Répertoire national/Vol 1/Élégie

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 209-210).

1832.

ÉLÉGIE.

sur les ravages du choléra à montréal, en juin 1832.


Infortunée Hochelaga,
Digne et tendre objet de nos larmes,
Qui racontera tes alarmes.
Les maux dont le ciel t’abreuva ?
Lorsque de toutes parts frappée,
Tu pleure à l’ombre des cyprès,
Pourrai-je égaler en regrets
Ta déplorable destinée ?

Au sein de la prospérité,
Tu ne marchais que sur des roses ;
De fleurs toujours fraîches écloses
Ton front paraissait couronné :
Méconnaissable en la souffrance,
Autre malheureuse Sion,
On demande aujourd’hui ton nom,
Et l’on cherche la ressemblance.

Ah ! trop malheureuse cité,
Dis-moi quelle main meurtrière
Couvre d’un voile funéraire
Et ton éclat et ta beauté !
Telle on voit, au sein de l’orage,
La foudre couver ses horreurs :
Tels couvaient au fond de nos cœurs
Les maux qui désolent ta plage.

Séchant de peur devant tes maux,
Ton peuple te fuit, te déserte,
Te livre, à regret, à ta perte,
Au silence affreux des tombeaux !
Mais humanité sans exemple,
Le juste, sans être ébranlé,
Pour pleurer ta viduité,
Reste à la porte de ton temple !

Eh ! que lui sert de s’exiler
Au fond des salubres campagnes,
De respirer l’air des montagnes,
La fraîcheur d’un obscur rocher ?
Espoir, inutile ressource,
Le contagieux ouragan
Souffle, atteint, frappe le passant.
L’arrête au milieu de sa course.

Dans ces jours d’horreur et de deuil,
J’ai vu le fils, j’ai vu le père,
J’ai vu la fille avec la mère,
Les amis se suivre au cercueil !
Sans tombe, leurs titres, leur gloire,
Déjà ne se retrouvent plus :
Non, ce n’est que par leurs vertus
Qu’ils vivront dans notre mémoire.

Mais, c’est retracer trop longtemps,
Ô cité trop infortunée,
Ta désolante destinée,
Le deuil de tous tes habitants ;
Pénitente comme Ninive,
Dans la cendre abaissant ton front,
Tu l’as vu, la contagion
A presque déserté ta rive.

Mais en s’éloignant de ton sein,
Déjà ses effrayants ravages
Vont de rivages en rivages,
Désoler le sol canadien.
À la voix des ombres plaintives,
Beau Saint-Laurent, suspends tes flots ;
Ils ne baignent que des tombeaux
Semés tout le long de tes rives !