Réponse honnête à une circulaire assez peu chrétienne suite à la grande guerre ecclésiastique

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RÉPONSE HONNÊTE
À
UNE CIRCULAIRE


ASSEZ PEU CHRÉTIENNE
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SUITE


À LA


GRANDE GUERRE ECCLÉSIASTIQUE
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PAR L’HON. L. A. DESSAULLES
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MONTRÉAL
TYPOGRAPHIE ALPHONSE DOUTRE

1873

À SA GRANDEUR
MONSEIGNEUR IGNACE BOURGET
Évêque de Montréal

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Montréal, 15 Juillet 1873


Monseigneur.


J’ai lu avec infiniment peu d’édification la lettre circulaire pleine de violences et d’injures à mon adresse qui a été publiée dans la Minerve du 21 Juin dernier, et voici Mgr  l’impression que cette lettre a produite chez moi. On nous dit tous les jours que l’Église est une mère tendre et ce n’est pas moi qui le nierai ici ; mais nous trouvons quelquefois que les pères ne le sont guères.

C’est un singulier rapprochement, Mgr  que celui d’un père si fort en colère à côté d’une mère si douce ; et l’on pourrait peut être désirer sans impiété que celui-là se montrât un peu plus digne de celle ci.

Si j’avais trouvé ces injures dans une de nos feuilles religieuses, rien ne m’eût paru plus naturel, car elles n’ont jamais été que la parodie de la religion qu’elles défigurent, et souvent déshonorent et elles ne nous ont jamais habitués à un autre style. Mais dans une lettre d’Évêque, Mgr  ce débordement de passion et d’incontrôlable colère fait peine même aux amis de V. G. Une personne très pieuse, qui joint à la foi vive de V. G. une grande supériorité d’esprit et la mansuétude d’un cœur vraiment chrétien, s’écriait en entendant ces formidables bordées de style ecclésiastique : « Mon Dieu, comment un Évêque peut-il se résoudre à parler ainsi ? »

La circulaire de feu Mgr  l’Archevêque de Québec faisait horreur, d’après l’une des plumes choisies de V. G. à un Évêque italien ; et voilà que celle de V. G. fait aussi horreur aux personnes pieuses qui vivent au milieu de nous ! Allons nous donc toujours vivre dans la crainte de voir une horreur nous frapper les oreilles chaque matin ?

Ah ! Mgr  St. Franco’s de Sales parlait tout autrement que cela aux âmes pieuses qu’il dirigeait. Jamais parole n’est sortie de sa bouche qui les ait scandalisées par sa violence. « La colère gâte tout, disait-il. La plus précieuse vertu d’un prêtre est la douceur. » Pourquoi pas d’un Évêque aussi ? Ah ! Mgr , veuillez relire un peu votre St. François de Sales. Je le procurerais même à V. G. au besoin avec les notes que j’y ai mises. V. G. verra à quoi l’on reconnaît les vrais saints. Et franchement, ce n’est pas dans une circulaire comme celle que je viens de lire que je les retrouve.

Certaines saintes colères d’autrefois ont pu être admirables, mais celles des dernières semaines, Mgr  ont un tout autre caractère. Ici le progrès marche trop clairement à reculons. Mais je ne dois pas oublier non plus que j’ai affaire à un ennemi du progrès.

Que V. G. puisse être fâchée de voir toutes ses petites manœuvres contre ses propres collègues mises au jour avec un peu de détail, je conçois cela ! Mais pourtant, Mgr , je n’ai fait que répéter ici ce que deux ou trois cents piètres ont dit ailleurs. Sont-ils aussi dans les cas réservés ?

Que V. G. ait subi un peu de dépit ou de surprise à voir dévoiler devant un public qu’elle croyait avoir profondément endormi sur ses actes, toute sa haute stratégie à l’endroit du pouvoir civil, cela se comprend aussi. Mais ce que l’on comprend difficilement, c’est que V. G. ait cru avoir endormi tout le monde sur une question aussi vitale que celle de soumettre toute la législation d’un pays à des étrangers qui n’ont aucune teinture de droit constitutionnel. Il reste toujours dans un pays, Mgr  des hommes qui ne veulent pas être traités en enfants.

Enfin que V. G. ait ressenti quelque petite ébullition intérieure en lisant les légères piqûres à son amour propre que je me suis permis de coucher sur papier, le public en a vu la preuve en lisant cette circulaire où l’insulte gratuite tient lieu de discussion. Mais je pense, Mgr  qu’il eût été plus habile à un Évêque de ne pas paraître si fâché. V. G. est tombée précisément dans le piège où se laissent toujours choir les novices en polémique. Elle a fait de la colère là où un peu de discussion lui eût attiré du respect. Aussi au lieu de mettre les rieurs contre moi elle les a rangés en ligne formidable contre elle-même ! Je la remercie donc cordialement de la belle position qu’Elle m’a faite en ne conservant pas le calme qui convient à un Évêque.

Quel singulier contraste, Mgr , entre V. G. et moi, si j’ose me mettre ainsi en juxtaposition avec elle ! C’est le saint Évêque qui s’emporte au-delà de toutes bornes, et c’est celui qu’il qualifie d’impie et d’ennemi de l’Église qui sait se posséder et ne sort pas de la phraséologie de l’homme bien élevé ! Les spectateurs voient avec ébahissement le pasteur assommer la brebis de son mieux, et c’est celle-ci qui est obligée de supplier le pasteur de se calmer un peu et de ne pas jeter ces cris de fureur qui dispersent le troupeau ! Le plus chrétien des deux, Mgr  ne serait-il pas, par hazard, celui qui se fâche le moins ?

Mais je dois citer ici, pour faire bien juger le lecteur de nos styles respectifs, la portion de la circulaire au Clergé ou V. G. s’est si malheureusement oubliée.

J’ai depuis de longues années fait une collection des injures que l’on m’a dites, et je suis bien aise d’ajouter comme couronne à cette collection un petit recueil d’injures mitrées :

« Le livre de l’Hon. L. A. Dessaulles est en effet une grande guerre ecclésiastique, parce qu’il attaque avec un orgueil satanique le vicaire de Jésus-Christ que l’univers catholique vénère avec tant de raison ; parcequ’il outrage avec une insolence révoltante les saintes congrégations romaines, qui sont des tribunaux souverainement augustes et qui commandent le respect du monde entier ; parcequ’il traîne dans la boue, avec une témérité inexplicable, le Sacré Collège qui se compose d’hommes éminents sous tous rapports ; parcequ’il noircit avec une malice dont lui seul peut être capable le Clergé canadien qui pourtant a bien mérité de son pays ; parcequ’il vilipende l’ultramontanisme, dont il fait une erreur monstrueuse ; parcequ’il prétend qu’il a engendré le droit chrétien qui fait du pape un souverain absolu dans le domaine temporel ! Comment la Minerve, qui a sans doute lu toutes ces horreurs, a t-elle pu, par son annonce, frayer à ce livre détestable la route pour arriver au sein de nos familles chrétiennes ?

Puis je lis dans le dispositif :

« Quant au libelle intitulé la grande guerre ecclésiastique, il ne sera pas permis, comme il a été dit plus haut, de le garder pour en faire un usage quelconque, excepté pour le réfuter, si l’on en a obtenu la permission de l’Évêque. Ceux qui, après en avoir été avertis convenablement, s’opiniâtreront à le garder chez eux, tomberont dans un cas réservé, dont ils ne pourront être absous que par l’Évêque et ses grands vicaires. »

Eh bien, franchement, Mgr  ces terribles injures conviennent-elles bien à un Évêque ? Si j’ai dit quelques vérités un peu dures ; si j’ai pris les Évêques en flagrant délit de contradiction dans leur enseignement ; si j’ai surpris V. G. leur faisant la leçon à tous et se trompant gravement au lieu de les éclairer ; si j’ai montré les prêtres insultant les Évêques sous l’égide de V. G. et dans les journaux qui dépendent d’elle ; si je les ai trouvés pris aux cheveux entre eux et scandalisant les fidèles par leurs injures réciproques, n’étais-je pas dans mon droit ? Les gros mots de V. G. sont-ils une réfutation ? N’aggravent-ils pas ses torts au contraire, au lieu de les diminuer ?

Mais V. G. elle-même vient de me donner raison. Je vois son nom au bas de la lettre pastorale des Évêques du dernier concile de Québec, en date du 22 Mai dernier, et qu’y vois-je ? « Que l’enseignement de l’Université Laval est irréprochable sous le rapport de la doctrine… » Ce n’est donc pas une institution qui n’a de catholique que le nom ! Il n’est donc pas vrai qu’elle donne une science sans Dieu ! Il était donc infâme de dire qu’elle procédait en véritable université athée ! Or par qui ces choses ont-elles été dites ? Par les propres fils d’obéissance de V. G. ! Où cela a-t-elle été dit ? Dans les propres journaux surveillés et encouragés par V. G !

Comment V. G. a-t-elle pu laisser insulter ainsi pendant plusieurs mois, par des gens qu’elle pouvait faire taire d’un mot, une institution qu’elle même déclare irréprochable aujourd’hui ? V. G. acceptant le patronage de ces journaux, elle avait nécessairement sa part de responsabilité dans la calomnie. Est-ce ici que j’ai fait les fausses représentations que V. G. a osé m’attribuer ? Certainement non ! Ce sont les prêtres approuvés par V. G. qui ont représenté faussement l’université ! Pourquoi ne les force-t-elle pas de se retracter ? Elle y oblige bien la Minerve pour quelques mots qui ne la peuvent constituer en tort qu’aux yeux d’un moine qui confectionne des chapelets avec ses pincettes. Habituée aux soufflets, la vertueuse feuille a chanté la palinodie et n’a osé ni défendre la vérité ni maintenir son indépendance. Et les innocents coups de griffe qu’elle m’a donnés ne lui ont pas même valu un regard adouci de V. G.

Or quand Elle oblige la Minerve à rétracter de simples opinions qu’elle avait droit d’exprimer et que les collègues de V. G. ne désapprouvent pas, comment donc n’exige-t-elle pas une rétractation des prêtres qui ont publié des infamies sur ses collègues et l’université Laval ? Des opinions indifférentes en elles-mêmes sont-elles donc aussi coupables que des calomnies préméditées ? Quoi ! V. G. vient de signer ces propres mots dans la lettre pastorale des Évêques : Si le moindre scandale est une abomination devant le Seigneur… et elle n’inquiète en aucune manière depuis plusieurs mois des prêtres calomniateurs de ses collègues, parcequ’ils se sont réfugiés sous sa soutane ! Si j’avais la même habitude de la grosse injure que V. G. comment ne pourrais-je pas qualifier cet acte d’un Évêque, Mgr  : couvrir de son propre corps le calomniateur scandaleux et vilipender à outrance ceux qui n’ont dit que des vérités !

Qu’y a-t-il vraiment au fond de tout cela Mgr  ? Le public le sait du reste. V. G. n’a jamais dans sa vie avoué une erreur où un tort, quoiqu’elle les ait semés par douzaines ; et plutôt que de remplir le devoir de se rétracter quand elle a tort, elle préfère calomnier ceux qu’Elle est incapable de réfuter ! Ces choses sont dures, Mgr , mais V. G. m’a donné le droit de les lui dire. Quoi, c’est un homme qui se fait appeler saint dix fois par jour qui insulte et calomnie celui qu’il sait avoir dit vrai, et cela pour couvrir les calomniateurs de ses collègues ! Ah ! il y a trop longtemps que V. G. abuse de la réputation de transcendante sainteté que ses flatteurs lui ont faite. La sainteté n’a pas ces allures arrogantes Mgr  ni ce langage de colère incontrôlable. On y retrouve la petite personnalité blessée bien plus que le vrai amour de la religion. Le langage violent ne peut être que le fait des « violents » flétris par St. Grégoire le Grand, qui vous valait probablement, Mgr .

Ah ! s’il est jamais question de canoniser V. G., j’ose prévoir que le prélat qui se chargera du rôle obligé d’avocat du Diable aura d’étranges chapitres à débiter !

Chose remarquable Mgr  ! J’ai été cette fois prophète au point qu’il me faut regarder dans mon miroir pour voir si c’est bien moi. J’avais dit : « On m’insultera, mais on ne me dérangera pas d’une ligne sur ce que je dis. » Quand prédiction s’est-elle plus vérifiée à la lettre que celle-là ? Seulement je ne prévoyais pas que ce serait V. G. elle-même qui descendrait ainsi à la grosse injure et m’éclabousserait à la Veuillot. Elle a si grandiosement manié l’injure à mon égard que je me surprends à craindre qu’Elle n’ait plus étudié et médité M. Veuillot que St. Grégoire le Grand et les Conciles qui recommandent aux Évêques la mansuétude et la douceur ; et j’ose presque ajouter, Mgr , la civilité, car les grosses injures que V. G. m’a dites sont certainement des choses qui ne brillent pas par la politesse ! Le passage que j’ai cité de la lettre de V. G. peut bien être considéré comme une morsure, mais jamais comme modèle de style évangélique. J’ai sans aucun doute dit des choses très dures à V. G., mais au moins je les déduis de faits qu’elle ne peut nier. Je raisonne ce que j’écris, et je ne dis rien gratuitement à V. G. Si je tire une conclusion qui lui est désagréable, elle découle d’un fait prouvé. Quelle différence chez V. G. qui accumule sur ma tête les plus gros mots du vocabulaire ecclésiastique pour lui tenir lieu de réfutation !

El puis, Mgr , je désirerais vraiment voir un Évêque montrer au moins un peu de sincérité, de droiture, de loyauté dans la discussion. La religion l’exige au moins autant de V. G. que de moi. Non seulement on ne doit pas perdre son équilibre moral au point où V. G. l’a fait, mais on est tenu, surtout quand on est Évêque, de respecter scrupuleusement la vérité. Et franchement je regrette de voir V. G. la mettre sur les épines à chaque instant.

Si j’ai dit quelque chose de faux Mgr , j’en offre de suite la rétractation. Qu’on me le montre et elle ne se fera pas attendre, et j’y ajouterai en toute sincérité mes excuses à V. G. et au public. Mais au moins que l’on me montre avec des raisons ou des preuves où j’ai failli, au lieu de me servir une si énorme bordée d’injures qu’elle ne saurait trouver place même dans le St. Pierre canadien s’il était fini.

Si, au lieu de s’enfoncer si avant dans le péché capital de la colère, V. G. eût un peu mieux compris sa mission, elle aurait montré, ou fait montrer par des hommes compétents, où et en quoi je me suis trompé. Si je n’ai dit que des faussetés, la tâche est bien facile.

Mais des insultes ne sont pas des raisons, même chez un Évêque. Au reste j’ai une longue habitude du style épiscopal et du sens de justice chez les ecclésiastiques. Il y a un autre Évêché auquel j’ai fait des dons relativement considérables et où l’on m’a atrocement insulté après avoir reçu mes dons avec protestation de reconnaissance éternelle. Et pourquoi m’insultait-t-on ? Parceque je protestais, contre l’assertion d’un Évêque qui, par pure passion politique osait me reprocher, ainsi qu’à ma famille, de n’avoir pas payé nos dons, ce que les livres même de l’Évêché ont démontré être faux quand il a fallu les produire ; et cela quoiqu’on n’ait jamais bâti l’Église pour la construction de laquelle nous avions fait et payé ces dons ! Voilà un petit fait de justice épiscopale à mon adresse qui me fait un peu comprendre, ce que l’on peut dire de ceux qui, instruits par l’expérience, ont eu le tort de ne rien donner dans d’autres occasions.

J’offre donc à V. G. une rétractation ample et complète de ce que j’ai pu dire de faux si elle trouve un homme qui puisse me le montrer autrement qu’en parlant de mon orgueil satanique, de mon insolence révoltante, et de la malice dont seul je suis capable. Je mets ici publiquement V. G. au défi de montrer la plus légère inexactitude de fait dans ce que j’ai dit. Quant à mes sophismes raffinés dont V. G. me fait compliment, — compliment que je ne puis absolument pas lui rendre en conscience puisque les siens ne sont pas même dégrossis — elle pourrait peut-être trouver dans les fortes plumes dont elle s’est entourée un rempart inébranlable contre eux. Je me permettrai donc de faire à V. G. la petite proposition que voici, qui m’est inspirée par le plus pur esprit de justice.

V. G. consacrera le Franc-Parleur, par exemple, à une discussion complète de mon pamphlet et me permettra la réponse dans la même feuille. Je crois que l’augmentation des abonnements, si pareille discussion devait s’y faire, couvrirait au moins les dépenses ; et s’il y avait déficit, je promets à V. G. une souscription assez abondante pour le couvrir. Je n’aurai droit qu’au même nombre de colonnes que les illustres porte plume de V. G. Ils écriront deux ou trois séries d’articles et moi autant.

De cette manière, les lecteurs verront l’éblouissante vérité lumineusement exposée par les champions de V. G. en parfaite juxtaposition avec mes insolences, mes faussetés, mes honteuses témérités, mes malices infernales, mes horreurs et mon satanique orgueil !  ! Sûrement V. G. doit avoir la complète certitude que je serai broyé sans merci par les transcendants génies qu’elle peut mettre en ligne. Si V. G. refuse cette proposition, qui assure le triomphe de la vérité sur mes mensonges, elle rend un très mauvais service à la religion. Je viens lui offrir en toute bonne foi de me faire démolir par ses écrivains. Va t-elle refuser cette précieuse occasion d’en finir avec celui qu’elle appelle « un dangereux ennemi de la religion ? » Là au moins, Mgr  le public verrait un peu de sens de justice et surtout de bonne tactique. Car quand il voit V. G. me dire des injures formidables puis défendre de me lire sans même essayer de me réfuter ; au lieu d’admirer la tactique de V. G. il se met tout simplement à rire, Mgr  et il a raison. Et il n’y a rien au monde, Mgr  qui mine les plus hautes autorités comme le rire qu’elles produisent par leurs erreurs de tactique. Ce que je propose à V. G. ferait voir qu’elle est convaincue de ce qu’elle dit, et si elle le refuse, Mgr  quelle sera la conséquence ? Il faudra bien que les gens se disent que V. G. craint de mettre la vérité en juxtaposition avec l’erreur. Ils en inféreront naturellement que V. G. n’est pas aussi sûre de ce qu’elle dit qu’elle paraît l’être. Ils finiront peut-être même par se douter que j’ai dit des vérités si l’on n’ose pas me rencontrer face à face dans la même feuille ; si l’on n’ose pas laisser arriver mes réponses aux lecteurs que l’on façonne avec tant de sollicitude.

Et si V. G. trouve d’autres objections à ma proposition, qu’elle m’accorde une rencontre publique avec n’importe qui elle voudra choisir pour démontrer les prétendues abominations qu’elle me reproche avec tant d’aigreur. Je promets un bel auditoire à V. G. et là Mgr  les chances seront certainement contre moi. Sûrement V. G. ne doit pas avoir de peine à trouver dans le Clergé des hommes qui ne feront de moi qu’une bouchée, comme le disait un de ses amis ces jours derniers même. V. G. a à sa disposition des prédicateurs éminents, des hommes qui ont étudié ; sans oublier le célèbre petit sacré collège de ses chanoines. Qu’a-t-elle à craindre derrière pareille armée ? Ses défenseurs auront tous les infolios des pères, et moi, que les partisans des bons principes représentent comme un pauvre hère de savantasse qui n’a jamais lu que des compilations et des encyclopédies, comment éviterai-je d’être écrasé sous les vastes connaissances des Lemos[1] modernes que V. G. peut ranger en cohorte serrée contre moi ?

Encore une fois, si V. G. refuse pareilles propositions là où elle a tant de force et tant de prestige, elle est absolument indifférente au triomphe de la vérité ; et il arrivera nécessairement que nombre de personnes de bonne foi vont se dire. « Mais, est-ce donc que l’on craindrait que M. Dessaulles ne prouve les falsifications dont il parle ? » Si le Clergé, ce corps si puissant, Mgr  recule devant un homme, que va-t-on dire ? On aura sans doute la commode ressource d’assurer que l’on me méprise. Pourquoi, alors, tant de tapage et d’injures dans les circulaires épiscopales et la mise en cas réservé de ceux qui me lisent ?

Je le répète donc parceque je suis sûr de la complète vérité de tout ce que j’ai dit : Je mets V. G. et n’importe qui au défi de montrer la moindre fausseté, la moindre inexactitude dans mon livre : et j’offre la preuve, où, quand et comment l’on voudra, de tous et chacun de mes avancés. Et V. G. sait si bien que je n’ai pas parlé sans savoir où j’allais ; que je n’ai pas eu la sottise de me mettre en conflit direct avec elle sans prendre toutes les précautions voulues, qu’elle n’acceptera pas mon défi. Elle m’insultera ou me fera insulter, ce qui est bien plus commode, mais peut-être moins agréable à Dieu qui veut que la vérité soit toujours défendue. Melius est ut scandalum sumitur quàm ut veritas relinquatur. (St. Grégoire le Grand, et après lui St. Bernard.)

Voilà pourquoi, Mgr  j’ai dit un peu de vérité. Et la meilleure preuve qu’il était devenu nécessaire de dire la vérité, c’est le mécontentement profond que j’ai causé. Si j’ai dit des choses fausses, je mérite d’être honni, mais je serais vraiment curieux de voir comment on s’y prendra pour le démontrer. Quelques hommes à courte vue m’ont reproché d’avoir scandalisé certaines gens en montrant les contradictions de nos Évêques, les injures que des prêtres leur ont dites, et les connivences évidentes de V. G. en faveur de calomniateur déboutés. Mais Mgr , le scandale existe-t-il dans la constatation des actes coupables ou dans les actes eux-mêmes ? Celui qui a commis l’acte serait-il donc moins coupable que celui qui le commente et le flétrit ? Eh bien, existe-il dans le beau système du jour cela est vrai pour les laïcs, mais ne l’est pas pour le Clergé ! Le prêtre qui flétrit un acte coupable d’un laïc est un enfant de Dieu, mais le laïc qui proteste contre un acte coupable d’un ecclésiastique est enfant de Satan ! Où est le sophisme ici, Mgr  ? Chez le prêtre ou chez le laïc ? Chez V. G. ou chez moi ?

Mais examinons un peu ce paragraphe où la colère déborde comme une marée montante.

J’outrage avec une insolence révoltante les saintes congrégations romaines.

Qu’est-ce donc que j’en ai dit ? Qu’elles avaient condamné l’Institut sans l’entendre ? Mais que V. G. montre donc quand l’Institut a été notifié ? qu’Elle l’accusait d’enseigner des principes pernicieux ! Les déloyales arguties au moyen desquelles V. G. essayait de démontrer que l’Institut devait être tenu responsable de ce que je lui disait dans une lecture, n’ont elles pas fait hausser les épaules de pitié à tous ceux qui savent ce que c’est qu’un raisonnement ? Et puis ces arguties montraient elles que l’Institut eût pu se défendre là où il se trouvait faussement accusé par V. G ? V. G. a donc tout simplement trompé ceux à qui elle pariait. Et chaque fois qu’elle ose affirmer que les catholiques de l’Institut sont condamnés sur leur appel à Rome, elle trompe le public, car le décret même de l’Inquisition fait foi que l’on n’a ni directement ni indirectement touché à la question en appel ! Et chaque fois qu’elle ose venir dire, que l’Institut comme corps est justement sous l’anathème de l’Église, elle trompe encore ceux à qui Elle parle, car on n’est pas justement sous l’anathème quand on n’a jamais reçu la moindre notification que l’on fût accusé, ce qui a pour résultat de condamner des absents sans les entendre. V. G. n’avouera pas plus ses torts envers nous qu’elle ne les a avoués envers l’Archevêque, contre lequel Elle recommençait la guerre avec passion au moment même ou le cardinal Barnabo lui recommandait instamment la cessation de toute lutte ; mais si V. G. imagine que personne ne voit les torts graves que je constate ici, elle est réellement bien aveuglée.

J’ai dit aussi que V. G. avait été condamnée à Rome sans être entendue quoiqu’elle y fût présente ! Est-ce une fausseté ? C’est V. G. elle-même qui est venue nous le raconter au long ! J’en tombai des nues, dit V. G. Il ne s’agissait plus pour moi de paraître devant le St. Père pour donner les motifs de ma démarche, mais pour recevoir une décision. Si V. G. était jugée ainsi par un tribunal laïc, que dirait elle ? Eh bien, j’ai le droit de dire du tribunal ecclésiastique ce qu’elle dirait elle-même du tribunal laïc qui la condamnerait sans l’entendre. Je dis donc que condamner une partie sur le seul plaidoyer de la partie adverse est une prévarication, que l’on soit Évêque, roi ou Pape ! Qu’est-ce que V. G. peut répondre de sensé à cela ? Pourquoi donc m’insulte-t-elle avec la passion que nous avons vue au lieu de montrer où j’ai tort ? Si elle pouvait le montrer, où est l’imbécile qui va croire qu’elle ne se donnerait pas le bonheur de le faire ? Est-ce que V. G. qui est Évêque depuis 30 ans, ne sait pas encore que constater un fait n’est pas outrager son auteur si le fait est blâmable, puisque c’est l’auteur même d’un fait blâmable qui a outragé la conscience et la justice en le commettant ? Ce que je dis là, Mgr  est-il sophisme ou vérité ? Où est l’homme honnête et sincère qui va me contredire là-dessus ?

Je traîne dans la boue le Sacré Collège…

Je supplie, respectueusement V. G. de vouloir bien dire la vérité. Je n’ai parlé nulle part du Sacré Collège. J’ai parlé des querelles des Cardinaux, et je les citerai à V. G. si elle les ignore. Mais ce n’est pas traîner dans la boue le Sacré Collège que de faire allusion aux injures que quelques uns de ses membres se sont dites hors du consistoire. Quand ils s’en disent de si terribles au dehors, n’est-il pas absolument possible qu’ils s’en disent au dedans ? Les Évêques se sont bien dit des injures en plein Concile ! Mais V. G. sait bien que je n’ai pas parlé du Sacré Collège. Pourquoi m’en accuse-t-elle publiquement ? Tout simplement parce qu’elle croit produire un effet sur ceux qui ne m’ont pas lu ! Est-ce la religion qui a conseillé cette honorable tactique à V. G ?

Je vilipende l’ultramontanisme…

Serait-ce par hazard en disant que son droit chrétien est vraiment anti-chrétien ? C’est précisément cette question, Mgr  que V. G. n’osera pas permettre à ses porte-plumes de discuter à fond avec un homme qui étudie d’une manière suivie l’ultramontanisme depuis trente ans. Serait-ce en disant qu’il avait falsifié l’histoire ? Je citerai les falsifications de l’ultramontanisme par douzaines, Mgr  et ses supercheries par centaines ; et si je ne les prouve pas, je demanderai pardon à V. G. sur le parvis de l’Église de Notre-Dame. J’ai une nombreuse collection de faits sur ces questions, Mgr  et la plupart de ces faits, ce sont des Évêques et des prêtres qui me les ont fournis ; car comme on l’a vu ici dernièrement, quand les parfaits se querellaient, la vérité sortait, et quelquefois ceux qui s’appelaient saints la veille se qualifiaient de fourbes le lendemain et le prouvaient !! Et quoi d’incroyable là dedans ? Les fils d’obéissance de V. G. ont bien parlé de la fourberie grecque de l’Archevêque ! Et V. G. n’a pas encore songé à leur demander une rétractation !  ! Elle défend de lire mes vérités, et elle permet de lire leurs mensonges et leurs calomnies contre ses propres collègues !

Quant aux horreurs que j’ai dites, Mgr  il faut le parti-pris de représenter faussement tout ce qui me regarde, que V. G. manifeste en toute occasion, pour oser employer pareille expression. Si elle pouvait au moins montrer une fausseté dans ce que j’ai dit, on pourrait à la rigueur s’expliquer ce mot chez un homme qui, n’ayant pas l’expression facile, se contente, du premier mot qui lui vient à l’esprit ; mais je la défie encore une fois de montrer, par elle même ou par d’autres, la plus légère fausse représentation chez moi. Je lui demande instamment de les montrer si j’en ai fait, mais V. G. ne relèvera pas le défi.

Les seules horreurs que contient mon livre, Mgr , sont les citations que je fais des principes odieux ou infâmes exprimés par certains auteurs ecclésiastiques. Le mot sans nom de votre grand cardinal Bellarmin est certainement une horreur ! Le mot immoral de votre Pilichdorff est certainement une horreur ! Certaines prétentions de la Civiltà sont certainement des horreurs ! Le don au premier occupant, par un pape, des biens, et surtout de la personne, d’un excommunié, est bien certainement une horreur ! Que V. G. ose donc venir dire que cet acte était juste ! La déclaration par un Pape que l’on peut, sans péché, tuer un hérétique ou un excommunié, est certainement une horreur ! Que V. G. ose donc venir dire qu’ici je trompe ceux qui me lisent ! Elle sait que chaque mot que je dis là est vrai, et chaque inférence aussi ! Celui qui trompe les autres, Mgr  ce n’est pas l’écrivain qui publie un fait qu’il sait être vrai, c’est au contraire l’Évêque qui, ne pouvant le réfuter, insulte cet écrivain et représente faussement ce qu’il a pu dire.

C’est à V. G. à montrer, ou à faire montrer, par d’autres, que les auteurs ecclésiastiques que j’ai cités ou n’ont pas dit ce que je leur attribue, ou avaient raison de le dire. Je serais curieux de voir qui oserait venir essayer de montrer cela. Mais si cela peut se montrer, c’est le devoir rigoureux de V. G. de le faire. J’ai donc le droit de dire que si elle ne le fait pas c’est qu’elle ne le peut pas. Et je me permettrai d’ajouter, Mgr , que chez un Évêque, c’est une très jolie petite horreur que de venir comme pasteur enseignant, traiter d’horreurs dans le sens de calomnie les vérités que j’ai dites ! Ici Mgr , celui-là seul qui représente faussement les choses c’est le Pasteur qui s’est oublié jusqu’à l’injure et l’insulte, mais qui n’osera pas accepter mon défi. L’Horreur n’est pas chez celui qui a dit vrai, mais chez celui qui l’insulte par colère de ne pouvoir le montrer en délit de fausse représentation. Le prouver est un devoir. Le dire sans pouvoir le prouver est une horreur, même quand c’est un Évêque qui parle.

Si V. G. avait été plus sincère, et moins aveugle dans la guerre passionnée qu’elle nous a faite, Elle ne se serait pas attirée ces dures répliques. Et puisqu’elle est si courroucée d’avoir vu la lutte tourner contre elle, elle devrait enfin s’apercevoir qu’elle n’aurait pas du la commencer. Elle n’a pas assez mesuré ses moyens.

Mais j’allais oublier une autre horreur.

Avec son sens de justice, et de tactique ordinaire, V. G. a voulu faire croire que l’Archevêque précédent l’avait surprise devant les congrégations romaines et devant le Pape. Ainsi pour céler aux fidèles le fait que le Pape l’avait condamnée sans l’entendre, elle calomniait son Archevêque devant tout le Diocèse de Montréal en rejetant sur ses épaules la prévarication des Juges. ! Eh bien, Mgr , je vois là, moi, une très laide horreur : calomnier un innocent pour justifier un coupable ! Lequel des porte-plumes de V. G., va accepter la tâche de montrer en quoi je me trompe ici ?

Ah ! Mgr  plus V. G. remuera ces choses plus elle me fournira d’armes contre elle. Qu’elle l’essaie si elle ne me croit pas.

Non ! V. G., est dans une position trop fausse pour en sortir à son honneur ! Là où elle a certainement tort, ce n’est pas une circulaire ni dix circulaires comme celle-ci qui atténueront ce tort. Au contraire, elles prouveront que V. G. superpose le manque de sincérité sur le défaut de compréhension des choses. Le vrai finit toujours Mgr  par reprendre ses droits. V. G. s’est trop gravement trompée, et trop souvent, pour ne pas tomber enfin dans une impasse. Elle y est arrivée aujourd’hui par le fait de ses lettres insensées contre ses collègues ; et qui sait après tout si je ne suis pas sans en douter l’instrument que la Providence a choisi pour montrer le danger du défaut de lumières chez un Évêque ?

Je noircis le Clergé Canadien avec un malice dont seul je suis capable…

J’ai sans doute dit de dures vérités à des hommes que veulent se faire croire exempts des faiblesses humaines ; à des hommes chez lesquels il y a incontestablement, comme je l’ai reconnu dans mon pamphlet, de biens grands mérites individuels, mais que l’esprit de corps et l’orgueil ecclésiastique ont fait tomber dans de biens graves torts collectifs. Mais Mgr  quand un prêtre coupable d’inconduite traite de renégats à pleine église des hommes irréprochables dans leur vie publique et privée, il s’expose à se faire rappeler ce qu’il est ! Ce ne sont pas les hommes de vrai mérite qui s’oublient ainsi dans la chaire, c’est le plus souvent au contraire ceux qui sont la plaie du corps auquel ils appartiennent. Et ceux là, Mgr  ont encore moins que leurs confrères hommes de mérite, le droit de réclamer l’inviolabilité.

Mais que signifie donc cette réclamation hautaine d’inviolabilité en faveur du prêtre quand il lui en coûte si peu d’attaquer les autres dans leur honneur et leur réputation ? Prêcher la morale, c’est votre devoir ; mais dénigrer les autres en chaire, c’est une infamie ! Si vous étiez irréprochables, cela se comprendrait encore ! Mais d’un autre côté, si vous étiez irréprochables vous ne tomberiez pas ainsi journellement dans cette violation de tous vos devoirs de pasteurs des âmes. Est-ce par pure bonté de cœur que le prêtre insulte les gens en pleine église ? Ce n’est pas de la malice cela ? La malice serait-elle chez celui-là seul qui repousse la calomnie par des reproches mérités !  ! Où est vraiment la malice, Mgr  ? Chez l’Évêque qui couvre les calomniateurs de sa mitre ou chez celui qui s’en plaint ?

Quand V. G. m’a reproché publiquement des blasphèmes à propos d’une brochure dans laquelle des prêtres moins instruits qu’elle n’ont pu en découvrir même l’apparence, n’y avait-il pas dans pette odieuse assertion. Mgr  quelque chose comme de la malice bien caractérisée ? Et quand V. G. n’a pas osé m’indiquer ces blasphèmes quand je l’en ai priée le livre en mains, et m’a dit des choses insultantes au lieu de me les montrer, n’était ce pas là décupler la malice du premier avancé ? Et quand elle me laisse depuis onze ans sous le poids d’un avancé calomnieux officiellement publié par un Évêque, — ce qui est bien autrement grave dans notre société qu’une calomnie venant d’un simple laïc — et qu’elle refuse de rétracter cet avancé, n’est-ce pas là, Mgr  un fait évident de malice renouvelée chaque jour ?

Eh bien, Mgr , même s’il y avait chez moi malice pour avoir dit des vérités grandement méritées puisqu’elles repoussaient des calomnies, j’aurais encore un immense avantage sur V. G. celui de ne pas au moins couvrir ma malice d’une messe tous les matins.

Et pour montrer une fois de plus où est bien la malice et où est bien le vrai sens de la justice envers autrui ; pour montrer une fois de plus si c’est chez V. G. ou chez moi qu’est la malice ; je m’engage ici solennellement devant le public à rétracter publiquement tout blasphème ou ce qui y ressemblerait, ou même toute simple erreur de fait ou de doctrine, que V. G. indiquera dans le pamphlet où elle a prétendu voir des blasphèmes, ou du venin infect sorti d’une chaire, de pestilence ; calomnies qu’elle exprimait dans une annonce pastorale !  ! J’ai déjà offert privément cette rétraction publique à V. G. et je la lui offre aujourd’hui publiquement. C’est son devoir de l’accepter pour faire triompher la vérité. Si elle ne profite pas de cette offre — faite de bonne foi et non pour jeter de vains mots dans le public — elle admettra par là même sa calomnie contre moi. Donc la malice aura été chez elle et non pas chez moi !

Quand une position est fausse, Mgr  on n’en sort pas par le seul fait que l’on est Évêque, et que l’on parle d’autorité. V. G., a aussi parlé de mon orgueil satanique. Voyons donc où est vraiment l’orgueil.

J’offre de retracter tout ce que V. G., me montrera, ou plutôt, car on ne l’attend pas d’elle, me fera montrer être faux en fait ou en raison dans mon dernier pamphlet, comme j’offre de rétracter tout ce qui peut être blasphématoire ou erroné dans mon pamphlet de 1862 où V. G., a prétendu voir des blasphèmes et du venin qui n’y existent pas.

Mais en même temps, Mgr  j’invite Votre Grandeur a rétracter ses fausses insinuations contre son supérieur hiérarchique, l’Archevêque. Elle lui a fait des reproches immérités, elle l’a fait insulter ici en pleine église Notre Dame ; elle l’a fait insulter dans sa propre cathédrale… Voilà ce que des prêtres présents ont dit partout. Ils me l’ont dit ; ils l’ont dit à des milliers d’autres, car plus de cent cinquante prêtres ont repartis de Montréal, profondément irrités contre ce qu’ils appelaient entre intimes le saint guet-à-pent des noces d’or ! V. G., a-t-elle jamais offert un mot d’excuse à l’Archevêque ? Non jamais ! Pourquoi ? Parcequ’il n’est pas dans sa nature, dans son caractère et surtout, dans sa tactique, d’avouer un tort ou une erreur. A-t-elle jamais offert un mot d’excuse au séminaire pour avoir laissé annoncer dans le Nouveau-Monde le honteux libelle de la Comédie-Infernale, que tous ses collègues sans exception condamnent et flétrissent ? Pas le moins du monde.

Doit-on croire que V. G. seule a raison et que tous les autres Évêques se trompent dans leur appréciation de ce livre honteux. Est ce par orgueil satanique qu’ils l’ont si énergiquement flétri ? Si non, V. G. est donc en honneur et en conscience tenue à une réparation. La donnera t-elle jamais ? Au contraire, elle a donné les ordres au calomniateur de ses collègues et de St. Sulpice et elle le tient affectueusement auprès de sa personne ! Ses intimes disent même qu’elle ne jure que par lui au point que d’autres en sont offusqués. Pourquoi ne le force-t-elle pas à une rétraction ? Parceque ce serait avouer qu’elle s’est-elle même trompée en favorisant l’inepte ouvrage. Où donc est l’orgueil Mgr  ? C’est celui qui offre de se rétracter si on lui montre ses erreurs, ou chez celui qui, blâmé par tous ses collègues Évêques, refuse opiniâtrement une rétractation ? Ah ! Mgr  V. G. avait un autre exemple à donner que celui là !

Mais V. G. ne vient-elle pas d’être nommément censurée par la congrégation de l’index, qui a formellement dit qu’Elle avait cru voir des erreurs là où il n’en existait pas ? Avoue t-elle qu’elle s’est trompée ? C’est la congrégation de l’index qui l’en informe. Offre telle une réparation à M. le grand vicaire Raymond ? Est-ce par un sentiment d’humilité qu’elle n’offre pas cette réparation qui lui est certainement due ? Elle l’a laissé calomnier dans son propre journal ! Pourquoi n’a-t-elle pas obligé celui-ci de faire une excuse à ce prêtre blanchi dans l’étude ? La justice ne l’exigeait-elle pas ? Conséquemment la conscience ?

Eh bien, le journal de V. G. a eu recours à tous les faux fuyants possibles pour ne pas donner cette réparation, et pas un mot de V. G. n’est venu le rappeler au sentiment de la décence !  !

Et cette dernière lettre de V. G. à l’Archevêque ne constituerait-elle pas aussi un petit fait d’orgueil ? Ses Supérieurs réclament énergiquement la cessation des luttes, scandaleuses que nous avons vues, et V. G. s’empresse de recommencer la guerre ! Elle n’écoute ni ses supérieurs ni ses collègues et parle de l’orgueil des autres. Elle blâme un grand vicaire auquel on donne raison à Rome, et elle ne lui fait par la moindre excuse quand on l’informe de Rome que c’est elle qui s’est trompée ! Ah Mgr  Dieu même me préserve de l’humilité de V. G. Avec cette humilité, Mgr  je dirai bien où l’on va si je voulais descendre au style de la circulaire.

Dans sa lettre du 4 Juin, dans le Nouveau-Monde, V. G. dit que je dénature les faits que je relate. Ces faits ont trait à la prétendue condamnation de l’Institut.

Si je pouvais une fois, Mgr  me trouver face à face avec un homme qui essaierait de soutenir le point de vue de V. G. je montrerais facilement au public lequel de V. G. ou de moi a dénaturé les faits relatifs à l’Institut. Si V. G. croit réellement ce qu’elle fait ici, il est parfaitement clair qu’elle n’a pas la plus légère idée de ce que c’est qu’une procédure. Au reste toute la lutte avec le pouvoir civil dans l’affaire des régîtres démontre cela surabondamment.

Il appelle la Ste. Église la curie romaine…

Cette assertion est de tout point inexacte, Mgr . Je n’ai jamais appliqué le mot curie romaine à l’Église, et encore moins le mot Église à la curie romaine. Avec un peu plus d’habitude de la polémique, V. G. ne verrait pas ainsi dans un écrit ce que personne autre qu’elle absolument n’y voit. La curie romaine n’est que l’ensemble des ministères ou congrégations où se transigent les affaires de la catholicité. Où est l’homme de bon sens qui va la confondre avec l’Église ? C’est donc une assertion purement gratuite que V. G. a faite ; comme toutes les autres, au reste, qui me concernent.

Je voue V. G. à l’exécration publique…

Ah ! pour le coup Mgr  voilà qui est trop fort ! Ceci n’est pas seulement une altération de la vérité, c’est une invention complète ! Ce n’est pas une simple erreur de jugement ou de polémique, c’est un avancé qui n’est absolument fondé sur rien autre chose que le projet bien arrêté de représenter faussement mes paroles pour passionner les ignorants contre moi !

Il n’est pas plus permis à un Évêque qu’à un autre, Mgr , de supposer ainsi un fait pour noircir un homme aux yeux de ceux auxquels on défend de lire ce qu’il écrit. V. G. me donne le droit de la rappeler à la décence, et je le fais. Comment V. G. qui parle de mes fausses représentations sans en montrer une seule, ose-t-elle en faire une elle-même aussi coupable et aussi odieuse que celle là ? Comment V. G. ose t-elle m’attribuer ce qu’elle seule a fait depuis quinze ans ? Quand j’ai parlé des torts de V. G. je les ai exposés et discutés au long et avec les développements voulus pour montrer ma bonne foi ; mais pas un mot chez moi n’a jamais comporté l’odieuse intention qu’elle m’attribue sans l’ombre de prétexte.

Mais quand V. G. publiait comme Évêque cette phrase sans nom à propos d’une brochure dans laquelle je la mets encore au défi de montrer l’ombre d’une inconvenance ; Nous allons donc prier pour que ce monstre affreux du rationalisme qui vient de lever de nouveau sa tête hideuse dans l’Institut et qui cherche à répandre son venin infect dans une brochure qui répète tous les blasphèmes qui sont sortis de cette chaire de pestilence, ne puisse nuire à personne : quand V. G. dis-je, publiait comme pasteur du Diocèse cette calomnie audacieuse, n’était-ce pas là vraiment vouer un homme et une institution à l’exécration publique ? Et cela, Mgr  pour subir plus tard la honte de ne pouvoir rien indiquer de répréhensible quand j’ai mis, avec la convenance voulue, V. G. au défi de le faire.

Ah ! je comprends que V. G. cherche à préjuger le public contre moi, et à passionner en sa faveur la masse ignorante sur laquelle seule elle sent d’instinct qu’elle peut retomber aujourd’hui. Elle voit le terrain manquer sous ses pieds ; elle voit l’opinion toute ébahie de ses torts graves envers ses collègues, qui forment une si terrible présomption contre elle quant au traitement qu’elle nous a infligé ; et perdant tout sang froid elle affirme des choses qui n’existent que dans son imagination ulcérée pour finir par défendre la lecture d’un livre qu’elle ne saurait réfuter ni par elle ni par d’autres !  !

Ah ! Mgr , le public n’attache pas une bien grande importance à la prohibition de V. G. La circulaire n’a fait qu’accélérer la vente d’un livre qui arrache de ceux qui le lisent l’exclamation : « C’est pénible, mais c’est vrai ! » On le demande partout. Le public comprend quelle passion a inspiré la circulaire et qu’elle impuissance de réfutation manifeste ce style chargé d’insulte. Le temps n’est plus, Mgr  où l’on empêche les gens sensés de lire ; où l’on peut imposer d’autorité l’ignorance des leçons que l’on reçoit. Dans ce siècle de diffusion infinie de la pensée par le livre, et le journal, il n’est plus possible de maintenir une muraille de la Chine autour d’un peuple que l’on voudrait murer dans cette heureuse ignorance qui fait dire : « Seigneur, pardonnez-leur… » Si le public avait vu V. G. prohiber la « Comédie Infernale, » il aurait pu admettre sa sincérité quand elle prohibe mon pamphlet. Mais quand V. G. n’a pas dit un mot d’un livre réprouvé par tous ses collègues, la prohibition qui me regarde Mgr  devient tout simplement risible. Les gens s’abordent dans la rue en se demandant mutuellement s’ils sont en cas réservé ! Des dames même répondent, quand on leur demande si elles vont garder le livre : « Bah ! j’ai bien la « Comédie Infernale » où il n’y a que de l’hypocrisie sans compter la calomnie. Pourquoi ne garderais je pas un livre où je ne vois que des vérités ? » Je ne veux pas dire Mgr  que personne n’écoute la défense de V. G. car bien des intelligences sont encore esclaves, mais je puis dire, sachant être dans le vrai, qu’un nombre considérable de personnes qui vont garder mon livre chez elles, ne l’auraient probablement pas fait si V. G. eût condamné la « Comédie Infernale. » Mais l’esprit de parti chez un Évêque les révolte.

V. G. est la seule personne qui ait appelé mon petit livre un libelle. Ou V. G. ne sait pas ce que c’est qu’un libelle, ou elle n’a pas parlé franchement. Le libelle est un livre écrit avec mauvaise intention contre quelqu’un, et la mauvaise intention se prouve par les fausses représentations et les calomnies que l’on y découvre. Telle est la « Comédie Infernale, » écrite par un ecclésiastique en herbe qui a noirci de son mieux des Évêques et des prêtres en leur attribuant des intentions qu’ils n’avaient pas ; en leur attribuant des actes qu’ils n’ont pas commis et en donnant le plus mauvais sens possible à des actes et des paroles susceptibles d’une bien meilleure interprétation. Voilà ce qui constitue le libelle : représenter faussement les actes pour nuire aux personnes.

Eh bien je défie V G. de rien montrer de pareil dans mon pamphlet, qui n’est pas un acte d’aggression, mais un acte de défense et d’explication. V. G. me reproche des fausses représentations mais je la défie d’en montrer, et elle n’osera pas relever mon défi. Elle me reproche des outrages. Il y en a si ce que j’ai dit est faux, et j’en demanderai pardon ; mais je défie V. G. de le montrer, car tout ce que j’ai dit est vrai. Et elle ne relèvera, pas mon défi. Elle me reproche de la malice. Il y en aurait effroyablement si ce que j’ai dit est faux, mais il faut le montrer, et c’est que ce ni V. G. ni personne autre ne fera. Si ce que j’ai dit est vrai, — tout ce que j’ai dit reste vrai tant vous ne m’aurez pas convaincu de mensonge — la malice est chez celui qui m’en reproche faussement avec colère et insultes.

V. G. peut elle dire que les citations que j’ai faites de la « Comédie Infernale, » ou du Nouveau Monde et du Franc-Parleur, sont inexactes ? Certainement non. Si les phrases que je cite sont exactes, elles constituent certainement les plus graves insultes à des Évêques et à des prêtres. Le libelle ne peut donc pas être chez moi puisque je dénonce des calomniateurs. Ici l’intention n’est certainement pas répréhensible. Donc point de libelle jusqu’ici. Sans doute, j’avais l’intention de montrer combien les ecclésiastiques peuvent être injustes les uns envers les autres, mais n’ayant fait que des citations vraies, c’est une malhonnêteté que de parler de libelle. Je vous ai montrés en lutte acharnée les uns contre les autres. Ce n’est pas un libelle puisque le fait était éclatant comme le soleil aux yeux de tout le pays. Y avait-il intention méchante chez moi ? On pourrait le prétendre si je n’avais rendu justice à personne mais si j’ai mis les torts où ils me semblaient être, où mes citations prouvent qu’ils étaient, j’ai aussi mis le droit où il était.

Mais j’ai donné des détails sur le concile… Sont-ils vrais, oui ou non ? Si l’on ne connaît pas ces détails ici, il est que l’on ignore ce qui est connu partout ailleurs. Si l’on ne sait pas où je les ai pris, c’est qu’on lit le moins que l’on peut ; c’est que l’on n’est pas au courant de ce qui se passe ou se dit dans le monde européen. On ne sort pas d’un certain cercle d’ignorance, et puis l’on est tout surpris de ce qu’un autre ait lu des choses que l’on n’a jamais vues ! Si vous lisiez un peu, vous auriez lu ce que j’ai lu. J’ai demandé des ouvrages écrits par des prêtres. Vous n’en avez pas entendu parler, ne vous fâchez donc que contre vous-même et non pas contre moi parceque je sais où trouver les choses que vous ignorez !.

Vous ne voulez absolument pas sortir de Veuillot, de Chantrel ou de Du Lac ! Je comprends par là pourquoi vous êtes si neufs sur tant de sujets. Ces grands hypocrites de talent n’écrivent que pour vous tromper ! Pourquoi donc les suivez-vous aveuglément ? Moi aussi je les lis, mais comme j’en lis d’autres, je vois qu’ils trompent, qu’ils défigurent l’histoire au profit d’un système ; qu’ils maintiennent comme vérité catholique des principes certainement anti-évangéliques et anti-chrétiens ! Vous ne le voyez pas pour l’excellente raison que n’entendant qu’une cloche vous n’entendez qu’un son ! Pourquoi vous refusez-vous le vaste champ des connaissances humaines pour vous parquer obstinément entre les quatre murs de l’Index ? Voilà pourquoi vous resterez toujours inférieurs !

Mais il reste vrai que les petits détails que j’ai donnés sur le Concile ne constituent pas un libelle, car en montrant le faux d’un côté j’ai montré le vrai de l’autre. En montrant le vrai, j’ai prouvé ma bonne intention, et en ne citant que des faits vrais pour montrer où est la vérité, je n’ai pas fait de libelle. En appelant mon livre un libelle, V. G. montre tout simplement qu’elle ne sait pas bien ce que c’est qu’un libelle. Et il faut en vérité qu’elle le sache bien peu pour n’en pas avoir vu un bien vil, bien déshonorant pour son auteur et ceux qui l’ont encouragé et protégé, dans la « Comédie Infernale. »

Mais j’ai vilipendé l’ultramontanisme. Mille pardons, Mgr , je n’ai fait que le citer. Si je l’ai cité correctement — et je serais vraiment curieux de voir quelqu’un essayer de montrer le contraire — V. G. lui donne un bien grave soufflet en disant que je l’ai vilipendé. Si on le vilipende en citant ce qu’il dit, qu’est il donc ? V. G. a manqué d’adresse ici.

Mais j’ai parlé de ses falsifications. Si c’est là que V. G. voit un libelle, elle est dans une bien pénible erreur, car toutes les bonnes histoires ecclésiastiques, même celle de Rorhbacher écrite au point de vue ultramontain, en disent beaucoup plus que moi sur ses falsifications ! Donc point de libelle encore ici.

Enfin j’ai fait un court chapitre d’erreurs des Papes sur des points de morale. Est-ce là un libelle ? Alors, Mgr , toute l’histoire ecclésiastique est un libelle, car je n’ai pas dit la dixième partie de ce que j’y ai trouvé sur les erreurs des Papes en morale. Si V. G. ignore cela, mieux vaudrait pour elle ne pas parler de ces choses, et remettre ce soin à ceux qui les ont étudiées.

Et pourquoi en ai-je parlé, Mgr  ? Parceque l’on vient nous dire arrogamment que, même dans les affaires temporelles, nous ne pouvons trouver le vrai qu’à Rome. Hérétique ou impie est celui qui dit le contraire. Il était donc à propos d’examiner si vraiment les Papes ne s’étaient jamais trompés. Et les faits que j’ai cités, Mgr  sont indéniables. Et puis j’ai cité les sources où j’ai puisées. Si j’ai trompé, il est bien facile de le montrer. Mais on ne l’essaiera pas Mgr  ; et je le répète : on ne me dérangera pas d’une ligne sur ces détails. Donc point de libelle encore ici.

Maintenant Mgr comme je n’ai absolument pas eu d’autre objet que de défendre le vrai contre ceux qui voudraient lui substituer le faux, mon intention, même si je me trompe, est irréprochable. Donc en conclusion définitive, mon livre ne peut être un libelle, puisque je n’y dis que des choses vraies et avec le désir de faire triompher le vrai, et puisque je n’y calomnie personne.

— Mais si ce que vous dites est faux ?

— Dans ce cas Mgr  je serais bien coupable ! Mais comme je suis sûr, ce qui s’appelle sûr, d’avoir dit à peine le quart de la vérité, le coupable aux yeux de la religion est celui qui m’insulte parceque j’ai dit vrai.

Il reste donc acquis, Mgr  que la qualification de libelle appliquée à mon livre ne montre que l’incompétence ou le peu de sincérité de celui qui prononce le mot.

Mais, Mgr  il surgit une autre question entre nous qui n’est pas sans importance, et que V. G. avec ses notions d’omnipotence ecclésiastique, n’aura pas même pris la peine de considérer, le droit de l’individu étant toujours la dernière inquiétude du prêtre, et tous les droits s’évanouissant d’eux-mêmes devant celui de l’Église.

Elle défend d’acheter ou de vendre mon livre. Un libraire même n’a pas le droit de le garder chez lui, et un particulier non plus.

Eh bien, supposons un instant que j’eusse besoin de la vente de ce livre pour vivre avec ma famille ; V. G. croit-elle vraiment qu’un Évêque a le droit de couper ainsi les vivres aux gens et de les réduire peut-être à mendier parcequ’il se sera mis en tête qu’il est criminel devant Dieu de repousser les prétentions du Clergé à la domination temporelle ? Quoi ! si j’étais réduit à vivre de ma plume, ce qui peut m’arriver comme à d’autres, il ne me serait pas permis de vendre un livre sans que la censure ecclésiastique m’accorde l’imprimatur avec le grotesque sérieux que l’on y met ici !  ! Il ne me serait pas permis de vendre un livre où je soutiendrais le principe de la prééminence du corps social sur toute autre autorité dans l’ordre politique !  ! Et si j’avais fait un livre pour soutenir que le pape n’a pas le droit de casser et annuller les actes du pouvoir civil, un Évêque qui ne comprendrait pas son devoir de citoyen d’un pays libre, ou qui s’exagèrerait ses pouvoirs, pourrait défendre aux gens d’acheter mon livre ! Mais, Mgr , sous un régime constitutionnel, cette prétention est tout simplement monstrueuse ! Elle annullerait toute liberté de la presse, de la parole et de la pensée ! V. G. pourrait également défendre au peuple d’acheter les journaux où se publieraient les discours des membres de la Législature qui soutiendraient le même principe que moi ! Elle pourrait défendre au peuple d’aller écouter les discours des membres de la Législature parcequ’ils protesteraient contre l’empiètement du pouvoir ecclésiastique ! Elle pourrait défendre aux membres catholiques qui ne voudraient pas permettre au Pape de contrôler l’état, de publier leurs discours ou même d’ouvrir la bouche dans l’enceinte législative ! Et si un libraire ou un journal voulaient publier ces discours pour faire connaître ses droits au peuple, V. G. pourrait les ruiner tous deux en défendant d’acheter les produits de leur industrie ! La constitution deviendrait donc lettre-morte, et tout en ayant la liberté politique en théorie, nous aurions de fait le despotisme ecclésiastique ! L’Évêque pourrait d’un mot réduire à la mendicité tous les écrivains qui ne voudraient pas se courber sous la férule, et nous aurions un peuple d’enfants de collège qui n’oseraient pas remuer un doigt sans le signe de l’Évêque !

Mais est-ce bien au dix-neuvième siècle que de pareilles prétentions s’expriment ? Quoi ! des millions d’hommes auront péri pour combattre le fanatisme ; des milliers de martyrs auront été brûlés vifs par l’Inquisition pour revendiquer l’indépendance de la pensée humaine, consacrée par notre maître à tous, le Christ ; et tout cela pour qu’un Évêque qui ne comprend que la lettre et point l’esprit vienne escamoter d’un mot tous les droits individuels parcequ’il comprendrait la religion comme un moine et non comme un homme éclairé ! Quoi un Évêque qui n’aura fait aucune étude en droit social et politique, et qui sera ranger aux premiers rudiments de l’organisation des sociétés et de leur administration, pourra d’un mot tenir en échec toute l’intelligence d’un pays et défendre aux gens de lire les livres où on leur fera connaître leurs droits ! Et cela dans un pays de constitution anglaise : Allons donc ! Que V. G. se réveille de son long sommeil ! Elle s’est endormie en plein dixième siècle, et continue au dix neuvième l’enseignement de la barbarie du Moyen-âge ! Elle veut encore mettre des menottes à l’humanité ! Elle ne veut pas que l’on pense sans sa permission, ou que des livres se vendent à moins qu’ils n’expriment ses vues étroites et impraticables sur la sujétion de l’intelligence au pouvoir ecclésiastique ! Elle veut imposer la censure sur la terre essentiellement libre de l’Amérique ! Ah ! Mgr , c’est rêver trop longtemps ! V. G. n’est ni de son époque ni de son continent. Elle se trompe de dix siècles dans le mouvement humain, et l’erreur est par trop naïve !

Je sais tout ce que l’école ultramontaine peut dire en revendication de son droit de mettre le bonnet d’âne sur un pays. Je sais que l’on peut arguer de mauvais livres, de livres infames, et tous ces grands mots avec lesquels on a fait la nuit pendant dix siècles l’Europe ! Vico, Sarpi, Galilée, Newton, Descartes, Molière, Bossuet même avec les fanatiques du jour, Montesquieu, Pothier, Sismondi, Michelet, et mille autres n’ont écrit que de mauvais livres que V. G. a le droit de défendre d’acheter ou de garder chez soi ! Ah ! V. G. abuse vraiment de la permission qu’ont tous les hommes, et même les Évêques, de se tromper !

Et si je voulais traiter la question du prêt à intérêt, en démontrer la complète légitimité en droit et en raison puisqu’il est une condition nécessaire des rapports d’affaires entre les hommes, V. G. défendrait intelligemment à tous les fidèles d’acheter un livre où je démontrerais irrésistiblement les plus augustes erreurs ! Et si je n’avais pas d’autre moyen de vivre, il me faudrait aller manger le pain amer de l’exil parce que j’aurais affaire à un Évêque qui n’aurait pas les plus communes notions de droit social et économique ! Ah ! Mgr  quand les Évêques sont de cette force, ils feraient bien mieux de ne pas sortir de leur sphère légitime et ne pas se montrer aux gens réfléchis sous un jour aussi défavorable ! Si vous ne pouvez pas avoir une idée juste et saine, restez chez vous et ne venez pas chez nous !

Si V. G. voulait bien m’accorder ce que je demande, une discussion sérieuse, faite dans un bon esprit de part et d’autre et uniquement pour chercher le vrai, et qui aurait lieu dans le même journal neutralisé pour l’occasion ; j’oserais me charger de faire, en peu d’articles la reductio ad absurdum de tout le système ultramontain au temporel. Et c’est parceque la chose est facile, et sure avec un homme qui connaît le système, que V. G. n’acceptera pas ma proposition.

Je me bornerai donc pour le moment à rappeler à V. G. que sous la constitution et les lois anglaises, un Évêque n’a pas le droit de violer la liberté de la presse et de brider la pensée humaine ; qu’il n’a pas le moindre droit d’infliger un tort aux citoyens dans leur fortune ou leurs moyens d’existence ; qu’il n’a pas le droit de couper les vivres aux écrivains ou aux journaux en défendant au public d’acheter ceux-ci ou les livres de ceux-là ; qu’il n’a pas l’ombre de droit, sous les institutions anglaises, d’appliquer pratiquement ces malheureux articles de discipline du Concile de Trente que tous les états catholiques de l’Europe ont rejetés ! Philippe II le catholique, le bourreau des Pays-Bas où il faisait enterrer les femmes protestantes toutes vives, n’en a pas voulu ! Les Rois de France qui faisaient cuire les protestants dans l’effroyable supplice de l’estrapade, et qui ont fait la St. Barthélemi sous la pression du pape Pie v, dont j’ai les abominables lettres chez moi, n’en ont pas voulu non plus ! Ferdinand II lui même, le fanatique dévastateur de l’Allemagne, et la fervente Marie Thérèse, n’en ont pas voulu davantage, et un Évêque canadien va réaliser, dans un pays anglais, un système que les rois les plus catholiques, les plus esclaves de la Cour de Rome, ont repoussé avec énergie !

Ah Mgr , réfléchissez donc seulement cinq minutes ! Ma demande n’a certainement rien d’exorbitant. Comprenez donc sous quelles institutions vous vivez ! Mettez vous donc dans l’esprit que vous n’êtes pas dans un pays d’imbéciles ! Revenez-nous, Mgr , du dixième siècle, où vous êtes resté enchâssé trop longtemps. Ce n’est pas sous les lois anglaises que V. G. pourra couper à volonté les vivres aux écrivains qui ont approfondi ce dont elle semble n’avoir pas la plus légère teinture ! Un juge en chef d’Irlande ne vient-il pas de déclarer qu’il n’y avait pas un homme sain d’esprit dans le barreau des trois Royaumes qui oserait formuler la doctrine : « qu’un ecclésiastique peut, au moyen des censures, infliger un tort quelconque dans sa personne ou dans ses biens, à un sujet britannique. »

Eh bien, Mgr , il devient important de savoir si un Évêque a le droit de défendre publiquement aux gens d’acheter un livre où ses idées préconçues lui font trouver des horreurs, quand avec un peu plus de lumières et moins de préjugés il y verrait une discussion parfaitement permise sur des sujets qu’il faut bien éclairer quand l’ultramontanisme fait tant d’efforts pour les obscurcir.

Je prétends donc, Mgr , que l’acte de V. G. de défendre d’acheter ou de vendre mon livre est une violation de mon droit de citoyen d’un pays libre. Avec un peu de compréhension de nos institutions, V. G. aurait vu que si elle a le pouvoir d’infliger une pénitence au confessional à celui qui le lira, quoiqu’il ne contienne que la vérité toute pure sur les personnes et les actes, elle n’a pas le droit d’en défendre l’achat par proclamation dans les journaux. Ce droit n’appartient pas même à l’autorité civile qui, par exemple, peut me faire poursuivre en justice si le livre est obscène ou immoral ; mais quand à laisser un Évêque usurper un pouvoir que l’état lui-même n’a pas, cela ne se verra pas Mgr  ! Et puisque nous sommes arrivés sous la férule ecclésiastique au point de n’avoir pas même le droit de montrer qu’un pape a pu se tromper en matière temporelle, mieux vaut amener de suite la question devant les tribunaux et voir si un Évêque peut ainsi saper d’un mot tout le droit politique et civil d’un pays.

V. G. n’a sans doute pas songé à tout cela, tant les Évêques ont l’habitude de l’arbitraire et se croient au-dessus de toute loi, de tout droit, et même de toute convenance. Il est donc temps de ramener un peu les Évêques au sens de la réalité des choses, et de leur faire comprendre que pas plus que les autres ils ne penvent se faire justice à eux-mêmes et proscrire ceux qui résistent à leur arbitraire. Les Évêques ne peuvent pas limiter la libre action du citoyen dans la sphère politique. On va sans doute parler arrogamment de liberté religieuse, et de la garantie de l’exercice du culte catholique ; mais on devrait comprendre que la liberté religieuse et l’exercice du culte ne signifient pas le moins de monde que l’on peut détruire le droit du citoyen de résister à l’arbitraire ecclésiastique parceque celui-ci s’affirme sous peine de damnation. Quand les Évêques ont besoin de leçon parcequ’ils ne comprennent pas qu’il y a des limites à leur action extérieure sur la société, bien étrange serait le système qui leur permettrait de proscrire publiquement les livres écrits pour montrer la nécessité de limiter cette action extérieure dans de justes limites. Les Évêques vont-ils donc prétendre au contrôle du gouvernement et puis défendre d’acheter les livres où l’on montrera le danger de cette prétention ? Ah ! Mgr , il faut clairement voir si l’on ne fait des constitutions et si l’on ne passe des lois que pour les faire mettre à néant par les Évêques. Pourquoi une constitution d’un gouvernement si les Évêques peuvent se moquer d’eux à volonté ? Mieux vaut de suite leur donner le pouvoir et nous verrons de nouveau le beau système qui se suivait à Rome. On y faisait volontiers grâce à celui qui avait été dix fois assassin, et on laissait pourrir en prison l’homme qui osait dire que le prêtre ne sait pas gouverner !

La loi pourvoit à la répression des publications licencieuses ou obscènes, ou des libelles contre les personnes ; mais quand il s’agit de définir les droits d’un peuple et de le défendre contre les éternels empiètements ecclésiastiques, les tribunaux ne peuvent pas permettre aux Évêques de proscrire, par pure étroitesse d’esprit, les livres où on ne sort pas de la discussion purement philosophique. Il est donc très possible, Mgr  que je me décide à porter cette importante question devant les tribunaux. Nous verrons là si l’Évêque peut ruiner à plaisir le journal ou l’écrivain qui lui résistent quand il veut dominer le temporel.

Car V. G. ne peut pas plus proscrire publiquement un journal qu’un livre qui n’est ni obscène ni immoral. V. G. a déjà commis l’arrogance de défendre la lecture de certains journaux où il n’y avait rien de répréhensible pour des Évêques éclairés, et elle a déjà ruiné, par pure passion politique, des publications utiles où l’on osait revendiquer la pleine indépendance du Catholique dans la sphère temporelle. Elle se dispose même à en ruiner d’autres. Ici aussi, Mgr  les intéressés peuvent recourir aux tribunaux pour se protéger contre une tyrannie aveugle. Il est dans l’intérêt public qu’il le fassent.

Mais s’ils veulent se laisser proscrire et ruiner sans mot dire, c’est leur affaire. Ils souffrent aujourd’hui de ce qu’ils ont ineptement contribué à faire infliger aux autres. Ils louaient sottement V. G. quand elle proscrivait les journaux libéraux, ne prévoyant pas qu’ils seraient un jour victime du même despotisme. Ils auraient pourtant songer que toutes ces proscriptions et ces ostracismes ne sont pas le moins du monde une question de conscience mais une pure question de domination cléricale !  ! Ils auraient du songer que l’écrasement de l’un sur un prétexte souvent très gauche, signifie l’écrasement de l’autre plus tard sous un autre prétexte encore plus gauche. Les raisons que donne V. G. pour proscrire La Minerve font rire les hommes sérieux. Jamais l’incompétence personnelle ne s’est plus péniblement manifestée. Seulement dans ce cas-ci, le public s’amuse non seulement aux dépens du prescripteur mais du proscrit aussi qui a vu enfin fondre sur lui les mêmes caprices inintelligents qu’il avaient si bruyamment applaudis quand ils s’addressaient à d’autres. Les flatteurs des années passées voient aujourd’hui combien était imprévoyante leur tactique d’alors. Reconnaissant il y a deux ans à V. G. le droit de limiter la liberté de la presse, que peuvent-ils invoquer contre Elle à présent ? Elle leur applique aujourd’hui les mêmes menottes qu’ils ont vu avec tant de plaisir appliquer aux autres, et le public rit de bon cœur et avec raison de la déconvenue qu’ils se sont attirés en ne protestant pas quand c’était leur devoir comme journalistes de le faire alors que la liberté de la presse était attaquée ? Ceux qui laissent tranquillement violer un principe, ou qui applaudissent ineptement à sa violation, sont tôt ou tard les victimes de leur servilité. Mais au fond, comment réclameraient-ils aujourd’hui la protection des tribunaux quand on pourrait leur produire les articles où ils battaient des mains et approuvaient l’Évêque de la même conduite qu’il tient à leur égard aujourd’hui ? Comme on fait son lit on se couche, dit un vieux proverbe. Ils ont fait leur lit pour s’y trouver mal à l’aise plus tard, de là l’absence de toute sympathie à leur endroit

Mais quant à moi, Mgr  qui ai toujours combattu la suprématie ecclésiastique parceque rien n’est dangereux et arbitraire comme ce pouvoir qui se croit au-dessus de tous les principes et de tous les devoirs, je n’entends pas me soumettre à la tyrannie cléricale. J’attendrai donc le moment opportun, et quand je croirai qu’il sera utile de donner encore une leçon à l’épiscopal, j’amènerai V. G. devant les tribunaux pour voir si elle peut infliger à plaisir des dommages pécuniaires aux individus ; si elle peut défendre dans les journaux aux fidèles d’acheter un livre qu’elle condamne mais qu’elle ne pourrait réfuter. V. G. trouve mon livre affreux ; mais des hommes plus compétents qu’elle m’ont remercié de l’avoir écrit. Je pourrais montré à V. G. bien des lettres de remercîments qui me sont venues de toutes les parties du pays. Des hommes importants m’ont écrit que quoique ne partageant pas toutes mes idées, ils n’avaient pas été fâchés de voir un peu remettre à sa place l’arrogance ecclésiastique qui nous déborde de tous côtés. D’autres m’ont écrit que depuis plusieurs années que la presse est bâillonnée, les hommes indépendants gémissaient de voir l’ultramontanisme parler seul et personne ne lui répondre. On m’a remercié d’avoir eu le courage de montrer ce qu’il est sous la patte de velours qu’il nous tend avec toutes les apparences de la sincérité. Des hommes de haute intelligence m’ont félicité du service que je venais de rendre, et je ne suis pas du tout disposé, Mgr  à voir arrêter, par proclamation épiscopale, la vente d’un livre qui n’est qu’une protestation loyale contre un grand danger public. Il est donc possible que j’amène bientôt V. G. répondre de son acte devant la loi du pays. Si V. G. renferme, comme le Pape Boniface VIII, tous les droits dans son auguste poitrine, mieux vaux le savoir de suite. Si dans un pays de droit constitutionnel il n’existe aucun recours contre l’arrogance ecclésiastique qui prohibe les livres parcequ’elle ne peut les réfuter, que les juges nous le disent, et qu’ils nous informent du haut du banc judiciaire que dans les possessions anglaises ce n’est pas la Reine qui est souveraine, mais les Évêques sous l’autorité du Pape ; que ce n’est pas la constitution qui nous régit, mais les principes et les projets de l’ultramontanisme.

Non, Mgr , ces défenses de lire, de garder chez soi un livre ou un journal, sont des moyens trop usés pour être acceptés aujourd’hui. Les gens veulent lire, et V. G. devrait savoir que pas un homme intelligent ne se soumet à la défense de chercher à connaître les deux côtés d’une question. Quel est l’homme de bon sens qui se contentera de connaître un seul côté pour former son opinion ? Ce serait tout simplement l’acte d’un insensé.

Et pour lui dire toute la vérité, j’ajoute sans crainte d’être démenti que le public ne trouvant pas les ordres qu’elle donne fondés en fait ou en raison, regarde ses prohibitions avec une complète indifférence. V. G. a frappé dans le vide parceque le public veut des raisons ; et quand on ne lui en donne pas, on a beau parler d’autorité, il n’accepte pas ce qu’il juge être par caprice puisque l’on ne se donne pas la peine d’en montrer la rectitude. Il en est de même quand on tarde trop à la montrer. Ainsi quand V. G. vient faire un si grand crime à la Minerve d’un écrit publié en 1870, écrit dont elle n’avait jamais soufflé mot, comment le public peut-il voir autre chose dans cette tardive réminiscence que le désir de chercher querelle au lieu de définir le vrai ? Si l’article était si coupable, il fallait le condamner de suite. Mais V. G. ne vient demander une rétractation qu’au bout de trois ans et demi ! Elle a donc fermé les yeux sur ce grand mal pendant tout ce temps. Le mal n’était donc pas si grand qu’elle l’affirme, ou bien elle a manqué à son devoir, ou bien encore elle s’est trompée. Qui sait si elle ne se trompe pas encore ?

Pourquoi le public se croirait-il lié par les prohibitions d’un homme qui montre tant de passion et si peu d’appréciation saine des choses ?

L’opinion publique, Mgr , exige de la logique dans les actes comme dans les paroles. Comment d’ailleurs V. G. n’a-t-elle pas vu qu’après être venu elle-même plaider sa cause devant le souverain tribunal de l’opinion, elle n’avait plus le droit de donner des ordres à cette même opinion et de lui défendre d’apprécier un livre qui n’a d’autre objet que de montrer le prix de ses prétentions à dominer le temporel ?

Pourquoi V. G. est-elle venue écrire contre l’Archevêque ? Nécessairement pour montrer au public comment l’Archevêque avait tort et elle-même raison ! Elle est venue dire au public : « Vous ne devez pas, sans m’entendre, croire que je me trompe et que c’est l’Archevêque qui a raison. » Aurait-elle pu dire à ce même public : « Je vous ordonne de croire que c’est moi qui ai raison ? » Non sans doute, car cette seule manière de poser une question eut tourné contre elle l’opinion qu’elle désirait se rendre favorable.

Et de V. G. à moi, il ne s’agit aussi pour le public que d’une simple question de justice. Tout ce que le public demande, le voici : Lequel des deux a raison ? Ceux qui ont lu mon livre en ont trouvé des faits connus de tout le monde relatés avec exactitude ; les autres faits généralement inconnus et dont il faut démontrer l’inexactitude sous peine de les voir accepter comme vrais ; des citations d’auteurs dont on n’a pas encore prouvé la fausseté, et des appréciations d’actes publics qu’il sait découler logiquement de ces actes. Il faut donc maintenant me faire voir où et comment je me trompe. Le dire sans le montrer, c’est battre l’air avec une paille. Si on lui eût démontré des erreurs chez moi, ce public, plutôt préjugé en faveur de S. G. qu’en ma faveur, m’eût avec empressement donné le tort. Le fait est que les neuf dixièmes des lecteurs de mon livre désiraient voir V. G. exonérée de tout blâme et se fussent sentis intérieurement soulagés si on eût montré comment je me trompais, mais quand le public a vu V. G. m’insulter au lieu de raisonner, et défendre la lecture d’un livre qu’elle déclare mauvais et dangereux sans montrer où il est fautif, il s’est tout simplement dit :

« La raison et le droit sont nécessairement avec celui qui discute et raisonne, et appuie ses raisonnements de faits et d’autorités. Ils ne peuvent être avec celui qui admet son impuissance à réfuter le livre qu’il blâme par le seul fait qu’il n’entreprend pas même de prouver les prétendues fausses assertions du livre. Il n’y a pas un bon sens fait tout exprès pour les Évêques et qui diffère du bon sens ordinaire entre laïcs. Que Monseigneur démontre les torts ou les erreurs de M. Dessaulles, et surtout les fausses représentations qu’il lui reproche, et nous nous rangerons de tout cœur contre ce dernier, mais il serait contre le bon sens de le condamner sur le simple ordre de son adversaire de ne pas croire un mot de ce qu’il dit. Un Évêque est obligé comme un autre de prouver sa sincérité et son savoir. Il ne peut pas plus qu’un autre être juge en sa propre cause et déclarer que celui qui lui reproche des fautes a tort sans montrer comment il a tort. Dans ce cas ci, il nous paraît très probable que l’Évêque ne prohibe le livre que parcequ’il n’aime pas à en entreprendre la réfutation. Alors sa défense de le lire est un acte purement arbitraire auquel nous ne sommes pas obligés de nous soumettre. L’Évêque ne peut pas plus décider sans le prouver que M. Dessaulles se trompe qu’il ne pouvait ordonner sans discussion au public de croire que l’Archevêque se trompait et non pas lui. De quel droit, après avoir appelé l’opinion à juger entre lui et l’Archevêque, vient-il dire à cette même opinion : « Je vous commande de croire que M. Dessaulles a dit des choses fausses. » Qu’il nous montre au moins qu’elles sont fausses. Si nous pouvions juger pertinemment la question entre l’Archevêque et lui, de quel droit vient-il nous dire que nous ne devons pas juger celle entre lui et M. Dessaulles et que nous sommes tenus devant Dieu de croire que c’est celui-ci qui ne dit pas la vérité. Nous n’y sommes clairement tenus que si on nous le montre. Si les faits cités par celui-ci sont vrais, il ne se trompe certainement pas. Et un grand nombre de ces faits se sont passés sons nos yeux. Nous sommes donc certains que ceux-là sont vrais. Quant à ceux qui se sont passés ailleurs, la présomption est qu’ils sont correctement relatés à moins que l’on ne montre le contraire. La question se réduit donc à certains points de fait. Que l’Évêque, ou quelqu’autre pour lui, nous montre clairement que M. Dessaulles ne relate pas correctement, les faits qu’il cite, et nous serons certainement contre lui. Que l’on nous montre qu’il nous a trompés, et nous le honnirons comme malhonnête homme ! Mais si l’on ne fait rien de cela, ce n’est pas l’acte arbitraire de nous mettre dans les cas réservés qui nous montre que M. Dessaulles se trompe ou a voulu tromper. Au contraire les injures que l’Évêque lui a dites au lieu et place d’une réfutation sont plutôt de nature à nous impressionner en faveur de celui que l’on insulte avec aussi peu de mesure. Puisque l’Évêque semble craindre une discussion sérieuse, c’est donc qu’il ne pourrait prouver ce qu’il dit, c’est donc lui qui se trompe. Et si c’est lui qui se trompe, il n’a clairement pas le droit de nous mettre dans les cas réservés pour lire un livre dont il est obligé de prouver les mensonges s’il en contient. L’ordre de l’Évêque n’étant donc pas fondé en fait et conséquemment en raison, nous ne sommes pas obligés de le suivre. »

Je serais curieux, Mgr , de voir V. G. indiquer les sophismes raffinés que contient ce résumé de ce qui se dit.

Et comment V. G. peut elle espérer voir accepter ses prohibitions quand elle vient commettre l’étonnante puérilité d’affirmer à la Minerve que si elle n’avait pas annoncé mon pamphlet il ne se serait pas vendu ? V. G. croit elle que la Minerve a publié cette annonce gratis ? Les propriétaires de cette feuille étaient-ils obligés de refuser une annonce payante parceque l’amour propre de V. G. allait se trouver gravement froissé ? Quand un livre n’est ni immoral, ni obscène, ni anti-religieux, mais, seulement anti-clérical, c’est-à-dire opposé à la suprématie politique et sociale du Clergé, un journal est il aussi dans les cas réservés parcequ’il l’annonce dans le cours ordinaire des affaires et reçoit valeur pour cette annonce ? Allons nous donc voir surgir chaque jour de nouvelles prétentions de plus en plus absurdes ? Quoi ! le propre journal de V. G. a annoncé pendant des années des remèdes destinés à propager l’immoralité, et un autre jourmal est coupable s’il annonce un livre où l’on blâme la duplicité et la calomnie au profit de la droiture et de la vérité ! Ah ! Mgr , V. G. a certainement fait fausse route ici, et je crois vraiment que sur cette question on ne donnerait pas plus raison à V. G. à Rome, qu’on ne l’a fait sur les fausses doctrines qu’elle avait cru découvrir chez M.  le Grand Vicaire Raymond. Elle s’est certainement trompée là ! Ses supérieurs le lui ont dit assez vertement puisqu’ils l’ont constaté dans un document destiné à la publicité ; pourquoi donc serait-il impossible qu’elle se trompât un peu à mon égard ? Et si elle s’est trompée, ce qui restera hors de doute tant qu’elle ne m’aura pas fait réfuter, elle n’a certainement pas le droit d’inquiéter la Minerve ni personne autre pour avoir fait une affaire légitime puisqu’elle rentrait dans la sphère du journalisme. Je n’ai pas à défendre la Minerve qui n’a jamais observé à mon égard les plus simples règles de la justice ordinaire, mais je prends toujours les choses telles que je les vois et je ne les juge jamais qu’au point de vue de la justice et du droit, et non d’après l’idée préconçue des injustices que j’ai pu subir. Que V. G. ait raison demain sur quoique ce soit, et elle me verra la soutenir cordialement. Mais avec les dispositions que je lui vois, je crains bien qu’elle ne me fasse attendre longtemps le plaisir de montrer qu’elle peut avoir raison quelquefois.

Maintenant, que l’annonce payée à la Minerve n’ait pas été inutile à la vente du livre, c’est incontestable, mais quant à dire que sans cette annonce il ne se serait pas vendu, cela ressemble fort à la notion de justice du loup qui reprochait à l’agneau de troubler son eau quand il était en aval du courant du ruisseau. Vraiment, Mgr , cette singulière idée a beaucoup prêté à rire, car enfin la Minerve n’est pas le seul moyen de publicité que l’on possède en Canada, qu’il y avait trop de personnes, dans toutes les parties du pays qui attendaient impatiemment quelqu’appréciation de la guerre ecclésiastique dont nous avons été témoins, pour que le livre ne se vendit pas facilement. Et je profite de l’occasion, Mgr , pour informer V. G. que ce n’est pas à mon propre bénéfice que le livre se vend mais à celui de l’Institut. Nous avons ainsi forcé un bien plus grand nombre de parfaits que V. G. ne le pense, à offrir leur obole à l’institution tant détestée. Si nous sommes dans les cas réservés pour avoir mon livre dans nos maisons, nous avons eu le plaisir d’y voir tomber aussi les parfaits qui par vaine et indiscrète curiosité ont acheté de l’Institut un livre défendu par V. G ! On ne rencontre plus que des cas réservés, Mgr , dans les rues de Montréal !

Mais le livre devait se vendre, que la Minerve l’annonçât ou non, pour la simple raison qu’il montre de graves erreurs et de grandes fautes dans un quartier où l’on nous assure un peu trop orgueilleusement qu’il ne s’en trouve jamais. D’ailleurs, Mgr  je compte plus d’amis dans le pays que V. G. ne paraît le croire. Quand un homme dit toujours sa pensée franchement et avec indépendance ; il finit en dépit de toutes les hostilités par obtenir la confiance des hommes sérieux. Il y a un nombre très considérable de personnes sur la surface du pays qui suivent les affaires et les évènements, qui m’ont vu bien souvent injurier dans les feuilles cléricales, mais qui ne m’ont pas encore vu réfuter. Ces personnes ont compris que je ne disais jamais rien sans être sûr de mes avancés et ont fini par avoir confiance en mes paroles. Et la circulaire de V. G. est venue montrer à mes amis, de Vaudreuil à Rimouski, qu’il ne dort pas être très facile de montrer mes fausses citations et mes faux avancés puisqu’elle m’insulte au lieu de les montrer. Avec ses injures et ses prohibitions, et l’intelligente mise en cas réservé de ceux qui auront chez eux un livre que l’on ne réfute pas, V. G. loin de me faire perdre le peu d’influence que m’a donnée la conviction depuis longtemps formée chez mes amis que je n’ai pas d’autre intention que de défendre le vrai et de maintenir les droits de l’intelligence publique contre ceux qui voudraient la mouler à leur gré, a au contraire considérablement augmenté cette influence. J’en ai plus, depuis la circulaire de V. G. que je n’en avais auparavant. Pourquoi ? Parceque je parle en homme sincère et convaincu, ce que V. G. n’a pas fait en me disant tant d’injures. Et comme c’est incontestablement à V. G. que je dois cette augmentation d’influence, je serais ingrat si je ne l’en remerciais pas. Je remercie toujours ceux qui me font du bien ; mais je connais tels ecclésiastiques qui seraient bien en peine d’en dire autant à mon égard, car ils m’ont remercié en cherchant à me déshonorer.

V. G. a donc fait précisément ce que je pouvais désirer qu’elle fît pour faire vendre mon livre, et montrer à mes amis que c’est moi qui dis la vérité. Mes amis comprennent parfaitement, Mgr , que si V. G. pouvait me faire convaincre de mensonge ou de fausses représentations, ce serait pour elle un grand point de gagné et conséquemment un grand bonheur acquis. Et quand ils la voient tomber dans la grosse injure et dans la mesquine tactique de chercher à nuire à un journal pour une annonce qui, suivant elle, a seule fait vendre le livre, qui sans cela fût tombé dans l’oubli, ils n’en sont que plus persuadés qu’elle n’avait rien de sensé à dire. C’est donc V. G. qui a fait ma position dans le public meilleure qu’elle n’a jamais été, et je l’en remercie encore une fois.

Mais, Mgr  la prohibition de V. G. a une signification dont elle ne s’est probablement pas rendu exactement compte. Cette prohibition comporte l’idée plus que singulière qu’il n’est pas permis de citer les crimes des Papes ni même leurs erreurs de conduite ou de jugement. Que devient l’histoire ? Mgr , dans ce beau système ? Je connais des auteurs ecclésiastiques qui se sont posé cette question : « Écrivant l’histoire de l’Église, dois-je dire seulement ce qui est à sa gloire, et suis-je tenu de taire avec soin tout ce qui est à sa honte ? » La question ainsi posée, Mgr  se résout d’elle-même. La vérité doit être dite sans acception de personnes, et le mensonge direct ou par réticence doit être évité. Un écrivain ecclésiastique peut-il plus mentir ou tromper qu’un autre ? Ne serait-ce pas au contraire celui qui est le plus obligé de montrer l’exemple de la sincérité ?

Quelques uns ont affirmé qu’il fallait cacher les crimes des ecclésiastiques ; d’autres l’ont nié. Lesquels sont honnêtes ? V. G. oserait-elle soutenir comme Évêque que le bien de la religion exige que l’on trompe le public en dissimulant les fautes des ecclésiastiques ? Je ne le pense pas, car ce serait dire que le mensonge peut être le moyen de faire resplendir la religion. Ce serait donc une impiété et un blasphème. La vérité prime tout en ce monde parcequ’à proprement parler elle se confond avec la justice. Dire une fausseté en faveur de l’un est nécessairement une injustice contre l’autre.

Eh bien, Mgr , dans mes études, qui remontent déjà à une trentaine d’années et qui ont été faites d’une manière très systématique, quand j’ai vu un auteur ecclésiastique prétendre qu’il est des choses que l’on ne doit pas dire parceque ce sont des prêtres qui les ont faites, je l’ai de suite classé parmi les trompeurs. Et je demande en toute assurance à V. G. quelle autre conclusion je pouvais tirer ?

Quand j’ai vu Eusèbe, Évêque de Césarée, le premier historien important de l’Église, dire dans la préface de son livre qu’il dirait tout ce qui serait à la gloire de l’Église et tairait tout ce qui serait à sa honte, je me suis demandé quelle autorité pouvait avoir comme historien un homme qui commence par m’informer qu’il va défigurer les faits. C’est bien là le mensonge érigé en système. Eh bien, c’est à ce Eusèbe que remonte la tactique ultramontaine du jour : céler ce qui est à la honte du Clergé et grossir sans mesure ce qui est à sa gloire ! Est-ce de la Religion bien entendue ? Est-ce là le devoir de l’historien ? Sera-t-il louable pour dévoiler les crimes des laïcs et louable encore pour changer ceux des ecclésiastiques en vertus ?

Mais le payen Tacite, Mgr , avait une toute autre notion du devoir et de l’honneur ; et son principe était que l’historien ne doit rien oser dire de faux ni rien oser taire de vrai. Est-ce chez l’Évêque Eusèbe ou le payen Tacite que se trouvait la vrai notion de la conscience ?

Et quand je trouve en flagrant délit de falsification les historiens ou les défenseurs de la Cour de Rome à diverses époques, depuis le trompeur Canissius au 16me siècle, qui recevait des lettres de la Ste. Vierge, jusqu’aux trompeurs de Maistre, et Veuillot du 19me ; quand je les vois changer ou tronquer les textes pour y trouver, ce qui n’y est pas, ou faire dire à l’auteur précisément le contraire de ce qu’il a voulu dire ; quand je vois même des Évêques modernes, dont quelques uns pleins de vie aujourd’hui, en faire autant et tromper le monde catholique par de fausses citations, puis-je vraiment croire que V. G. est dans son droit en prohibant un livre où je ne dis que la vérité pour en permettre d’autres où je vois la vérité outragée à chaque page ? V. G. recommandera par exemple l’ouvrage de M. Veuillot intitulé : Le droit du Seigneur ; et pour celui qui l’a étudié, c’est un des plus honteux livres de mensonge qui aient jamais été écrits. M. Veuillot savait bien qu’il ne tromperait aucun homme instruit : mais il était sûr de tromper une immense masse ignorante qui croirait pécher en lisant les réfutations de son livre. Il en est de même ici, Mgr . Les hommes instruits savent bien que V. G. ne commet qu’un acte arbitraire en prohibant un livre où il n’est pas capable d’indiquer une fausse citation ni un faux avancé, mais y a une forte masse non instruite qui croit à ma culpabilité simplement parceque V. G. l’affirme. Il y a tel livre que V. G. recommandera où je montrerai des mensonges audacieux, en les prouvant et non en insultant l’auteur ; il y a tel autre livre où V. G. ne verra aucun mal et dans lequel je montrerai les supercheries les plus révoltantes ; et il y a tel autre livre où V. G. verra des choses horribles et où je prouverai que tout est vrai et qu’il est non seulement permis mais obligatoire de le dire.

Dès que V. G. se met en conflit avec le pouvoir civil, elle provoque fatalement la discussion de ses vues et l’étude de ses projets. Et qu’elle veuille mettre de côté le pouvoir civil dans l’érection des paroisses, on qu’elle veuille avoir seule le contrôle des régîtres de l’état civil, elle ne peut pas espérer que tous les citoyens vont se courber servilement sous ces exigences. Forcément la question de la suprématie ecclésiastique sur le temporel surgit de ses actes. Et il ne sera pas permis à un écrivain laïc de montrer les conséquences qu’a produites ce système dans d’autres pays ! Ce sera insulter l’Église, le Pape, le sacré collège, la sainte curie, et les Évêques et le Clergé local, que de montrer dans quelles terribles erreurs sur ce sujet sont tombés les Évêques et les prêtres de tous les pays ! Le Clergé aura ainsi le droit de faire la nuit sur nous en nous empêchant de parler dans la Législature, d’écrire dans la presse et en nous défendant au confessionnal même de penser ! Et personne ne pourra vendre un livre où l’on dira la vérité au peuple sur sa souveraineté morale et sur l’empiètement ecclésiastique !  ! Mgr , allez plutôt proposer ce système aux nègres de la Caffrérie, je n’y vois pas d’objection quant à ce qui me concerne ; mais que V. G. veuille donc bien ne pas venir nous dire avec aussi peu de sans gêne : « Prenez mon ours, » car nous sommes en pays civilisé. Je suis surpris que V. G. ne paraisse pas s’en douter.

Quand un homme cherche de bonne foi à élucider la vérité, il a droit au respect même s’il se trompe. Et quand il affirme des choses justes appuyées sur des faits indéniables, on n’a pas le droit de mettre en cas réservé ceux qui le lisent. Il y a au moins cent prêtres qui ont mon livre à l’heure qu’il est. Supposons qu’il y en ait quarante dans le Diocèse de Montréal, et il y en a davantage, je ne suppose pas qu’ils le gardent avec l’intention de le réfuter ; d’ailleurs ils ne pourraient le faire sans la permission de V. G. qui les en informe positivement. Sont-ils tous en cas réservé ? Les laïques instruits qui l’ont sont-ils aussi en cas réservé ? Voyons, encore une fois, est-ce que V. G. ne verra pas ce danger de ces déclarations ?

Ceux qui, prêtres ou laïcs, voient clairement que V. G. se trompe dans son appréciation ; ceux qui savent que mes citations et mes affirmations sont correctes ou vraies ; ceux qui savent que les faits que j’ai cités ne peuvent être niés, et que conséquemment V. G. se trompe encore plus sur le fait que dans l’appréciation, ceux-là sont-ils dans les cas réservés pour garder un livre où ils ne voient que du vrai ? La vérité est-elle au-dessus des Évêques, Mgr , oui ou non, et des Papes aussi ?

Eh bien, Mgr , tout ce que je demande aujourd’hui, c’est une discussion loyale avec un prêtre instruit, chacun sous son nom ; et je me fais fort de montrer les prodigieuses falsifications de texte dont nombre d’auteurs recommandés par la Cour de Rome comme seuls dignes de foi se sont rendus coupables. Et j’en tirerai la conclusion qu’un Évêque n’a ni dans sa conscience ni dans sa charge le droit de condamner un livre écrit pour dévoiler ceux qui trompent sous le couvert de la religion. On a toujours le droit de rétablir les textes dans leur intégrité, car c’est indiquer le mensonge au profit de la vérité.

Je proteste donc hautement contre l’acte de V. G. qui est aussi déraisonnable qu’impraticable, car V. G. doit bien se mettre dans l’esprit que sa défense de garder mon livre chez soi ne sera généralement pas observée parce que l’on n’y voit qu’une tentative d’empêcher les gens de s’instruire de la vérité sur certaines personnes, et aussi une petite démonstration de mécontentement personnel qu’il eut été de meilleure tactique de ne pas laisser percer. V. G. se trompe gravement si Elle croit que sans une réfutation sérieuse, — qui naturellement me déconsidérerait, mais je suis parfaitement tranquille là-dessus — l’opinion se rangera avec elle contre moi. Elle ne peut pas un jour en appeler à l’opinion contre un adversaire et le lendemain dicter à cette même opinion ce qu’elle doit penser d’un autre adversaire. Elle ne peut pas un jour reconnaître la souveraineté de l’opinion et essayer d’en faire une esclave le lendemain. V. G. aurait du songer à toutes ces choses avant de publier des prohibitions qui la compromettent seule et qui font naître chez les gens le désir bien naturel de savoir ce que j’ai pu dire de si affreux pour provoquer ainsi la mise en cas réservé de centaines d’individus. Et quand on m’a lu, Mgr , on se demande avec ébahissement si V. G. pense bien tout ce qu’elle dit, si surtout elle avait bien le droit de m’insulter sans essayer un mot de réfutation. Je croyais réellement que la circulaire de V. G. produirait un certain effet, mais je vois que personne ne la prend au sérieux. Avec moi comme avec l’Archevêque V. G. a trop forcé la note et s’est plus blessée elle-même qu’elle ne m’a fait de mal.

Tout ceci explique parfaitement l’indifférence avec laquelle le public reçoit les prohibitions de V. G. On la voit chaque jour agir avec une irréflexion incompréhensible : témoin sa dernière tentative pour surprendre au Protonotaire un Entête irrégulier de régître malgré la leçon qu’elle avait reçue et dont j’ai donné le récit dans la Note B de mon pamphlet. Cette leçon avait pourtant été assez sévère ; eh bien, il en fallait une autre à V. G. et elle l’a reçue ces jours derniers même. Quand un Évêque s’obstine contre la loi, il faut bien que la loi l’emporte.

V. G. voulait donc un régître pour l’Église St. Gabriel dans la paroisse (canonique) de St. Henri des Tanneries. Et cette paroisse n’est pas civilement érigée, ayant été détaché pour les seules fins spirituelles de la paroisse de Montréal, et son érection civile n’ayant pas encore été demandée. C’était précisément un de ces cas que V. G. veut faire la lutte avec le pouvoir civil et elle n’y manqua pas.

V. G. connaissait parfaitement la décision des juges sur sa propre requète datée du 13 Février dernier. Cette décision repoussait la prétention de V. G. à faire reconnaître comme curés les prêtres administrant une paroisse canoniquement détachée d’une autre déjà civilement érigée, mais non encore civilement érigée elle même. V. G. devait donc savoir que le Protonotaire ne pouvait faire autre chose que ce que les juges lui avaient ordonné de faire, eussent-ils tort dans leur interprétation de la loi. Mais personne n’a encore montré qu’ils se soient trompés et personne ne le montrera. Mais que la loi fût contre elle ou non ; que les Juges eussent défini la loi comme ils devaient le faire ou non, V. G. voulait et son régître, et la reconnaissance officielle de la subdivision paroissiale et du titre de curé en faveur de son prêtre desservant. Qu’est-ce que la loi d’un pays pour un ultramontain ? Moins que rien si elle repousse l’éternel empiètement ecclésiastique.

Mais comment tourner la grave difficulté que l’ordre des juges faisait surgir sur son chemin ? Il fallait ruser, et V. G. s’est dit : rusons donc puisqu’on a laissé que cette ressource à l’Église. Malheureusement la ruse prit un tel air de maladresse ; elle étalait si naïvement les longs points blancs dont elle était cousue, que l’on ne pouvait s’étonner que d’une chose, savoir : qu’un homme qui ruse depuis vingt ans pour amener le pouvoir civil à s’effacer devant l’Église, n’eût pas trouvé mieux que cela. V. G. crut donc embarrasser le Protonotaire en faisant imprimer sur la première page du régître en blanc dont elle allait demander l’authentification, la forme l’Entête qu’elle désirait faire adopter par les juges. Ceux-ci l’avaient déclarée de fait illégale en ordonnant au Protonotaire de passer outre à la requête de V. G. mais l’Église ne se tient pas facilement pour battue. Cette persistance acharnée à ne tenir aucun compte de la loi et des tribunaux montre quel danger permanent constitue pour les institutions d’un pays les prétentions d’un corps qui affirme que lui seul ne se trompe pas et doit imposer sa loi aux gouvernements comme aux individus.

L’entête imprimé sur le premier feuillet du régître constatait donc qu’il était présenté par M. X… curé de la paroisse de St. Henri des Tanneries, dûment autorisé par l’Évêque, etc. Il y eut une petite tentative, en déposant le régître pour authentication, de montrer au Protonotaire ce qu’il avait à faire, mais celui-ci pria tout simplement le porteur du régître, le curé et son avocat, de laisser leur livre sans plus de discussion ou de le remporter. On le laissa donc.

Or, Mgr , il fallait être bien osé pour venir, en face d’une décision des juges, essayer de compromettre l’officier de la loi par une formule toute préparée, imprimée sur la première page d’un document public dont chaque page doit être paraphée ; et cela dans l’espoir que le Protonotaire n’oserait pas laisser de côté la page couverte d’une formule irrégulière. Heureusement on avait affaire à un officier public assez indépendant d’esprit pour faire son devoir même en déplaisant à un Évêque. Jamais laïc ne se permettrait de signifier ainsi de fait au banc judiciaire qu’il se moque d’une décision demandée par lui-même, la regarde comme non avenue, et entend agir exactement comme si elle n’eut pas été rendue. Il n’y a que des Évêques gâtés par le pouvoir qui a besoin d’eux qui puissent se permettre pareille outrecuidance. Mais le Protonotaire n’ayant pas, comme certains autres officiers, eu peur de l’influence épiscopale, la loi et la décision des juges furent respectées. Il mit donc sur la seconde page du régître l’Entête que voici :

Ce régître, commençant au feuillet No 2, (le premier ayant été gâté par un imprimé) et se terminant au feuillet 35, nous a été présenté par M. X… prêtre autorisé par S. G. Mgr  l’Évêque de Montréal à faire les baptêmes, mariages et obsèques pour l’Église de St. Henri des Tanneries dans la paroisse de Montréal, a été authentiqué

Voilà tout le résultat qu’obtint la petite ruse de V. G. qui faisait ainsi imprimer à l’avance un Entête pour guider, ou au moins gêner un peu le Protonotaire dans l’exécution de son devoir. Je ne sais pas exactement combien de semaines on a mis à combiner ce terrible moyen d’embarrasser le pouvoir civil, mais il n’avait, comme ou le voit, rien de bien embarrassant. Le Protonotaire déclara tout simplement que le premier feuillet était gâté par un imprimé, et que le régître commençait au 2ème feuillet seulement ; et il dut naturellement parler dans l’Entête qu’il rédigea lui même en harmonie avec la loi, de l’Église de St. Henri des Tanneries comme renfermée dans la paroisse de Montréal, seule civilement érigée, et du curé canonique comme du prêtre autorisé par Mgr  de Montréal à faire les baptêmes, etc., etc. La chose n’était pas absolument impossible à trouver, et l’avocat consultant aurait du la voir. La petite ruse épiscopale n’a donc pu mûrir au soleil de la suprématie ecclésiastique. Le public attend maintenant avec impatience quel nouveau moyen V. G. va adopter pour contrecarrer la loi et le pouvoir civil ; mais tout cela montre à ce même public que V. G. frappant toujours à faux, elle a pu en faire autant en mettant en bloc dans les cas réservés tous ceux qui auront dans leurs maisons un livre où l’on ne montrera pas autre chose que la vérité et le désir de maintenir le vrai. Que V. G. veuille bien accepter mes propositions, et le public verra de quel côté l’embarras sera le plus grand.

Enfin, Mgr , je vais poser une question sous forme pratique à V. G. Si elle n’y répond pas le public sera juge de ses motifs. Il s’agit d’une chose d’une immense importance théorique et pratique.

J’ai pris connaissance, depuis la publication de mon dernier pamphlet, d’une partie des prodigieux détails d’une importante enquête qui s’est tenue à Rome en 1866 contre divers fonctionnaires de la curie romaine, et je veux poser à V. G. la simple question que voici :

Ces détails étant vrais, les catholiques du Canada peuvent ils être mis en cas réservés pour les lire, ou garder chez eux le livre où ils sont exposés ? Comme V. G. les a mis en cas réservés pour garder un livre qu’elle prétend à tort insulter le Pape et les Cardinaux, j’aimerais savoir si la lecture d’une relation de faits vrais les exposerait aux mêmes conséquences. Car enfin, Mgr , les catholiques ne savent réellement plus où ils en sont avec tout ce qu’ils s’entendent dire.

V. G. sait qu’il existe au Vatican un département appelé la Lipsanotica. C’est dans ce bureau que l’on porte tout ce qui a le caractère de sainte relique pour faire décider de leur authenticité. Ainsi quand on trouve des ossements dans les catacombes, sous certaines conditions, ces ossements sont portés à la Lipsanotica et le gardien décide souverainement, d’après les circonstances et les accessoires, si ce sont les os d’un martyr ou d’un saint. Une fois l’authenticité des reliques ainsi établie par le gardien du bureau, on les distribue dans la catholicité en ayant soin d’en obtenir le meilleur prix possible. Il est bien entendu que ce n’est pas la relique elle-même que l’on vend, mais cette relique est mise dans une statue de cire ou dans une niche resplendissante, ou elle est montée en or comme un bijou, et on fait un très beau profit sur le contenant seul, pas le moins du monde sur le contenu. Je ne dirai rien ici des plaintes de quelques prêtres, dans des livres puissamment écrits, sur la faiblesse des données sur lesquelles beaucoup de reliques ont été déclarés authentiques, ni sur les graves méprises que V. G. n’ignore pas avoir eu lieu quelquefois, car cela m’entraînerait trop loin. Je ne le ferai que si j’obtiens la rencontre parlée ou écrite que je demande.

Je vois donc, Mgr , dans un livre très savant que j’ai reçu ces jours derniers, que plusieurs des membres de la sainte curie romaine employés dans le département des reliques, ont été en 1866, accusés de faire en grand le commerce des fausses reliques. Les accusés étaient : le très Rév. Dr  Archangelo Scognamiglio, le gardien de la Lipsanotica ; le père Gaggi, jésuite et official du département ; le frère Benoit, aussi de la société de Jésus ; l’abbé Rembert, prêtre minorite ; le Rév. Bembo Nare, Don Antonio Anselmi et Don Guiseppe Milani, prêtres attachés à la Lipsanotica ; un nommé Norberto Constantine, que rien ne m’indique avoir été prêtre ; puis Guiseppe Colangeli, portier de la Lipsanotica, et deux frères du nom de Campodonico, l’un fabricant de chapelets, et l’autre de niches ou de petites boîtes pour enchâsser les reliques.

L’enquête a montré que ce consciencieux commerce de fausses reliques remontait à 1828. Or comme on était en 1866, il y avait donc trente huit ans au moins qu’il durait. C’est un âge respectable pour un abus. Mais à Rome, il est rare qu’un abus soit jeune. On finit toujours par découvrir qu’il remonte à des années, ou à un temps immémorial. J’en montrerais remontant de génération en génération jusqu’à plusieurs siècles. Et ce ne sont pas les moindres ! Et celui dont je parle ici en est peut-être un !  !

S’il y a beaucoup d’hommes de mérite dans la curie romaine, il y a donc aussi de faux pasteurs qui spéculent sur la crédulité publique. Enfin, l’envers de la nature humaine se voit là comme ailleurs. Mais tout n’y est donc pas souverainement auguste comme V. G. aime à le dire, et il est clair que du Doyen des Cardinaux en descendant jusqu’aux sacristains de chapelle, il y a ça et là bien des caractères indignes.

Il peut être bon d’ajouter que le cardinal Patrizzi, l’Évêque en fonction de Rome puisqu’il est cardinal-vicaire, est à la tête du département des reliques. Il n’a été aucunement impliqué dans la spéculation des fausses reliques, mais il est évident par les seules dates que sa surveillance sur ce département laissait un peu à désirer. Au reste son prédécesseur avait fait comme lui, et aussi le prédécesseur de celui-ci, de manière qu’em fin de compte le département des reliques apparaît s’en être allé tranquillement à la dérive, depuis nombre d’années, à la grâce de Dieu.

Voilà un fait qui a bien sa gravité : des membres de la curie qui s’entendent pour spéculer sur la bonne foi du monde catholique ! Mais entrons dans quelques autres détails.

Je dois dire ici que plusieurs des accusés ont été déclarés innocents, savoir : le père Gaggi qui, d’après le portier Colangeli, apposait les sceaux aux objets expédiés ; les deux prêtres Apselmi et Milani, et les deux frères Campodonico. Le frère Benoit avait été escamoté par ses supérieurs et n’a jamais comparu, ayant été dirigé sur les quatre coins du monde en vertu du vœu d’obéissance. Mais malgré la culpabilité évidente de tous les accusés, on ne voit pas d’autre sentence rendue que celle portée contre le portier Colangeli, dont on est tenté de croire que l’on a voulu le faire bouc émissaire de la religieuse entreprise. Étant laïc et interne, il avait beaucoup moins de chance que les internes ecclésiastiques qui pouvaient tous disposer de diverses influences. Colangeli fut donc condamné à 105 jours de prison au Château St. Ange et à 45 jours dans une prison commune. Mais en entendant cette sentence, son avocat, Signor Ruga, donna une notice d’appel à une juridiction supérieure. Et comme il était de la dernière importance d’éviter le bruit en pareille matière, et qu’avec un deuxième procès il eût été à peu près impossible de soustraire l’affaire à la connaissance du public, dès le lendemain de la sentence, Colangeli reçut un pardon en règle. Quant à ceux qui ne furent pas déclarés innocents, comme ceux que je viens de nommer, il paraît qu’on ne les déclara pas coupable non plus, Colangeli seul, à titre de portier, recevant toute la bordée. Voilà la justice romaine qui na pas pu condamner injustement l’Institut, et qui de fait ne l’a pas condamné, mais a joué adroitement avec la situation et les faits comme dans l’affaire dont je parle ici. Ainsi personne ne fut puni dans une si grave affaire qui intéressait tout le monde catholique, et celui-ci n’entendit pas même souffler mot de la malencontreuse découverte. Combien d’actes odieux de despotisme, d’arbitraire, ou de fraude, ont été ainsi étouffés à Rome, au moyen de cette honnête pratique de tout soustraire à la publicité. On ne déteste rien autant à Rome que le secret chez les autres, mais le secret en tout et l’absence complète de publicité n’en étaient pas moins l’essence de tout le système administratif.

Comment donc l’affaire est-elle venue à la connaissance du public ! Car, par le fait même de la commode procédure secrète de la justice romaine, la chose peut paraître extraordinaire et demander explication. Voici donc comment le tout s’explique.

Depuis que la liberté politique et civile, et la liberté de la presse, existent à Rome, mille choses dont on n’osait souffler mot autrefois sont devenues matière de discussion. Les anciennes victimes de la tyrannie ombrageuse du gouvernement pontifical ont enfin pu raconter les actes incroyables d’arbitraire commis à leur préjudice. Bien des récriminations se sont fait jour, bien des infamies, bien des disparitions subites de personnes se sont dévoilées et expliquées. Bien des gens qui ne savaient pas pourquoi ils étaient en prison ont vu tomber leurs fers le jour de la prise de Rome. De grandes haines, accumulées quelquefois pendant des générations, ont pu enfin se produire en public. De là l’exagération de certaines publications qui dans quelque cas dépassent les bornes, mais dans lesquelles tout est loin d’être faux. Des vérités indéniables ont été dites, et des abominations contre la liberté individuelle ont été constatées par l’absence même de toute explication dans les écrous des prisons, relative à l’emprisonnement de centaines d’accusés. Le voleur savait toujours pourquoi il était en prison ; l’accusé, je dirais mieux le soupçonné politique, jamais.

Nombre de personnes, à Rome, connaissaient bien le fait d’un commerce étendu de fausses reliques, mais comment en souffler mot quand la prison eût été le partage immédiat de l’indiscret ? D’ailleurs si les données paraissaient sûres, les preuves directes manquaient et surtout la possibilité de les obtenir. Quel employé eût osé dénoncer un ecclésiastique ? L’enquête de 1866 perça même un peu dans le public, mais on n’avait que des données vagues, et sous le système de gouvernement ecclésiastique, qui eût osé paraître seulement en chercher l’origine ? Sous ce système, celui qui n’était pas suffisamment discret disparaissait tout-à-coup, était mis au secret, et malheur à celui qui cherchait à pénétrer le mystère. Presque toujours celui qui se hazardait à demander une information à la police allait rejoindre l’autre, car c’était une présomption de complicité, ou même de simple liaison d’amitié. Le mutisme absolu et perpétuel était donc la condition normale de tout le peuple de Rome.

Quand le gouvernement italien entra dans Rome, en violant un traité sans doute, mais un traité qu’il n’avait jamais librement consenti ; la liberté de la presse, et surtout de la parole dans la rue, devinrent de droit commun. Les victimes de l’ancien système purent enfin se faire entendre. On put enfin oser parler des abus du régime tombé sans courir le risque d’être emmuré, ou d’être éteint par la lame d’un spadassin. On se sentait justiciable non plus de tel ou tel ecclésiastique irresponsable, mais de tribunaux réguliers devant lesquels la défense n’était plus une moquerie puisque la procédure secrète était abolie. Un des anciens maltraités du régime papal parla donc un jour d’un certain commerce de fausses reliques qui durait depuis longtemps et qui avait été très profitable à divers individus. De suite les journaux absolutistes, qui savaient comment les murs des anciennes cours romaines gardaient leurs secrets, crièrent à la calomnie, à l’imposture, à l’infamie, et affirmèrent devant Dieu que jamais pareille horreur n’avait eu lieu. Comment osait-on soupçonner les hommes éminents qui étaient à la tête de la Lipsanotica ? Néanmoins, sur le récit de certains détails, on finit par comprendre que quelques personnes en savaient plus long qu’on ne l’eût voulu, et on avoua enfin qu’il y avait bien eu quelque chose, un rien, mais que le portier seul de la Lipsanotica avait été coupable. Quant aux employés du bureau même ils étaient clairement au-dessus du soupçon.

Or ceci ne faisait pas l’affaire du pauvre portier qui eût bien été forcé de se taire sous le régime papal, mais qui, en 1871, avait le droit de se défendre même dans les journaux. Sous l’ancien régime, pas un journal n’eût osé publié sa défense. D’abord la prétention qu’il était le seul coupable n’avait pas le plus gros bon sens. Comment aurait-il pu faire seul ce commerce lucratif et qui avait pris des proportions considérables, pendant trente-huit ans, sans même exciter le soupçon des membres du département ? D’ailleurs on ne l’avait pas accusé « d’avoir contrefait les signatures ni les sceaux ; » donc ce n’était pas lui qui les avait mis. Voyant ainsi le fardeau rejeté sur lui seul, Colangeli publia une longue lettre dans un journal libéral pour démontrer qu’il n’avait pu être le seul coupable, et il donna des détails complètement inconnus jusqu’alors sur toute l’affaire. Mais ce qui atterra complètement les vrais coupables, ceux qui avaient largement profité de la spéculation, fut l’apparition simultanée dans la même feuille, de l’analyse complète du dossier même de l’enquête de 1866. Comment se l’était-on procuré ? C’était un mystère incompréhensible. Mais c’était bien le vrai dossier, avec signatures et sceaux officiels. Ce dossier avait providentiellement trouvé le chemin de la maison de l’un des maltraités du régime papal, et celui-ci n’avait pas manqué de profiter de cette bonne fortune. Le fait est que tout semble démontrer qu’il avait d’abord parlé sur données sûres, ayant probablement ce dossier en main quand il avait lancé l’affaire, pendant que les feuilles religieuses avaient nié avec colère bien persuadées que l’on n’avait rien pour s’appuyer. En un mot elles faisaient à Rome ce que nous les voyons faire chaque jour ici ! nier audacieusement même ce qu’elles savent, quitte à se taire quand la preuve vient. Et il m’est peut-être permis de dire que de plus grands personnages que les journaux en font autant.

L’analyse du dossier fut de suite publiée en pamphlet, traduite en plusieurs langues et répandue en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne. Je n’ai pas encore ce pamphlet entre les mains, mais le livre que j’ai reçu, évidemment écrit par un homme de très grand savoir, en fait de longs extraits. Je puis ajouter qu’un de mes amis a vu le pamphlet même à Rome, où les hommes les mieux posés lui ont affirmé que personne ne doutait de l’authenticité du dossier ni de l’exactitude de l’analyse contenue dans le pamphlet. Et ce qui démontre mieux que quoique ce soit l’authenticité du dossier, ce sont les efforts prodigieux qui ont été faits pour reprendre possession de ce dossier de malheur qui donnait de si terribles armes contre la sainte curie. Il y a de très curieux détails là-dessus que je pourrai donner plus tard au besoin.

Voilà, Mgr , les faits généraux de cette grande affaire, dont j’élague les nombreux détails qui ne sont pas essentiels à la connaissance de l’ensemble. Eh bien, je le demande à V. G : Est-il ou n’est-il pas permis de publier ici, à Montréal, la relation authentique de ce procès fait sous l’autorité du Pape, et qui a été publiée à Rome même il y a deux ans ? V. G. aurait-elle le droit de mettre dans les cas réservés ceux qui liraient cette relation ? Celui qui en publierait une traduction fidèle en Canada serait-il aussi dans les cas réservés ? Car enfin si ces graves révélations sont vraies, — et il n’y a vraiment pas moyen d’en douter — comment peut-on espérer corriger les abus si leurs auteurs sont toujours couverts ou exonérés pour la seule raison qu’il faut cacher le prêtre ? Celui-ci aurait-il donc le droit de changer la vérité en mensonge ?

Et quand l’abus dont je parle est constaté, par une enquête faite sous l’autorité du Pape lui-même, avoir duré au moins trente-huit ans ; et qu’il est constaté de plus que personne n’a été puni pour une aussi grave supercherie ; est-ce insulter la curie romaine que de prétendre que le secret dont on s’entourait en toutes choses à Rome était déjà un grave abus ; que la publicité et l’appel à l’opinion publique sont vraiment les seuls moyens d’arriver à la correction des abus, et que les membres de la dite curie ne valent pas du tout mieux, tout prêtres qu’ils sont, que les employés des autres gouvernements ?

V. G. a-t-elle le droit d’exiger ici un silence absolu sur ces choses ? Voilà ce que je désire savoir. A-t-elle le droit de défendre sous peine d’excommunication la lecture des ouvrages où elles sont exposées ? Et je ne parle pas de cette affaire, Mgr , par un sentiment d’hostilité préconçue et aveugle, mais je veux simplement rappeler à un Clergé dominateur qui nous vilipende à tout instant dans presque toutes ses chaires, qu’il est loin d’être sans reproche et qu’il a autre chose que des pailles dans son œil.

Maintenant si V. G. osait dire que je n’ai pas catholiquement droit de dévoiler à ceux qui l’ignorent un aussi grave abus — que je démontrerais facilement avoir existé à Rome depuis des siècles — je mettrais en regard de sa prétention l’extrait suivant d’un historien ecclésiastique, prêtre profondément convaincu et d’une droiture de conscience et d’esprit à toute épreuve. Il dit donc, après avoir parlé des nombreux abus de la Cour de Rome :

« Il est sans doute profondément triste de dévoiler ces choses. Il est navrant de faire parvenir à la postérité le récit de tant d’horribles scandales. Mais l’historien a-t-il le droit de les supprimer ? Il aurait donc le droit de tromper ! Pouvais-je me donner une mission et ne pas la remplir honnêtement ? Serait-ce parcequ’il s’agit des fautes de ceux qui doivent aux autres le bon exemple en tout qu’il faut déguiser la vérité ? Mais quel espoir restera-t-il de faire refleurir la vertu et l’esprit apostolique au sein du sacerdoce, si ses fautes ou ses crimes doivent toujours rester secrets ou impunis ? Je n’ai donc pas cherché à déguiser la vérité, quelque pénible qu’elle fût, parcequ’aucun homme n’a dans sa conscience le droit de le faire, et que ce serait nuire à la religion et non pas la servir, que de la soutenir par le déguisement et le mensonge. »

Voilà un homme, Mgr , qui a dit des papes de bien pires choses que tout ce qui est sorti de ma plume à leur sujet, et jamais on ne l’a mis dans les cas réservés pour avoir dit la vérité. Il faut venir en Canada pour voir ainsi comprendre et appliquer la religion. Et pourtant, Mgr , quel est vraiment le prêtre sincère et respectable ? Celui qui ne veut fausser la vérité pour aucune considération, ou celui qui n’en tient nul compte parcequ’il lui faudrait constater les torts ou les fautes des ecclésiastiques ? Est-ce que l’écrivain peut modifier à son caprice les faits de l’histoire pour plaire à telle ou telle susceptibilité ? L’historien doit-il avoir moins de conscience que le confesseur ? Que dirait-on d’un confesseur, par exemple, qui excuserait chez ses amis politiques la corruption et l’achat des consciences pour les punir du refus de l’absolution chez ses adversaires ? Ce serait tout simplement infâme !

Eh bien, l’histoire est, à proprement parler, autant la confession des fautes nationales ou de celles des hommes d’état que le récit des gloires publiques ou des mérites individuels. L’historien est le confesseur de l’humanité comme le prêtre celui de l’individu. Il a donc une mission de justice et de moralité à remplir. Fausser l’histoire est un aussi grand crime que fausser la confession. L’historien peut-il remplir sa mission en faussant la vérité ? Il se déshonore, voilà tout ! Si le confesseur n’a pas le droit d’excuser le vice, comment l’historien aurait-il celui d’excuser le crime ? Si le confesseur n’a pas le droit de pardonner à l’un ce qu’il condamne chez l’autre, comment l’historien aurait-il celui de justifier chez l’ecclésiastique ce qu’il flétrit chez le laïc ? Si la vérité n’est pas la règle inflexible de l’historien comme le devoir la règle indiscutable du confesseur, l’histoire, n’est plus qu’une duperie et la confession un mensonge à Dieu.

L’histoire est la justice appliquée au passé. Or la justice ne mérite ce nom que quand elle a un bandeau sur les yeux et flétrit tout ce qui est mal sans acception de personnes ou de systèmes.

J’ai donc pleinement le droit, quand V. G. vient prétendre que j’insulte le Pape et la curie romaine en arguant des abus du système ecclésiastique pour combattre l’esprit de domination du Clergé, de lui répondre que c’est elle-même qui blesse la conscience et le devoir en me défendant de dire des choses vraies ou en excommuniant les autres pour lire les vérités que j’ai dites. Un Évêque n’a pas le droit de prohiber le récit de la vérité. S’il le fait en connaissance de cause, il est coupable de prévarication et s’il le fait parcequ’il manque d’étude et de lumières, il devrait céder sa place à un autre plus compétent.

— Mais pourquoi dire ces choses là où elles sont inconnues ?

— D’abord parcequ’elles sont vraies, et que la vérité finit toujours par se faire sa place, que ce soit par moi ou par un autre. En second lieu parceque V. G. veut faire la nuit autour d’elle, et que je juge de mon devoir de mettre sur ses gardes une population confiante et sincère qui ne voit pas assez où on la mène ! En troisième lieu, parceque le Clergé ne veut pas admettre qu’il fasse des fautes, et s’attribue le droit de défendre la lecture des livres où elles sont dévoilées. Vous traitez toujours les autres comme si vous étiez impeccables ! Il faut donc montrer que vous ne l’êtes pas. Ce sont vos seules arrogances qui nous forcent de vous rappeler ce que vous êtes ! Enfin parceque V. G. me reproche avec aigreur et passion de tromper les autres quand elle ne peut pas ignorer que j’avais été particulièrement modéré dans mon récit des abus de la Cour de Rome, et que je n’avais pas dit le quart de ce que je puis prouver par des auteurs ecclésiastiques.

V. G. veut inculquer parmi nous l’idée de l’impeccabilité du Clergé de Rome surtout, duquel nous devons recevoir toute vérité même temporelle ; et cette prétention comporte trop de dangers pour l’avenir et les libertés du pays pour qu’elle soit tranquillement acceptée par ceux qui peuvent se rendre compte de ses conséquences inévitables. Vous voulez non seulement tout envahir, mais que nous vous en remercions à genoux par dessus le marché ! La prétention est par trop exorbitante !

V. G. a commencé, sans songer un instant jusqu’où elle pourrait la conduire, une guerre acharnée contre nous. Elle a eu le beau rôle pendant longtemps, c’est à-dire que le public lui donnait raison par pure habitude de confiance ; mais voilà que les choses changent de face et que le public commence à comprendre le danger de ne jamais rien examiner. Elle paraît avoir eu la bonhomie de croire que nous nous laisserions toujours vilipender devant le public, traiter de rebelles, d’impies, de blasphémateurs, d’ennemis de la religion et de la vérité, et mille autres insultes, sans jamais riposter et montrer un peu le défaut de la cuirasse chez ceux qui parlent si bien charité pour ne lancer qu’anathèmes. Quand on veut sabrer ainsi à droite et à gauche, Mgr , il faut être non-seulement irréprochable, mais être sûr aussi d’avoir le dessus dans la discussion. Or V. G. peut voir aujourd’hui où l’a conduite son imprévoyante tactique. Elle est incapable de montrer mes prétendues faussetés, et c’est moi au contraire qui puis prouver sans réplique possible que la sincérité n’est pas chez elle, et qu’elle a dit des choses qu’elle ne pouvait croire vraies. Et maintenant qu’elle est sortie du domaine des lettres pastorales pour entrer dans celui du journalisme, elle doit comprendre qu’elle s’est par là même soumise aux mêmes responsabilités que nous. Elle n’a pas, comme Évêque, le droit de dire dans un journal que je trompe les autres, sans montrer de quelle manière je les trompe. Et si elle refuse directement ou tacitement, de montrer comment et en quoi je trompe, elle me donne le droit de lui dire que ce n’est pas moi mais elle-même qui trompe ceux auxquels elle s’adresse. Si elle ne me réfute pas, c’est à moi qu’elle donne le beau rôle devant le public.

Non ! Mgr , on ne commet jamais impunément certaines erreurs. Tôt ou tard on est fatalement dominé par elles. Celui qui n’a jamais voulu écouter personne, ni accepter un conseil, produit à la longue l’isolement moral autour de lui. Plus on s’imagine dominer et régir l’opinion, plus on se prépare un verdict hostile de sa part. Il y a quelqu’un qui possède et possédera toujours plus d’intelligence, de lumières et de bon sens pratique, que tous les rois, ministres, Évêques ou Papes ; et ce quelqu’un c’est tout le monde !

C’est là qu’est la vraie souveraineté morale et elle ne saurait être que là puisque Dieu est nécessairement présent dans l’humanité qu’il a créée perfectible en l’illuminant d’une parcelle de sa propre raison, et à laquelle il se révèle constamment dans la suite des âges par les génies supérieurs qu’il fait de temps à autre surgir dans son sein. Ce sont les grands esprits de tous les temps et de tous les pays qui ont peu à peu défini les vérités qui éclairent aujourd’hui la conscience de l’humanité, qui les ont dégagées de la somme d’erreurs qui les empêchait ici ou là de resplendir comme l’inspiration de Dieu. Et ce qui prouve que c’est bien la conscience de l’humanité qui est la vraie souveraine du monde, c’est que le Pape lui-même lui fait appel à chaque instant. À qui s’adressent toutes ses protestations sinon à l’opinion publique, la vraie reine du monde ?

Je crois en avoir dit assez, Mgr , pour faire voir à ceux qui jugent les questions sur leur propre mérite, et non sur les accessoires au moyen desquels les dominateurs de la pensée humaine cherchent à les obscurcir, qu’entre V. G. et moi, les faits sont contre Elle ainsi que toutes déductions logiques que l’on en peut tirer. Donc le droit ne peut être avec elle, ni le devoir, ni la saine raison, ni la religion bien entendue, ni la justice, ni la vérité ni la conscience.

Que V. G. veuille bien accepter mon défi et nous verrons.

J’ai l’honneur d’être,
Monseigneur,
Votre bien dévoué serviteur,
L. A. Dessaulles.



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  1. Lemos était un controversiste du 16ème siècle qui, ayant une voix d’un volume prodigieux, couvrait complètement celle de ses antagonistes et les réduisait ainsi au silence. Mais cette manière de procéder l’empêchait de faire beaucoup de prosélytes.