Répertoire national/Vol 1/À l’Hon. L. J. Papineau (Turcotte)

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 330-332).


1835.

À L’HON. L. J. PAPINEAU.

Pourquoi te prodiguer l’outrage ?
Pourquoi cette impuissante rage,
Ces mots de traître, d’imposteur,
Vomis par l’esclave cohorte,
Quand d’un peuple la voix si forte
Te proclame libérateur ?

C’est que sur le globe où nous sommes,
Dieu nous a dit : vous serez hommes.
C’est que la terre ne produit
Qu’en dénaturant la semence,
Le grain qui renferme l’essence
D’où germe et naît le nouveau fruit.

C’est que la noire calomnie
S’acharne toujours au génie :
Colomb, de chaînes accablé,
Le grand Colomb fut sa victime !
Eh ! quel était donc son grand crime ?
Par lui le monde avait doublé !

De leur joug ta main nous délivre,
Et nous avons comme au grand livre,
Nos docteurs de l’ancienne loi ;
Dans leur tendre sollicitude
Et pour sauver la multitude,
Criant : Il veut se faire roi !…

À nos frères qui t’abandonnent,
Quand tes prodiges les étonnent :
Qui près de recevoir encor
La Table à ta vertu commise,
Et près de la terre promise
Vont sacrifier au Veau-d’or…

Sortant de l’immortelle enceinte,
L’homme aussi de la tribu sainte,
D’un zèle trompeur enflammé,
Et saisissant l’ignoble pierre
Est venu crier sur la terre :
Anathème ! Il a blasphémé !

Mais l’homme que la vertu guide
A son propre cœur pour égide ;
Son glaive c’est la vérité.
Quand il combat pour la patrie,
Il n’entend que la voix qui crie :
La liberté ! la liberté !

Et qu’importent ces mots de traître,
D’homme rébelle au meilleur maître,
Et l’écho de ces vieux refrains ?
Il a pour lui ce grand tonnerre
Qui vient de réveiller la terre :
Peuples, vous êtes souverains.

Tandis qu’une bouche insensée
Prodigue à l’idole encensée
La vieille myrrhe des Loyaux ;
Qui n’entend pas ce long murmure,
Cet autre cri de la nature :
Hommes, vous êtes tous égaux ?

Quand leurs remparts tombent en poudre,
Sous ta raison qui frappe en foudre,
Ils s’enveloppent du mot : Roi ;
Faible voile qui se déchire
Au premier souffle qui vient dire :
Un peuple est le maître de soi.

Un peuple d’un autre le maître !
L’homme ne fait-il que de naître ?
Les yeux se ferment-ils au jour ?
Quoi ! ses plus chères destinées
En d’autres mains abandonnées,
Seraient détruites par un tour !

Quoi ! la force toute brutale
Au plus faible toujours fatale
Chez des hommes ferait le rang !
Non, non : la coupe est trop amère ;
Et puis, il faut à la chimère
Trop de soupirs et trop de sang…

Ah ! l’insensé qui pourrait croire
À ces droits d’armes, de victoire,

Aux chaînes d’un peuple conquis ;
Refuserait-il de comprendre
Que les armes peuvent reprendre
Des droits par les armes acquis ?

Plongé dans d’épaisses ténèbres,
Comme sous des voiles funèbres,
Le monde engourdi reposait ;
Et l’Hydre qui vit de ces ombres,
A l’abri de ces voiles sombres,
L’Hydre infernal grandissait :
Et les têtes de ce vampire,
Tour-à-tour s’arrachant l’empire,
Dictèrent la loi du plus fort ;
Et le sang versé comme l’onde,
Avait dessiné sur le monde,
L’horrible image de la mort.
Les tyrans ! ils peuvent nous vendre,
Mais leur mémoire va descendre
Dans l’obscure nuit des tombeaux,
Rapide comme un roc qui tombe.
Toi, tu flotteras sur la tombe,
Comme un grand phare sur les eaux

Sur toi leur haine s’est levée,
Et ta lèvre s’est abreuvée
De leur vinaigre et de leur fiel ;
Mais l’aigle qui fuit la poussière,
L’aigle qui fixe la lumière,
L’aigle !… C’est le voisin du ciel.

J. E. Turcotte.