Répertoire national/Vol 1/Sur un Ruisseau

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 60-62).

1803.

SUR UN RUISSEAU.

   Ô toi, qui reposais sur ton urne tranquille,
Toi que mille rochers couvraient de leurs remparts,

Ruisseau, pourquoi sortir du fonds de ton asile ?
     Ah ! crains le bruit et les regards.
Un soleil imposant, des campagnes riantes,
Des jours étincelants et des nuits plus touchantes,
Tout promet le bonheur, mais tout a des hasards :
Tu t’échappes, tu fuis guidé par l’espérance ;
     Mais ce bonheur dont l’apparence
     Fait frémir tes flots agités,
Ce bonheur que tu suis n’est qu’une ombre infidèle :
     En vain ton murmure l’appelle ;
Il fuira désormais à pas précipités.
     Loin de ces amoureux ombrages,
     Hélas ! ne crois pas que toujours
Les cieux, d’un rayon pur, éclairent tes rivages ;
     Il se lève de noirs orages
     Même au milieu des plus beaux jours.
Je parle en vain : tu suis le penchant qui t’entraîne
Vers la rive inconnue où tu dois reposer :
     Tu vas chercher la région lointaine,
        Qui pourra te désabuser.
  En cet instant la nature est parée
        Des plus éclatantes couleurs ;
Le soleil plane seul dans la voûte azurée ;
Tout sourit. Amusé de présages trompeurs,
        Tu fuis le vallon solitaire ;
   Et dans ton cours, ô ruisseau téméraire,
   Tu ne prévois que d’aimables erreurs.
Eh bien ! obéis donc à ta pente invincible,
Et quitte de ces bords les constantes douceurs.
   Puisse ton onde, en ta course paisible,
        Ne voir, n’arroser que des fleurs !
        Puissent les Driades charmantes,
        Sous un feuillage toujours frais,
        Confier à tes eaux errantes
        Le doux trésor de leurs attraits !
        Que ta source heureuse et sacrée
Frémisse en les touchant d’amour et de plaisir !
Qu’à tes flots caressants la bergère livrée
        Trouve dans son âme enivrée,
Le premier sentiment ou le premier désir !
     Et si jamais traversant ma patrie,
     Tu viens baigner, après quelques détours,
     Cette terre, hélas ! si chérie,

Où j’ai vu naître, avec mes premiers jours,
     Mes sentiments pour Marie
Ô Ruisseau fortuné ! ralentis un moment
Le cours impatient de ton onde incertaine ;
Va soupirer aux pieds de celle qui m’enchaîne,
Et porte-lui les vœux du plus fidèle amant !
     Heureux Ruisseau, quand sur la rive
     Elle ira rêver en secret,
     Si, sur ton onde fugitive,
     Elle jette un regard distrait :
Ah ! qu’une émotion… que son cœur interprète,
Lui dise que tu viens du fonds de ma retraite :
     Dans le plus triste de mes jours,
     Que mon image retracée
     Occupe un moment sa pensée
     Du souvenir de mes amours !