Rêve royal (Guaita)

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Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 201-203).


Rêve royal


À André Tulpain.


Un soir d’été, Louis, quatorzième du nom,
Par la grâce de Dieu, roi de France — chaînon
Éclatant et massif en la chaîne ancienne
Des princes très chrétiens de la Gaule chrétienne —
Louis-le-Grand rêvait : Son regard anxieux
Errait — voguant comme un navire, dans les cieux. —
D’émoi surnaturel frissonnant jusqu’aux moëlles,
Il voyait resplendir, en place des étoiles,
Des lys d’or, usurpant leur splendeur, (comme si,
Respectueux vassal se rendant à merci,

Le sombre azur nocturne arborait la livrée
Royale — et que Louis eût conquis l’Empyrée.)
Rêve de gloire éclos dans le ciel bleu foncé !
En caractères d’or Rêve là-haut tracé !…
— Tel, aux abois des chiens, un chevreuil s’effarouche,
Le roi tremblait, pourtant !…
Le souffle d’une bouche
Invisible courut, froid, par le firmament,
Où pâlirent les fleurs de lys soudainement,
Comme on voit vaciller, vers la fin des orgies,
(Quand passe un courant d’air,) la flamme des bougies.
Puis les corolles d’or, une à une tombant,
Firent chacune au ciel son sillage flambant,
Et neigèrent, durant des heures, dans l’abîme :
Et l’espace s’emplit d’un silence sublime.
Le ciel devint lugubre ainsi qu’un souterrain,
Et ténébreux comme un caveau. — Le Souverain,
Crispant à ses cheveux hérissés ses doigts roides,

Sentit, le long des mains, suer des gouttes froides :
Dans le mystère et dans l'horreur pétrifié,
Il s’affaissa : hagard, blême, terrifié.

Et puis, il plut du sang. — Et puis, comme une aurore,
Dans l’ombre, un gigantesque arc-en-ciel tricolore
Se dessina, blanc, rouge et bleu cuivreux. — Le roi,
Écarquillant des yeux révulsés par l’effroi,
Vit un aigle voler, sinistre oiseau rapace,
Et planer en criant au milieu de l’espace ;
À ses serres d’airain pendait un écusson :
Louis-le-Grand sentit se répandre un frisson,
— Torrent glacé le long de sa chair glaciale :

Ce n’était point l’écu de la race royale !


Octobre 1883.