sont ceux qui soulèvent le plus de doutes, etc., etc.


TROISIÈME SECTION.

RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE LA LOGIQUE.


Nous voici maintenant arrivés, non pas seulement à la fin de cette étude sur la sophistique, non pas seulement à la fin de nos études sur la dialectique, mais à la fin de toutes nos recherches sur la science du raisonnement. Ces recherches ont été bien longues, elles nous ont coûté bien des labeurs et bien du temps ; car personne ne nous avait frayé la route ; et nous n’avions point ici, comme pour l’art de la rhétorique, des travaux antérieurs aux nôtres. Nous avions tout à faire. Que ce soit notre excuse pour les lacunes que notre ouvrage doit encore présenter ; que ce soit notre titre à la reconnaissance de tous ceux qui nous liront, pour les découvertes que nous avons faites, sans que d’autres mains les eussent préparées.



PREMIÈRE SECTION.


ESPÈCES DIVERSES DES PARALOGISMES.


CHAPITRE PREMIER.

But général de ce traité : différence du syllogisme et de la réfutation sophistique. — Définition du sophiste et de la sophistique.


§ 1[1]. Mais parlons des réfutations sophistiques, c’est-à-dire des réfutations qui paraissent en être de véritables, mais qui n’en sont pas réellement et ne sont que des paralogismes. Nous commencerons naturellement par les principes.

§ 2[2]. Il est évident que, parmi les syllogismes, les uns en sont de véritables, et que les autres le paraissent sans en être. Comme pour tant d’autres choses, cette confusion se produit ici par une certaine ressemblance que peuvent présenter aussi les discours. Ainsi, parmi le hommes, les uns ont bien réellement la santé, les autre n’en ont que l’apparence, se gonflant eux-mêmes et se parant, comme on gonfle et comme on pare les victimes offertes par les tribus. Les uns sont beaux par leur propre beauté, les autres ne font que le paraître parce qu’ils se sont bien ornés eux-mêmes. On pourrait appliquer cette observation même aux choses inanimées ainsi, celles-ci sont véritablement de l’argent, celles-là de l’or, d’autres ne le sont pas réellement et le paraissent à nos sens qu’elles trompent : par exemple, le plomb et la litharge paraissent de l’argent, et les choses dorées paraissent de l’or. De même pour le syllogisme et la réfutation : l’une est réellement syllogisme, l’autre ne l’est pas, mais elle paraît l’être à des yeux inexpérimentés ; car les gens sans expérience ne voient les choses que comme s’ils les regardaient à une grande distance.

§ 3[3]. Le syllogisme est un raisonnement où, certaines données étant posées, on tire de ces données quelque conclusion, qui en sort nécessairement, et qui est différente de ces données.

§ 4[4]. La réfutation, au contraire, est un syllogisme avec contradiction de la conclusion. § 5[5]. Les sophistes ne le font pas réellement, mais ils paraissent le faire à plus d’un titre : et le lieu le plus naturel et le plus commun de tous ceux par lesquels on produit cette apparence est celui qui ne tient qu’aux mots. En effet, comme on ne peut discuter en apportant les choses mêmes, et qu’il faut se servir des mots comme représentation, au lieu des choses qu’ils remplacent, nous croyons que ce qui arrive aux mots arrive également aux choses, comme on conclut des cailloux au compte que l’on veut faire. Or ici, la ressemblance n’est pas tout à fait complète ; car les mots sont limités ainsi que le nombre des définitions, mais les choses sont innombrables. Il est donc nécessaire qu’une même définition et qu’un seul nom signifient plusieurs choses. De même donc que ceux qui ne savent pas bien se servir des cailloux sont dupés par ceux qui le savent, de même, pour les discours : ceux qui ne connaissent pas la puissance des mots font de faux raisonnements, soit en discutant eux-mêmes, soit en écoutant les autres. Cette cause donc, et celles qui seront dites plus tard, font qu’il y a le syllogisme apparent et la réfutation qui paraît en être une, mais qui, cependant, n’est pas véritablement une réfutation.

§ 6. Comme il y a certaines gens qui s’occupent plus de paraître sages que de l’être réellement sans le paraître ; car la sophistique n’est pas autre chose qu’une sagesse apparente et qui n’est point réelle, et le sophiste ne cherche qu’à tirer un lucre d’une sagesse apparente qui n’a rien de vrai, il est clair que ces gens-là cherchent plutôt à sembler faire œuvre de sagesse qu’à le faire réellement sans le paraître. Du reste, et pour comparer les choses une à une, c’est l’œuvre en chaque chose de celui qui sait, d’abord de ne pas se tromper lui-même dans ce qu’il sait, et ensuite de pouvoir démasquer celui qui trompe ; et ces deux mérites consistent, l’un à pouvoir donner la raison des choses, et l’autre à l’apprécier quand un autre la donne. Il y a donc nécessité que ceux qui veulent jouer le rôle de sophistes cherchent des discours du genre que nous venons de dire ; car c’est là ce qu’il leur faut, puisque c’est ce talent qui les fera paraître sages, et c’est précisément là ce qu’ils désirent et se proposent.

§ 7. Qu’il y ait un tel genre de discours, et que ceux que nous appelons sophistes recherchent ce talent, c’est ce qui est évident.


CHAPITRE II.

Espèces diverses des argumentations au nombre de quatre.


§ 1. Combien il y a d’espèces d’argumentations sophistiques, quel est le nombre de celles par lesquelles on peut former ce talent, et combien il y a de parties dans cette étude, c’est ce que nous allons dire, en y ajoutant tout ce qui peut en outre compléter cet art.

§ 2[6]. Il y a quatre genres de raisonnements possibles dans la discussion : l’instructif, le dialectique, l’exercitif et le contentieux. L’instructif part des principes propres de chaque science, et non pas des opinions particulières de celui qui répond ; car il faut que le disciple croie à ce qu’on lui dit. Le dialectique est celui qui conclut syllogistiquement la contradiction, en partant de principes probables. L’exercitif part de principes posés par celui qui répond, et que doit nécessairement connaître celui qui se donne pour posséder la science : quelle est ici la méthode à suivre, c’est ce qu’on a dit ailleurs. Enfin le raisonnement contentieux procède de principes qui paraissent probables et qui ne le sont pas : il est syllogistique ou paraît l’être. § 3[7]. On a déjà parlé dans les Analytiques du genre instructif et démonstratif, et ailleurs, du dialectique et de l’exercitif : il faut parler ici des arguments de contention et de dispute.


CHAPITRE III.

Buts divers qu’on peut se proposer dans l’argumentation éristique.


§ 1. Il faut se rendre compte, d’abord, de ce que se proposent ceux qui aiment ainsi à lutter de paroles dans des discussions. § 2. Il y a cinq choses qu’ils peuvent avoir en vue : la réfutation, l’erreur, le paradoxe, le solécisme, et, en cinquième lieu, de faire bavarder celui qui discute avec eux : j’entends par bavarder, lui faire répéter vainement plusieurs fois la même chose. D’ailleurs, ils peuvent poursuivre ce qui n’est pas, mais paraît être pour chacune de ces choses. § 3. De ces cinq objets, celui qu’ils préfèrent, c’est de paraître réfuter leur antagoniste ; en second lieu, c’est de montrer qu’ils fait quelque erreur ; troisièmement, de le pousser au paradoxe ; quatrièmement, de le forcer à commettre un solécisme, c’est-à-dire de contraindre par leur raisonnement celui qui répond, à parler comme un véritable barbare ; enfin, en cinquième lieu, de lui faire redire plusieurs fois les mêmes choses.


CHAPITRE IV.

Deux espèces principales de réfutations : 1° l’une purement verbale ; 2° l’autre relative aux choses.


§ 1. Il y a deux manières de réfuter : l’une s’adresse au mot, l’autre est en dehors du mot. § 2. Les causes qui font illusion relativement aux mots, sont au nombre de six : c’est l’homonymie, l’amphibologie, la combinaison, la division, la prosodie et la forme même du mot. On peut démontrer par la méthode d’induction et par le syllogisme, ou telle autre méthode, que l’on peut exprimer une chose qui n’est pas la même, d’autant de façons qu’on vient de dire, par les mêmes mots et les mêmes paroles.

§ 3[8]. Pour l’homonymie, il y a des raisonnements du genre de celui-ci : Ceux qui savent, apprennent ; car les grammairiens apprennent les choses qu’ils font réciter de mémoire. C’est qu’apprendre est un homonyme, et signifie également faire comprendre en se servant de la science et acquérir la science. On prouve encore que les maux sont des biens ; car ce qui doit être est un bien, et les maux doivent être. C’est que, devoir être a un double sens, et signifie, d’une part, le nécessaire, ce qui se présente souvent même pour les maux ; car il y a tel mal qui est nécessaire ; et, d’autre part, nous disons que les biens sont aussi ce qui doit être. Autre homonymie : on prouve que le même individu est assis et debout, qu’il est malade et bien portant ; car celui qui s’est levé, est debout, et celui qui s’est guéri est bien portant. Or, c’était un individu assis qui se levait, un malade qui se guérissait ; car cette expression, que le malade fait ou souffre une chose quelconque, n’a pas une signification unique, mais tantôt elle veut dire que, telle personne est assise ou malade maintenant, et tantôt il s’agit d’une personne qui l’était auparavant. Oui, sans doute, le malade se portait bien même en étant malade, mais il ne se porte pas bien étant malade ; c’est le malade qui se porte bien, mais ce n’est pas le malade qui l’est maintenant, c’est celui qui l’était auparavant.

§ 4[9]. Quant à l’amphibologie, en voici un exemple : Vous voulez ma prise des ennemis : Quelqu’un qui connaît connaît-il cela ? Car on peut entendre par cette expression, et désigner ainsi comme connaissant, et celui qui connaît, et la chose qui est connue ? Est-ce que ce que celui-ci voit, voit cela ? Il voit la colonne, de sorte que c’est la colonne qui voit. Et encore, ce que tu dis être est-ce que tu le dis être ? Et tu dis que c’est une pierre, tu dis donc que tu es une pierre ? Enfin, est-ce que celui qui se tait parle ? Car cette expression, celui qui qui se tait parle, a deux sens ; d’abord, que celui qui parle se tait, et que ce sont les choses mêmes qui se taisent.

§ 5[10]. Il y a trois espèces dans l’homonymie et dans l’amphibologie ; l’une, quand l’expression ou le mot a proprement plusieurs sens, comme aigle, chien ; l’autre qui procède de l’usage où nous sommes d’employer ces mots ; la troisième, enfin, quand le mot en combinaison a plusieurs sens, mais qu’il n’en a qu’un absolument quand il est isolé. Par exemple, savoir les lettres ; car chacun de ces mots pris à part ne signifient qu’une seule chose : savoir, et les lettres ; mais tous deux réunis ont plusieurs sens ; d’abord, que ce sont les lettres elles-mêmes qui ont la science, ou que c’est un autre qui a la science des lettres.

L’homonymie et l’amphibologie ont donc ces diverses espèces.

§ 6[11]. Voici celles de la combinaison : par exemple, que celui qui est assis peut marcher, et que celui qui n’écrit pas peut écrire ; car le sens n’est pas le même, si l’on prétend ainsi, en séparant les idées, ou en les réunissant, qu’il est possible que l’individu assis, marche, et que celui qui n’écrit pas, écrive. Et de même, si l’on réunit ces deux idées que celui qui n’écrit pas écrit ; car cela signifie alors que celui qui n’écrit pas écrit ; et si l’on ne réunit pas les idées, cela veut dire qu’il a la faculté d’écrire même lorsqu’il n’écrit pas. Et il apprend maintenant la grammaire, puisqu’il apprenait ce qu’il sait. Et de même encore que celui qui ne peut porter qu’une seule chose peut cependant en porter plusieurs.

§ 7[12]. Pour la division, c’est, par exemple, que cinq sont deux et trois, et qu’ainsi ils sont pairs et impairs : et que le plus grand est égal ; car il est d’abord autant, et, en outre, il a du plus. En effet, la même expression combinée ou divisée ne signifie plus la même chose. Ainsi : Je t’ai fait libre d’esclave, et le divin Achille laissa cinquante hommes de cent.

§ 8[13]. Dans la prosodie, il n’est pas facile de se tromper quand on ne fait que discuter en paroles sans écrire, mais c’est bien plutôt dans les choses écrites et dans les poésies. Par exemple, il y a des gens qui défendent Homère contre ceux qui lui font un crime d’avoir dit : Il n’est pas atteint par sa pluie. On défend cette expression par une règle de prosodie, en disant que le mot en discussion doit être marqué d’un accent aigu : et dans le songe d’Agamemnon, que ce n’est pas Jupiter lui-même qui dit : Nous lui accordons d’obtenir sa prière, mais qu’il ordonne au songe de la lui accorder. Voilà donc des observations relatives à la prosodie.

§ 9[14]. Quant aux arguments tirés de la forme du mot, ils ont lieu quand ce qui n’est pas la même chose est exprimé de la même façon : par exemple, le masculin pris au féminin, ou le féminin au masculin : ou bien lorsque le neutre est pris pour l’un ou pour l’autre : ou bien la qualité pour la quantité ; ou à l’inverse, la quantité pour la qualité, ou l’action pour la souffrance, ou l’action pour la disposition. Et ainsi du reste, contre les divisions faites précédemment ; car il est possible d’exprimer par le mot, comme étant de la catégorie de l’action, ce qui n’est pas de la catégorie de l’action : ainsi, se bien porter, est, pour la simple forme du mot, tout à fait la même chose que couper et construire ; et, cependant, l’un exprime que l’on a certaine qualité, certaine disposition, et l’autre, que l’on fait certaine chose. Et de même pour tout le reste.

§ 10[15]. Les arguments tirés des mots sont donc de ces différentes espèces.


CHAPITRE V.

Des paralogismes en dehors du mot : sept espèces.


§ 1. Il y a sept espèces de paralogismes en dehors du mot ; l’une tirée de l’accident, l’autre de ce que le terme qui devrait être pris absolument ne l’est pas absolument, mais est pris avec une restriction de lieu, ou de telle autre relation : la troisième est relative à l’ignorance de la réfutation, la quatrième à la conséquence, la cinquième à la pétition de principe ; la sixième vient de ce qu’on a donné pour cause, ce qui ne l’est pas ; la septième enfin, c’est de réunir plusieurs questions en une seule.

§ 2[16]. Les paralogismes relatifs à l’accident ont lieu, quand on croit qu’une chose quelconque est aussi bien à l’accident qu’à la chose même. En effet, de ce que plusieurs choses peuvent être comme accidents à une même chose, il n’est pas nécessaire que tous ces accidents soient à tous les attributs de la chose et au sujet qui a ces attributs ; car de cette façon toutes choses seront identiques, ainsi que le prétendent les sophistes. Par exemple, si Coriscus est autre chose que homme, il sera autre que lui-même ; car il est homme : ou s’il est autre que Socrate, et que Socrate soit homme, les sophistes soutiennent qu’on accorde par là qu’il est autre chose que homme, attendu que l’être relativement auquel on a dit qu’il était autre, a pour accident d’être homme.

§ 3[17]. Les paralogismes qui tiennent à ce qu’une chose qui devrait être dite absolument est prise avec restriction, et non proprement, ont lieu, quand on prend ce qui est dit au particulier comme absolu ; ainsi, par exemple, au lieu de dire que le non être est concevable on dit que le non être est ; car ce n’est pas du tout chose identique d’être telle chose ou d’être absolument. Ou encore si l’on dit que l’être n’est pas réellement, parce qu’il n’est pas l’une des choses qui sont, et par exemple qu’il n’est pas homme : car ce n’est pas une expression identique de n’être pas quelque chose, et de n’être pas absolument. L’erreur vient de la ressemblance de l’expression, et il semble qu’il n’y a pas grande différence entre être telle chose et être, et entre ne pas tire telle chose et ne pas être. On confond de même et la restriction et le sens absolu ; par exemple, si l’Indien étant tout à fait noir il est cependant blanc par les dents, il est tout à la fois blanc et non blanc ; ou bien s’il est les deux, en quelque façon à la fois, il faut donc que les contraires coexistent en lui. Tout le monde peut aisément voir dans certains cas des paralogismes de ce genre ; par exemple, si supposant que l’Ethiopien est noir, on demande s’il est blanc par les dents. Si donc il est blanc de cette façon, on pourra croire avoir prouvé par syllogisme qu’il est noir et non noir tout à la fois, quand on aura terminé son interrogation. Mais cette erreur reste souvent cachée : et c’est dans tous les cas où lorsqu’on dit la chose avec une restriction, le sens absolu semblerait devoir suivre, et dans tous ceux où il n’est pas facile de voir lequel des deux sens on doit prendre au propre. Et cela se présente toutes les fois que les opposés sont également au sujet. Il paraît, en effet, ou que les deux en même temps, ou que ni l’un ni l’autre, ne doivent être attribués absolument : par exemple, si une moitié est blanche et l’autre moitié noire, on demande si la chose est blanche ou noire ?

§ 4[18]. D’autres paralogismes ont lieu parce qu’on n’a pas défini ce que c’est que le syllogisme ou la réfutation, et ils tiennent à l’oubli de la définition, la réfutation est la contradiction d’une seule et même chose, non pas d’un mot, mais d’une chose réelle : et si c’est un mot, non pas d’un mot synonyme, mais du même mot, restant le même nécessairement d’après les données initiales, sans compter le principe, et restant le même relativement au même rapport pour la même chose de la même manière et dans le même temps. Et de même quand on se trompe sur quelque point. Parfois en laissant de côté une partie des conditions qu’on vient d’indiquer, on paraît réfuter : et l’on dit, par exemple, qu’une même chose est double et n’est pas double ; car deux sont le double de un, mais ne sont pas le double de trois. Et si la même chose est le double, et n’est pas le double d’une même chose, c’est que ce n’est pas sous le même rapport ; car elle est le double en longueur et ne l’est pas en largeur. Ou bien, si elle est le double de la même chose sous le même rapport et la même façon, ce ne sera pas en même temps. Aussi n’est-ce une réfutation qu’en apparence. Du reste, on pourrait ramener ce paralogisme à ceux qui sont relatifs aux mots.

§ 5[19]. Ceux qui ont lieu par pétition de principe se font de la même manière, et d’autant de façons, qu’on peut faire pétition de principe ; ils semblent réfuter, parce qu’on ne peut voir nettement le même et l’autre.

§ 6[20]. La réfutation relative à la conséquence a lieu parce qu’on suppose que la consécution est réciproque. Ainsi, lorsque telle chose étant, telle autre est de toute nécessité, on pense en outre que cette dernière étant, l’autre sera nécessairement aussi. C’est de là que se forment encore même des erreurs de sensation dans la pensée : car souvent on a pris de la bile pour du miel, parce que la couleur jaunâtre est un conséquent du miel. Et comme il arrive quand il pleut que la terre devient glissante, si elle est glissante on suppose qu’il a plu : mais il n’y a rien là de nécessaire.

§ 7[21]. Dans la rhétorique, les démonstrations tirées d’un signe viennent aussi des conséquents. Si l’on veut prouver que tel homme est débauché, on prend la conséquence, laquelle est qu’il se pare beaucoup, et qu’on le voit errer la nuit. Or ces circonstances se présentent pour bien des gens, mais l’attribut ne leur appartient pas. § 8. Et de même dans les discussions par syllogismes : par exemple, le mot de Mélissus qui soutient que l’univers est infini parce qu’il suppose que l’univers est incréé ; car rien ne se fait de rien, mais ce qui est a été dès le commencement. Si donc l’univers n’a pas été créé, l’univers n’a pas de commencement, il est donc infini. Mais il n’y a pas de nécessité à cela ; car, de ce que tout ce qui a été créé a un commencement, il ne s’ensuit pas que si quelque chose a un commencement il ait été créé, pas plus que si celui qui a la fièvre a chaud, il n’y a pas nécessité que celui qui a chaud ait la fièvre.

§ 9[22]. Ceux qui tiennent à ce qu’on prend pour cause ce qui ne l’est pas ont lieu, lorsqu’on prend ce qui n’est pas cause comme si la réfutation en venait. C’est ce qui se présente dans les syllogismes par réduction à l’absurde ; car dans ces syllogismes, il faut nécessairement détruire quelqu’une des données initiales. Si donc on a compté dans les propositions nécessaires, avant la conclusion, la proposition absurde, la réfutation semblera tenir à cette proposition même. Et par exemple, quand on soutient que l’âme et la vie ne sont pas la même chose. En effet, si la génération est contraire à la destruction, telle génération sera contraire à telle destruction, mais la mort est une sorte de destruction, et elle est contraire à la vie : ainsi la vie est génération, et vivre c’est être engendré. Or, ceci est absurde ; donc l’âme et la vie ne sont pas identiques. Ici l’on n’a pas fait certainement de syllogisme ; car la conséquence absurde se produit sans même avancer que l’âme et la vie sont la même chose ; mais il suffit de soutenir que la vie est contraire à la mort, qui est une destruction, et que la génération est contraire à la destruction. Ces raisonnements ne sont pas tout à fait incapables de conclure, mais ils ne concluent pas pour l’objet en question : et ce vice échappe souvent à ceux-là même qui posent les questions.

§ 10. Tels sont donc les paralogismes relatifs à la conséquence et à ce qui n’est pas cause.

§ 11[23]. Ceux qui consistent à ne faire de deux questions qu’une seule, ont lieu quand on ne sait pas qu’il y a plusieurs choses, et qu’on donne une seule réponse, comme s’il n’y avait, en effet, qu’une chose en question. Parfois, il est facile de voir qu’il y a plusieurs choses, et qu’il ne faut pas donner de réponse unique. Par exemple, la terre est-elle mer ou ciel ? Parfois cela est moins facile, et l’on répond comme s’il n’y avait qu’une seule chose, et alors on se trouve réfuté ; ou bien l’on accorde le sujet en discussion en ne répondant pas à ce qu’on demande, et alors on paraît être réfuté. Par exemple, on demande si un tel et un tel est homme ? et on conclut que si l’on frappe tel et tel, on frappera un homme et non pas des hommes. Ou encore si l’on demande, de choses dont les unes sont bonnes et dont les autres ne le sont pas, toutes ensemble sont-elles bonnes ou ne le sont-elles pas ? Quoi qu’on dise, on risque de prêter à une réfutation, ou de paraître faire du moins une erreur apparente ; car il y a une égale erreur à dire que, parmi des choses qui ne sont pas bonnes, telle chose est bonne, et que, parmi des choses qui sont bonnes, telle chose ne l’est pas. Parfois aussi, en ajoutant certaines données, c’est une véritable réfutation qu’on se prépare. Ainsi, par exemple, si on suppose que une ou plusieurs choses sont également dites blanches, et nues, et aveugles : car si un être est aveugle, qui n’a pas la vue quand il est fait naturellement pour l’avoir, les choses qui n’ont pas la vue, quand elles sont faites par la nature pour l’avoir, seront aussi aveugles. Si donc, l’une a la vue et que l’autre ne l’ait pas, les deux ensemble seront ou aveugles ou voyantes, ce qui est impossible.


CHAPITRE VI.

On peut rapporter tous les paralogismes à l’ignorance de la définition vraie de la réfutation — Résumé.


§ 1. C’est donc ainsi qu’il faut diviser les syllogismes apparents et les réfutations apparentes : ou l’on peut encore les ramener à l’ignorance de la réfutation, et partir de ce principe. En effet, on peut très bien rapporter toutes les nuances indiquées à la définition de la réfutation. § 2. D’abord, on le peut, si ces paralogismes ne sont pas concluants ; car il faut que la conclusion sorte des données, de telle sorte qu’on la tire nécessairement, et que ce ne soit pas une simple apparence. § 3. Ensuite, on le peut même en ne s’attachant qu’aux parties de la définition. Ainsi, des paralogismes relatifs au mot, les uns viennent d’un double sens : par exemple, l’homonymie, l’amphibologie et la similitude de forme. On admet habituellement que tous ces paralogismes signifient quelque chose d’analogue. Quant à la combinaison, la division et la prosodie, elles forment des paralogismes parce que le sens n’est pas le même, ou que le mot est différent. Or, il faudrait que le mot fût identique, comme il faudrait que la chose le fût, pour qu’il y eût syllogisme ou réfutation. Par exemple, s’il s’agit de vêtement, il faut conclure non pas manteau, mais vêtement ; car manteau peut être très vrai, mais on ne l’a pas mis dans le syllogisme. Il faut donc encore se faire accorder, par une nouvelle interrogation, que ce mot signifie la même chose que l’autre, si l’interlocuteur demande pourquoi on l’emploie.

§ 4. Les paralogismes relatifs à l’accident sont de toute évidence, quand on définit le syllogisme. Ainsi, il faut que la définition de la réfutation soit la même, si ce n’est qu’on y ajoute la contradiction ; car la réfutation n’est que le syllogisme de la contradiction. Si donc il n’y a pas de syllogisme de l’accident, il n’y a pas non plus de réfutation. En effet, si telles choses étant, il y a nécessité que telle autre chose soit, il ne s’ensuit pas que telle chose étant blanche il y ait nécessité que, par syllogisme, telle autre chose soit blanche. Il n’y a pu plus nécessité que le triangle ayant ses angles égaux à deux droits, et ayant pour accident d’être une figure, soit comme primitif, soit comme principe, la figure primitif ou principe, ait cette propriété du triangle. La démonstration de cette propriété se fait du triangle, non pas en tant qu’il est figure ou primitif, mais en tans que triangle. Et de même pour tous les autres cas. Ainsi donc, si la réfutation est une sorte de syllogisme, il n’y aura pas de réfutation venant de l’accident. Mais pourtant c’est sur ce point-là que les artistes et les habiles, en général, sont réfutés par les ignorants ; car ils font des syllogismes de l’accident contre ceux qui savent ; mais ceux qui ne peuvent diviser la question, ou accordent ce qu’on leur demande, ou, sans l’avoir accordé, paraissent pourtant l’avoir concédé.

§ 5. Les réfutations par expression restrictive et absolue, ont lieu parce que la négation et l’affirmation ne s’appliquent pas à la même chose ; car de ce qui est blanc en partie, la négation est ce qui n’est pas blanc en partie ; de ce qui est blanc absolument, la négation est ce qui n’est pas blanc absolument. Si donc, lorsqu’on accorde que la chose est blanche en partie, l’adversaire suppose qu’elle l’est absolument, il ne fait pas une réfutation véritable ; mais s’il paraît en faire une, c’est seulement parce qu’on ignore ce que c’est que la réfutation.

§ 6[24]. Les plus évidents de tous les paralogismes sont ceux dont on a parlé d’abord, et qui sont relatifs à la définition de la réfutation. Voici pourquoi on les a nommés ainsi : c’est que cette apparence de réfutation se produit par l’absence même de la définition. Mais, en divisant les paralogismes, ainsi que nous l’avons fait, on peut dire qu’un vice commun à tous, c’est le défaut de définition.

§ 7[25]. Ceux qui viennent de pétition de principe, et de ce qu’on prend pour cause ce qui ne l’est pas, ceux-là sont évidents par la définition même de la réfutation ; car il faut que la conclusion ait lieu parce que telles propositions sont vraies, ce qui ne peut se faire avec des termes qui ne sont pas causes, et de plus en tenant compte du principe, ce que ne font pas les paralogisme par pétition de principe.

§ 8[26]. Ceux qui ont lieu par consécution ne sont qu’une partie de ceux qui sont relatifs à l’accident ; car le conséquent n’est qu’un accident. Mais il diffère de l’accident en ce que l’accident ne s’applique qu’à une seule chose par exemple, le blond et le miel sont la même chose, ainsi que le blanc et le cygne ; mais le conséquent est toujours dans plusieurs choses. En effet, pour les choses qui sont identiques à une seule et même chose, nous admettons qu’elles sont identiques entre elles, et voilà comment a lieu la réfutation par consécution. Mais ce n’est pas absolument vrai, et par exemple, ceci est faux si une chose n’est blanche que par accident. Ainsi la neige le cygne sont identiques sous le rapport de la blancheur. Ou encore, c’est comme dans la définition de Mélissus qui suppose que naître et avoir un commencement c’est la même chose. Ou bien, c’est supposer qu’il y a identité entre devenir égal et prendre la même grandeur. En effet Mélissus pense que ce qui est né a un commencement et que ce qui a un commencement doit être né, comme si le créé et le fini étaient tous deux identiques, en ce qu’ils ont tous deux un commencement. Et de même pour les choses qui deviennent égales, si l’on suppose que les choses qui prennent une seule et même grandeur deviennent égales, et que les choses devenues égales reçoivent aussi une même grandeur. Ainsi Mélissus prend ici le conséquent pour le sujet même. Puis donc que la réfutation de l’accident vient de l’ignorance de la réfutation, il est évident qu’il en est de même du paralogisme par consécution. On peut encore examiner ceci d’une autre manière.

§ 9[27]. Les réfutations qui se font parce qu’on réunit plusieurs questions en une seule, ont lieu parce qu’on ne démembre pas, et qu’on ne divise pas la définition de la proposition. La proposition est une seule chose dite pour une seule chose ; car la même définition ne va qu’à une seule chose et absolument à cette seule chose : par exemple, la définition de l’homme ne va qu’à l’homme seul : et de même pour les autres cas. Si donc une proposition une et seule est celle qui ne prononce qu’une chose d’une seule chose, une interrogation de ce genre sera absolument aussi une proposition. Or, les syllogisme se composant de propositions, et la réfutation étant un syllogisme, la réfutation aussi se composera de propositions. Si donc la proposition n’énonce qu’une chose d’une seule chose, il est évident que le syllogisme rentre aussi dans l’ignorance de la réfutation. En effet, c’est alors une proposition qui paraît être proposition sans l’être réellement. Si donc l’on donne la réponse comme pour une seule demande, il y aura réfutation ; si on ne l’a pas donnée, mais qu’on paraisse l’avoir donnée, ce ne sera qu’une réfutation apparente.

§ 10[28]. En résumé donc, toutes ces nuances reviennent à l’ignorance de la réfutation, les unes relatives au mot parce qu’il y a contradiction apparente, ce qui était le propre de la réfutation, les autres parce qu’elles se rapportent à la définition du syllogisme.


CHAPITRE VII.

Des causes de l’erreur : elles sont identiques à celles des paralogismes.


§ 1. L’erreur provient, dans les paralogismes relatifs à l’homonymie et à la définition, de ce qu’on ne peut distinguer les sens divers dans lesquels la chose est prise. C’est qu’il y a certaines choses qu’il n’est pas aisé de diviser, comme l’un, l’être, l’identique. § 2. Et pour les paralogismes relatifs à la combinaison et à la division, c’est parce qu’on croit qu’il n’y a pas de différence entre l’expression combinée et l’expression divisée, comme dans la plupart des cas. § 3[29]. Et de même pour ceux qui se rapportent à la prosodie ; car l’intonation affaiblie ou tendue ne paraît point signifier une chose différente dans aucun cas, ou du moins elle ne paraît pas le signifier dans beaucoup de cas. § 4[30]. Pour ceux qui sont relatifs à la forme du mot, c’est par la ressemblance qu’ils se produisent. En effet, il est difficile de bien déterminer quels sont les mots qui se disent de la même manière et ceux qui se disent autrement. Mais celui qui peut faire cette distinction est bien près de voir la vérité, et surtout il sait l’accorder. C’est qu’en effet nous supposons que tout attribut d’une chose est quelque chose, et que nous l’identifions avec elle : et c’est ainsi que l’individuel et l’être nous paraissent être nécessairement la conséquence de l’un et de la substance.

§ 5. Ainsi donc, parmi les réfutations relatives au mot, il faut placer cette espèce d’abord, parce que l’erreur a bien plus souvent lieu, quand on discute avec les autres que quand on discute avec soi-même ; car l’examen avec un autre se fait par des discours, tandis que l’examen à part soi se fait au moins autant par la chose même. Il arrive, du reste, que l’on se trompe dans cet examen personnel, même quand on fait porter son étude sur le raisonnement. L’erreur vient encore ici de la ressemblance ; et la ressemblance tient au mot. § 6. Quant aux paralogismes de l’accident, ils ont lieu parce qu’on ne peut distinguer le même et l’autre, l’unité et la pluralité, et que les accidents ne sont pas toujours identiques, et pour les attributs qualifiés et pour la chose même. § 7. Et de même pour ceux qui sont relatifs à la consécution ; car le conséquent est une partie de l’accident. Dans la plupart des cas, il paraît, et l’on croit, que si ceci n’est pas séparé de cela, l’une des choses ne peut pas être séparée de l’autre. § 8. Pour ceux qui sont relatifs au défaut de définition, et pour ceux qui ne tiennent qu’à une expression restrictive ou absolue, l’erreur est presque insaisissable ; car nous accordons la proposition universelle, comme si telle qualité, telle restriction, telle expression absolue, telle indication de manière ou de temps, n’ajoutaient rien à la proposition initiale.

§ 9[31]. Et de même pour ceux qui font pétition de principe, ou prennent pour cause ce qui n’est pas cause, et tous ceux qui confondent plusieurs questions en une seule. Dans tous, en effet, l’erreur a lieu, parce qu’elle vient peu à peu ; car nous ne définissons exactement, ni la proposition ni le syllogisme, par le motif que nous avons dit antérieurement.


CHAPITRE VIII.

Les syllogismes et les réfutations sophistiques sont aussi nombreuses que les syllogismes et les réfutations apparentes.


§ 1. Puisque nous savons tous les cas où se produisent les syllogismes apparents, nous savons aussi ceux où se produisent les syllogismes sophistiques et les réfutations sophistiques. J’appelle syllogisme sophistique et réfutation sophistique, non seulement le syllogisme ou la réfutation qui semblent l’être sans l’être réellement, mais, encore, celui qui l’étant vraiment, paraît faussement spécial à la chose en question. Tels sont ceux qui ne réfutent pas relativement à la chose même et qui ne démontrent pas qu’on l’ignore ; ce qui est le but même de l’art exercitif. Mais cet art est une partie de la dialectique. Elle peut, elle aussi, conclure le faux par l’ignorance de celui qui donne la réponse. Quant aux réfutations sophistiques, même quand elles concluent la contradiction, elles ne montrent pas évidemment l’ignorance de l’adversaire ; car tout ce qu’elles prétendent, c’est d’embarrasser par ces raisonnements celui qui sait.

§ 3. Il est clair que nous les avons aussi par la même méthode ; car toutes les fois qu’il paraît aux auditeurs que la conclusion résulte des questions posées, toutes les fois aussi cela doit paraître également, même à celui qui répond, de sorte que les syllogismes seront faux par ces questions mêmes, soit toutes, soit quelques-unes. En effet, ce qu’on pense avoir accordé sans avoir été interrogé, on l’accorderait également si l’on était interrogé ; si ce n’est que dans certains cas, il arrive qu’en demandant ce qui manque pour la conclusion, on dévoile en même temps l’erreur, comme dans les paralogismes relatifs aux mots et au solécisme. Si donc les paralogismes de la contradiction ne tiennent qu’à la réfutation apparente, il est évident qu’il y aura également syllogisme du faux dans tous les cas où il y aura réfutation apparente. § 4[32]. Mais la réfutation apparente se produit par l’omission des parties de la véritable ; car, chaque partie venant à manquer, la réfutation n’est plus qu’apparente : comme celle qui tient à ce que la conclusion ne sort pas des données initiales, celle qui procède par réduction à l’absurde, ou celle qui des deux questions n’en fait qu’une seule et pèche contre la proposition : et celle qui vient de ce que l’argument, au lieu de porter sur la même chose, ne porte que sur l’accident, et la réfutation qui n’est qu’une partie de celle-là, et s’adresse au conséquent. Puis il y a encore la réfutation qui consiste à montrer que l’argument vaut non pour la chose, mais pour les mots seuls. Puis il y aurait aussi la réfutation qui résulte de ce que, au lieu de l’universel, on a pris la contradiction, et pour le même objet et sous le même rapport, et de la même façon particulièrement, ou pour chacune de ces nuances. Reste, enfin, la réfutation relative à la pétition de principe, quand on tient compte de ce qui a été posé dans le principe. Ainsi donc, nous savons tous les cas où se produisent les paralogismes, car ils ne peuvent se produire de plus de manières ; tous ils ont lieu dans les cas qui ont été indiqués.

§ 5. La réfutation sophistique n’est point absolument une réfutation, c’est une réfutation seulement pour tel interlocuteur. Il en est de même du syllogisme sophistique. En effet, si la réfutation par homonymie ne pose pas que le mot n’a qu’un seul sens, si la réfutation par ressemblance des mots ne pose pas qu’elle ne s’attache qu’à tel mot seulement, et si toutes les autres ne font pas des réserves pareilles, elles ne sont plus des syllogismes, ni absolument parlant, ni même relativement à l’interlocuteur. Si elles font ces réserves, ce sont des syllogismes bons pour l’interlocuteur : mais, absolument parlant, elles n’en sont pas ; car elles prennent, non pas une expression qui n’ait qu’un sens, mais une expression qui paraît seulement n’avoir qu’un sens, et qui ne peut être ainsi comprise que de l’interlocuteur.


CHAPITRE IX.

Il faudrait posséder toutes les sciences, pour connaître toutes les réfutations possibles, vraies ou fausses. Il faut donc se borner aux réfutations dialectiques.


§ 1. Pour savoir de combien de manières la réfutation vraie peut avoir lieu, il ne faudrait pas moins que posséder la connaissance totale de toutes choses. Mais il n’y a pas d’art qui puisse jamais enseigner rien de pareil. En effet, les sciences sont peut-être infinies en nombre, de sorte qu’il est évident que les démonstrations le sont également. Mais il y a des réfutations aussi qui sont vraies ; car tout ce qu’on peut démontrer, on peut aussi le réfuter en posant la contradiction du vrai : par exemple, si l’on a supposé que le diamètre est commensurable, on réfutera en démontrant qu’il est incommensurable. Pour connaître toutes les réfutations, il faudrait donc tout savoir ; car les unes seront relatives aux principes de géométrie et aux conclusions qu’on en tire, les autres aux principes de médecine, et les autres aux principes des autres sciences. § 2. D’un autre côté, les réfutations fausses ne seront pas moins infinies : en effet, dans chaque art il y a le faux syllogisme ; en géométrie, le géométrique ; en médecine, le médical. Quand je dis dans chaque art, j’entends toujours que le syllogisme s’adresse aux principes de cet art.

§ 3. Il est donc clair qu’il ne faut pas vouloir rassembler les lieux de toutes les réfutations sans exception, mais qu’il faut se borner à celles de la dialectique ; car ces lieux-là s’étendent à tout art, à tout exercice de l’esprit. § 4[33]. Quant à la réfutation spéciale dans chaque science, c’est au savant de la connaître, de distinguer, quand elle n’est pas réelle, qu’elle est simplement apparente : et, quand elle est vraie, pourquoi elle l’est. Quant à celle qui se tire de principes communs, et qui n’appartient spécialement à aucun art, c’est au dialecticien seul de l’étudier.

§ 5. En effet, si nous savions d’où se tirent les syllogismes probables sur un sujet quelconque, nous saurions aussi d’où se tirent les réfutations ; car la réfutation n’est que le syllogisme de la contradiction, de sorte que, soit un, soit deux syllogismes de contradiction forment une réfutation : et nous savons déjà tous les lieux d’où viennent les réfutations de ce genre. § 6. Une fois arrivée à ce point, nous aurions aussi des solutions ; car les objections à ces réfutations sont des solutions. § 7. Nous savons tous les cas où ont lieu celles aussi qui ne sont qu’apparentes ; apparentes, non pas même pour tout le monde, mais pour telles personnes particulièrement. Mais on pourrait trouver, si l’on y regardait de près, qu’il y a une infinité de faces où elles sembleraient apparentes au vulgaire.

§ 8. En résumé, on voit donc clairement qu’il appartient au dialecticien de pouvoir connaître tous les cas, où se produit par des principes communs, ou la réfutation réelle, ou la réfutation simplement apparente, ou la réfutation dialectique, ou la réfutation qui paraît dialectique, ou enfin la réfutation qui n’a pour objet que d’essayer les forces de l’adversaire.


CHAPITRE X.

Il n’y a pas, comme on l’a dit souvent, raisonnements de mots, raisonnements de pensée : les uns et les autres se confondent.


§ 1. Il n’y a pas cette différence entre les raisonnements que l’on prétend parfois y trouver, raisonnements de mots et raisonnements de pensée. Il est absurde de croire que les raisonnements de mots soient autres que les raisonnements de pensée, et que les uns et les autres ne soient pas les mêmes.

§ 2. Qu’est-ce, en effet, que raisonner contre la pensée, si ce n’est se servir du mot qu’a accordé l’interlocuteur, dans un sens où il n’a pas cru être interrogé ? Mais cela même aussi se rapporte au mot. Rester dans la pensée, c’est comprendre la chose dans le sens où l’interlocuteur l’a donnée. Mais si, lorsque le mot a plusieurs sens, on s’imagine qu’il n’en a qu’un seul, aussi bien celui qui interroge que celui qui est interrogé : par exemple, l’autre, l’un, ont plusieurs sens ; mais si Zénon qui interroge et son interlocuteur ont supposé dans l’interrogation qu’il n’y avait qu’un sens unique, et que l’on trouve à cette conclusion que tout est un ; si, dis-je quelqu’un agit ainsi, il aura discuté non pas seulement la fin mais aussi la pensée pour l’objet en question. Que, si l’on supposait au contraire que le mot a plusieurs sens, il est clair que ce n’est pas à la pensée que l’argument s’adresse. § 3. En effet, c’est dans les raisonnements qui ont plusieurs sens qu’il faut d’abord chercher cette distinction du mot et de la pensée. § 4. Puis ensuite, il faut voir à qui ils s’adressent ; car ce n’est pas tant dans l’expression que consiste le raisonnement relatif à la pensée ; que dans la disposition particulière où se trouve l’interlocuteur, relativement aux principes accordés. § 5[34]. Il se peut de plus que tous ces raisonnements de pensée s’adressent aussi au mot, puisqu’ici ne s’adresser qu’au mot, c’est ne point s’adresser à la pensée. En effet, s’ils ne s’y rapportaient pas tous, il y en aurait alors quelques uns qui seraient tout autres et qui ne seraient ni de mot ni de pensée. Mais on prétend que tous les raisonnements sont ainsi, et on les divise tous en raisonnements de mot et raisonnements de pensée, n’en voulant pas reconnaître d’autres. Pourtant, parmi tous les syllogismes qui tiennent aux sens divers des mots, il y en a quelques uns qui ne sont pas relatifs au mot. En effet, c’est à tort qu’on prétend appeler tous les paralogismes d’expression paralogismes de mots. Mais il y a sûrement certains paralogismes qui ont lieu, non pas parce que celui qui répond est à l’égard de la question disposé de telle façon, mais parce que l’argumentation elle-même renferme une question qui peut présenter plusieurs significations.

§ 6[35]. Il est aussi tout à fait absurde de discuter sur la réfutation sans avoir préalablement discuté sur le syllogisme ; car la réfutation n’est qu’un syllogisme, de sorte qu’il faut avoir discuté sur le syllogisme avant de passer à la fausse réfutation. En effet, cette réfutation n’est que le syllogisme apparent de la contradiction. Ainsi, la cause de l’erreur est ou dans le syllogisme ou dans la contradiction ; car il faut ajouter aussi la contradiction, et tantôt elle est dans les deux, si c’est une réfutation apparente. Ainsi, dans le cas de ce paralogisme que celui qui se tait parle, l’erreur est dans la contradiction et non dans le syllogisme. Dans cet autre que l’on peut donner ce que l’on n’a point, l’erreur est dans les deux. Dans cet autre enfin, que la poésie d’Homère est une figure parce qu’elle est un cycle, l’erreur est dans le syllogisme. Mais là où l’erreur n’est ni de l’un ni de l’autre côté, le syllogisme est vrai.

§ 7. Mais pour revenir au point d’où la discussion est partie, y a-t-il dans les mathématiques des raisonnements qui s’adressent ou ne s’adressent pas à la pensée ? Et s’il paraît à quelqu’un que triangle a plusieurs sens, et si on l’a concédé, sans que ce soit d’ailleurs pour cette figure de laquelle on conclut qu’il a ses angles égaux à deux droits, le raisonnement ainsi obtenu répond-il, ou non, à la pensée de l’interlocuteur ?

§ 8. Si le mot a plusieurs sens, et qu’on ne le sache pas, ou qu’on n’y pense pas, comment le raisonnement peut-il ne pas répondre à la pensée ? Ou bien comment faut-il poser l’interrogation, si ce n’est de demander de nouveau, après avoir obtenu la division, s’il est possible que celui qui se tait parle, ou si ce n’est pas possible ; ou bien si c’est en partie impossible et en partie possible ? Si l’interlocuteur ne fait aucune concession et que l’on continue de discuter, doit-on dire pour cela qu’on n’a point argumenté contre sa pensée ? Et cependant le raisonnement, dans ce cas, paraît un simple raisonnement de mots. Il n’y a donc pas un genre particulier de raisonnements relativement à la pensée. § 9. Il y en a quelques uns qui ne sont relatifs qu’aux mots ; mais l’on ne saurait mettre dans cette classe, je ne dis pas seulement toutes les réfutations, mais encore toutes les réfutations apparentes ; car il y a aussi des réfutations apparentes qui ne sont pas relatives à l’expression : par exemple, celles qui sont relatives à l’accident, et bien d’autres.

§ 10[36]. Mais si l’on prétend diviser ainsi : Quand je dis que celui qui se tait parle…, la chose est en partie de cette façon, est en partie d’une autre. La première observation à faire tout d’abord c’est qu’il est absurde de penser ainsi ; car quelquefois la chose mise en questions ne paraît pas avoir plusieurs façons d’être, et il est impossible de diviser ce qu’on ne pense pas comme multiple. De plus, que sera-ce qu’expliciter la chose, si ce n’est faire connaître évidemment ce qu’elle est à l’interlocuteur qui n’a point recherché, qui ne sait si elle peut être autrement, et qui ne le suppose même pas ? Et qui empêche même de faire cela pour les choses qui ne sont pas doubles ? Les unités sont-elles donc, égales aux dyades dans le nombre quatre ? Or, les dyades sont, celles-ci de cette façon, celles-là d’une autre. Y a-t-il ou n’y a-t-il pas une notion unique des contraires ? Mais parmi les contraires les uns sont connus, les autres inconnus. Ainsi donc, on paraît ignorer quand on pense cela, qu’enseigner est tout autre chose que discuter, et qu’il faut que celui qui enseigne n’interroge pas, mais éclaircisse lui-même les choses, tandis que l’autre doit interroger.


CHAPITRE XI.

Différences des divers arts qui concernent le raisonnement : rôle de la démonstration ; rôle de la dialectique ; caractère de la sophistique et du raisonnement contentieux.


§ 1[37]. Ce n’est pas quand on démontre qu’il faut demander à l’interlocuteur d’affirmer ou de nier des propositions ; c’est seulement quand on veut essayer les forces de l’adversaire. En effet, l’art exercitif est une sorte de dialectique ; et il examine et observe en tout sens, non pas celui qui sait, mais celui qui ignore et qui feint de savoir. § 2. Celui donc qui, dans une chose, ne regarde que les principes communs, celui-là est dialecticien, et celui qui ne le fait qu’en apparence est un sophiste. § 3[38]. Le syllogisme contentieux et sophistique est celui qui n’a que l’apparence d’un syllogisme, dans les matières où la dialectique fait ses essais ordinaires, bien que la conclusion soit vraie ; car ce syllogisme nous laisse dans l’erreur sur la cause véritable de la conclusion. On peut encore ranger dans cette classe tous les paralogismes qui, sans être conformes à la méthode vraie de chaque chose, paraissent être établis suivant toutes les règles de l’art. C’est qu’en effet les descriptions fausses des choses ne sont pas susceptibles de dispute ; car les paralogismes alors se rapportent à des choses qui sont du domaine de la science. Et il n’y a pas lieu davantage à discussion éristique, si la description fausse se rapporte à quelque chose de vrai, comme celle d’Hippocrate et la quadrature par les lunules. Mais un procédé tout éristique, c’est la méthode par laquelle Bryson carrait le cercle, si toutefois le cercle peut être carré ; mais ce n’est point parce que ce procédé n’était pas propre à la chose qu’il était sophistique. Ainsi donc, le syllogisme apparent, dans les choses de ce genre, est un raisonnement contentieux ; et le syllogisme apparent, tout relatif qu’il est à la chose en question, et tout syllogisme qu’il est, est aussi un raisonnement contentieux. En effet, il ne fait que paraître s’appliquer à la chose ; mais au fond il est trompeur et injuste. C’est que, de même que l’injustice peut se produire aussi dans un combat, et qu’il y a telle sorte de lutte qui est tout à fait injuste, de même, dans la discussion, la contradiction perpétuelle est une injustice contentieuse dans le combat. D’une part, les lutteurs qui veulent vaincre à tout prix emploient tous les moyens pour y parvenir ; d’autre part, les disputeurs en font autant. § 4[39]. Ceux donc qui, pour le seul plaisir de la victoire, se montrent ainsi, sont des hommes passionnés de la dispute et de la lutte contentieuse. Mais ceux qui ne pensent qu’à cette réputation qui mène à la fortune, sont des sophistes ; car la sophistique est, comme nous l’avons dit, une sorte de spéculation d’argent, établie sur une sagesse apparente ; et voilà pourquoi ils ne recherchent aussi qu’une démonstration apparente. Les gens passionnés de disputes et les sophistes cultivent les mêmes argumentations ; mais ce n’est pas dans le même but. Le même discours peut être sophistique et éristique tout à la fois ; mais ce ne sera pas pour la même chose. En tant qu’il recherche une victoire apparente, il est éristique ; en tant qu’il vise à une sagesse apparente, il est sophistique ; car la sophistique n’est qu’une sorte de sagesse apparente et non réelle. § 5[40]. L’éristique est au dialecticien à peu près ce que le faux dessinateur est au géomètre ; car c’est en partant des mêmes principes que la dialectique, que l’un fait ses paralogismes. Et c’est bien dans ce rapport que le faux dessinateur est à l’égard du géomètre ; seulement, ce dernier n’est pas éristique par cela qu’il dessine mal, c’est en partant des principes et des conclusions acquises à la science. Mais celui qui se range sous la dialectique sera évidemment éristique en une foule d’autres choses. Prenons, par exemple, la quadrature : celle qui se fait par les lunules n’est pas éristique ; mais celle de Bryson a ce caractère. C’est que l’une ne peut être rapportée qu’à la géométrie, parce qu’elle part de principes qui lui sont propres ; l’autre ne s’adresse qu’au vulgaire, qui ne sait pas ce qu’il y a de possible et d’impossible dans chaque chose, et qui s’accommode fort bien de cette démonstration. On ne peut pas non plus traiter d’éristique la solution de la quadrature d’Antiphon. Ou bien, si quelqu’un nie, en s’appuyant sur l’opinion de Zénon, qu’il soit bon de se promener après dîner, ce raisonnement n’est pas médical : il est commun. Si donc, l’éristique était absolument au dialecticien comme le faux dessinateur est au géomètre, il ne serait pas éristique dans tous ces cas. § 6[41]. Mais le dialecticien n’est pas borné à une espèce déterminée de choses : il ne démontre rien, et il n’est point du tout comme le philosophe, qui s’occupe de l’universel ; car toutes choses ne sont pas dans un même genre, et, y fussent-elles, il ne serait pas possible que tous les êtres fussent sous les mêmes principes.

§ 7. Ainsi donc aucune science, parmi celles qui démontrent une certaine nature de choses, n’emploie l’interrogation. En effet, il n’est pas possible ici de donner indifféremment une quelconque des parties ; car le syllogisme ne se forme pas également avec les deux. La dialectique, au contraire, procède par interrogation ; mais si elle démontrait, non pas tout, mais du moins les éléments premiers et les principes spéciaux, elle n’interrogerait pas, parce qu’en effet, si on ne lui accorde rien, il n’y a plus aucun moyen pour elle de discuter contre l’objection qui lui est faite.

§ 8. Tel est aussi l’art exercitif. En effet, l’exercitif n’est pas comme la géométrie : mais on peut le posséder sans même posséder la science ; car il est possible que même celui qui ne sait pas une chose, essaie sur cette chose celui qui ne la sait pas. Il suffit que l’interlocuteur accorde des propositions, non pas d’après ce qu’il sait, non pas d’après les principes propres de la chose, mais d’après ses conséquences naturelles, qu’on peut fort bien savoir sans que pour cela on connaisse du tout la science, et qu’on ne peut ignorer sans ignorer aussi la science. Évidemment, donc, l’art exercitif n’est la science d’aucun objet déterminé, et voilà pourquoi il s’applique à tout ; car toutes les sciences ont à leur usage quelques principes communs. § 9. [42]. Voilà pourquoi aussi tous, les hommes, même peu éclairés, se servent en quelque façon de la dialectique et de l’exercitive ; car tous, jusqu’à un certain point, cherchent à juger ceux qui leur parlent. Et ce sont là des dispositions communes à tous ; car les interlocuteurs ne le savent pas moins, même lorsqu’ils paraissent s’égarer fort loin du sujet. Ainsi, tout le monde fait des réfutations ; mais on fait sans art ce que fait la dialectique avec beaucoup d’art ; et celui qui essaie les forces de son adversaire avec l’art syllogistique est dialecticien. Comme ces règles sont nombreuses et s’appliquent à tout, sans être telles cependant qu’elles forment une espèce et un genre particuliers, mais qu’elles sont comme les négations, tandis que d’autres ne sont pas du tout ainsi, mais sont spéciales, on peut essayer d’établir une méthode pour tout cela, et en tirer un art qui, d’ailleurs, ne sera point du tout pareil aux sciences de démonstration. § 10[43]. C’est là ce qui fait que l’éristique n’est pas de tout point comme le faux dessinateur ; car il ne fait pas de paralogismes pour un genre spécial de principes ; mais l’éristique s’occupe de tous les genres sans distinction.

§ 11. Telles sont donc les diverses sortes de réfutations sophistiques. Il n’est pas difficile de voir que c’est au dialecticien de les étudier, et de pouvoir les former ; car la méthode des propositions comprend aussi toute cette étude. Voilà ce qu’on avait à dire sur les réfutations apparentes.


CHAPITRE XII.

Second et troisième objets de la sophistique : faire que l’adversaire se trompe et qu’il soutienne des paradoxes.


§ 1[44]. Quant à prouver que l’interlocuteur se trompe, et à le mener à soutenir l’improbable, et c’était là le second objet de la sophistique, ce résultat s’obtient surtout en posant ses demandes d’une certaine manière, et en dirigeant l’interrogation suivant certaine méthode. Ainsi, c’est le rechercher, que d’interroger sur un sujet quelconque sans avoir rien déterminé à l’avance. En effet, en parlant au hasard, on se trompe bien davantage ; et l’on parle au hasard quand le sujet n’est pas bien spécifié. § 2[45]. Mais demander plusieurs choses confusément, bien qu’on ait déterminé avec soin le sujet en question, et laisser l’interlocuteur dire ce que bon lui semble, ce sont des moyens qui donnent quelque facilité de le conduire à soutenir l’improbable ou le faux ; et, soit qu’il réponde à rune des questions par affirmation ou par négation, de l’amener sur un sujet où l’on aura des arguments en nombre. Ce sont, du reste, des procédés dont il est aujourd’hui moins aisé d’abuser qu’il ne l’était auparavant ; parce que les interlocuteurs savent fort bien demander quel rapport tout ceci peut avoir avec le principe. § 3. L’un des moyens d’arriver à obtenir de l’adversaire quelque assertion fausse ou improbable, c’est de ne soutenir tout d’abord aucune thèse ; mais de prétendre qu’on n’interroge que par simple désir de savoir ; car l’examen donne alors aisément place à l’attaque.

§ 4[46]. Le lieu spécialement sophistique pour montrer que l’adversaire se trompe, c’est de conduire le raisonnement sur un sujet où l’on abonde en arguments. On pourra, du reste, user bien ou mal de ce lieu, ainsi qu’on l’a dit précédemment.

§ 5. D’autre part, pour avancer des paradoxes, il faut voir de quel genre de philosophes est l’interlocuteur, et ensuite lui demander un paradoxe que les philosophes de cette opinion soutiennent contre le vulgaire ; car il y a toujours dans chaque école quelque chose de pareil ; et le moyen ici, c’est de formuler les opinions spéciales de chacune d’elles dans des propositions.

§ 6. La solution la plus convenable à opposer à ces difficultés, c’est de faire voir que l’improbable ne vient pas du raisonnement même ; car c’est là ce que veut toujours prouver celui qui vous combat. § 7[47]. On peut encore en appeler aux intentions et aux opinions manifestées ; car on ne pense pas et on ne dit pas toujours la même chose : mais l’on soutient souvent les choses les plus honorables, et l’on ne veut au fond que ce qui paraît utile. Ainsi l’on prétend hautement qu’il vaut mieux mourir avec gloire que de vivre avec plaisir ; qu’il vaut mieux être pauvre avec honneur qu’être riche avec honte ; et cependant, au fond, on veut tout le contraire. Celui qui ne parle que d’après ses intentions, il faut l’amener à exprimer ses opinions avec évidence : et celui qui les exprime, il faut l’amener à produire ses opinions cachées. De ces deux façons, il est nécessaire qu’on le pousse à des paradoxes ; car il dira le contraire, soit dans ses opinions évidentes, soit dans ses opinions cachées.

§ 8[48]. Le lieu le plus ordinaire pour faire dire des paradoxes, est celui qui est attribué à Calliclès dans le Gorgias, et que tous les anciens ont cru pouvoir employer. On le tire de la nature et de la loi ; car on prétend que la nature et la loi sont contraires, et que la justice est belle selon la loi, mais qu’elle ne l’est pas selon la nature. Il faut donc à celui qui parle suivant la nature, lui répondre suivant la loi, et ramener à la nature celui qui parle suivant la loi ; car de ces deux façons, ou arrive à des paradoxes. Ainsi, pour eux, ce qui est selon la nature est le vrai, et c’est ce qui est selon la loi qui le paraît au vulgaire. On voit donc évidemment que ces gens-là, tout comme ceux d’aujourd’hui, essayaient de réfuter l’interlocuteur ou de lui faire faire des paradoxes.

§ 9. Quelques questions sont de telle sorte, que la réponse qu’on y fait est également improbable dans les deux sens. Par exemple : Faut-il obéir aux sages ou à son père ? Faut-il agir dans son intérêt ou dans celui de la justice ? Vaut-il mieux souffrir le mal que de le faire ?

§ 10. Il faut mener la discussion sur des sujets où les sages et le vulgaire soutiennent des opinions contraires. Si l’interlocuteur parle comme les raisonneurs habiles, on lui oppose l’opinion du vulgaire : et s’il parle comme le vulgaire, on lui oppose les opinions des penseurs qui ont beaucoup réfléchi. Ainsi, les uns soutiennent que nécessairement l’homme heureux doit être juste ; mais, pour le vulgaire, ce serait chose incroyable qu’un roi ne fut pas heureux. § 11. Mener ainsi à soutenir des opinions improbables, c’est la même chose absolument que de mener à l’opposition de la nature et de la loi ; car la loi est l’opinion du vulgaire, mais les sages parlent selon la nature et selon la vérité.

§ 12. C’est donc de ces sortes de lieux qu’il faut chercher à tirer des paradoxes.


CHAPITRE XIII.

Cinquième objet de la sophistique ; contraindre l’adversaire à se répéter vainement.


§ 1[49]. Quant à faire bavarder l’adversaire, nous avons déjà dit ce que nous entendions par faire bavarder. § 2[50]. Tous les discours de ce genre n’ont pas d’autre but que celui-ci : s’il n’y a aucune différence à prendre le mot ou la définition, et que le double et le double de la moitié soient la même chose, si le double est le double de la moitié, on dira le double de la moitié de la moitié. Et, de plus, si au lieu de double ou prend le double de la moitié, on répétera trois fois le double de la moitié de la moitié de la moitié. Le désir se rapporte-t-il à ce qui est agréable ? Oui, c’est l’appétit de l’agréable ; ainsi donc, le désir est l’appétit de l’agréable de l’agréable.

§ 3. Tous ces raisonnements ne s’adressent jamais qu’à des relatifs, et, dans tous les cas, non seulement ce sont les genres, mais encore les choses mêmes qui sont des relatifs, et elles se rapportent à une seule et même chose : par exemple, l’appétit est l’appétit de quelque chose ; le désir, le désir de quelque chose ; et le double est le double de quelque chose et le double de la moitié. § 4. Et ceci se présente aussi pour toutes les choses dont, l’essence n’est pas vraiment d’être des relatifs, mais qui ont des qualités, des modifications, ou telle autre chose d’analogue, qui est exprimée dans la définition de ces choses, au milieu des attributs qui la composent. Par exemple, on dit que l’impair est un nombre qui a un milieu ; or, on dit aussi nombre impair, ce qui revient à dire, nombre nombre ayant un milieu. Et si le camus est la courbure du nez, comme on dit aussi d’un nez qu’il est camus, on aura nez nez courbe.

§ 5. Parfois, on paraît faire bavarder l’adversaire, quand on ne le fait pas réellement, parce qu’on n’a pas soin de demander si le mot en question, le double, signifie quelque chose à soi seul, ou ne signifie rien ; et quand il signifie quelque chose, si c’est la même chose ou une chose différente. Mais c’est parce que l’on veut tirer sur-le-champ la conclusion, et que le mot étant le même, la chose semble aussi être la même et avoir le même sens.


CHAPITRE XIV.

Du solécisme : il peut n’en être un que pour une seule personne. — En général il tient a la confusion des genres divers dans le pronom cela, qui s’applique au masculin, au féminin, au neutre, indifféremment.


§ 1[51]. Ce qu’est le solécisme, c’est ce qu’on a dit précédemment. § 2[52]. Il est possible de faire un solécisme et de paraître en faire un quand on n’en fait pas ; et, tout en en faisant, de ne pas paraître en faire un. Ainsi, Protagore soutient que colère et cuirasse sont masculins. Celui donc qui dit pernicieuse, en parlant de la colère, fait un solécisme suivant Protagore : mais il ne semble pas en faire un aux yeux des autres : et celui qui dit pernicieux paraît à tout le monde faire un solécisme, et, cependant, il n’en fait pas pour Protagore. § 3[53]. Il est donc évident qu’on pourrait fort bien amener ceci avec un certain art ; et voilà pourquoi beaucoup de raisonnements qui ne concluent pas de solécismes, paraissent en conclure un, comme on peut le voir dans les réfutations.

§ 4[54]. La plupart des solécismes apparents sont fondés sur le pronom cela, et quand le cas n’exprime ni le masculin, ni le féminin, mais le neutre. Le pronom celui-ci exprime le masculin, et celle-là le féminin. Mais le mot cela veut exprimer le neutre, et souvent il exprime aussi l’un des deux autres genres. Ainsi, par exemple, quand on dit : Qu’est-ce que cela ? c’est Calliope, c’est du bois, c’est Coriscus. Tous les cas du masculin et du féminin diffèrent ; quant à ceux du neutre, les uns diffèrent, les autres ne diffèrent pas. Quand on donne le pronom cela, on raisonne souvent comme si on avait dit celui-ci. Et de même, quand on prend tel autre cas pour tel autre. Le paralogisme alors a lieu parce que le mot cela est commun à plusieurs cas ; car cela peut exprimer tantôt celui-ci (au nominatif), et tantôt celui-ci (à l’accusatif) ; mais il faut exprimer successivement qu’avec le verbe est, il signifie le nominatif, et, avec le verbe être, l’accusatif : par exemple, Coriscus est, être Coriscus. Même observation pour les noms féminins, et pour ce qu’on nomme les instruments, qui ont la dénomination du masculin ou du féminin ; car tous les noms qui se terminent en ο et en n ont seuls la dénomination d’instruments. On pourrait en citer bien des exemples : mais ceux qui ne sont pas ainsi sont du masculin ou du féminin, et quelques-uns de ces noms s’appliquent à des instruments. Par exemple, outre est au nom masculin, et couchette est féminin ; et, pour ces mots, le verbe est, et le verbe être, seront également importants.

§ 5[55]. Le solécisme est en quelque sorte pareil aux réfutations qui sont exprimées semblablement, pour des choses qui ne sont pas semblables ; car de même qu’il arrive alors que la réfutation porte sur les choses mêmes, il arrive aussi que le solécisme ne porte que sur les mots ; car homme et blanc sont à la fois et une chose et un mot.

§ 6. Il est donc évident qu’il faut chercher à conclure le solécisme par les cas indiqués.

§ 7. Telles sont donc les espèces des arguments contentieux et les parties de ces espèces, et les manières diverses de les distinguer.


CHAPITRE XV.

De la disposition des questions et des procédés de l’interrogation.


§ 1[56]. Il y a grande importance, pour cacher le but qu’on poursuit, de disposer les éléments de la question suivant une certaine méthode, comme dans la dialectique. Il faut donc parler de cet objet d’abord, à la suite de ce qui vient d’être dit.

§ 2[57]. Une chose qui est utile pour réfuter, c’est la diffusion ; car il est difficile de bien voir plusieurs choses à la fois. Il faut se servir pour la diffusion des moyens précédemment indiqués. § 3. Un second moyen, c’est la rapidité du raisonnement. Les interlocuteurs qui restent en arrière voient moins où on les conduit. § 4. On peut employer aussi la colère ou l’esprit de dispute ; car, lorsque l’on est troublé, on peut moins être sur ses gardes. Les éléments de la colère sont de montrer évidemment qu’on veut recourir à l’injustice, et surtout qu’on est prêt à ne rougir de rien. § 5. Il faut aussi bouleverser l’ordre naturel des questions, soit que l’on ait plusieurs arguments pour la même chose, soit qu’on soutienne que la chose est et n’est pas ainsi ; car l’adversaire doit à la fois se défendre, ou contre plusieurs choses, ou contre les contraires. § 6[58]. Et tout ce qui a été dit plus haut sur les moyens de cacher sa pensée, est utile aussi dans les discussions contentieuses. On ne cache sa pensée que pour dissimuler son but, que pour tromper. § 7. A l’égard de ceux qui refusent ce qu’ils croient utile au raisonnement de l’adversaire, il faut les interroger par négation, comme si l’on voulait obtenir le contraire, ou du moins comme si l’on faisait la demande de l’un ou de l’autre avec une parfaite indifférence ; car, lorsqu’on ignore ce que veut obtenir l’adversaire, on fait moins de difficultés. § 8. Lorsque l’adversaire accorde parties à parties tous les cas particuliers, il faut souvent ne pas pousser l’induction en interrogeant jusqu’à l’universel ; mais il faut s’en servir comme accordé. Bien plus, quelquefois l’adversaire lui-même croit l’avoir donné ; et c’est ce qui semble aussi aux auditeurs, parce qu’ils se souviennent de l’induction, et qu’ils pensent que les cas particuliers n’ont point été demandés en vain. § 9. Dans les cas où l’universel n’est point exprimé par un mot, il faut se servir de la ressemblance de ce qui s’en rapproche, selon que l’on en a besoin ; car souvent la ressemblance est cachée. § 10. Mais pour obtenir la proposition qu’on veut, il faut interroger en faisant porter la comparaison sur les contraires. S’agit-il, par exemple, d’obtenir cette proposition, qu’il faut en tout obéir à son père, on peut demander s’il faut en tout obéir, ou désobéir en tout, à ses parents. Et si l’on veut prouver qu’il faut leur obéir souvent, on doit demander s’il faut avoir pour eux peu ou beaucoup de condescendance. En effet, il semblera plutôt que c’est beaucoup, puisqu’il faut nécessairement en avoir. En rapprochant ainsi les contraires, les choses paraissent avec toute leur grandeur ; elles semblent plus grandes, meilleures, ou pires.

§ 11. Ce qui, très souvent, fait croire à la réfutation, c’est l’impudence sophistique de ceux qui interrogent, et qui, sans avoir fait de raisonnements, sans avoir fait une dernière question, n’en affirment pas moins cous forme de conclusion, comme s’ils avaient fait des Syllogismes réguliers : Donc telle chose n’est pas ; donc telle chose est.

§ 12[59]. C’est encore un procédé sophistique de demander, que l’adversaire réponde ce qu’il lui semble d’un paradoxe que l’on a soutenu, bien qu’il ait dit son avis sur le sujet posé dès le principe, et de mettre en outre des questions de ce genre sous cette forme : Que vous semble ? car si la question est composée des éléments mêmes du syllogisme, il faut nécessairement qu’on fasse une réfutation ou un paradoxe, ou une sorte de réfutation. Si l’on accorde la question, c’est une réfutation ; si on ne l’accorde pas et qu’on dise qu’on ne l’accepte pas, on soutient un paradoxe. Si on ne l’accorde pas, tout en disant que la chose est probable, on fait une sorte de réfutation.

§ 13. Comme dans la rhétorique, il faut voir aussi, dans les réfutations, aux contradictions que l’interlocuteur commet contre ce qu’il a dit lui-même, ou contre ce qu’ont dit ou fait ceux qui lui paraissent bien faire ou bien dire, ou contre ceux qui paraissent être ainsi, ou contre leurs semblables, ou du moins contre la plupart, si ce n’est contre tous. § 14[60]. De même que souvent ceux qui répondent, quand ils se voient réfutés, font une distinction dans la question sur le point où la réfutation doit les atteindre, de même ceux qui interrogent peuvent se servir de ce moyen contre les objections, si l’objection a lieu dans un sens, et qu’elle n’ait pas lieu dans l’autre, en disant qu’on l’a prise dans le dernier sens, comme Cléophon le fait dans son Mandrobule. § 15. Il faut même, en s’éloignant du sujet, retrancher tout le reste des arguments ; mais celui qui répond, s’il s’en aperçoit d’abord, doit aller au-devant et le dire le premier. § 16[61]. Il faut diriger aussi ses arguments contre une chose différente de celle qui est en question, et s’y attacher quand on n’a point d’argument contre la question même. C’est ce que fit Lycophron, à qui l’on proposait de faire l’éloge d’une lyre. § 17. Quand l’adversaire demande qu’on précise l’argument, parce qu’il lui paraît qu’il faut indiquer la cause de l’erreur, et qu’une fois certains points étant fixés, il est plus sur ses gardes, il faut, ce qui est général dans les réfutations, dire qu’on veut soutenir la contradiction, et nier ce que l’autre a dit, ou affirmer ce qu’il a nié. Mais il ne faut pas dire seulement que l’on prétend soutenir que la notion des contraires est ou n’est pas la même. § 18. Il ne faut pas demander la conclusion sous forme de proposition ; il ne faut pas non plus demander certaines choses, mais il faut les prendre comme accordées.

§ 19. On a donc expliqué d’où il faut tirer les questions, et comment il faut les poser dans les discussions contentieuses.


CHAPITRE XVI.

De la solution des paralogismes : utilités diverses de cette étude : pour la philosophie, pour la simple apparence. — Méthode générale de solution : difficultés pour rappliquer.


§ 1[62]. Il faut parler maintenant de la réponse, et dire comment il faut résoudre les paralogismes, ce que c’est que résoudre, et à quoi sont utiles des raisonnements de ce genre.

§ 2. Ils sont utiles à la philosophie pour deux raisons : § 3, d’abord, comme ils ne portent le plus souvent que sur le mot, ils apprennent d’autant mieux à voir dans combien de sens chaque mot est dit, et quelles sont les ressemblances et les différences de formes, dans les choses et dans les mots. § 4. Ils sont utiles en second lieu pour les recherches personnelles ; car celui qui, trompé aisément par les paralogismes d’un autre, ne s’en aperçoit pas, commettra la même erreur bien plus souvent quand il sera seul avec lui-même. § 5. Enfin, en troisième lieu, ils sont utiles même pour l’apparence, en ce qu’on paraît s’être exercé à tous les sujets et n’être étranger à aucun ; car si quelqu’un qui prend part à la discussion blâme la discussion, sans pouvoir en spécifier les défauts, on est porté à soupçonner que, s’il fait des difficultés, ce n’est pas dans l’intérêt de la vérité, mais à cause de son ignorance.

§ 6[63]. On voit sans peine comment il faut agir, quand on répond à des discussions de ce genre, si nous avons bien expliqué antérieurement d’où se tirent les paralogismes, et si nous avons montré suffisamment les ruses qu’emploient les sophistes en interrogeant. § 7. Ce n’est pas, du reste, une même chose, quand on étudie un raisonnement, d’en voir et d’en corriger le vice, et quand on est interrogé de pouvoir y répondre sur-le-champ ; car ce que nous savons, nous le méconnaissons souvent par cela seul qu’on le déplace. Et comme dans bien d’autres choses le plus où moins de promptitude vient surtout de l’exercice, il en est de même pour les discussions, de telle sorte que si nous voyons clairement la chose, mais que nous la négligions, nous manquons souvent par cela seul les occasions. § 8[64]. Il arrive aussi parfois ce qui arrive dans les tracés des figures : après les avoir analysées, nous ne pouvons plus les recomposer. Et de même dans les réfutations, nous savons fort bien quel est le lieu du raisonnement, et nous ne pouvons cependant le renverser.


CHAPITRE XVII.

De la solution apparente ; elle est, dans certain cas, préférable à la solution vraie. — Règles pour arriver à la solution apparente.


§ 1. D’abord donc, de même que nous disons qu’il vaut mieux, quelquefois raisonner d’une manière probable que d’une manière vraie, de même il vaut mieux quelquefois chercher la solution selon le probable que selon le vrai : car il faut combattre contre les disputeurs, non pas comme s’ils réfutaient réellement, mais comme s’ils paraissaient seulement le faire. En effet, nous nions qu’ils fassent de vraies conclusions, et ainsi tous nos efforts doivent tendre à ce qu’ils ne paraissent pas en faire. Si donc la réfutation est une contradiction qui n’est pas homonyme, et qu’on tire de certaines données, il n’y avait pas besoin de faire de division, pour éviter l’amphibologie et l’homonymie, parce qu’elles ne font pas de vrai syllogisme. Mais il ne faut établir de division que parce que la conclusion a l’apparence d’une réfutation. Ainsi donc, on doit prendre garde, non pas d’être réfuté, mais seulement de le paraître. § 2[65]. L’interrogation qui porte sur des choses amphibologiques, ou des équivoques d’homonymie, comme toutes les autres surprises de ce genre, font disparaître la véritable réfutation, et ne laissent plus reconnaître celui qui est réfuté ou celui qui ne l’est pas. En effet, comme il est toujours permis, quand on arrive à la conclusion finale, de dire que l’adversaire nie ce qu’on n’a pas affirmé, parce qu’il n’a fait qu’interroger par homonymie ou par amphibologie ; et qu’ainsi l’on a soi-même affirmé autre chose que ce qu’il a compris d’abord, et nié dans la conclusion, bien qu’on ait tout fait pour que la discussion portât de part et d’autre sur le même point, on ne sait jamais clairement si l’interlocuteur est réfuté : car on ne sait si maintenant il dit vrai. Mais si celui qui interroge avait, en divisant, montré le sens homonyme ou amphibologique, la réfutation ne serait plus obscure. § 3. Il arriverait précisément alors, ce que d’ailleurs les disputeurs cherchent moins maintenant que jadis, que l’interlocuteur interrogé répondrait par oui ou par non. Ici, au contraire, parce que ceux qui interrogent posent mal leurs questions, il faut que celui qui répond ajoute quelque chose à la réponse, pour rectifier le vice de l’interrogation. Mais quand, en interrogeant, on a bien fait la division indispensable, il faut nécessairement que celui qui répond dise oui ou non.

§ 4. Quand l’on suppose que la réfutation n’a lieu que par homonymie, il n’est pas possible en quelque sorte que celui qui répond évite d’être réfuté ; car il faut nécessairement, pour les choses qui tombent sous la vue, qu’on nie le mot qu’on avait affirmé et qu’on affirme ce qu’on avait nié. § 5[66]. En effet, il n’y a aucune utilité dans la rectification qu’essaient de faire quelques interlocuteurs. Ainsi, ils soutiennent que Coriscus n’est pas à la fois musicien et ignorant en musique, mais que tel Coriscus est bon musicien et que tel autre Coriscus ne l’est pas. Mais ce sera la même expression, soit qu’on dise que Coriscus, soit qu’on dise que ce Coriscus est musicien ou ne l’est pas, ce que nie et affirme à la fois l’interlocuteur. Mais ce n’est peut-être pas tout à fait le même sens ; car le mot non plus n’est pas tout à fait le même ; et voilà d’où vient la différence. § 6. Mais si l’on accorde d’un côté que le mot est pris simplement : Coriscus, et que de l’autre on ajoute restrictivement : Ce ou quelque, cela est absurde ; car la restriction n’est pas plus à l’un qu’à l’autre ; et il n’importe en rien auquel des deux on l’attribue.

§ 7. Toutefois, comme on ne sait pas clairement, quand on n’a pas déterminé l’amphibologie, si l’on est, ou non réfuté, bien qu’on pût faire la division nécessaire dans le discours, il est évident que concéder l’interrogation sans cette définition, et absolument, c’est une faute, de sorte que, si ce n’est l’interlocuteur même, du moins son raisonnement a l’air d’être réfuté.

§ 8. Toutefois, il arrive souvent que tout en voyant l’amphibologie, on répugne à faire la division, à cause du grand nombre des propositions de ce genre, et afin de ne pas paraître élever toujours des difficultés. Puis ensuite il arrive tout aussi souvent que, sur le point même où l’on ne pensait pas que la discussion viendrait à porter, on rencontre le paradoxe. § 9[67]. Ainsi donc, puisqu’on peut faire la division, il ne faut pas hésiter à la faire, ainsi qu’on l’a dit antérieurement.

§ 10. Si l’on ne réunissait pas deux questions en une seule, le paralogisme ne se formerait pas par homonymie ou amphibologie, mais ce serait une réfutation où il n’y aurait pas même apparence de réfutation ; car, quelle différence y a-t-il à demander si Callias et Thémistocle sont musiciens, ou s’il n’y a qu’un seul nom pour eux deux, bien qu’ils soient autres ? En effet, si ce nom désigne plus d’une chose, on a demandé aussi plusieurs choses. Si donc, il n’est pas bien de chercher à obtenir une seule réponse absolument pour plusieurs questions, il est clair qu’il ne convient de répondre sous forme absolue, par aucun terme homonyme, quand même la réponse serait vraie pour tous les sens du mot, comme quelques-uns l’admettent ; car il n’y a pas plus de différence que si l’on disait : Coriscus et Callias sont-ils ou ne sont-ils pas à la maison ? Soit que tous deux soient présents, soit que tous deux soient absents, des deux façons, il y a toujours plusieurs propositions. Il ne suffît point, en effet, de dire vrai, pour qu’il n’y ait qu’une seule interrogation ; car il se peut aussi qu’on propose dix, mille autres interrogations, auxquelles on pourra répondre avec vérité par oui et par non. Cependant il ne faut pas répondre par une seule réponse ; car c’est détruire toute discussion. C’est absolument la même chose que si l’on donnait un nom pareil à des choses différentes. Si donc il ne faut pas faire une réponse unique à deux questions, il est évident aussi qu’il ne faut pas répondre non plus par oui ou par non à des homonymes. § 11. Car celui qui a dit ainsi ne répond pas, il n’a fait que parler. Mais on suppose quelquefois dans les discussions qu’il y a là une véritable réponse, parce qu’on ne voit pas ce qui doit en résulter.

§ 12[68]. Ainsi donc que nous l’avons dit, comme certaines réfutations qui n’en sont pas réellement paraissent en être, de la même manière il y a des solutions qui paraissent en être sans en être réellement. C’est celles-là qu’il faut quelquefois produire plutôt que les solutions vraies, dans les discussions contentieuses, et contre les paralogismes venant du double sens d’un mot.

§ 13. Il faut répondre pour les choses que l’on admet : Soit ; car, de cette façon, il n’est pas du tout possible à l’interlocuteur de rétorquer la réfutation. Si l’on est forcé de dire quelque paradoxe, c’est alors surtout, qu’il faut ajouter que cela paraît ainsi ; car, de cette façon, il ne semblera pas qu’il y ait, ni réfutation, ni paradoxe.

§ 14. Comme on sait très clairement ce que c’est qu’une pétition de principes, et tout le monde accorde qu’elle a lieu si la proposition est voisine du principe, il est certaines choses qu’il faut détruire et non accorder, en soutenant que c’est faire une pétition de principes. Et si l’interlocuteur demande qu’on lui accorde précisément une proposition, qui doit nécessairement résulter de la thèse initiale, et que cette proposition soit fausse ou improbable, il faut élever la même objection. En effet, ce qui résulte nécessairement de la thèse semble faire partie de la thèse même. § 15. De plus, quand l’universel est pris, non par le mot qui le représente, mais par comparaison, il faut faire remarquer que l’adversaire ne le prend pas comme on le lui accordait, ou comme il l’avait lui-même avancé ; car c’est souvent à ce point même que tient la réfutation. § 16[69]. Quand on a été repoussé de ce terrain, il faut s’en prendre à l’irrégularité de la démonstration, et s’appuyer pour cela sur la définition qui a été donnée du syllogisme et de la réfutation.

§ 17. Quand les mots sont pris au propre, il faut nécessairement répondre ou absolument, ou par une distinction. § 18[70]. Mais toutes les fois qu’on est obligé de suppléer par la pensée, comme, par exemple, dans toutes les questions qui ne sont pas assez claires, et qui sont en quelque sorte boiteuses, la réfutation se produit. Telle est cette question : Ce qui est des Athéniens est-il la possession des Athéniens ? Oui. Et de même pour tout le reste : Mais l’homme est-il des animaux ? Oui. Ainsi l’homme est la possession des animaux ; car nous disons que l’homme est des animaux, parce qu’il est animal, et que Lysandre est des Lacédémoniens, parce qu’il est Lacédémonien. Il est donc évident que dans les cas où la chose proposée est obscure, il ne faut pas acquiescer d’une manière absolue.

§ 19. Quand deux choses sont de telle sorte que, l’une étant, l’autre doit être de toute nécessité, sans que la seconde étant, la première soit nécessairement, il faut que celui qui est interrogé sur ces deux termes accorde celui qui est le moins étendu ; car il est plus difficile de faire le raisonnement, quand il porte sur plus de choses.

§ 20. Quand l’on essaie de prouver que l’un des termes a un contraire, et que l’autre n’en a pas, si cette assertion est vraie, il faut dire qu’en effet, le second terme a un contraire, mais que ce contraire n’a pas de nom.

§ 21[71]. Comme il y a certaines choses pour lesquelles le vulgaire dit de celui qui ne les accorde pas, qu’il se trompe, et que, pour quelques autres choses, il ne se prononce pas si nettement : par exemple, dans toutes celles où les avis sont partagés, et ainsi le vulgaire n’est point décidé en général sur la question de savoir si l’âme des animaux est périssable ou immortelle ; dans tous les cas où l’on ne sait quelle est l’opinion vulgaire, sur le sujet en question, comme sur les sentences, et l’on appelle sentences, et les pensées vraies, et des assertions entières, telles que : Le diamètre est incommensurable ; dans tous ces cas, dis-je, et toutes les fois que la vérité est controversée, le meilleur moyen de cacher sa pensée, ce sera d’employer pour tous les mots le déplacement de la discussion. En effet, précisément, parce qu’il y a grande obscurité sur le vrai dans ce cas, on ne paraîtra pas faire un sophisme, et l’on ne paraîtra même pas se tromper, puisque les opinions sont partagées. Le déplacement de la discussion rendra le raisonnement inattaquable.

§ 22. Enfin, toutes les fois qu’on pressent une question, il faut aller au-devant de l’objection et la dire tout d’abord ; car c’est ainsi surtout qu’on embarrassera celui qui interroge.


CHAPITRE XVIII.

Moyens divers pour arriver à la solution vraie : attaquer la proposition : attaquer la conclusion.


§ 1. Puisque la solution vraie est de faire voir que le syllogisme est faux, en indiquant celle des questions où est l’erreur, le syllogisme faux peut l’être de deux façons : par exemple, s’il a conclu faussement ; ou bien si, n’étant pas un syllogisme, il paraît pourtant en être un. La solution indiquée ici, et celle du syllogisme apparent, consisteraient à rectifier celle des questions qui le fait paraître ce qu’il n’est pas : et, par conséquent, on arrive à la solution cherchée, d’abord en détruisant les raisonnements qui concluent réellement, et en faisant une distinction pour ceux qui ne sont qu’apparents. § 2. Mais comme parmi les raisonnements réguliers, les uns ont la conclusion vraie, et les autres la conclusion fausse, on peut résoudre de deux façons ceux qui ont la conclusion fausse, c’est-à-dire, soit en détruisant quelqu’une des interrogations posées, soit en montrant que la conclusion n’est point ainsi qu’on l’a dit. Contre ceux qui sont faux dans les propositions, il n’y a de solution possible qu’en détruisant l’une de ces propositions, puisque la conclusion est vraie. § 3[72]. Ainsi donc, quand on veut résoudre un raisonnement, il faut voir d’abord si ce raisonnement conclut ou s’il ne conclut pas ; ensuite, si la conclusion est vraie ou fausse, afin qu’on puisse résoudre, soit en détruisant, soit en divisant les propositions ; et l’on détruit, soit d’une façon, soit de l’autre, comme on l’a dit plus haut. § 4. Il y a une très grande différence, pour résoudre le raisonnement, d’être ou de n’être pas interrogé ; car il est difficile de voir à l’avance la solution, et il est plus facile de la voir à loisir.


CHAPITRE XIX.

Solution pour les cas où la réfutation ne tient qu’à l’homonymie ou à l’amphibologie, soit dans les propositions, soit dans la conclusion : il faut signaler les sens divers le plus tôt qu’on le peut.


§ 1[73]. Parmi les réfutations qui ne tiennent qu’à l’homonymie et à l’amphibologie, les unes renferment des questions qui présentent plusieurs sens ; dans les autres, c’est la conclusion qui a des sens divers. Ainsi, par exemple, dans le cas où l’on prétend prouver que celui qui se tait parle, c’est la conclusion qui a un double sens. Dans cette autre proposition : Celui qui sait ne sait pas, c’est l’une des questions qui est amphibologique. Par exemple, ce raisonnement : Celui qui sait faire ou dire quelque chose sait aussi ce qu’il dit, ce qu’il fait ; or, cet homme sait dire des vers iambiques ; donc il sait aussi les vers iambiques. Et ce qui a un double sens est vrai dans un sens et ne l’est pas dans l’autre ; ainsi le double sens exprime à la fois ce qui est et ce qui n’est pas.

§ 2[74]. Toutes les fois donc, qu’il y a plusieurs sens à la fin, si l’on ne prend pas la contradiction, il n’y a pas de réfutation : par exemple, si l’on prétend que l’aveugle voit ; car sans contradiction, il n’y a pas de réfutation. § 3. Pour tous les cas où la diversité de sens se trouve dans les questions, il n’est pas nécessaire de combattre d’abord le double sens ; car ce n’est pas sur ce point que porte le raisonnement : c’est seulement un des éléments dont on le tire. § 4[75]. Au début donc, il faut répondre en signalant le double sens, soit dans le mot, soit dans le raisonnement, en disant qu’on l’accepte d’une façon, et que de l’autre on ne l’accepte pas. Ainsi, dans cette proposition : Celui qui se tait parle, il faut dire qu’on l’accepte en partie, et qu’en partie on ne l’accepte pas. Et si l’adversaire a dit qu’il faut remplir ses devoirs, il faut distinguer, en disant que les uns doivent être remplis et d’autres ne pas l’être ; car devoirs a plusieurs sens. Si la diversité des sens a d’abord échappé, il faut rectifier l’erreur en ajoutant à la fin quelque chose à la question : Donc celui qui se tait parle ; pas du tout ; mais bien un tel qui se tait. § 5[76]. Et de même pour les cas où la diversité de sens est dans les propositions : Donc on ne sait pas ce qu’on sait ? Non, certes ; mais cela n’est pas vrai de ceux qui savent de telle manière ; car ce n’est pas la même chose de dire qu’il n’est pas possible de savoir quand on sait, ou que cela n’est pas possible à ceux qui savent d’une certaine façon. § 6. Il faut, en général, combattre son adversaire, même quand il a conclu d’une manière absolue, en disant qu’il a nié, non pas la chose qu’on affirmait, mais seulement le mot, de sorte qu’il n’y a pas de réfutation.


CHAPITRE XX.

Solution des paralogismes par division ou combinaison de mots : tous les paralogismes ne tiennent pas, comme en l’a dit, à l’ambiguïté du sens. Exemples divers.


§ 1[77]. On voit aussi clairement comment il faut résoudre les réfutations qui tiennent à la division et à la réunion de certains mots ; car, si la proposition divisée ou combinée a un sens différent, il faut soutenir le contraire de la conclusion. § 2. Mais tous les raisonnements captieux qui se fondent sur la division et la combinaison, sont du genre des suivants : Ce par quoi tu as vu cet homme frappé, est-ce par cela qu’il a été frappé ? et ce par quoi il a été frappé, est-ce par cela que tu l’as vu ? § 3[78]. Il y a aussi dans cet exemple l’une des questions qui est amphibologique : mais le paralogisme tient surtout à la combinaison ; car le double sens ne subsiste pas après la division, parce que la proposition n’est plus la même quand elle est divisée. Ne suffit-il pas d’un simple changement dans la prosodie, pour que le même mot signifie autre chose ? Mais ce mot est le même dans sa forme écrite, puisqu’il est écrit des mêmes lettres et de la même manière ; or, là aussi il y a des signes qui font que les mots dans la prononciation ne sont plus les mêmes ; ainsi, une fois la division faite, le double sens disparaît. § 4[79]. Il est évident aussi que toutes les réfutations ne viennent pas, sans exception, de ce que le sens est double, ainsi que quelques-uns le prétendent.

§ 5. Il faut donc diviser quand on répond, car ce n’est pas la même chose de dire qu’on a vu de ses yeux tel homme frappé, et de dire qu’on a vu tel homme frappé de ses yeux. § 6[80]. C’est là aussi le raisonnement d’Euthydème : Est-ce que tu vois, étant en Sicile, les galères qui sont maintenant dans le Pirée ? § 7[81]. Ou bien encore, est-ce qu’étant un bon tanneur il est possible d’être mauvais ? Or, quelqu’un qui est bon tanneur pourrait être mauvais, de sorte qu’il sera un tanneur mauvais. § 8[82]. L’apprentissage des choses dont la science est bonne est-il bon aussi ? Or, l’apprentissage du mal est-il bon ? donc le mal est un bon apprentissage. Mais le mal est mal et apprentissage à la fois : donc le mal est un mauvais apprentissage. Mais la science de ce qui est mal est bonne. § 9[83]. Est-il vrai de dire maintenant que tu es né ? tu es donc né maintenant ? mais par la division cela signifie autre chose ; car il est vrai de dire maintenant que tu es né, mais tu n’es pas né maintenant. § 10[84]. Fais-tu les choses que tu peux de la façon que tu peux les faire ? Bien que tu ne joues pas de la cithare, tu as le pouvoir de jouer de la cithare ; tu joues donc de la cithare sans jouer de la cithare. Ou bien ne doit-on pas dire qu’on n’a pas la puissance de jouer de la cithare quand on n’en joue pas, mais qu’on peut le faire quand on ne le fait pas ? § 11. On résout encore autrement ce paralogisme ; car si l’interlocuteur accorde qu’on fait comme on peut faire, on soutient qu’il n’en faut pas conclure qu’on joue de la cithare en n’en jouant pas. En effet, il n’a pas été accordé qu’il le fera de quelque façon qu’il puisse le faire ; car ce n’est pas la même chose de dire comme il peut, ou de dire de quelque façon qu’il puisse le faire. § 12[85]. Mais évidemment, cette solution n’est pas bonne ; car pour les raisonnements identiques, la solution est la même. Mais celle-ci ne conviendra pas à tous les raisonnements analogues ni à tous les interlocuteurs. Elle convient uniquement à celui qui interroge, et non pas au raisonnement lui-même.


CHAPITRE ΧΧΙ.

Solution des paralogismes tenant à la prosodie.


§ 1[86]. Pour la prosodie, il n’y a de paralogismes, soit par l’écriture, soit par la prononciation, qu’en très-petit nombre et du genre de celui-ci : Est-ce là la maison où tu loges ? Oui. Est-ce que : où tu loges est la négation de : tu loges ? oui ; mais tu as dit que c’était la maison où tu loges ; donc la maison est négation. § 2[87]. On voit comment on peut résoudre cette difficulté ; car le mot n’a pas le même sens, soit qu’on le prenne avec accent aigu, soit qu’on le prenne avec accent grave.


CHAPITRE XXII.

Solution des paralogismes qui ne tiennent qu’à la forme des mots. Exemples divers de sophismes avec les solutions qu’on peut leur opposer.


§ 1[88]. On voit clairement aussi comment il faut repousser les réfutations, qui tiennent à ce que des choses, qui ne sont pas les mêmes, sont exprimées de la même façon, une fois que nous avons les genres des catégories. Ainsi, celui qu’on interroge accorde que l’une des choses qui expriment l’essence n’existe pas ; l’autre prouve au contraire l’existence substantielle d’un terme qui, étant relatif ou de quantité, paraît exprimer aussi la substance par la forme verbale qu’il reçoit. § 2. C’est comme dans la proposition suivante : Peut-on en même temps faire et avoir fait une même chose ? Non, répond-on. Pourtant on peut en même temps voir et avoir vu la même chose et sous le même rapport. § 3[89]. Souffrir est-il quelquefois faire ? Non. Mais il est coupé, il est brûlé, il sent, sont des mots de forme pareille ; et tous ils expriment l’idée de souffrir. D’autre part, dire, voir, courir, sont des expressions semblables ; mais voir est certainement aussi sentir, de sorte qu’il exprime à la fois souffrir et faire quelque chose. § 4. Mais si l’interlocuteur affirme d’abord qu’il ne se peut pas qu’on fasse, et qu’on ait fait en même temps la même chose, et qu’il accorde ensuite qu’on voit et qu’on a vu, il ne sera point encore réfuté, s’il dit que voir ce n’est pas faire mais souffrir ; car il faut ajouter encore cette question. Mais l’auditeur croit que ce point est accordé, quand il voit qu’on accorde que couper c’est faire, et qu’avoir coupé c’est avoir fait, et toutes les autres expressions semblables. L’auditeur ajoute de lui-même le reste, comme étant de forme toute semblable. Cependant ici l’expression n’est pas tout à fait pareille ; mais elle le semble par l’analogie du mot. Il arrive donc la même, chose que dans les homonymies. En effet, pour les homonymes, celui qui ne connaît pas bien la valeur des mots, pense que l’un des interlocuteurs a nié la chose que l’autre affirme, et non pas seulement le mot. Mais il est encore ici besoin d’une question, pour savoir si l’on a dit l’homonyme en ne regardant qu’à un seul sens ; car c’est parce qu’on aura concédé ce point qu’il y aura réfutation.

§ 5[90]. Voici encore des raisonnements tout semblables à ceux-là : A-t-on perdu ce qu’ayant d’abord l’on n’a plus ensuite ? Ainsi, celui qui perd un seul osselet n’aura plus dix osselets. Mais a-t-on perdu réellement ce que l’on n’a plus et qu’on avait auparavant ? N’est-il pas plutôt nécessaire de perdre autant et autant de choses qu’on n’en a plus ? Ainsi, dans la question on dit : ce qu’on a ; et dans la conclusion on dit : autant de choses qu’on a ; car dix exprime une quantité. Si donc on avait demandé tout d’abord : Quelqu’un peut-il avoir perdu autant de choses qu’il n’en a pas après les avoir eues auparavant, personne ne ferait cette concession ; on accorderait seulement qu’on perd autant qu’on en a, ou l’une des choses qu’on a. § 6[91]. Et de même si l’on dit qu’on peut donner ce qu’on n’a pas, parce qu’on n’a pas un seul et unique osselet. Mais on n’a point donné ce qu’on n’avait point ; on a donné cet unique osselet, de la façon qu’on ne l’avait pas ; car seul et unique ne signifie ni cette chose, ni une chose de tel genre, ni tant de choses ; mais il exprime seulement le rapport, comme, par exemple, que cet osselet n’est pas avec un autre. C’est donc comme si l’on demandait : Peut-on donner ce qu’on n’a pas ? si l’interlocuteur dit que non, on lui demanderait si quelqu’un peut donner vite sans avoir vite, et s’il dit que oui, on conclut alors que quelqu’un peut donner ce qu’il n’a pas. Mais il est évident qu’il n’y a pas ici de syllogisme ; car, donner rapidement n’est pas donner telle chose, mais c’est donner de telle façon ; or, l’on peut donner de la façon qu’on n’a pas ; car ayant avec plaisir on peut donner avec chagrin.

§ 7[92]. Tous les paralogismes suivants sont semblables : Peut-on frapper avec la main qu’on n’a pas ? Peut-on voir avec l’œil qu’on n’a pas ? C’est qu’en effet on n’a pas un seul organe. § 8. On résout parfois ces paralogismes en disant qu’on a aussi ce seul œil ou telle autre chose, bien qu’on en ait plusieurs. § 9[93]. D’autres disent qu’on a reçu la chose comme on l’a ; car cet homme ne donnait qu’un seul caillou ; et par conséquent, disent-ils, on n’aura de cet homme aussi qu’un seul caillou. § 10. Mais d’autres détruisent aussitôt la question en soutenant que l’on peut avoir ce qu’on n’a point reçu : par exemple, qu’ayant reçu du bon vin, on peut avoir du vin aigre, s’il s’est gâté pendant qu’on le recevait.

§ 11[94]. Mais, ainsi qu’il a été dit plus haut, toutes ces solutions s’adressent, non pas au raisonnement, mais à l’homme ; car, si c’était une réelle solution, il suffirait que l’interlocuteur soutînt l’opposé, pour qu’il ne fût pas possible de résoudre comme dans bien d’autres cas. Par exemple, si la solution est en partie vraie et qu’en partie elle ne soit pas vraie, l’interlocuteur répondant d’une manière absolue, il y a conclusion : mais s’il n’y a pas conclusion, il n’y aura pas non plus de solution. Au contraire, dans les cas antérieurs, même avec une concession complète de la part de l’interlocuteur, nous disons qu’il n’y a pas de conclusion régulière.

§ 12[95]. Voici encore des raisonnements de ce genre : Quelqu’un a-t-il écrit ce qui est écrit ? Mais il est écrit que tu es assis maintenant ; assertion fausse, mais qui était vraie quand on récrivait. Ainsi on écrivait à la fois le vrai et le faux : car dire qu’un raisonnement est vrai ou faux, ou bien une pensée, cela signifie non pas que telle chose est, mais que la chose est de telle façon. Et la même remarque s’applique à la pensée qu’au discours.

§ 13. Et encore ce paralogisme : Ce qu’apprend celui qui apprend est-il ce qu’il apprend ? Mais quelqu’un apprend la lenteur vite. C’est que l’on a dit, non pas ce qu’il apprend, mais comment il apprend. § 14. Quelqu’un foule-t-il à ses pieds ce qu’il marche ? Or, il marche le jour entier : mais l’on a dit non pas ce sur quoi il marche, mais le temps durant lequel il marche. § 15. De même que, quand on dit qu’il boit une coupe, on ne dit pas ce qu’il boit, mais ce dans quoi il boit. § 16. Ou bien encore : Sait-on ce que l’on sait, soit pour l’avoir appris, soit pour l’avoir trouvé ? Mais pour des choses dont on a trouvé l’une et appris l’autre, on ne sait les deux prises ensemble ni de l’une ni de l’autre façon. Mais n’est-ce pas qu’ici on prend la totalité de ce qu’on sait, tandis que là on ne prend pas cette totalité ? § 17[96]. C’est un raisonnement analogue, quand on dit qu’il y a un troisième homme, outre l’homme en général et tous les hommes particuliers ; car homme et tout autre terme commun n’exprime pas la substance, il n’exprime qu’une qualité ou un relatif, ou une manière d’être, ou quelque chose d’analogue. Et de même, quand on demande pour Coriscus et Coriscus musicien : Est-ce la même chose ou une chose autre ? car l’un signifie une chose, l’autre signifie la chose de telle façon, de sorte, qu’on ne peut détacher cette modification de la chose même. Ce n’est pas d’ailleurs de la détacher qui fait le troisième homme : mais c’est parce qu’on accorde que ce terme commun exprime une substance ; car il n’est pas possible que substantiellement ce qu’est Callias soit ce qu’est l’homme. Du reste, il n’y aurait aucune importance à dire que le mot abstrait n’est pas une substance réelle, mais qu’il est une qualité ; car ce sera toujours quelque chose de distinct des individus : ce sera, par exemple, l’homme. Il est donc évident qu’il ne faut pas accorder que le terme commun qui est attribué à tous les individus est une chose spéciale et réelle : il faut accorder seulement qu’il exprime une qualité, une quantité, une relation, ou telle autre chose analogue.


CHAPITRE XXIII.

Solution générale des paralogismes purement verbaux :: prendre toujours l’opposé.


§ 1. En général, dans les paralogismes purement verbaux, la solution sera toujours dans le terme opposé à celui sur lequel porte le raisonnement. § 2. Par exemple, si le paralogisme vient de la combinaison, la solution s’obtiendra en divisant : s’il vient de la division, en combinant. § 3[97]. Si c’est de la prosodie aiguë, la solution sera dans la prosodie grave, et réciproquement. Si c’est dans l’homonymie que consiste le paralogisme, la solution sera dans l’emploi du mot opposé. § 4. Par exemple, si l’on arrive dans la conclusion à dire que l’être est animé, et que l’adversaire le nie, il faut démontrer qu’il est animé. Si l’on a dit qu’il est inanimé, et que l’adversaire ait soutenu qu’il est animé, il faut prouver qu’il est inanimé. § 5. Et de même pour l’amphibologie, § 6[98]. , si c’est par la ressemblance du mot que s’est formé le paralogisme, l’opposé sera la solution. Ainsi : Peut-on donner ce qu’on n’a pas ? On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas, mais on peut donner comme on n’a pas, par exemple un osselet tout seul. Ce qu’on sait le sait-on parce qu’on l’a appris ou trouvé ? mais ce n’est pas les choses qu’on sait. Et foule-t-on aux pieds ce qu’on marche ? mais non pas quand on marche. Et de même pour tous les autres paralogismes.


CHAPITRE XXIV.

Solution des paralogismes tirés de l’accident : exemples divers : solutions fautives données par quelques philosophes : solutions vraies qu’on doit y substituer.


§ 1. Quant aux paralogismes tirés de l’accident, la solution est une et la même pour tous. En effet, comme on ne détermine pas les cas, où l’on peut attribuer aussi à la chose l’attribut de l’accident, et comme dans certains cas cette attribution est évidente et qu’on la reconnaît, et que, dans d’autres, on dit qu’elle n’est pas nécessaire, il faut soutenir toujours, en étendant ce raisonnement à tous les cas, que cette attribution n’est pas nécessaire, et qu’on doit pouvoir montrer comment elle l’est. § 2[99]. Tous ces paralogismes de l’accident ressemblent aux suivants : Sais-tu ce que je vais te demander ? Sais-tu celui qui s’approche, ou celui qui est caché ? Cette statue est-elle ton ouvrage ? Ou ce chien est-il ton père ? Est-ce que les choses peu nombreuses, peu nombreusement prises sont peu nombreuses ? Il est évident, dans tous ces cas, qu’il n’est pas nécessaire que ce qui est vrai de l’accident le soit aussi de la chose. En effet, ce n’est qu’aux choses qui sont sans différence dans leur essence et qui sont individuelles, que tous les mêmes attributs paraissent pouvoir appartenir : or, pour un homme qui est bon, ce n’est pas la même chose d’être bon et de devoir être interrogé, ni pour celui qui approche ou qui est caché, ce n’est pas la même chose de s’approcher et d’être Coriscus. De sorte que, si je connais Coriscus, et que je ne connaisse pas celui qui s’approche, on ne peut pas dire que je connais et que je ne connais pas le même homme. On ne peut pas davantage, si cette chose est une œuvre et qu’elle soit à moi, dire qu’elle est mon œuvre : mais c’est ma propriété ou ma chose, ou telle autre expression qu’on voudra. Même solution pour tous les autres paralogismes.

§ 3. Quelques uns résolvent la difficulté en divisant la question : Oui, disent-ils, il se peut qu’on sache et qu’on ignore une même chose, mais non pas sous le même rapport : par exemple, ne connaissant pas celui qui s’approche, et connaissant Coriscus, c’est, disent-ils, connaître et ignorer une même chose, mais non pas sous le même rapport.

§ 4[100]. Cependant, ainsi que nous l’avons dit, il faut pouvoir rectifier de la même manière les raisonnements qui sont erronés par une même cause. Or, cette rectification n’aura point lieu, si l’on prend la même assertion, non pas avec le mot savoir, mais avec le mot être absolument, ou être de telle ou telle façon, par exemple, si cet homme est père et qu’il soit vôtre. En effet si pour certains cas cette solution est vraie, et qu’on puisse savoir et ignorer une même chose, le principe admis n’a pas du tout ici d’application.

§ 5. Rien n’empêche, du reste, que le même raisonnement n’ait plusieurs défauts. Mais il ne suffit pas de découvrir toutes les fautes pour que ce soit toujours une solution ; car il se peut qu’on montre que l’adversaire a fait un faux raisonnement, sans montrer en quoi il pèche : par exemple, comme ce principe de Zénon qu’il ne peut y avoir de mouvement. Si donc l’on cherchait à réduire ce raisonnement à l’absurde, on se tromperait, eût-on fait dix mille conclusions régulières ; car ce n’est pas là positivement la solution. La solution vraie était de faire voir que le raisonnement est faux et en quoi il est faux. Si donc l’adversaire n’a pas fait de conclusion régulière, qu’il essaie d’ailleurs de soutenir, soit le vrai soit le faux, montrer qu’il n’a pas conclu, ce sera la vraie solution. § 6. Mais peut-être n’y a-t-il aucune difficulté à ce que cela se produise dans quelques cas ; seulement, dans ces cas même qu’on vient de citer, cette solution n’est pas possible ; car celui qui connaît Coriscus sait aussi que c’est Coriscus, et celui qui connaît ce qui s’approche connaît aussi qu’il s’approche. On peut connaître et ne connaître pas une même chose : par exemple, on peut savoir que cette personne est blanche et ne pas savoir qu’elle est musicienne ; car, de cette façon, on sait et l’on ne sait pas une même chose, mais non pas sous le même rapport. Mais quant à ce qui s’approche et à Coriscus ; on sait que la chose s’approche et que c’est Coriscus.

§ 7[101]. De même on se trompe, et l’on ne donne pas plus de solution que dans les cas que nous venons de citer, quand on soutient que tout nombre est petit et grand ; car, si ne faisant pas de conclusion précise, et laissant de côté ce point, on dit qu’on a conclu le vrai, parce que tout nombre est grand et petit, l’on se trompe complètement.

§ 8[102]. Quelques personnes résolvent aussi en distinguant le double sens, dans les cas où l’on dit, par exemple ; Donc, c’est ton père, ou ton fils, ou ton esclave.

§ 9. Pourtant, il est clair que, si la réfutation paraît devoir tenir à la diversité des sens, il faut que le mot ou la phrase puisse s’appliquer en propre à plusieurs choses. Mais on ne peut jamais dire proprement que tel soit l’enfant de tel, parce que tel est maître de l’enfant. Mais la combinaison des idées est purement accidentelle : Ceci est-il à toi ? Oui ; mais ceci est un enfant ; c’est donc ton enfant. Oui, accidentellement, ceci est à toi et est un enfant, mais ce n’est pas ton enfant.

§ 10[103]. Même solution quand on dit que tel bien peut être des maux ; car la réflexion est la science des maux. Mais dire que ceci est de cela n’a pas plusieurs sens, cela veut dire seulement que ceci est la propriété de cela. Si donc la phrase a plusieurs sens, car nous disons que l’homme est des animaux, en tant qu’il en faut partie, et non en tant qu’il en est la propriété, et si quelque chose est mis en rapport avec le mal par la particule : de, il est par cela même des maux : mais cependant il n’est pas au nombre des maux. L’expression, toute restrictive qu’elle est, paraît donc prise aussi dans le sens absolu. Cependant, un bien peut être des maux de deux façons, non pas dans le sens qui précède, mais plutôt en ce sens où l’on dit qu’un bon esclave est d’un méchant maître. Mais peut-être ceci même n’est-il pas exact ; car si l’esclave est bon, et qu’il soit de ce maître, il n’est pas bon de ce maître, en réunissant les deux expressions. Dire que l’homme est des animaux, cela non plus n’a pas plusieurs sens ; car on ne peut pas dire qu’une expression ait plusieurs sens, par cela seul qu’on lui retranche quelque chose. Ainsi, il suffit de prononcer la moitié d’un vers pour exprimer : Donne-moi l’Iliade. Et nous disons ainsi : Donne-moi : Déesse, chante la colère, etc., etc.

CHAPITRE ΧΧV.


CHAPITRE ΧΧV.

Solution des paralogismes qui tiennent à ce qu’on prend me expression restrictive au lieu d’une expression absolue : exemples divers.


§ 1. Quant aux paralogismes venant de ce qu’on a pris une restriction de lieu, de temps, de manière, ou une relation, au lieu de s’exprimer absolument, il faut les résoudre en regardant si la conclusion a une contradiction, et si elle peut la recevoir à quelque égard que ce soit. En effet, il est impossible, absolument parlant, que les contraires soient à une même chose, non plus que les opposés, ni l’affirmation et la négation. Mais il est possible, cependant, que l’un et l’autre y soient ensemble dans telle partie, dans telle relation, de telle façon, que l’un y soit d’une façon restrictive, et l’autre absolument ; de sorte que si l’un y est absolument, et l’autre avec restriction, il n’y a pas là de réfutation. Mais c’est là ce qu’il faut voir dans la conclusion en regardant à la contradiction.

§ 2[104]. Tous les paralogismes de ce genre sous-entendent ce principe : Le non-être peut-il donc être ? Le non-être est certainement quelque chose. Et de même l’être ne sera pas ; car il ne sera pas quelqu’une des choses qui sont. Le même homme peut-il en même temps jurer vrai, et se parjurer ? Le même homme peut-il, en même temps, obéir et désobéir au même ordre ? Mais, ne peut-on pas dire que : être quelque chose, et être, ce n’est pas la même chose ? Et ainsi, le non-être, pour être quelque chose, n’est pas cependant absolument. Ne peut-on pas dire encore qu’on peut jurer vrai pour telle chose et de telle façon, sans que nécessairement l’on jure vrai ? car celui qui a juré de se parjurer, en se parjurant, jure vrai sur ce point seul, mais il ne jure pas vrai d’une manière absolue, pas plus que celui qui désobéit n’obéit, mais il peut obéir en quelque chose.

§ 3. C’est le même raisonnement, quand on dit que le même homme ment et dit la vérité en même temps. Mais c’est parce qu’il n’est pas aisé de savoir si l’on avance qu’il ment ou dit vrai absolument, que ce cas paraît difficile. Rien n’empêche qu’absolument il ne mente, et il ne dise vrai en un sens et à quelque égard, et qu’il ne soit véridique pour certaines choses et ne le soit pas absolument. § 4. Et de même pour les restrictions de relation de lieu et de temps ; car tous ces paralogismes portent sur ce point : La santé ou la richesse est-elle un bien ? Mais elle n’est pas un bien pour l’insensé, ni pour celui qui ne sait pas s’en servir ; donc elle est un bien et n’est pas un bien. Est-ce un bien d’avoir de la santé, d’avoir du pouvoir dans l’État ? Souvent, cela ne vaut pas mieux. Ainsi donc, la même chose est bonne et pas bonne pour le même homme. Ou bien, rien n’empêche qu’étant bonne absolument, elle ne le soit pas pour tel homme : ou encore elle peut être bonne pour cet homme, mais non pas maintenant, ni dans cette circonstance.

§ 5. Mais ce que ne voudrait pas l’homme sage, est-il un mal ? or, il ne veut pas perdre le bien : donc le bien est un mal. Mais ce n’est pas la même chose de dire : Le bien est un mal, ou perdre le bien. § 6. Même solution pour le paralogisme du voleur ; car si le voleur est un mal, prendre n’est pas aussi un mal : donc on ne veut pas le mal quand on veut le prendre ; on veut le bien, car c’est un bien de le prendre. § 7. Et la maladie est un mal, mais ce n’en est pas un de perdre la maladie. § 8[105]. Le juste est-il préférable à l’injuste, et le justement à l’injustement ? Mais il vaut mieux mourir injustement que justement. § 9[106]. Est-il juste que chacun ait ce qui lui appartient ? or, le jugement que chaque juge porte d’après son opinion, bien que cette opinion soit fausse, a toute valeur d’après la loi ; donc, la même chose est juste et ne l’est pas. § 10. Qui doit-on condamner ? celui qui dit des choses justes ou celui qui dit des choses injustes ? Mais il est juste que celui qui a été lésé dise tout au long ce qu’il a souffert ; or, ce qu’il a souffert était des choses injustes. § 11. En effet, de ce qu’il vaut mieux souffrir quelque chose injustement, il ne s’ensuit pas que l’injustement soit préférable au justement. C’est le justement qui l’est d’une manière absolue ; mais rien n’empêche que telle chose injustement ne soit préférable à cette même chose justement. § 12. Il est juste aussi que chacun ait ce qui lui appartient : il est injuste d’avoir le bien d’autrui. Mais rien n’empêche cependant que ce jugement ne soit juste ; par exemple, s’il est conforme à la conscience du juge. Toutefois si telle chose est juste de telle ou telle façon, ce n’est pas un motif pour qu’elle soit juste absolument. § 13. Et de même, bien que ces choses soient injustes, rien n’empêche qu’il ne soit juste de les dire ; car de ce qu’il est juste de les dire, il n’y a pas nécessité qu’elles soient justes, de même qu’elles ne sont pas utiles parce qu’il est utile de les dire. Et de même pour les choses justes. En effet, de ce que les choses dites sont injustes, celui qui les dit ne fait pas des choses injustes ; car il dit les choses qu’il est juste de dire, bien qu’absolument elles soient injustes, et surtout injustes à souffrir.

CHAPITRE ΧΧVΙ.


CHAPITRE ΧΧVΙ.

Solution des paralogismes qui pèchent contre la DÉFINItion de la réfutation.


§ 1[107]. Quant aux paralogismes qui tiennent à la définition de la réfutation, ainsi qu’on l’a dit plus haut, il faut les résoudre en opposant à la conclusion une contradiction qui s’adresse au même objet, sous le même rapport, et du même point de vue, et sous la même forme, et dans le même temps. § 2. Si l’on est interrogé dans le commencement de la discussion, il ne faut pas convenir qu’il soit impossible qu’une même chose soit double et non double ; mais il faut dire que cela ne se peut pas de telle façon, comme si l’on pouvait être réfuté en en convenant. § 3. Tous ces paralogismes rentrent dans la forme suivante : Celui qui sait de chaque chose qu’elle est telle chose, sait-il la chose ? Et de celui qui l’ignore en est-il également ? Ainsi, quelqu’un qui sait que Coriscus est Coriscus, peut bien ignorer qu’il est musicien ; de sorte qu’il sait et qu’il ignore la même chose. § 4. Et encore : Une chose de quatre coudées est-elle plus grande que celle de trois ? Mais la chose de trois coudées peut, en longueur, arrivera en avoir quatre. Or, le plus grand est plus grand que le plus petit ; donc une chose sera plus grande et plus petite qu’elle-même.


CHAPITRE ΧΧVΙΙ.

Solution des paralogismes par pétition de principe.


§ 1. Pour les paralogismes par pétition de principe, celui qui interroge ne doit pas l’accorder si elle est évidente, et quand même il serait probable que l’adversaire dit vrai. § 2. Si la pétition de principe reste cachée, il faut rejeter cette ignorance sur celui qui interroge, et lui imputer le vice de ces raisonnements, comme s’il n’avait pas argumenté régulièrement ; car la réfutation ne peut avoir lieu que sans la pétition de principe. § 3. Il faut ajouter que l’on a concédé ce point, non pas pour que l’adversaire s’en servît, mais parce qu’on pensait qu’il conclurait par là le contraire de ce qui avait été avancé dans les contre-réfutations.


CHAPITRE ΧΧVΙΙΙ

Solution des paralogismes par consécution fausse.


§ 1. Il faut montrer, par le raisonnement même, le vice des paralogismes qui ne concluent que par le conséquent. § 2. Mais les conséquents peuvent suivre de deux manières : c’est d’abord comme l’universel est le conséquent du particulier, et c’est ainsi qu’animal suit homme ; car on peut affirmer que, si le premier suit le second, le second suit aussi le premier. Ou bien, la consécution a lieu par les antithèses ; car si l’un suit l’autre, l’opposé suit aussi l’opposé. § 3[108]. Et c’est sur quoi se fonde le raisonnement de Mélissus ; car si ce qui est créé a un commencement, il faut penser que ce qui n’est pas créé n’en a pas ; donc, si le ciel est incréé, il est par cela même infini. Mais cela n’est pas exact ; car ici la consécution est renversée.


CHAPITRE XXIX.

Solution des paralogismes par addition.


§ 1. Pour les paralogismes qui ne concluent qu’en ajoutant quelque donnée nouvelle, il faut examiner si, en retranchant cette addition, la conclusion absurde n’en a pas moins lieu. Il faut ensuite montrer cela nettement : et il faut dire que, si l’on a concédé cette assertion, ce n’est pas qu’elle parût vraie, mais seulement parce qu’elle paraissait utile à la discussion, bien que l’adversaire n’ait pas su l’y faire servir.


CHAPITRE XXX.

Solution des paralogismes par confusion de plusieurs questions en une seule.


§ 1. Quant à ceux qui de plusieurs questions en font une seule, il faut distinguer les questions dès le début. Une question une est celle à laquelle il n’y a qu’une seule réponse ; et par conséquent il faut dire, non pas plusieurs choses pour une seule ou une seule pour plusieurs, mais une pour une, soit qu’on nie, soit qu’on affirme. § 2[109]. De même que, dans les homonymes où l’attribut est tantôt aux deux sens et tantôt n’est ni à l’un ni à l’autre, la question n’étant pas simple, il n’y a point de résultat si l’on se contente de répondre simplement, de même pour ce cas-ci. Lors donc que plusieurs attributs sont à un seul sujet, ou un seul attribut à plusieurs sujets, soit affirmés, soit niés, on ne peut produire aucune contradiction, si l’on accorde simplement l’assertion, et que l’on commette cette faute. Mais quand l’un des termes est vrai et que l’autre ne l’est pas, et quand plusieurs s’appliquent à plusieurs, et que les deux sont en partie aux deux, et qu’en partie ils n’y sont pas, c’est alors qu’il faut prendre bien garde. § 3. Par exemple, dans les raisonnements de ce genre : Si de deux choses l’une est bonne et l’autre mauvaise, il est vrai de dire de ces choses qu’elles sont bonnes et mauvaises. Et, à l’inverse, il n’est pas moins vrai de dire qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises ; car les deux ne sont pas les deux ; de sorte que la même chose est bonne et mauvaise, et n’est ni bonne ni mauvaise. § 4[110]. De plus, comme chaque chose est identique à elle-même et différente des autres, et comme ces choses sont identiques, non pas à d’autres, mais à elles mêmes, et qu’elles sont autres qu’elles-mêmes, les mêmes choses sont donc identiques à elles-mêmes et autres qu’elles-mêmes. § 5. De plus, si le mal devient le bien, et que le bien devienne le mal, les deux deviendront à la fois bien et mal. § 6. De deux choses inégales, chacune est égale à elle-même, de sorte que les mêmes choses sont égales et inégales à elles-mêmes.

§ 7[111]. On peut encore donner d’autres solutions à ces raisonnements. Ainsi, ces expressions : les deux et tous, ont plusieurs significations ; donc, une même chose ne peut que verbalement être affirmée et niée ; or, ce n’est pas là une réfutation. Mais il est évident que, quand plusieurs questions ne se confondent pas en une seule, et qu’on ne fait qu’affirmer ou nier une seule chose d’une seule chose, il n’y aura pas de conclusion absurde.


CHAPITRE XXXI.

Solution des paralogismes par répétition inutile de mots.


§ 1[112]. Quant aux paralogismes qui mènent à répéter plusieurs fois la même chose, il est évident qu’il ne faut pas accorder que les catégories, prises séparément, aient par elles seules un sens pour les relatifs. Par exemple, le double ne signifie rien sans le double de la moitié, bien que cela paraisse tout un. Ainsi, dix est dans dix moins un, et faire est dans ne pas faire, et en général l’affirmation est dans la négation ; et, cependant, si l’on dit que telle chose n’est pas blanche, on ne dit pas qu’elle est blanche. Mais le double n’exprime peut-être rien à lui tout seul, pas plus que la moitié prise toute seule ; ou, s’il signifie quelque chose, il n’a pas certainement le même sens que lorsqu’il est combiné. § 2[113]. La science prise dans l’une de ses espèces, et, par exemple, la science de la médecine, n’a pas le même sens que l’expression commune ; car la science est la science de ce qui est su. § 3[114]. Dans les attributs qui ne sont expliqués que par leurs sujets, il faut dire que le mot pris à part n’a pas le même sens que dans la phrase. Ainsi, par exemple, le convexe, pris communément, exprime aussi bien le camus que l’arqué, et rien n’empêche d’y ajouter quelque chose qui précise la signification. Mais l’un convient au nez et l’autre aux jambes ; car convexe exprime ici le nez camus, et là les jambes arquées : et il n’y a pas de différence entre nez camus et nez convexe. § 4[115]. Il ne faut pas cependant accorder l’expression au cas direct ; car alors elle est fausse : ainsi, le camus n’est pas le nez convexe, c’est quelque chose du nez ; et, par exemple, c’est une modification du nez ; de sorte qu’il n’y a rien d’absurde à dire que le nez camus est un nez qui a la convexité du nez.


CHAPITRE XXXII.

Solution des paralogismes par solécismes ou fautes contre la grammaire : exemples divers.


§ 1[116]. Pour les solécismes, nous avons dit antérieurement comment ils se forment ; quant à savoir comment il faut les résoudre, c’est ce que les considérations suivantes montreront. § 2[117]. Tous reviennent au cas suivant : Ce que tu dis avec vérité est-il vrai ? Tu dis que ceci est un caillou : il y a donc quelque chose qui est caillou. Ou bien est-ce que dire caillou ce n’est pas dire, non point un neutre, mais un masculin ; non pas cela, mais cet ? Si donc on demande : Ce que tu dis est-ce celui-là ? on semblerait ne pas parler correctement, de même qu’on ne semblerait pas non plus bien parler si l’on disait : Celle que tu dis, n’est-ce pas celui-là ? Mais par celui-là on a voulu désigner du bois, ou bien telle chose qui n’est ni masculine ni féminine, peu importe. Aussi, il n’y a pas de solécisme si l’on dit : Ce que tu dis est-ce bien cela ? Or, tu dis que c’est du bois, donc c’est du bois. Mais caillou et celui-ci sont du masculin. Si l’on disait : Celui-ci est-il celle-là ? et ensuite : Qu’est-ce ? Celui-ci n’est-il pas Coriscus ? et qu’on ajoutât ensuite : Donc celui-ci est-celle-là, on n’aurait pas conclu un solécisme, pas même si Coriscus signifie la même chose que celle-là, tant que celui qui répond ne l’a pas accordé. Mais il faut faire à l’avance cette convention, que si l’assertion n’est pas vraie et qu’on ne l’accorde pas, il n’y a pas de conclusion, ni en réalité, ni pour celui qui est interrogé. Il faut donc qu’ici aussi caillou signifie également celui-ci ; mais si cela n’est pas vrai et qu’on ne l’accorde point, il ne faut pas admettre la conclusion. Ce qui cause ici l’illusion, c’est qu’il paraît que le cas du nom qui n’est pas semblable est semblable. § 3[118]. Est-il vrai de dire : Elle est ce que tu as dit qu’elle est ? Mais tu as dit qu’elle est un bouclier : elle est donc le bouclier ? Ou bien ne peut-on pas dire que cette conclusion n’est pas nécessaire, puisqu’elle exprime bouclier à l’accusatif et non bouclier au nominatif, et que bouclier à l’accusatif exige elle a l’accusatif ? § 4[119]. Quand bien même cet homme est bien ce que tu dis qu’il est, si tu dis qu’il est Cléon, on ne peut pas dire : Donc il est Cléon à l’accusatif ; car il n’est pas Cléon à l’accusatif ; et pour cet homme dont je parle, j’ai dit cet au nominatif et non pas cet à l’accusatif ; car la question ainsi exprimée n’est pas grammaticalement correcte. § 5[120]. Sais-tu cela ? or, cela est une pierre : tu sais donc une pierre. Ou bien, ne doit-on pas dire que cela n’exprime pas la même chose dans : Sais-tu cela ? et cela est une pierre ; mais dans le premier cas il est à l’accusatif, et dans le second il est au nominatif. § 6[121]. Sais-tu ce dont tu as la science ? mais tu as la science de la pierre ; donc tu sais de la pierre. Mais d’un côté, ne dit-on pas de la pierre, et de l’autre côté, la pierre ? On a bien accordé que tu savais ce dont tu as la science ; mais l’on a dit que tu savais, non pas de cela, mais cela ; et ici c’est n’est pas de la pierre, mais la pierre.

§ 7. On voit donc, d’après tout ceci, que ces raisonnements ne concluent pas de vrais solécismes, mais qu’ils paraissent seulement le faire ; on voit comment ils le paraissent, et comment il faut les combattre.


CHAPITRE XXXIII.

Les solutions ne sont pas également faciles ou difficiles pour tous les paralogismes. Exemples divers. — Difficultés de la solution dans les raisonnements syllogistiques et les raisonnements contentieux.


§ 1[122]. Il faut remarquer aussi que, parmi tous les paralogismes, il est facile pour les uns et difficile pour les autres, de voir sur quel point et de quelle manière ils font illusion à l’auditeur, parce qu’ils se confondent souvent les uns avec les autres à cause de leur ressemblance. En effet il faut appeler identique le raisonnement qui a le même point de départ, et cette identité paraît ; tenir tantôt au mot, tantôt à l’accident, et tantôt à une autre cause encore, parce que toutes les fois qu’il y a quelque changement, les choses ne sont plus également évidentes. § 2. C’est donc comme pour les cas d’homonymie, et c’est là, ce semble, la source la plus ordinaire des paralogismes. Parmi ces cas, les uns sont évidents, même aux gens les moins exercés. En effet, presque tous les raisonnements ridicules jouent sur les mots mêmes. Par exemple, un homme portait sur l’échelle un char. Et comment allez-vous ? À la voile. Laquelle des deux vaches mettra bas devant ? Aucune : mais toutes les deux mettront bas par derrière. Borée est-il pur ? Non, car il a tué le mendiant et le marchand. Est-ce Evarque ? Non, c’est Apollonide. Et de même pour presque tous les autres jeux de mots. D’autres cas d’homonymie, au contraire, échappent aux plus habiles : et la preuve, c’est que souvent ils bataillent sur les mots. Ainsi, par exemple, l’un et l’être se confondent-ils dans tous les cas, ou sont-ils différents ? C’est qu’en effet, pour certains philosophes, l’être et l’un semblent exprimer tout à fait la même chose ; d’autres, au contraire, résolvent le paralogisme de Zénon et de Parménide, en prétendant que l’être et l’un ont plusieurs sens. Et de même pour les paralogismes de l’accident et pour chacun des autres. Les uns seront plus faciles à découvrir, les autres plus difficiles, et il n’est pas également aisé pour tous de savoir dans quel genre ils sont, et s’il y a ou non réfutation véritable.

§ 3. L’argumentation la plus redoutable est celle qui soulève le plus de doutes ; car c’est celle qui gêne le plus. § 4. Le doute est de deux sortes : ainsi, dans les raisonnements vraiment réguliers, on ne sait quelle est celle des questions que l’on doit nier : et, dans les discussions purement contentieuses, on ne sait comment exprimer la chose qu’on veut soutenir. Et voilà pourquoi, dans les raisonnements syllogistiques, les plus embarrassants sont ceux qui font le plus chercher. § 5[123]. Le raisonnement syllogistique qui est le plus embarrassant de tous, est celui par lequel on détruit ou l’on établit l’opinion la plus probable, par les opinions les plus probables aussi ; car le raisonnement, tout en restant unique, pourra, rien que par un déplacement de la contradiction, recevoir toutes les mêmes conclusions. C’est qu’en effet on peut toujours, par des propositions probables, renverser ou établir une proposition qui n’est qu’également probable ; et c’est là ce qui cause nécessairement le doute. Ainsi, le raisonnement le plus embarrassant est celui où la conclusion est aussi forte que les questions. § 6. Celui qui vient le second, à cet égard, est celui où toutes les propositions sont égales ; car alors l’embarras est égal pour savoir quelle est celle des questions qu’il faut attaquer. Or, il est difficile de le savoir ; on voit bien qu’il faut en détruire une ; mais laquelle ? c’est ce qu’on ignore. § 7[124]. Parmi les raisonnements contentieux, le plus embarrassant, c’est celui dont on ne sait d’abord s’il conclut ou ne conclut pas, et si la solution doit en être cherchée dans la proposition fausse ou dans la division. § 8. Le second, en difficulté, est celui dont on voit bien qu’il doit être résolu par la division ou la négation, mais dont on ne sait sur quelle proposition on doit faire porter la négation ou la division pour le résoudre, la solution pouvant se rapporter également à la conclusion ou à l’une des questions.

§ 9. Quelquefois aussi le raisonnement qui ne conclut pas ne mérite aucune attention, si les données sont par trop improbables, ou si elles sont fausses. Quelquefois, cependant, il n’est pas digne de ce mépris. En effet, lorsqu’une de ces questions vient à être oubliée, sur laquelle et par laquelle le raisonnement s’établit, et que, négligeant de l’ajouter, on ne peut arriver à conclure, c’est alors que le syllogisme est parfaitement vain. Mais quand c’est par des motifs tout extérieurs qu’il ne conclut pas, il n’est pas du tout à mépriser ; car le raisonnement est bon, mais c’est celui qui interroge qui n’a pas bien interrogé.

§ 10. De même que l’on peut trouver la solution en s’en prenant tantôt au raisonnement, tantôt à celui qui questionne, tantôt à la question, et tantôt à toute autre chose ; de même aussi, on peut interroger et conclure en s’en prenant à la thèse, ou à celui qui répond, ou même au temps, quand la solution exigerait plus de temps que l’on n’en peut donner pour discuter actuellement la solution présentée.


TROISIÈME SECTION.


RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE LA LOGIQUE.


CHAPITRE XXXIV.

Résumé du traité des réfutations des sophistes. — Résumé général de toute la logique.


§ 1[125]. De combien de manières et de quelles manières se produisent, dans les discussions, les paralogismes ; quels sont les moyens de montrer que l’adversaire se trompe et de l’amener à faire des paradoxes ; comment, en outre, se forme le syllogisme (solécisme) ; comment il faut interroger ; quel est l’ordre à mettre dans les questions ; quelle est l’utilité de toutes ces recherches ; quelles sont les règles de toute réponse en général ; enfin, comment il faut résoudre les raisonnements et les syllogismes, toutes ces questions doivent être suffisamment éclaircies par ce qui précède. § 2[126]. Il ne nous reste plus, après avoir rappelé l’objet que nous nous proposions au début, qu’à le résumer en peu de mots, et à mettre fin ainsi, à tout ce que nous avons dit.

§ 3[127]. Nous nous étions donc proposé de trouver un procédé syllogistique pour traiter un sujet donné en partant des propositions les plus probables. C’est là, en effet, l’œuvre de la dialectique proprement dite, et de celle qui n’a en vue qu’un simple essai des forces de l’adversaire. Mais comme on demande à la dialectique, à cause du voisinage même de la sophistique, de nous apprendre, non seulement à tenter les risques de la discussion d’une manière purement dialectique, mais encore comme si nous possédions vraiment la science, c’est là ce qui fait que nous avons donné pour but à ce traité, non pas seulement de nous mettre en état de pouvoir contrôler un raisonnement, mais encore, lorsque c’est nous qui soutenons un raisonnement, de pouvoir défendre tout aussi bien la thèse que nous adoptons par les arguments les plus probables possible. Nous en avons dit le motif : et c’est celui qui fait que Socrate interrogeait toujours sans jamais répondre, précisément parce qu’il affirmait ne rien savoir. § 4[128]. Il a été expliqué dans les traités antérieurs à combien de questions s’appliquera cette méthode, de combien d’éléments et de quels éléments elle se forme, et par quels procédés nous pourrons toujours avoir des arguments. Nous avons aussi tracé les règles de toute interrogation et l’ordre qu’on doit y suivre ; nous avons parlé des réponses et des solutions applicables aux diverses conclusions ; nous avons enfin traité de toutes les autres choses qui font partie de cette même méthode des discussions. De plus, nous avons étudié les paralogismes, ainsi que nous l’avons déjà dit. Il est donc clair que les recherches que nous nous étions imposées, peuvent trouver ici convenablement leur fin.

§ 5. Mais il faut aussi que nous nous rendions bien compte du vrai caractère de cette étude. § 6[129]. Parmi toutes les découvertes, les unes reçues de mains étrangères, et antérieurement élaborées, ont prospéré dans quelques parties par les soins de ceux qui les ont ensuite reçues. D’autres, au contraire, trouvées dès le principe, n’ont pris ordinairement au début qu’un accroissement très faible, mais cependant beaucoup plus utile que tout le développement qui devait en sortir plus tard. La chose capitale, peut-être en tout, c’est le commencement, comme on dit, mais c’est aussi la plus difficile ; plus la découverte a de valeur, plus il est malaisé de la faire, quand l’objet échappe à l’observation par sa petitesse même. Le germe une fois trouvé, il est bien plus facile d’y ajouter et d’y réunir le reste : c’est là précisément ce qui est arrivé pour l’étude de la rhétorique et pour presque toutes les autres sciences. Ceux qui ont découvert les éléments n’ont absolument fait d’abord que quelques faibles pas. Mais ceux qui, aujourd’hui, ont tant de réputation, recevant la science comme un héritage accru petit à petit par tant de labeurs, l’ont portée au point élevé où nous la voyons : Tisias après les premiers inventeurs, Thrasymaque après Tisias, Théodore après celui-ci, et tant d’autres, ont cultivé toutes les parties de la rhétorique. Aussi, n’y a-t-il point du tout à s’étonner que la science ait acquis tant de perfection. § 7[130]. Mais pour la présente étude, on ne peut pas dire que telle partie eût été travaillée, et que telle autre n’eût point été travaillée ; antérieurement, il n’y avait absolument rien. § 8[131]. Les gens, en effet, qui se faisaient payer pour enseigner l’art de la dispute, n’avaient qu’un enseignement pareil à la méthode de Gorgias. Ils donnaient à apprendre, les uns, des discours de rhétorique, les autres, des séries de questions renfermant, selon eux, les sujets sur lesquels retombent le plus habituellement les arguments des deux interlocuteurs. Aussi l’apprentissage était-il avec eux très rapide, mais aussi très grossier. Enseignant, non pas l’art, mais les résultats de l’art, ils s’imaginaient montrer quelque chose. C’est comme si quelqu’un qui se prétendrait capable de montrer scientifiquement à n’avoir pas mal aux pieds, enseignait, non pas à faire des chaussures, non pas même à savoir s’en procurer de bonnes, mais se bornait à indiquer toutes les espèces de chaussures diverses. Ce serait là, certainement, donner des notions fort utiles pour la pratique, mais ce ne serait pas du tout enseigner un art.

§ 9[132]. Ainsi donc, pour la rhétorique, il y avait des travaux nombreux et anciens. Pour la science du raisonnement, au contraire, nous n’avions rien absolument d’antérieur à citer ; mais nos pénibles recherches nous ont coûté bien du temps et bien des peines. § 10. Si donc il vous paraît, après avoir examiné nos travaux, que cette science dénuée de tous antécédents analogues, n’est pas trop inférieure aux autres sciences qu’ont accrues de successifs labeurs, il ne vous restera plus, à vous tous, c’est-à-dire, à tous ceux qui ont suivi ces leçons, qu’à montrer de l’indulgence pour les lacunes de cet ouvrage, et de la reconnaissance pour toutes les découvertes qui y ont été faites.

  1. Mais…, cette conjonction semble indiquer que ce livre ne devrait pas être séparé de ceux qui le précèdent.
  2. Offertes par les tribus. Dans les sacrifices, les tribus d’Athènes rivalisaient entre elles à qui présenterait les plus belles victimes et l’on employait toute espèce d’artifices pour les parer et les grossir.
  3. On tire… quelque conclusion, L’édition de Berlin a dans le texte : on dit.., et donne en variante la leçon ordinaire que j’ai conservée, et qui ne semble meilleure. Cette définition du syllogisme est d’ailleurs identique à celle qui est reflétée dans les Topiques, liv. 1, ch. 1, § 3 et dans les Première Analytiques, liv. 1, ch. 1, § 8.
  4. Avec contradiction de la conclusion, Contredisant la conclusion donnée antérieurement sur le même sujet par l’adversaire. Il faut rapprocher cette définition de celle des Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 1, § 2.
  5. On conclut des cailloux, on se servait jadis pour compter de cailloux, comme on se sert encore dans nos campagnes de moyens tout aussi grossiers. — Dupés… de même pour le discours, voir l’Euthydême de Platon. — Qui seront dites plus tard voir spécialement les ch. 4 et 5 plus loin, et l’on peut ajouter d’une manière générale, tout le Traité des Réfutations
  6. L’instructif… l’exercitif, J’ai dû prendre ces mots quoique peu convenables, pour éviter de longues périphrases. Les développements qui suivent en font d’ailleurs bien comprendre le sens. — Ailleurs, Topiques, liv. I, ch. 3 et surtout liv. 8, ch. 4, et suivants.
  7. Dans les Analytiques, Les Derniers. — Du genre instructif et démonstratif, L’édition de Berlin dit seulement démonstratif. — Et ailleurs, dans les Topiques. On voit qu’ici l’ordre de l’Organon est l’ordre habituellement adopté, ce qui réfute l’opinion de ceux qui voulaient placer les Topiques et le Réfutations des Sophistes avant les Derniers Analytiques, comme l’on fait plusieurs éditeurs.
  8. Ceux qui savent, apprennent, l’équivoque porte sur le mot : apprennent, qui signifie à la fois, apprendre pour soi, s’instruire ; et apprendre aux autres, enseigner. L’équivoque est la même en français qu’en grec. Voir dans l’Euthydème de Platon en sophisme à peu près semblable, p. 371 et suiv., trad. de M. Cousin. — Ce qui doit être, l’équivoque roule sur ces mots : — Est assis et debout, qu’il est malade et bien portant, l’homonymie consiste ici en ce que le participe assis, comme l’adjectif malade peuvent être également pris soit au présent soit au passé. Ceci est expliqué plus bas : se portait bien… ne se porte pas bien, par la diversité même des temps.
  9. Vous voulez ma prise des ennemis, J’ai cherché à rendre par cette phrase fort peu correcte, l’amphibologie de la phrase grecque qui signifie à la fois : vous voulez que je prenne les ennemis : et vous voulez que les ennemis me prennent. Notre langue, privée de cas, ne peut faire comprendre ces amphibologies qui ne reposent que sur la confusion de deux régimes. Il faut absolument, pour comprendre les exemples qui suivent, avoir le texte grec sous les yeux. La traduction française toute fidèle qu’elle est ne peut présenter que des obscurités inintelligibles. Notre langue est trop claire pour se prêter à ces équivoques si faciles en grec et en latin. — Tu es une pierre, Voir l’Euthydéme de Platon, p. 117, trad. de M. Cousin. — Celui qui se tait parle, La phrase grecque peut signifier aussi : Dire des choses qui se taisent. Voir l’Euthydéme, p. 420, trad. de M. Cousin.
  10. Comme aigle, Aigle en grec signifie d’abord l’oiseau de ce nom et un ornement en architecture. — Chien peut signifier en français comme en grec, d’abord l’animal de ce nom, puis une constellation. — Savoir les lettres, L’édition de Berlin donne cette leçon en variante, et dans le texte : Sait les lettres, ce qui en grec forme également une amphibologie, qui n’existe point du tout en français.
  11. Celui qui est assis, La grammaire en grec permet également de joindre le mot qui signifie : Celui qui est assis, à pouvoir et à marcher. Dans le premier cas l’assertion est vraie, dans le second elle est fausse. — Et il apprend maintenant, Ceci est la conclusion d’un syllogisme fait par les sophistes : Celui qui sait la grammaire maintenant l’a apprise : or un tel sait la grammaire, donc il l’apprend maintenant. L’amphibologie porte sur le mot : maintenant, qui en grec peut se joindre également soit au mot : sait, qui précède, soit aux mots : l’a apprise, qui suivent. — Peut cependant en porter plusieurs, Non pas ensemble, mais successivement.
  12. Je t’ai fait libre, La phrase grecque peut également signifier : Je t’ai fait libre d’esclave que tu étais, ou esclave de libre que tu étais. — Le divin Achille,.. La phrase grecque peut signifier également : laissa cinquante hommes sur cent, ou cent hommes, sur cinquante. Le français ne se prête pas à ces équivoques que sa clarté ne permet pas de reproduire.
  13. Homère, Iliad. chant 23, v. 328, Le mot dont il s’agit peut signifier, avec un esprit doux et sans accent, la négation ne pas, et avec l’accent aigu, il signifie : dans l’endroit où. Nous lisons aujourd’hui ce mot sans accent dans le passage cité et les meilleures éditions le prennent pour la négation et non pour l’adverbe. Aristote nous apprend dans sa Poétique, ch. 25, édit. de Berlin, p. 1161, a, 22. que c’est Hippias de Thasos qui défendait ainsi ces deux passages d’Homère. — Et dans le songe d’Agamemnon, La portion de vers que cite Aristote ne se retrouve plus dans nos éditions d’Homère, du moins au passage qu’il indique. Voir le début du second chant de l’Iliade : Elle se retrouve ailleurs, chant 21, v 297. On sait qu’Aristote avait fait une édition d’Homère pour Alexandre, la fameuse édition de la Cassette. — Nous lui accordons… de la lui accorder, Le mot grec peut avoir les deux sens.
  14. Précédemment, Voir les Catégories.
  15. Espèces, L’édition de Berlin dit : lieux, sans d’ailleurs justifier cette leçon qui n’est pas mauvaise, mais que je n’adopte pas.
  16. Car de cette façon… les Sophistes, L’édition de Berlin ne donne cette phrase que dans les variantes, et non dans le texte. — Il sera autre que lui-même, Voir l’Euthydème de Platon, pas. 420, trad. de M. Cousin.
  17. Ce qui est dit au particulier, avec restriction et avec une relation qui le limite.
  18. Sans compter le principe, C’est-à-dire sans faire de pétition de principe. L’expression peut paraître assez singulière.
  19. On a pris, C’est la leçon de l’édition de Berlin : les éditions ordinaires donnent : on prend.
  20. On a pris, C’est la leçon de l’édition de Berlin : les éditions ordinaires donnent : on prend.
  21. Tirées d’un signe, Ce sont les enthymèmes, Voir Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 27, § 1.
  22. Avant la conclusion, la proposition absurde, L’édition de Berlin dit seulement : Si donc on a compté dans les propositions relativement à la conclusion absurde…, ce qui n’a pas de sens. J’ai conservé la leçon ordinaire. — La vie est génération, Proposition absurde.
  23. Ou ciel. L’édition de Berlin donne : ou le ciel, et alors un pourrait entendre comme a fait le commentaire d’Alexandre : la terre est-elle la mer ? le ciel est-il la mer ? — Et alors on se trouve réfuté, L’édition de Berlin supprime ces deux phrases sans citer d’autorité. C’est une leçon déjà adoptée par Sylburge ; j’ai préféré suivre la leçon ordinaire. — Un tel et un tel est homme, au lieu de : sont hommes.
  24. Dont on a parlé d’abord, Plus haut. § 1. — Ainsi que nous l’avons fait, Ibid., et plus haut, ch. 1. § 1.
  25. Il faut que la conclusion… L’édition de Berlin dit : Il faut que la conclusion se produise, parce que telles choses sont causes qu’elle a lieu. — En tenant compte du principe, C’est-à-dire en ne le répétant pas dans la conclusion, en ne faisant pas de pétition de principe.
  26. Le blond et le miel, Le blond accident du miel. — Le blanc et le cygne, le blanc accident du cygne. — D’une autre manière, Voir plus loin, ch. 28, où cet autre manière sera indiquée.
  27. Une et seule. L’édition de Berlin ne donne que une, et laisse seule dans les variantes.
  28. Toutes ces nuances, L’édition de Berlin dit : lieux, comme elle l’a fait plus haut, ch. 4, § 10.
  29. L’intonation affaiblie ou tendue, La prononciation diverse suivant les esprits, les accents, les brèves et les longues, etc.
  30. Il sait l’accorder, A l’interlocuteur qui la lui demande.
  31. Que nous avons dit antérieurement, Plus haut, § 1.
  32. Et pèche contre la proposition, La suppression d’un article dans l’édition de Berlin change légèrement le sens ; J’ai suivi la leçon de Pacius. Sylburge a la leçon de l’édition de Berlin. — Quand on tient compte, C’est la leçon de Pacius et de Sylburge. L’édition de Berlin admet ici une négation qu’avaient déjà donnée plusieurs éditions ; le sens est également acceptable, et peut-être même serait-il meilleur. Il faudrait alors traduire : Quand on ne veut pas compte du principe, c’est-à-dire qu’on le répète dans la conclusion. Voir plus haut, ch. 6 § 7.
  33. C’est au dialecticien, L’édition de Berlin donne le pluriel sans citer d’autorité ; cette variante est sans importance.
  34. Qui ne sont pas relatifs au mot, L’édition de Berlin ne donne pas de négation. C’est la leçon qu’adopte Sylburge. Ce qui suit ne semble exiger la leçon que je conserve avec Pacius et Isingrinius.
  35. Que celui qui se tait parle, L’équivoque consiste en ce que la phrase grecque peut également signifier : celui qui se tait parle ; ou bien : dire des choses qui se taisent ; Voir plus haut, chap. 4, et § 4, et l’Euthydème de Platon, p. 120, de la trad. de V. Cousin. — Cycle, signifie également en grec cercle et une espèce de poésie.
  36. Les unités sont-elles donc, égales aux dyades, Les unités qui sont dans le nombre quatre sont, étant prises ensemble, égales aux deux dyades qui composent ce nombre ; mais les unités prise séparément ne sont pas égales au dyades prises séparément aussi.
  37. Et observe en tout sens, L’édition de Berlin ne donne cette phrase que dans les variantes ; j’ai préféré la conserver dans le texte ; avec les éditions ordinaires ; elle n’est pas indispensable.
  38. Comme celle d’Hippocrate de Céos, qui démontrait la quadrature du cercle par la quadrature des lunules faites sur les côtés du carré. Il ne se servait que de principes géométriques, bien qu’il arrivât à une conclusion erronée, et c’est ce que l’on appelle ici description fausse. — Bryson, au contraire, démontrait la quadrature du cercle, sans remonter à des principes de géométrie, et en se bornant à des principes communs. Voir sur la méthode de Bryson et son vice dans ce chapitre un peu plus bas, § 5, mais surtout les Derniers Analytiques, liv. 1, ch. 9, § 1. — Dans les choses de ce genre, c’est-à-dire ne prenant pas des principes propres à la chose et faisant comme Bryson. — Tout relatif qu’il est à la chose en question, c’est-à-dire prenant les principes propres à la chose, et faisant comme Hippocrate de Céos. — Une injustice contentieuse dans le combat, J’ai suivi la leçon de Pacius. Sylburge donne, je ne sais d’après quelle autorité : est un combat injuste ou contentieux. L’édition de Berlin change encore davantage la phrase, bien que le sens reste toujours à peu près le même : dans la contradiction, la discussion contentieuse est un combat injuste. — Les lutteurs qui veulent vaincre à tout prix, Les commentateurs grecs citent l’exemple d’Antiloque, Iliade, chant 23, v. 426 et suiv., usant de fraude pour vaincre.
  39. Comme nous l’avons dit, voir plus haut, chap. 1, § 6.
  40. Le faux dessinateur, Celui qui dessine des figures fausses en géométrie. — Celle qui se fait par les lunules, voir plus haut, § 3. — Celle de Bryson, ibid. — La quadrature d’Antiphon, par les polygones, dont les côtés augmentaient en nombre de manière à se confondre avec la circonférence. C’était une démonstration fausse, mais elle était encore géométrique. — L’opinion de Zénon, que le mouvement est impossible. Voir le petit traité sur Xénophane, etc.
  41. N’est pas borné à une espèce déterminée, Derniers Analytiques, liv. I, ch. 11, § 8. C’est là ce qui fait l’importance de la dialectique.
  42. Comme les négations, Le non-homme, le non—cheval sont des expressions indéterminées elles ne désignent ni un genre, ni une espèce, ni un individu en particulier.
  43. Le faux dessinateur, Voir plus haut, § 5.
  44. C’était là le second objet de la sophistique, voir plus haut, ch. 3, § 2.
  45. Ou le faux, c’est le terme même dont il s’est servi, ch. 3, § 2, et qu’il répète ici.
  46. Ainsi qu’on l’a dit précédemment. Voir dans les Topiques, liv. 2, ch. 5, § 1.
  47. Qu’on le pousse à des paradoxes, le mot paradoxe n’est pas pris ici dans un sens vrai puisqu’il ne signifie que contradiction.
  48. Le Gorgias de Platon, voir la traduction de M. Cousin, p. 291 et suiv. — Et que tous les anciens, le mot est peut-être un peu exagéré puisqu’il s’agit des sophistes. — Ces gens-là, les anciens sophistes.
  49. Nous avons déjà dit, plus haut, ch. 3, § 2.
  50. Si le double est le double de la moitié, l’édition de Berlin donne cette leçon dans les variantes ; dans le texte elle dit seulement : Si le double est de la moitié, il faut nécessairement répéter : le double.
  51. Ce qu’est le solécisme,… précédemment, voir plus haut, ch. 3, § 3. Seulement il plaçait le solécisme en quatrième lieu, tandis qu’il n’en parle ici qu’au cinquième et dernier rang.
  52. Pernicieuse, voir le début de l’Iliade.
  53. Amener ceci avec un certain art, j’ai suivi la leçon de l’édition de Berlin qui s’appuie sans doute sur des manuscrits. Pacius dit : Un certain art peut faire cela ; Sylburge : Un habile peut faire cela, Le sens est toujours le même.
  54. C’est du bois, nom neutre en grec ; les deux autres sont féminins et masculins. — (au nominatif) (à l’accusatif), j’ai été obligé d’ajouter ces parenthèses pour faire entendre le texte. — Le verbe est, et le verbe être, l’un ne va qu’avec le nominatif ; l’autre ne va qu’avec l’accusatif.
  55. Que la réfutation porte, l’édition de Berlin supprime ces mois sans citer d’autorité. Il est beaucoup mieux de les conserver.
  56. Comme dans la dialectique, voir Topiques, liv. 8, ch. 4 et suiv.
  57. Précédemment indiqués, voir Topiques, liv. 8, ch. 1, § 23.
  58. Tout ce qui a été dit plus haut, ibid.
  59. Ou une sorte de réfutation, l’édition de Berlin, sans citer d’autorité, supprime ces mots, que je garde avec Pacius.
  60. Cléophon le fait dans son Mandrobule, il ne nous est rien parvenu de cette pièce. Le commentaire anonyme, récemment publié par M. Sprengel, Munich, 1842, prétend que le Mandrobule était un dialogue platonicien.
  61. Lycophron est appelé sophiste dans la Politique, liv. 3, ch. 5, tom. 1, p. 257, de mon édit. Il est cité aussi dans la Rhétorique, voir la note, ibid.
  62. C’est avec le chapitre 16 que les Latins faisaient commencer le second livre de ce traité, ainsi que plusieurs éditions grecques, celle de Sylburge entre autres. J’ai cru devoir faire une seconde section ; au XIIe et XIIIe siècles, Averroès et Albert font deux livres.
  63. Antérieurement, dans tout ce qui précède et surtout ch. 4 et suiv.
  64. Analysées, pris au sens propre, décomposées.
  65. Ou par amphibologie, l’édition de Berlin ne donne pas ces mots et ne cite pas d’autorité qui en justifie l’omission. — Et qu’ainsi l’on a… dans la conclusion, l’édition de Berlin supprime encore toute cette phrase sans citer de manuscrit. Cette phrase, qui se lie fort bien avec tout ce qui précède et tout ce qui suit, est dans toutes les autres éditions, il est indispensable de la conserver.
  66. Ou ne l’est pas, Pacius n’a pas ces mots que j’emprunte à l’édition de Berlin, Sylburge les met entre crochets. — Et voilà d’où vient la différence, c’est la leçon de l’édition de Berlin : Pacius, au contraire, a une négation : Et voilà pourquoi il n’y a point de différence. Sylburge place encore la négation entre crochets, c’est-à-dire qu’il en propose la suppression. La leçon de l’édition de Berlin me semble la plus claire, et c’est là ce qui me l’a fait adopter.
  67. Ainsi qu’on l’a dit antérieurement. Topiques, liv. 8, ch. 7.
  68. Ainsi donc que nous l’avons dit, au début même de ce traité, ch. 1, § 1, quand il a défini la réfutation sophistique.
  69. La définition qui a été donnée, voir plus haut, ch. 1, § 3.
  70. Ce qui est des Athéniens, le génitif en grec peut prêter à cette amphibologie, il peut servir à exprimer qu’une chose est la possession d’une autre, ou qu’elle fait partie d’une autre.
  71. Et les pensées vraies, les axiomes. — Et des assertions entières, l’édition de Berlin donne : Et des négations entières ; mais, comme il suffît ici, pour changer le sens, de l’omission d’une seule lettre, on peut croire à une simple faute d’impression. — Le déplacement de la discussion, en la faisant porter sur une proposition où l’attribut sera contraire à l’attribut de la proposition soutenue par l’adversaire, et où le sujet sera différent. C’est ce que le texte appelle la métaphore, en prenant ce mot dans son sens étymologique.
  72. Comme on l’a dit plus haut, § 1.
  73. Celui qui se tait parle, on se rappelle l’amphibologie que cette phrase présente en grec, voir plus haut, ch. 4, § 4, et ch. 10, § 6. — Par exemple, ce raisonnement… les vers iambiques, l’édition de Berlin supprime toute cette phrase sans citer aucune autorité. C’est peut-être une simple omission.
  74. À la fin, j’ai conservé la traduction fidèle des mots grecs, le sens est : Dans la conclusion.
  75. Mais bien un tel, en ajoutant un pronom déterminatif qui a un genre spécial, et ici, il est du masculin : la phrase ne peut plus alors prêter à l’amphibologie.
  76. De telle manière, en spécifiant de quelle nature et sur quoi porte la science, il n’y a plus lieu de faire amphibologie, et par conséquent de tromper l’adversaire.
  77. Ce par quoi tu as vu cet homme frappé, on peut entendre à la fois par là, et les yeux avec lesquels on voyait cet homme frappé, et le bâton avec lequel on le frappait. L’interlocuteur, qui ne fait pas attention à cette amphibologie peut être amené à soutenir qu’il a vu cet homme frappé avec des yeux, ou avec un bâton.
  78. Or, là aussi il y a des signes.,. Pacius conclut de cette phrase qu’au temps où le traité des Réfutations a été composé, au temps d’Aristote, on ne se servait pas d’accents ; j’en tirerais une conclusion toute contraire, ainsi que des passages cités plus haut, ch. 7, § 3, et ch. 4, § 8 ; c’est une question qui semble résolue par ce passage.
  79. Ainsi que quelques-uns le prétendent, quelques sophistes probablement ou quelques disciples de l’école de Mégare.
  80. Le raisonnement d’Euthydème, je n’ai pas trouvé ce sophisme dans l’Euthydème de Platon, Aristote le cite encore dans la Rhétorique, liv. 2 édit. de Berlin, p. 1401, a. 27. — Est-ce que tu vois, étant en Sicile,… Je n’ai pu conserver dans la phrase française l’équivoque de la phrase grecque où l’adverbe : maintenant, peut être joint également au verbe voir qui le précède, et au verbe être qui le suit : la phrase alors signifie également : Vois-tu, étant maintenant en Sicile, les galères qui sont au Pirée, chose absurde, ou bien : As-tu vu, quand tu étais en Sicile, les galères qui sont maintenant dans le Pirée ?
  81. De sorte qu’il sera un tanneur mauvais, L’édition de Berlin donne sans citer d’autorité : De sorte que bon tanneur il sera mauvais. La leçon ordinaire que j’ai gardée, me semble suffisante. Le sens est évident, le paralogisme consiste en ce qu’on semble amené à dire qu’un bon tanneur est un mauvais tanneur, au lieu de dire qu’il est un mauvais homme.
  82. Mais la science de ce qui est mal est bonne, L’édition de Berlin donne cette phrase que j’ai cru devoir conserver, mais que n’ont pas plusieurs éditions et entre autres celle de Pacius.
  83. Maintenant, l’équivoque est beaucoup plus frappante en grec qu’en français, parce que l’adverbe : maintenant, peut y être Joint indifféremment à l’un ou à l’autre verbe.
  84. Les choses que tu peux, L’équivoque roule sur le sens du verbe pouvoir qui peut signifier à la fois une faculté et un acte.
  85. Uniquement à celui qui interroge, c’est ce qu’on a nommé d’abord un argument ad hominem.
  86. Où tu loges, Cette équivoque est analogue à celle qu’on a citée plus haut et qui était extraite de l’Iliade, voir plus haut, ch. 4, § 8. L’adverbe de lieu : où, en grec signifie encore la négation : ne pas ; de là une équivoque qu’il est impossible de rendre en français.
  87. Soit qu’on le prenne avec accent aigu, Le texte dit seulement : prononcé plus aigu ; mais, comme plus haut on a parlé aussi d’écriture, j’ai cru que je pouvais préciser un peu davantage la pensée et qu’il ne s’agissait pas seulement de prononciation. Voir plus haut, ch. 4, § 8, en note.
  88. Les genres des catégories, Les équivoques suivantes viendront de ce que la forme toute matérielle du mot autorisera le sophiste à passer d’une catégorie à l’autre. — L’existence substantielle, aucun relatif n’existe en soi, il n’existe que dans un autre, il n’est donc point réellement substance.
  89. Il est brûlé, il sent, Le verbe sentir en grec a la forme passive : en français la forme est active et l’équivoque n’a plus lieu. — Mais voir est certainement aussi sentir, voir a la forme active, et sentir la forme passive en grec ; de là la différence.
  90. N’aura plus dix osselets. De ce qu’on a perdu un seul osselet, le sophiste en conclut par équivoque qu’on en a perdu dix.
  91. On peut donner ce qu’on n’a pas. Ayant dix osselets, je puis en donner un seul : or, je n’ai pas cet osselet tout seul : donc je puis donner ce que je n’ai pas.
  92. Avec la main qu’on n’a pas, Sous-entendu : seule, puisqu’on en a deux : de même pour l’œil. C’est ce que le texte explique : un seul organe.
  93. Qu’on a reçu la chose comme on l’a, Cette solution semblerait répondre, d’après Pacius, à un exemple qui n’est plus dans le texte ordinaire, mais qu’un manuscrit donne à la fin du § 7. Vous pouvez avoir, disent les sophistes, ce que vous n’avez pas reçu : Ainsi vous avez dix cailloux dans la main, bien que vous n’en ayez reçu qu’un seul : c’est qu’auparavant vous en aviez déjà neuf. On peut répondre : non, je n’ai pas ce que je n’ai pas reçu : mais j’ai une quantité que je n’ai pas reçue.
  94. Ainsi qu’il a été dit plus haut, Voir plus haut, chap. 20, § 12.
  95. Quelqu’un a-t-il écrit, On a écrit pendant que Socrate était assis, qu’il était assis. Après qu’il s’est levé, cette assertion devient fausse : le sophiste prouve par là, que personne n’a écrit cette assertion, puisque personne n’a écrit une assertion fausse.
  96. Un troisième homme, Critique contre la théorie des idées. — Détacher cette modification de la chose même, le texte dit simplement : De sorte qu’on ne peut exposer la chose même, c’est-à-dire qu’on ne peut montrer que Coriscus musicien existe indépendamment de Coriscus. J’ai cru devoir un peu modifier le sens, tout en le conservant, pour être plus clair. Sur le sens du mot : exposer, Voir les Premiers Analytiques, liv. 1, ch. 2, § 9, en note, ch. 6, § 6, ch. 8, § 3. — Est une chose spéciale et réelle. Comme Platon le faisait en réalisant les idées, et les reconnaissant seules pour des substances.
  97. De la prosodie aiguë, Si l’équivoque porte sur un mot marque de l’accent aigu, il faut chercher la solution dans le mot marqué de l’accent grave.
  98. Un osselet tout seul, Quand on en a dix. On donne donc de la façon qu’on n’a pas. — Ce qu’on sait le sait-on, Voir plus haut, ch. 29, § 16. — Foule-t-on aux pieds ce qu’on marche, ibid, § 14. Ces exemples sont déjà connus.
  99. Sais-tu ce que je vais te demander ? — Non. — Or, je demande une chose que tu sais fort bien : donc tu ne sais pas ce que tu sais. — Ou celui qui est caché ? — Non. — Or, c’est un de tes amis que tu connais fort bien : donc tu ne connais pas ce que tu connais. — Cette statue est-elle ton ouvrage ? Cette statue est à toi. — Oui. — C’est une œuvre. — Oui. — Donc c’est une œuvre à toi, ton œuvre. — Ce chien est-il ton père ? Ce chien est à toi. — Oui. — Il est père. — Oui. — Donc il est père à toi : Il est ton père, Voir l’Euthydême de Platon, p. 417, trad. de M. Cousin. — Les choses peu nombreuses, Quatre est un nombre petit ; pris quatre fois, il forme seize, nombre petit aussi ; seize répété seize fois sera un nombre encore petit, puisque ce n’est qu’un nombre petit qui est répété ; et ainsi de suite, on prouverait que les plus grands nombres sont petits.
  100. Ainsi que nous l’avons dit, ch. 30, § 12. — La même assertion, Celle du paragraphe précédent et les deux premières du § 2.
  101. Que tout nombre est petit et grand, L’édition de Berlin donne seulement : est petit, sans citer d’autorité. J’ai conservé la leçon ordinaire, qui cependant est peut-être moins bonne. Sylburge met le mot grand entre crochets pour en proposer la suppression.
  102. Donc, c’est ton père, Voir plus haut, § 2, et plus bas au § suivant.
  103. Tel bien peut être des maux, Il faut se rappeler que le génitif en grec exprime un rapport de propriété et de nombre tout à la fois. — Nous disons que l’homme est des animaux. Voir plus haut, ch. 17, § 16. — Un bon esclave est d’un méchant maître, L’esclave a beau avoir pour relatif nécessaire le maître, l’esclave peut rester bon et le maître n’en être pas moins mauvais. Du reste, la phrase grecque prête à une équivoque qu’il est impossible de rendre en français : Elle signifie que si quelque chose est l’esclave d’un mal (ou mauvais), il ne s’ensuit pas qu’elle soit à la fois le bien de cela, c’est-à-dire le bien du mal. Notre langue impose une précision et une clarté qui détruisent tous ces jeux de mots. — Déesse, chante la colère, Cette phrase n’a jamais qu’un sens, malgré l’emploi tout à fait détourné auquel on l’a fait accidentellement servir, et qui a bien quelque apparence de réalité.
  104. Mais il peut obéir en quelque chose, Cette phrase, que l’édition de Berlin donne ainsi que le font toutes les autres éditions, me semble indispensable au sens. Pacius ne l’a point, c’est sans doute une simple omission qui aura échappé à son extrême exactitude.
  105. Que justement, Je conserve avec Pacius ces mots que ne donnent ni Sylburge ni l’édition de Berlin.
  106. Est-il juste que chacun ait ce qui lui appartient, Oui, sans doute ; mais le juge, dont le jugement est toujours juste d’après la loi, adjuge vos biens à un autre qui n’y a point de droit : donc la même chose est juste et injuste. — Celui qui dit des choses justes. En racontant des injustices dont on a souffert, on dit, on raconte des choses injustes : et par une équivoque spéciale à la langue grecque, le sophiste conclut que, dans ce cas, on est absolument sur la même ligne et aussi coupable que celui qui dit des choses injustes, qui ment et se parjure. Le Français ne rend pas cette équivoque.
  107. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, Voir plus haut, ch. 5, § 1 et 4.
  108. Le raisonnement de Mélissus, cité aussi plus haut, ch., 5, § 8.
  109. Soit affirmés, soit niés, L’édition de Berlin supprime ces mots sans citer d’autorité. — Mais quand l’un des termes est vrai et que l’autre ne l’est pas, Sylburge et l’édition de Berlin donnent le datif au lieu du nominatif qu’ont Isingrinus et Pacius. Le sens reste le même sauf une nuance insignifiante.
  110. Et différente des autres, L’édition de Berlin, sans citer d’autorité, donne : Différente d’une autre. Cette leçon n’est point préférable à la leçon vulgaire..
  111. Il n’y aura pas de conclusion absurde, Le sophiste ne pourra point nous amener à faire de conclusion absurde et contradictoire.
  112. Bien que cela paraisse tout un, L’édition de Berlin remplace : Tout un, par un seul mot qui signifie également : paraître, et qui, par une faute d’impression, sans doute, aura été substitué à la leçon ordinaire. Celle-ci est certainement préférable, bien que l’autre soit suffisante aussi. — À lui tout seul, L’édition de Berlin ne donne cette leçon que dans les variantes ; il faut la conserver dans le texte.
  113. L’expression commune, La science prise dans toute sa généralité sans aucune détermination spéciale. — De ce qui est su, et non de la médecine, ou de telle autre spécialité.
  114. Pris communément, dans son sens générique et sans aucune détermination spéciale. — Le camus que l’arqué, Le camus étant spécial au nez, l’arqué l’étant aux jambes. — Il n’y a pas de différence, pour le sens, mais seulement pour la régularité de l’expression, conforme ou non conforme à l’usage.
  115. Au cas direct, au nominatif. — Qui a la convexité du nez, la convexité spéciale au nez, et est camus à ce titre.
  116. Nous avons dit antérieurement, Voir plus haut, ch. 3, § 2.
  117. Ceci est un caillou, Dans la phrase grecque, caillou est à l’accusatif, et dans la phrase suivante, qui est la conclusion du sophiste : Quelque chose qui est caillou, il est laissé à l’accusatif, tandis que correctement il devrait être au nominatif. C’est là ce qui constitue le solécisme. Mais cette différence nous échappe dans le français, qui ne distingue pas le nominatif de l’accusatif. — Non point un neutre, mais un masculin, J’ai dû altérer un peu le texte pour faire sentir la différence de deux pronoms différents en grec, et confondus en français. — Le cas du nom qui n’est pas semblable, On prend aisément l’accusatif pour le nominatif, parce que l’un et l’autre ne diffèrent que par une seule lettre finale : en français ils ne diffèrent pas du tout.
  118. Elle est donc le bouclier, Bouclier est en grec à l’accusatif, d’après la réponse précédente qu’accepte le sophiste, au lieu d’être au nominatif comme la grammaire l’exigerait. J’ai dû faire sentir ceci dans le texte en ajoutant quelques mots qui ne suffisent même pas pour le rendre intelligible ; il faut absolument avoir l’original sous les yeux.
  119. Donc il est Cléon à l’accusatif, J’ai ajouté encore ces deux derniers mots pour éclaircir un peu le texte, que ce secours même laisse encore fort obscur.
  120. Tu sais donc une pierre, Pierre est ici au nominatif en grec, tandis que grammaticalement il devrait être à l’accusatif.
  121. Tu sais de la pierre, Ici c’est le génitif que, d’après la réponse, prend le sophiste, au lieu du nominatif et de l’accusatif qu’il prenait tout à l’heure : c’est là ce qui cause le paralogisme.
  122. Un char, Le mot grec signifie à la fois escabeau et char à deux roues. Je n’ai pu trouver de mot équivoque en français. Pour l’équivoque suivante, le français s’y prête comme le grec. — Devant, Le mot grec signifie également : par devant et auparavant. — Pur, Le mot grec signifie à la fois : pur, sain, et innocent de meurtre. — Evarque, signifie qui conduit bien les affaires : Apollonide, au contraire, signifie qui perd les affaires. — Le paralogisme de Zénon et de Parménide, Arislote l’a combattu tout au long, Physique, liv. 1, ch. 3, édition de Berlin, p. 186, a, 4. Seulement il y remplace Zénon par Mélissus.
  123. Par lequel on détruit ou l’on établit, L’édition de Berlin, sans citer d’autorité, supprime l’alternative que donnent les éditions ordinaires, et qu’il me semble indispensable de conserver.
  124. Ou dans la division, Voir chap. 4, § 1 et 7 sur la division.
  125. De combien de manières, Ceci a été exposé du chap. 1 jusqu’au chap. 12. — Et de l’amener à faire des paradoxes, Ceci a été traité, ch. 12. — Comment, en outre, se forme le syllogisme, Pacius pense avec grande raison qu’il faut lire : solécisme au lieu de syllogisme, sujet traité au ch. 14, l’auteur omettant ici le chap. 13 où il s’agit de la tautologie ; mais ce changement qui est indispensable n’étant autorisé par aucun manuscrit, je n’ai pas cru devoir le faire. — Comment il faut interroger ; quel est l’ordre, Ceci a été traité, ch. 15. — Enfin, comment il faut résoudre les raisonnements, C’est ce qui a été traité du chap. 15 jusqu’à celui-ci. Tout ce paragraphe est donc un résumé complet du traité des Réfutations.
  126. Au début, De la dialectique, comme le prouve le paragraphe suivant. Le traité des Réfutations, tient à celui des Topiques comme le montre son commencement même. § 3. En partant des propositions les plus probables, Voir le début des Topiques, liv. 1, ch. 1, § 1.
  127. Nous en avons dit le motif, Voir plus haut, ch. 1, § 6.
  128. Dans les traités antérieurs, les Topiques. — À combien de questions s’appliquera cette méthode, A quatre : la définition, le genre, le propre et l’accident. Voir les Topiques, liv. 1, ch. 4, ch. 5 et ch. 8. — Par quels procédés, Ce sont les lieux communs eux-mêmes exposés dans les livres, 2, 3, 4, 5, 6 et 7. — Tracé les règles de toute interrogation, C’est l’objet du liv. 8 des Topiques jusqu’au ch. 4. — Des réponses, Cest l’objet du ch. 4 à 14 du livre 8 des Topiques. — Des solutions, Il ne s’agit point ici du traité des Réfutations comme on pourrait le croire, mais du ch. 3, du 8e livre des Topiques. — Nous avons enfin traité de toutes les autres choses, De l’exercice de la dialectique par exemple, ch. 14, liv. 8 des Topiques, et de quelques autres questions au début même des Topiques. — De plus, nous avons étudié les paralogismes. Dans le traité même des Réfutations des Sophistes. — Ainsi que nous l’avons déjà dit, Au début de ce chapitre. — Les recherches que nous nous étions imposées, En commençant la dialectique.
  129. Pour l’étude de la rhétorique, Pacius et Sylburge disent : De la politique. L’édition de Berlin donne aussi cette leçon dans les variantes. J’ai préféré l’autre ; mais ici il n’y a presque aucune différence : la politique et la rhétorique étaient confondues dans ces temps reculés. On peut le voir par le Gorgias. Cela tenait à toutes les institutions politiques de la Grèce.
  130. Mais pour la présente étude, Il faut entendre ici surtout la dialectique. Plus bas,§ 9, il parlera de toute la Logique.
  131. Les gens, en effet, qui se faisaient payer, Les Sophistes. Voir dans Platon, le Protagoras, le Gorgias, etc. — Ils donnaient à apprendre, Voir l’Euthydème de Platon, p. 370, trad. de M. Cousin.
  132. Pour la science du raisonnement, au contraire, Il s’agit donc ici de toute la logique et avec grande raison, car les Analytiques Premiers et Derniers, l’Hermenéia, les Catégories, étaient choses encore bien plus neuves que la Dialectique, ou Topiques et les Réfutations des Sophistes.