Répertoire national/Vol 1/L’Anniversaire du Grand Meurtre

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 241-242).

1834.

L’ANNIVERSAIRE DU GRAND MEURTRE.

VINGT-ET-UN MAI.

 
Deux ans… trois martyrs… nos trois frères…
Peuple Canadien, viens en deuil,
Viens offrir au ciel tes prières,
Viens méditer sur leur cercueil.
L’herbe qui croît sur cette tombe,
Viens la baiser avec transports ;
Sur elle quand ton âme tombe,
N’y trouve pas l’herbe des morts.

Quand tu viens ici pour descendre
Dans cette demeure sans bruit,
Quand tu viens remuer la cendre
D’où doit surgir l’arbre au long fruit,
Vois-tu comme la tyrannie
S’agite d’un puissant effort ?
C’est sa convulsive agonie
L’avant-courrière de sa mort.

De toi ta mère est idolâtre,
Te répétait à t’étourdir
Ta trois fois perfide marâtre
Qui t’embrassait pour t’engourdir.
Tu t’endormis penché sur elle,
Tu te réveillas dans leur sang !
Quand vas-tu dire à la cruelle :
Ça, femme, je suis assez grand ?

Secouant l’antique poussière,
Tu t’es levé comme un géant ;
Mais ton existence première,
La vois-tu comme un long néant ?
Ouvre le grand livre du monde,
Puis, au feuillet ensanglanté,
Lis là, sur la page féconde,
Lis : esclavage ou liberté.

 
Assis au banquet d’Amérique,
On emplit ta coupe de sang !
Serait-elle donc chimérique,
La voix grande qui dit ton rang ?
Dédaignant la manne de l’ange,
Veux-tu, comme Israël, manger,
En cherchant dans la vieille fange,
Les fruits impurs de l’étranger ?

Non, non, dans la coupe sanglante,
Tu ne boiras pas le mépris,
Ni l’injustice dégoûtante,
Ni l’orgueil de tes ennemis.
Dis, dis d’une voix de tonnerre
À ces tyrans audacieux :
Le lion règne sur la terre,

Mais l’aigle s’approche des cieux…
J. E. Turcotte.