La Double Maîtresse/Préface

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Société du Mercure de France (p. 9-10).
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Je ne sais trop, pour dire vrai, d’où j’ai été conduit à écrire ce singulier roman ni par où il m’est venu à l’esprit. Ce qui est certain, c’est qu’il y trouva presque à mon insu de quoi m’imposer son autorité et me contraindre à faire droit à ses exigences.

Malgré tout, je n’aurais pas dû, peut-être, lui accorder le crédit qu’il réclamait ni lui permettre de prendre corps en un livre qui, s’il contenta ma fantaisie, ne laisse pas d’embarrasser quelque peu mon jugement ; mais cette hétéroclite figure de M. de Galandot m’est, si souvent et avec tant d’insistance, apparue à la pensée que j’ai ressenti le besoin de me l’expliquer à moi-même. Je lui ai inventé une vie pour l’écarter de la mienne et j’ai pris ensuite le parti de le faire connaître aux autres pour mieux parvenir à l’oublier.

Le voici donc représenté aussi exactement que possible avec les événements que j’ai imaginés autour de lui dans le sens de son caractère. C’est un pauvre homme que M. de Galandot. J’ai eu soin de lui composer une histoire qui lui convînt. Si le lecteur ne voit point là ce que j’y ai voulu montrer, il me pardonnera mon erreur et je lui passerai son désaveu sans lui en vouloir davantage qu’il ne m’en voudra sans doute d’avoir proposé à son plaisir un personnage qui a souvent fait le mien.

D’ailleurs, je n’ai guère cherché autre chose qu’à faire défiler sur les verres de ma lanterne quelques ombres à la française et, si j’avais voulu mettre au frontispice le portrait de mon héros, croyez que c’eût été à la manière de ces petites figures de jadis qu’on appelait des silhouettes et qui découpent à plat sur le papier blanc leurs profils à l’encre noire.


R.