Révolutions de la quinzaine - 31 octobre 1831

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RÉVOLUTIONS DE LA QUINZAINE.

Voici une quinzaine qui n’aura eu que huit jours. N’importe. Les révolutions ne manquent pas. Nous avons des histoires bien étranges à notre lever de chaque matin ; chaque jour c’est quelque chose de vieux qui tombe, c’est une rêverie qui s’achève ; ce sont des cris dans le désert, si bien que la politique a rassasié toutes les âmes ; on n’en veut déjà plus. Un peu de répit, de grâce ! laissez-nous un instant de repos ! Peuple en révolution que nous sommes, nous ne demandons pas mieux que d’aller à l’Opéra, que d’ouvrir nos lieux de réunion et de fêtes ; à bas les armes ! peuple ! nous ne nous battrons pas encore cette fois, nous nous sommes bien assez battus.

Ainsi donc toutes les pensées sont à la paix, toutes les volontés à la paix ; la Hollande elle-même, belliqueux royaume, a prolongé la trève, grâce aux volontés énergiquement exprimées de l’Angleterre et de la France. Voilà toute la politique du jour. On ne veut plus de politique ; la chambre des pairs elle-même ne trouve plus d’attention ; si elle ne veut pas de la loi qui la tue, on l’augmentera jusqu’à ce qu’elle soit assez forte pour se suicider de ses propres mains. Éveillez-donc les passions politiques après cela !

Surtout en France, en France, où le système de l’égalité populaire a été mis à de si rudes épreuves ; en France, pays occupé, positif, qui veut vivre libre, mais qui veut vivre avant tout ; dans cette France monarchique qui a en horreur la vie de forum, la vie de paroles en l’air, la vie d’expériences politiques, royaume heureux qui veut être heureux à tout prix, qui est fatigué de bruits, de clameurs, d’utopies, de grands hommes, de nouveautés, de catégories et de révolutions.

Donc le moment est venu où nous aurons à parler beaucoup d’art et de poésie, à faire et à défaire des réputations, à proclamer des noms inconnus, à lire des livres nouveaux, à voir des drames, à être heureux enfin quand nous aurons été assez politiques à notre gré.

Le grand fait de la semaine s’est passé en Grèce, cette Grèce dont on a tant parlé, dont on parle si peu ; royaume sauvé à moitié, qui d’une barbarie est tombé dans une autre, qui a changé de joug, qui va du Turc au Russe, qui vient d’être témoin de l’assassinat d’un grand citoyen. Capo d’Istria a été assassiné en allant à la messe. Il est tombé sous le poignard d’un Grec, cet homme qui avait consacré sa vie à la liberté grecque, cet homme dont la voix avait retenti dans toutes les cours de l’Europe ; et au sujet de cette mort si honteuse pour la Grèce, on a renouvelé les grandes discussions d’autrefois, à savoir si Brutus avait bien fait de tuer César.

On a développé très-au long les doctrines de l’assassinat et du non assassinat.

Dans le Journal des Débats, M. Eynard, l’ami du mort, ami de la Grèce aussi, a déploré l’assassinat de Capo d’Istria. Il a pleuré cet homme austère et d’une probité sans égale, cet homme espoir de la Grèce ; il a voué à l’exécration l’assassin du président. La lettre de M. Eynard a été lue, elle paraissait à l’abri de toute réponse, mais un Grec répond à la lettre de M. Eynard.

Voilà donc une voix qui s’élève sur la tombe du mort, à peine fermée, pour accuser sa mémoire, et notez bien que l’accusation est fort grave. Capo-d’Istria, dit cet homme, avait aboli le régime municipal, que les Turcs eux-mêmes avaient respecté ; il a confisqué toutes les constitutions à son profit, il a concentré en ses propres mains tous les pouvoirs, il a institué des tribunaux composés de juges amovibles, il a supprimé la liberté de la presse, il a violé le secret des lettres, il a dressé des listes de proscription, il a calomnié la vieille patrie, il a calomnié la jeunesse dans les cours étrangères, il a dilapidé les finances pour enrichir sa famille : à entendre le correspondant, Capo-d’Istria vendait la Grèce aux Russes ; c’était un traître digne de toute la rigueur des lois.

Pauvre gloire humaine ! Que deviennent ces grands renoms de liberté ? L’assassinat a creusé presque toutes les tombes de ces hommes à part, que la liberté couronne de leur vivant, que la liberté déterre après leur mort. Quant à la postérité, elle passe d’ordinaire indifférente sur la tombe du mort, que cette tombe soit creusée par le poignard de l’assassin ou par le fer de l’échafaud.

Nous disons juste, il n’y a que l’art dans le monde. Tout le reste, c’est une ombre. La Pologne se révolte, le monde applaudit : que reste-t-il, pourtant, de l’héroïsme polonais et de l’admiration de l’Europe ? Des cendres fumantes, un vain cri dans l’espace. Puis, après ce cri, sur ces cendres, rien qui réponde. Empires, révolutions, royauté, villes qui tombent, armées qui se dressent, orateurs qui éclatent, tout cela glisse en silence, sans laisser une trace, sans écho ! Encore une fois, il n’y a que l’art qui mérite toute notre attention ; il nous donne les émotions durables, les larmes véritables, les terreurs réelles, les joies naïves, il nous anime, il nous fait vivre, il nous fait rêver ; avec l’art, nous nous sentons des hommes. La poésie, le drame, la peinture, le roman, la musique, les sons éclatans de l’orchestre ; puis l’art bourgeois, les petits détails de la vie, le minutieux bonheur d’intérieur, le bien-être quand il fait nuit, quand on a un bon feu, quand on n’est pas juré aux assises, garde national à la mairie, propriétaire dans la Vendée ou préfet à Strasbourg ; c’est toujours à ces délassemens de l’imagination et de la pensée que nous serons obligés de revenir.

Le dégoût politique va si loin, que nous préférerions même les assises à la chambre des députés. On parle d’un grand crime à Versailles. Un jeune homme qui tue son ami. Il le tue dans une auberge avec d’épouvantables détails. Le meurtrier s’enfuit. Le cadavre du mort est porté à la Morgue ; à la Morgue, on le reconnaît : voilà le meurtrier découvert ! L’homme arrêté, on va de crimes en crimes, d’horreurs en horreurs ; on arrive jusqu’à la mère du meurtrier : alors surviennent de graves soupçons de parricide. Cette mère, en effet, a été égorgée la nuit ; on lui a coupé la jugulaire, et depuis on n’a pas découvert le meurtrier ! Ce sera là un beau procès, de longues et sanglantes complications, un vif intérêt. Ce crime arrive tout exprès à l’appui de la brochure de M. l’avocat Urtis : Défense de la peine de mort.

Où donc est-il le beau temps où toute la France avait pour événement unique, pour émotion unique, l’assassinat de Fualdès ?

En attendant, le procès de la semaine est curieux et plein de faits étranges. Les plus grands noms politiques de l’époque ont retenti dans les assises. Il s’agissait du procès de la Tribune, qui, à propos des achats de fusils à l’étranger, avait, sous forme d’interrogatoire, accusé de concussion le maréchal Soult et M. le président du conseil. M. le maréchal et M. Perrier font un procès en calomnie. Les débats sont longs, les témoins abondent, personne ne se rappelle ni les mots qu’il a dits, ni les lettres qu’il a reçues, ni celles qu’il a écrites ; M. Gisquet, notre préfet de police actuel, vient à la barre raconter l’histoire de ces malheureux fusils. Les fusils de Beaumarchais n’ont pas fait plus de bruit dans leur temps. Ce procès est malheureux pour plusieurs raisons. Il est dur pour la France de payer trop cher trois cent mille fusils étrangers. Un fusil anglais fabriqué pour la traite des nègres est lourd à porter au bras d’un honnête garde national qui fait sa faction. Il est fâcheux d’avoir été acheter si loin et si cher à Londres de très-innocens fusils dont nous n’avons pas peur, tandis qu’il y avait en Vendée, si près de nous, d’excellens fusils à très-bon marché, fort dangereux et fort cruels. Il est fâcheux de savoir nos manufactures ruinées, nos magasins pleins de bois de fusils tous préparés, St.-Étienne manquant d’ouvrage, et de tendre les mains aux dédaigneuses fabriques de Birmingham. Il est fâcheux de voir un marché de tant de millions si imprudemment accepté, si facilement résilié ; tantôt, c’est le gouvernement qui achète ; tantôt, c’est M. Gisquet qui achète pour revendre très-cher au gouvernement ; enfin, il est fâcheux, et très-fâcheux, que tant de propositions particulières, et beaucoup moins onéreuses, aient été rejetées avec dédain ; la concurrence, dans ces cas-là, est un devoir, même quand elle frapperait M. Gisquet. Il faut que la porte soit ouverte à tous ; n’est-ce pas chose déplorable de savoir trois cent mille hommes français armés d’un méchant fusil anglais par les soins uniques de M. Gisquet !

Le rédacteur de la Tribune a été condamné à six mois de prison, trois mille francs d’amende, et à vingt-cinq francs de dommages-intérêts envers les parties plaignantes. Nous retrouverons les fusils Gisquet à la chambre des députés avant peu.

La semaine a été bariolée d’une demi-douzaine de vaudevilles, drames, mélodrames et autres ingénieuses productions ; elles font honneur à l’esprit français. Aux Variétés, Lantara se grise avec Dorvigny. Au Palais-Royal, mademoiselle Déjazet joue la gaudriole ; au Gymnase, mademoiselle Fay s’empoisonne, trompée par son époux ; au théâtre de la Gaîté, les Corses se battent, se fusillent et se regardent d’un œil de feu toujours prêts à se dévorer ; à l’Ambigu, les auteurs ont mené l’héroïne de leur drame dans un mauvais lieu fort peu décent à voir ; voilà toute la semaine dramatique. Quant à la semaine littéraire, le livre de Ladvocat a paru ; c’est tout. Mais on annonce un nouveau volume de poésies de M. Victor Hugo, un autre de M. Barbier.

Hélas ! hélas ! tout ceci, Pologne, Belgique, Hollande, paix ou guerre, Capo d’Istria, fusils, marchés, pots de vin, vaudevilles et mélodrames, et M. Gisquet, et même le livre de Ladvocat, tout cela, aujourd’hui ou demain, huit jours, finira par se résumer dans ce mot si triste qui a tant fait rire à la chambre : De profundis.


Revue des Deux-Mondes.
Les Matinées suisses, par Henri Zsckokke, 4 vol. in-12. Paris, Cherbuliez, libraire, rue de Seine, no 57

Nous avons sous les yeux cinq nouvelles matinées de Henri Zschokke. Il y a du bon, il y a des choses communes ; voyons :

À propos de la fondation du Maryland, il y avait une belle page à faire sur la religion chrétienne. Il eût été beau de décrire les efforts de lord Baltimore, qui a si bien compris le Christ, et qui, persécuté par Charles Ier, a jeté sur la terre de Virginie les bases d’un gouvernement régi par les lois de l’Évangile, qui pourrait bien servir de loi à des gouvernemens établis et à établir. Or, dans la fable de Henri Zschokke, rien de profond, rien de philosophique. Raynal a écrit là-dessus quelques pages ; lisez Raynal et comparez.

Dans le Voyage du Philhélène (l’amoureux obligé, indispensable, des femmes qui s’appellent Hélène), j’ai trouvé de l’esprit, mais une gaîté un peu gênée, parfois du comique et de l’observation. C’est une scène, en effet, assez singulière, que le dîner de Trieste : Franz (le héros) près de ses trois Hélènes, obligé envers les deux premières à quelques égards, comme étant leur ancien amant ; forcé pourtant d’observer certaines réserves à cause de leurs maris, présens au repas, et enfin réduit à beaucoup de circonspection maritale devant sa troisième et dernière Hélène, l’Hélène légitime, Hélène son épouse

Le Millionnaire est une histoire assez commune. Un jeune homme riche et amoureux ; un père avare qui a une fille charmante ; puis, le jeune homme bientôt ruiné et toujours amoureux, et le père refusant la fille qu’il avait promise d’abord. C’est partout, excepté, cependant, la constance du jeune homme, qui, à force de peine, regagne sa fortune et se représente, toujours amoureux et aimé.

Vive l’Apologie du Nez ! C’est un article amusant. L’importance de ce personnage est fort comique. Vous croyez rire ; eh bien ! le nez est une invention chef-d’œuvre. « Il en est du nez, dit Zschokke, comme de ces bonnes gens fort utiles dans ce monde, dont on ne parle pas tant qu’ils sont là, et dont on ne peut faire assez d’éloges quand ils ne sont plus. »

Dans les familles, le nez joue un très-grand rôle ; car le nez, c’est une généalogie vivante. Voyez plutôt les portraits de vos aïeux ; c’est le point de ressemblance le plus frappant. Ce serait la pierre d’achoppement des discussions d’héritage, et pour les maris incrédules, ce serait une preuve qu’ils ne sont pas ce qu’ils croient être. Pour la morale, le nez étant un obstacle, un rempart, contre les baisers des jeunes gens, c’est une sauve-garde pour la vertu des jeunes filles. Par le tabac, le nez est une source de liaisons, étant un commencement d’hospitalité. C’est aussi une source de bénédictions : éternuez… « Dieu vous bénisse. » Il y a un pays, en Asie, où, quand le roi éternue, cette action de grâce se prolonge de bouche en bouche jusqu’aux frontières de son état. Et pour l’ivrogne, donc ! le nez, quel reproche ! Couvert de rubis, ne semble-t-il pas lui dire : « Regarde, ivrogne, j’en rougis de honte pour toi ! ».

Tout cela est gai et spirituellement raconté.

Enfin, nous arrivons à Hans-Dampf, et je remercie les traducteurs de Henri Zschokke, car je retrouve bien dans ce conte l’originalité allemande. C’est de la politique de juste-milieu mise en gaîté ; c’est, si j’ose parler ainsi, de la plaisanterie sérieuse, et de la plaisanterie de bon aloi. Combien de nos sauveurs politiques d’hier, et de nos Cagnards d’aujourd’hui, retrouveront leurs portraits dans Hans-Dampf ! J’en recommande donc la lecture à ces grands faiseurs de grands riens, et, en particulier, à nos arrangeurs d’émeutes.


A. L.


Mélanges catholiques, extraits de l’Avenir, publiés par l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse ; 2 vol. in-8o, prix : 7 fr., et 9 fr. par la poste les deux volumes. Aux bureaux de l’Agence, à Paris, rue Saint-Germain-des-Prés, no 10 bis.

Cet ouvrage est un recueil des principaux articles de l’Avenir, publiés depuis un an. Chaque article est signé par son auteur.