Réponse de M. Libri

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À M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.
Monsieur,

Une lettre adressée par M. Arago à M. de Humboldt, et publiée récemment, contient le passage suivant :

« J’en dirai tout autant de la lettre insérée dans la Revue des Deux Mondes. Malgré mes instantes prières, l’auteur qui l’a écrite a refusé obstinément de livrer son nom à la publicité. En vérité, quel cas pouvais-je faire d’une œuvre qu’on n’osait pas avouer ? »

Ce passage, qui me concerne, exige quelques éclaircissemens.

Après la publication de la première de mes Lettres à un Américain sur l’état des sciences en France, vous savez, monsieur, que l’on s’est présenté de la part de M. Arago dans les bureaux de la Revue, pour demander officiellement le nom de l’auteur de cet écrit. À cela vous avez répondu que, si, malgré l’impartialité dont elle était empreinte, cette lettre avait pu blesser personnellement M. Arago, et, chose qui semblerait impossible, le mettre dans le cas d’exiger une réparation directe, on s’empresserait de lui dire à l’instant le nom de l’auteur ; mais que s’il ne s’agissait que de satisfaire une simple curiosité, on ne voyait aucune raison de lui faire connaître officiellement un nom qui était dans toutes les bouches. — Après cette réponse, on n’a plus reçu aucune nouvelle de M. Arago. Cet illustre savant a donc eu tort d’avancer que je n’osais pas avouer mon œuvre.

Sans doute, si un écrivain caché sous le voile de l’anonyme lançait des personnalités blessantes sans jamais vouloir se montrer, il serait fortement répréhensible, et l’opinion publique ferait prompte justice de ce procédé. Mais critiquant avec mesure et sachant louer sans restriction, je ne me crois pas dans ce cas, et il me semble que lorsqu’on est prêt à accepter la responsabilité réelle de ses écrits, on n’est plus anonyme. D’ailleurs, il ne faut pas l’oublier, les amis de M. Arago qui m’ont attribué des écrits auxquels je suis étranger, qui m’ont injurié dans les journaux, savaient mon nom, et ils se sont dispensés de signer leurs articles sans imiter ma modération. La critique n’a pas besoin d’être appuyée par un nom lorsqu’elle est juste et impartiale. S’il m’était permis d’invoquer d’illustres exemples, je prendrais la liberté de rappeler à M. Arago que ni Pascal attaquant les jésuites, ni Franklin combattant les partisans de l’esclavage, n’ont cru devoir signer les lettres qu’ils publiaient contre leurs adversaires.

Agréez, etc.

L’auteur des Lettres à un Américain.