Répertoire national/Vol 1/Mon Traîneau

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 246-247).

1834.

MON TRAÎNEAU.

Glisse, glisse toujours, suis les déclivités ;
Creuse encor des sillons dans la neige qui tombe
En couvrant le dos noir de mon cheval, qui plombe
Les cristaux de frimas écrasés sous ses pieds.
Promène, ô mon traîneau, promène sur la neige,
Berce, berce mon corps sur les peaux de bison
Dont j’aime à caresser le poil soyeux et long,
Tandis que, ruminant, je m’endors sur ton siège,
Et qu’un cigare en feu qui délecte mes sens
Mêle aux vapeurs du punch ses doux enivrements !

 

Quand du jeune écolier paré du capot bleu
Je fesais, en courant comme un daim dans l’allée,
Retentir sous mes pas les pavés du lycée
Pour arriver plus vite à la salle du jeu,
Mon cœur se dilatait aux accords d’un prélude ;
Ce n’était pas le bruit du fifre, du tambour,
Dont jamais le concert ne troubla ce séjour,
Ni le son du piano que j’aimais d’habitude :
C’était des voix d’amis préparant leurs traîneaux
Qui parlaient de glisser sur le flanc des coteaux.

Quand par un soir d’hiver, la lune m’éclairait
De ses reflets d’argent répandus sur la neige ;
Qu’à l’ombre au pied des murs la main du sortilège
Silencieusement se coulait, s’agitait,
Des sons harmonieux comme le chant des fiées
Versaient dans mon oreille un charme délirant ;
Ce n’était pas la voix du petit oiseau blanc,
Ni le bruit du grésil sur les feuilles gelées :
C’était les sons joyeux qui sortaient des grelots
Annonçant le trajet des rapides traîneaux.

Quand, retrempée au feu des méditations,
Mon âme réfléchit la lampe du poète,
Et monte à sa lueur par degré jusqu’au faîte
Du bonheur idéal et des illusions,
Il est un souvenir parmi ceux que j’estime
Qui vient comme un fantôme effacer mes pensers ;
Ce souvenir n’est pas la verdure des prés,
Ni du soleil couchant le rose si sublime :
Non ! mais ce souvenir, si suave, si beau,
Ce souvenir d’école enfin, c’est mon traîneau.

Glisse, glisse toujours, suis les déclivités ;
Creuse encor des sillons dans la neige qui tombe
En couvrant le dos noir de mon cheval, qui plombe
Les cristaux de frimas écrasés sous ses pieds.
Promène, ô mon traîneau, promène sur la neige,
Berce, berce mon corps sur les peaux de bison
Dont j’aime à caresser le poil soyeux et long,
Tandis que, ruminant, je m’endors sur ton siège
Et qu’un cigare en feu qui délecte mes sens
Mêle aux vapeurs du punch ses doux enivrements !

J. Phelan[1].
  1. M. Phelan ci-devant rédacteur de la Minerve.