Résignons-nous

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Poésies complètes (1850-1893)
E. Dentu, éditeur (p. 277-278).




VI



RÉSIGNONS-NOUS





Cest la saison des avalanches ;
Le bois est noir, le ciel est gris,
Les corbeaux dans les plaines blanches,
Par milliers, volent à grands cris :
— Mais, bientôt, de tièdes haleines
Descendront du ciel moins jaloux,
Avril consolera les plaines…
Résignons-nous.

C’est l’orage ! Les eaux flamboient
Et se heurtent comme des blocs,
Les dogues de l’abîme aboient
Et hurlent en mordant les rocs ;

— Mais, demain, tous ces flots rebelles
Se changeront, unis et doux,
En miroirs pour les hirondelles…
Résignons-nous.

C’est l’âge où l’homme nie et doute :
Soleils couchés et rêves morts !
A chaque tournant de la route
Ou des regrets ou des remords !
— Mais, bientôt, viendra la vieillesse
Élevant sur nos fronts à tous
La lampe d’or de la sagesse…
Résignons-nous.

Ceux qu’on aima sont dans les tombes,
Les yeux adorés sont éteints,
Dieu rappelle à lui nos colombes
Pour réjouir des cieux lointains…
— Mais bientôt, d’une âme ravie,
Seigneur ! pour les rejoindre en vous,
Nous nous enfuirons de la vie…
Résignons-nous.


Décembre 1856.