Rêveries d’après guerre sur des thèmes anciens/02

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Rêveries d’après guerre sur des thèmes anciens
Revue des Deux Mondes6e période, tome 39 (p. 359-390).
RÊVERIES D’APRÈS GUERRE
SUR
DES THÈMES ANCIENS

II[1]
LA DOUCEUR DE VIVRE

Au nombre des élémens dont se constituait l’agrément de la vie d’autrefois, outre la simplicité, comptait assurément la politesse ; non point celle qui consiste en la connaissance et la pratique des usages mondains et qui n’est point du tout méprisable, puisqu’un philosophe considérait cette science des « belles manières » comme « indispensable au bonheur et à la vertu des hommes. » Nos pères la possédaient à fond, et nous n’avons rien à leur envier sur ce point, encore qu’ils fussent plus ombrageux que nous et y apportassent des raffinemens qui nous paraîtraient aujourd’hui excessifs. Dans les salons les plus libres de la fin du XVIIIe siècle, tels que celui du château de Hautefontaine dont Mme de la Tour du Pin et Mme de Boigne nous font un si étonnant tableau, le dérèglement des mœurs se dissimulait sous une apparence de suprême réserve ; jamais, par exemple, un homme ne se serait assis sur un même sofa à côté d’une personne de l’autre sexe, fùt-elle sa mère ou sa sœur, et celui « qui aurait posé sa main sur le dossier d’un fauteuil occupé par une femme aurait paru grossièrement insolent [2]. » On n’est plus, de nos jours, discrédité pour si peu, et ce sont là délicatesses abolies.

Mais, en dehors de ces bonnes façons qui s’apprennent vite dans les fréquentations élégantes, on trouvait, jadis, répandue par tout le pays et dans toutes les classes, une politesse bien autrement précieuse en ce qu’elle venait du cœur et marquait, outre un désir de plaire poussé jusqu’à la coquetterie, une sorte de besoin inné de dévouement, un altruisme, un don de soi-même joyeusement offert et spontanément exprimé. Tous les Français étaient affables, et cela si naturellement qu’ils ne s’en doutaient pas, tant cette délicieuse qualité s’harmonisait alors avec leur caractère et résultait, pour ainsi dire, de l’équilibre de la nation. Aussi n’est-ce que dans les relations des voyageurs venus de l’étranger qu’on peut rencontrer mention de cette courtoisie charmante qui nous distinguait, et bien à notre insu, de tous les autres peuples. Il en est une, écrite par un Allemand, accouru chez nous dès les premiers troubles de la Révolution, dans sa hâte de juger les coups et de respirer l’air enivrant de la liberté. C’est un certain Campe, originaire, je crois, de Brunswick ; dès son entrée sur notre territoire, il est dans l’extase ; les postillons sont prévenans, de belle humeur, honnêtes, polis et probes ; jamais la moindre plainte, la plus légère dispute. Aux relais. Campe ne voit que des gens rieurs, courtois et empressés ; à la poste de Cuvilly, entre Roye et Senlis, il est hébergé dans une maison « semblable à un petit palais » par une famille « aimable et distinguée. » Il lui advient même là une petite aventure dont il demeure quelque temps penaud : le cabriolet est resté, dételé, sur la route ; personne ne le surveille, et Campe s’inquiète de laisser son portemanteau dans cette voiture abandonnée. L’aubergiste auquel il confie ses craintes le prie d’examiner les portes de sa maison et de sa cour ; pas une clef, pas une serrure ; de simples loquets. « Est-ce qu’on vole donc en Allemagne ? » demande le brave hôtelier. Campe avoue qu’il ne put s’empêcher de rougir et qu’il détourna la conversation.

Le voici à Paris depuis plusieurs jours : « J’en suis encore à chercher, écrit-il, un exemple de grossièreté ; je n’ai jamais assisté à une querelle, même dans les endroits où la foule était compacte, où on ne pouvait faire dix pas sans bousculer quelqu’un. Celui qui, par mégarde, est heurté, a aussi vite fait de dire : excusez-moi, que l’autre : pardonnez-moi ; tous deux se font des complimens et l’affaire est réglée. » Les factionnaires sont d’une urbanité exquise : « Ayez la bonté, monsieur, de faire un peu de place. — Je vous prie, monsieur, de ne pas vous mettre devant ce canon, » Telle est leur manière. À la porte de la Comédie-Française, un garde, d’un ton de regret et d’excuse, murmure : « Il faut que je vous prie, monsieur, d’ôter vos éperons. »

Il y a grand office à Saint-Sulpice, et l’Allemand veut assister à la cérémonie : l’église est comble à n’y pas pénétrer : quelqu’un, voyant sa déception, crie : « De grâce, laissez passer un étranger ! » Aussitôt la foule s’écarte, se presse, livre passage, et Campe parvient sans peine jusqu’à la grille du chœur… d’où il ne voit rien que le dos d’un grenadier posté là en sentinelle. Campe, tenace, essaie de forcer cet obstacle et de pousser plus avant ; mais le soldat navré lui expose « qu’il se ferait un plaisir de l’y autoriser, si ce n’était contre la consigne. » Un autre grenadier survient, prend sur lui de déroger aux ordres donnés, installe l’étranger dans le chœur même, devant le pupitre de l’Evangile, afin qu’il ne soit gêné par rien : si bien que l’officiant, pour ne pas déranger cet intrus, « dut se contenter d’un espace si étroit qu’il ne savait où poser les pieds[3]. »

Les cochers, — c’est à croire que ce Teuton exagère, — les cochers font, en toute circonstance, preuve d’une éducation accomplie : si, dans l’incessant mouvement des rues, deux fiacres se heurtent et s’immobilisent, « le conducteur de la voiture accrochée dit à l’autre : « Monsieur, vous m’embarrassez beaucoup, » ou, plus familièrement : « Camarade, vous venez très mal à propos. » Puis ils se concertent tranquillement pour savoir comment ils se tireront d’affaire. » Ce qui porterait à penser que ce sont là des choses vues, en dépit de certains témoignages moins flatteurs, c’est la remarque faite, quelques années plus tard, par un autre Allemand, — Autrichien, celui-ci, — qui, prenant un cabriolet de place, s’assied sur un vieux volume oublié dans la voiture : « C’est à vous, cocher, ce livre ? — Oui, bourgeois. » Le « bourgeois » entr’ouvre les pages : Théâtre de Pierre Corneille. Quel pays ! quel peuple ! Les cochers lisent les classiques[4] !

Les commis, dans les bureaux, sont prévenans et empressés : « Il y règne, écrit Reichard, beaucoup d’ordre et d’exactitude et l’on y trouve une politesse bien rare en Allemagne[5]. » Les douaniers sont obligeans, pleins d’attentions ; les employés aux passeports se montrent d’une galanterie parfaite : comme un scribe lève, à la frontière, le signalement de Mme de Boigne, le chef intervient et, du ton de la plus parfaite discrétion, dit à son subordonné : « Mettez jolie comme un ange ; ce sera plus court et ne fatiguera pas tant madame. » Les hommes de peine mêmes sont désintéressés et délicats : la même voyageuse, ravie de l’accueil de tous ces braves gens, glisse deux louis dans la main de l’un d’eux ; il reparait un instant après et, avec la plus grande politesse : « Madame, voici deux louis que vous avez laissés tomber par mégarde[6]. » Ainsi les étrangers, charmés par ces préliminaires enchanteurs, pénètrent-ils en France comme s’ils entraient dans le Paradis : il est bien rare de ne point trouver dans leurs récits trace de l’émotion, du recueillement qu’ils éprouvent à se hasarder dans ce pays de toutes les élégances, de toutes les séductions : il y a, chez quelques-uns, un peu de l’appréhension et de l’embarras d’un rustre qui, conscient de son manque d’usage, s’introduirait dans un salon. Qu’on se rappelle le mot de Goethe, pris d’une sorte de honte de sa nationalité, alors que, dans un magasin de Longwy, intimidé par l’affabilité de la boutiquière, « il se garde bien de marchander et cherche, dit-il, à se montrer aussi poli que peut l’être un Allemand sans tournure. »

Les barrières franchies, c’est bien autre chose ! Un volume ne suffirait pas s’il fallait énumérer seulement les dithyrambiques éloges que notre pays inspira à ses visiteurs. Il est vrai que les Français du vieux temps pratiquaient à miracle l’art d’accueillir et apportaient à l’hospitalité des grâces particulières. Sir John Dean Paul qui a passé le détroit, bien bourré de préjugés contre la France, reste confondu dès le premier soir : comme il est entré au théâtre de Calais et qu’il n’y trouve pas de place, « deux messieurs, le voyant avec des dames, quittent aussitôt leur loge et insistent pour la lui laisser ; et cela, note-t-il, avec un tel naturel et une obstination si polie qu’il nous fut impossible de refuser[7], » L’une des compatriotes de Dean Paul, Mme Cradock, se trouvant à Paris, avec son mari, en 1784, conte que, un jour de juin, ils entrèrent pour se rafraîchir dans un café pourvu d’un excellent orchestre : « On n’eut pas plutôt deviné que nous étions Anglais que les musiciens attaquèrent le God save the King. » Quelques jours plus tard, à la foire Saint-Laurent, même hommage leur fut rendu, et toute l’assistance, « composée de petits bourgeois et de grands seigneurs, » approuva par ses applaudissemens cette attention.

Il faut reconnaître qu’il était bien autrement facile et intéressant de visiter Paris à cette époque-là que de nos jours. Sans parler, bien entendu, des restrictions imposées par la période de guerre, nous nous heurtons, en temps ordinaire, à tant de consignes, de défenses, de portes systématiquement closes, d’autorisations à solliciter, que les Parisiens eux-mêmes se sont résignés et passent journellement à côté de merveilles qui leur appartiennent, sans même en soupçonner l’existence. Combien peu connaissent, par exemple, le superbe escalier d’honneur et certains salons du Palais-Royal : combien savent que, à la Banque de France, se trouve une galerie qui est, peut-être, le chef-d’œuvre de notre art décoratif ? Et imaginez-vous la façon dont serait reçu un touriste qui sonnerait au portail d’un des beaux hôtels des quartiers neufs en se disant désireux de visiter l’immeuble, ou qui se présenterait, sans lettre d’introduction, au palais de l’Elysée pour en parcourir, en curieux, les salons et voir les œuvres d’art dont ils sont ornés ? Une telle extravagance conduirait son auteur, sinon à Charenton, du moins au poste de police, et, de là, au dépôt de la Préfecture, monument beaucoup plus libéralement accessible que les habitations des riches collectionneurs, encore qu’il n’offre pas le même genre d’intérêt.

Dans le Paris d’avant 1789 tout était au large ouvert. Les grands seigneurs, les savans, possesseurs de galeries de tableaux ou de cabinets de curiosités, en permettaient l’accès à tous les curieux d’art et de science. Il existe un Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris[8], imprimé en 1787, où sont mentionnés, sans restriction d’autorisation à solliciter ou de titre à faire valoir, nombre d’hôtels particuliers avec l’indication des toiles renommées ou des beaux meubles qu’on y peut admirer : collections de tableaux de M. le maréchal de Noailles, de M. de Galonné, de M. Dufresnoy, notaire, de M. le marquis de Sabran, etc. etc. Cabinets d’histoire naturelle de MM. de Saint-James, de Vergennes, de M. Petit, médecin, de M. le duc de Montmorency ; la liste est longue. Que d’estampes, de dessins, de toiles fameuses, de portraits, de bustes et de statues dont beaucoup doivent exister encore, que nous n’avons jamais vus, que nous ne verrons jamais, jalousement celés aujourd’hui chez des détenteurs peu empressés, pour bien des raisons, d’ébruiter leurs richesses. Au temps fortuné de « la douceur de vivre, » un favorisé de la fortune ne pensait pas que, pour avoir acquis une œuvre d’art, il avait acheté en même temps le droit de l’enfouir et de la dissimuler à tous les regards ; les belles choses étaient réputées patrimoine de la collectivité ; on se glorifiait d’en faire à tous partager la jouissance, moyen le plus sûr d’abolir à la fois la méfiance de l’heureux possesseur et l’envie de l’humble passant.

On pénétrait avec autant de facilité dans les demeures particulières réputées pour la belle ordonnance de leurs appartemens ou l’originalité de leurs décorations ; dans les jardins pittoresques, nombreux alors dans la capitale, aussi bien celui de M. le duc de Chartres, à Monceau, que celui de M. Beaujon, au faubourg Saint-Honoré et de la folie Saint-James, à Neuilly. Les manufacturiers eux-mêmes ouvrent à tout venant leurs fabriques, sans crainte, tant la confiance est absolue et, peut-être, exagérément candide, qu’on copie leurs procédés ou qu’on surprenne leurs secrets. Un étranger ne quitte point Paris sans avoir vu la fabrique de savon de la petite rue d’Enfer ou la filature de coton du sieur Chardemon, au faubourg Saint-Antoine. En 1784, Mme Cradock visite la manufacture de papiers peints d’Arthur : Mme Arthur fait très aimablement les honneurs des ateliers, et Arthur lui-même, — qui depuis !… Mais alors il était galant !… — offre, par la main de son fils, à l’étrangère un joli écran du dernier modèle[9].

Les exemples de cette accueillante et générale affabilité sont si nombreux qu’on n’est embarrassé que du choix des citations : l’un des plus frappans est celui de trois étudians de Nancy qui, venus à pied, en mai 1787, de la Lorraine à Paris où ils n’ont aucune relation, pénètrent avec une facilité, — bien étonnante pour nous, — dans les palais des princes, aussi bien que dans les prisons d’État : une gardienne de la Salpêtrière, après leur avoir montré tous les quartiers de l’immense hospice, les conduit, moyennant un supplément de pourboire, à la cellule où est détenue Mme de la Motte, l’héroïne de l’affaire du Collier ; ils s’y attardent et causent avec elle, tandis qu’elle « parfîle, » — tout en songeant, bien certainement, à l’évasion qu’elle réalisera quelques jours plus tard. Les jeunes Nancéiens vont ainsi, en toute liberté, chez Mme Dubarry, à Louveciennes, chez le comte d’Artois, à Bagatelle, où on les introduit jusque dans la chambre à coucher, au Palais-Bourbon qu’habite le prince de Condé et comme, après qu’ils en ont parcouru toutes les galeries, le concierge qui les pilote leur conseille d’écrire à Son Altesse pour obtenir l’entrée des petits appartemens privés, ils ne s’en font point faute et reçoivent à leur adresse un mot du prince qui accorde l’autorisation. À Chantilly, on les promène partout, dans le château, à la ménagerie, aux écuries, à l’Ile d’amour, au hameau, aux étangs, à l’orangerie, au pavillon chinois ; quand ils sont sur le point de quitter ce lieu de délices, un officier de Son Altesse leur propose « avec beaucoup d’honnêteté » de profiter d’une des voitures du prince, lequel part à l’instant pour Paris ; et les touristes voyagent, au retour, en compagnie de deux dames de la Cour, dans un carrosse à la livrée de Condé[10].

À Versailles, nos étudians assistent à la procession des Cordons bleus et à la messe du Roi. On circule dans le château comme au marché ; tout est ouvert au premier venu, sous la seule condition de se munir d’une épée : on la loue, pour quelques sous, chez un concierge ; encore est-il avec cette consigne des accommodemens, témoin ce clergyman qui, après avoir flâné dans les appartemens et dans la galerie, après avoir croisé le Roi, la Reine, les princes, se met en tête, malgré le négligé de son costume, de ne point quitter la place sans voir le diner de Sa Majesté. Un maître des cérémonies survient et lui objecte son gilet à revers ; — l’Anglais boutonne son habit : — « Cela même ne suffira pas, monsieur, fait le gentilhomme, vous avez un chapeau rond ; » — l’Anglais aplatit son feutre et le place sous son bras. — « Monsieur, reprend le maître des cérémonies, vous êtes si ingénieux pour métamorphoser votre toilette que je ne vous ferai plus d’objection. » Et le clergyman assiste au dîner royal[11].

Rien n’établit mieux, au reste, l’extrême liberté du va-et-vient populaire de Versailles que l’anecdote contée par Mme Du Hausset, laquelle nous montre Louis XV, entrant, certain jour, dans sa chambre et y trouvant « un monsieur » qui, après avoir erré à l’aventure dans le dédale du château, a poussé une porte au hasard et est arrivé là sans rencontrer un seul huissier pour le remettre en bon chemin. Le Roi était au moins surpris : le « monsieur » tout éperdu ; il exigea d’être fouillé ; un garçon du château étant survenu, reconnut en lui un cuisinier de ses amis, « le premier homme du monde pour le bœuf à l’écarlate. » Sur quoi Louis XV donna à ce pauvre diable cinquante louis destinés à calmer ses alarmes[12].


Ces faits, si minimes que beaucoup, sans doute, les jugeront dénués d’intérêt, sont en contradiction flagrante avec ce qu’enseignent les manuels, à savoir que les puissans de l’ancien régime, les nobles, les seigneurs, se montraient invariablement pleins de morgue, d’arrogance, de prétention et de vanité, durs aux humbles courbés « sur la glèbe » et soumis à tous les caprices de maîtres impitoyables. Pourquoi avoir ainsi falsifié notre belle histoire ? Si, comme on l’a dit, la révolution est un bloc dont on ne doit rien distraire et tout admirer, ne serait-il pas juste que la vieille France bénéficiât du même fétichisme ? Notre bon renom ne date pas d’hier : il est contemporain de nos origines, et on l’amoindrit en lui faisant tort de plusieurs siècles d’existence. On ne voit pas bien, même, à vrai dire, en quoi il a gagné depuis un siècle ; et il n’est pas surprenant, d’ailleurs, que, sans rien perdre de ses qualités natives, un peuple comme le nôtre éprouve une sorte de gêne à les laisser voir. Il a été si souvent berné, dupé, déçu et exploité ; on lui a tant de fois présenté comme définitives des institutions qui devaient assurer son bonheur et qui étaient déclarées odieuses et tyranniques quelques mois plus tard ; on a réclamé son admiration et son amour pour tant d’hommes qu’il entendait, peu après, traiter de vendus et de criminels ! Il est crédule, on lui prêche le scepticisme ; il est confiant, des fourbes le trompent ; il est accueillant, les espions pullulent ; il aime parler, on lui crie : tais-toi ! Doit-on s’étonner que, aux ronces de si rudes désillusions et de si dures contraintes, il ait laissé des lambeaux de sa candeur, de sa sociabilité et de ses vertus hospitalières, qu’il poussait jusqu’au désintéressement avant qu’il n’eut appris, au contact d’étrangers insolens et chicaneurs, à se garder de sa bonté naturelle.

Car c’est une constatation unanime que partout, en France, au temps d’avant nos grands bouleversemens, on était reçu « de bon cœur. » Il y a aujourd’hui, chez nous comme ailleurs, des hôtels, voire des Palaces, où les égards sont gradués, ainsi que le menu, suivant le prix de la pension. — Autrefois on trouvait l’Auberge : c’est-à-dire, non seulement le couvert et le vivre, mais de l’empressement, de l’intérêt, de l’affection, du dévouement. Ah ! les aubergistes de notre pays, qui, jamais, les célébrera dignement ? Une aubergiste de Calais, Mme Grandsire, risque sa liberté, peut-être sa vie, pour sauver une émigrée, d’elle inconnue, revenant d’Angleterre sous un faux nom et que le hasard seul a conduite chez elle[13]. — À La Flèche, il y a Mme Richard qui règne au Lion-d’Or, chez qui l’on paie en proportion inverse de ce qu’on mange : trente sols par tête pour deux services en volaille, gibier et poisson, et bon feu dans la chambre ; six francs pour une simple omelette ; car Mme Richard ne supporte pas qu’on dédaigne sa cuisine. Elle tutoie ses hôtes de distinction, officiers, prêtres, nobles, et même l’évêque d’Angers, Mgr de Grasse, que réjouit cette familiarité[14]. Il serait téméraire d’avancer que le fils de Mme Richard dut à quelque aristocratique estomac, reconnaissant des ripailles du Lion-d’Or, de voir fléchir la loi en sa faveur ; mais il est certain que, ancien conventionnel ayant voté la mort du Roi, il fut l’un des préfets de la Restauration, qui l’excepta de la proscription des régicides. — À Loches, il y a l’hôtel du sieur Nicolin, ancien cuisinier d’archevêque, chez qui l’on vient de loin et on séjourne longtemps en raison de ses « ailes de perdreau en papillotes sur un hachis de truffes… » son triomphe. À Pont-Saint-Esprit, un Anglais, sa femme, son médecin, sa berline et ses gens, pour quatre chambres à feu, un déjeuner, un souper copieux avec filet d’ours, truffes, etc. dessert, punch, vins rares et café, paient, en novembre 1784, une somme si minime qu’une discussion s’engage entre les voyageurs et l’hôtelier, lequel proteste qu’il n’acceptera pas un denier de plus ; bien au contraire, avant le départ, il offre une bouteille de liqueur, que les maîtres, confus, refusent et que se partagent leurs domestiques[15].

On ne peut parler des auberges de cette époque sans mentionner au moins l’hôtel Dessin, à Calais : une véritable cité avec cuisines vastes comme des cathédrales, écuries somptueuses, caves opulentes, magasins de tous genres, rues, jardins, allées, places, théâtre, etc. Dessin traitait ses hôtes avec autant de splendeur que de désintéressement ; si bien qu’il s’y ruina ; mais le trésor royal, comprenant l’importance de conserver dans la ville où débarquaient le plus d’étrangers une institution symbolisant, en quelque sorte, l’accueil de la France, prêta, sans intérêts, à l’aubergiste, une somme considérable afin de rétablir sa situation. On dit même qu’une pairesse d’Angleterre, la duchesse de Kingston, avisée de sa gêne, lui fit don de 50 000 francs[16]. Partout, les hôteliers, dussent-ils aller à la banqueroute comme leur célèbre collègue, s’ingénient à faire bonne chère aux hôtes d’un jour qu’ils ne reverront plus. Le docteur Rigby, malgré ses préventions, se résigne à reconnaître, dès les premiers jours de son voyage, que « la cuisine d’auberge est admirable ; » des « fricassées à faire les délices d’un alderman de Norwich[17]. » Dans les restaurans de Paris, même délicatesse, mêmes attentions avec, en plus, une singulière recherche d’élégance. Que chez Méot, maison fameuse, on ne servît que dans des assiettes d’argent[18], il n’y a rien là de très extraordinaire ; mais le même luxe se retrouvait dans les restaurans à bas prix et même aux tables d’hôte fréquentées par les étudians : chez Trianon, rue des Boucheries-Saint-Germain, et chez un autre traiteur, rue du passage des Petits-Pères, « on était servi en vaisselle d’argent pour la modique somme de 24 à 30 sols[19], » et, en 1775, chez un petit gargotier de la rue de Harlay, on a, « pour 12 sols, la soupe, le bouilli, une entrée, une pomme et un morceau de fromage, le tout servi en vaisselle plate[20]. »


L’ordonnance et le « cérémonial » des repas sont peut-être, entre tous les usages familiers, ceux qui ont, en France, subi, depuis un siècle, le plus de modifications. Aujourd’hui la correction impose aux maîtres de maison l’obligation de se désintéresser, du moins en apparence, de ce qui se passe autour de leur table. Il est de règle qu’ils affectent « l’air de ne pas être chez soi » et qu’ils fassent mine d’ignorer même la composition du dîner qu’ils offrent à leurs invités. Ce « bon genre » est passé des tables opulentes aux tables bourgeoises. Jadis il en était autrement et quand « on priait » quelqu’un, c’était une affaire. Chez les paysans riches, et même chez beaucoup de citadins de la classe moyenne, fussent-ils très fortunés, la maîtresse de maison ne s’asseyait pas à table ; elle ne consentait à y paraître, sur les instances de toute l’assemblée, qu’après le premier service et pour quelques instans seulement ; elle s’éclipsait de nouveau et revenait au dessert occuper sa place jusque là vacante et se mêler à la conversation. Il n’est pas besoin d’être centenaire pour garder souvenir de cette singulière coutume encore observée en Lorraine il y a quarante ans. La raison en était cette idée généralement admise que, lorsqu’on héberge quelqu’un, il convient de témoigner qu’on se donne de la peine pour le recevoir : il n’était pas de bon accueil s’il ne paraissait occasionner un dérangement ou un sacrifice et imposer quelque abnégation. C’est dans ce sentiment qu’il faut chercher l’origine des corvées qu’ont si longtemps volontairement assumées les amphitryons de toutes classes, depuis le villageois traitant ses métayers, jusqu’au souverain recevant les ambassadeurs des puissances étrangères accrédités auprès de son auguste personne. Il leur fallait découper à table les viandes et les volailles et servir chacun des convives avec une phrase aimable. Je crois que l’Empereur ne se soumit jamais à cette obligation de savoir-vivre ; mais il fut le seul : la façon dont M. de Talleyrand offrait « du bœuf » à ses invités est restée légendaire ; Cambacérès s’acquittait de ce devoir avec l’onction d’un gourmet émérite[21] ; Masséna avec une maladresse et un emportement tout militaires. Un jour, à son château de Rueil, il attaque un canard qui résiste ; il appelle son cuisinier pour le prendre à témoin de la dureté du rôti ; le maître-queux paraît, son bonnet de coton à la main ; le maréchal empoigne à pleines mains la volaille et la lui jette à la tête ; mais comme l’homme, voyant venir le projectile, a fait le plongeon, le canard va crever un tableau et ricoche sur un domestique qui s’écroule avec le panier de cristaux dont il est porteur. Masséna, jusque là maussade, montra une humeur charmante durant tout le reste du repas[22]

Louis XVIII, malgré la goutte, « taillait les viandes » avec une rare dextérité, en homme qui, dès sa jeunesse, « s’est exercé à porter la grâce jusque dans les moindres détails ; » à chaque service « il offrait à la ronde du plat qui se trouvait devant lui et trouvait là l’occasion de distribuer en même temps son coup d’œil aimable et quelques mots bienveillans[23]. » Mais c’est sur les gestes de Louis-Philippe faisant les honneurs de sa table que nous sommes le mieux renseignés. Toute la famille royale, tout le corps diplomatique dînent au Palais-Royal, en octobre 1830. Cinquante convives. L’un d’eux, le comte Rodolphe Apponyi, contemple la bonne figure de la maréchale Maison placée en face de lui. La maréchale lève les yeux au ciel, en disant : — « Que c’est beau de voir le Roi découper ! »

Le Roi, en effet, découpe une grosse poularde truffée ; il met à cette besogne une grâce « que peu de chefs de cuisine auraient pu atteindre, » et demande à chacun quel est son morceau de prédilection : — « Comte Rodolphe, désirez-vous une aile, une cuisse ou du blanc ? » Il faut répondre sans gaucherie et voici quelle est la formule employée par Apponyi, qui sait son monde : — « Si Votre Majesté veut bien m’honorer d’une aile, je m’empresserai de mettre mes remerciemens aux pieds de Votre Majesté. — Pour le comte Rodolphe Apponyi, » dit le Roi, en déposant sur une assiette un morceau de la poularde. Pendant ce temps, la Reine distribue des écrevisses[24].

Ce récit singulier nécessiterait quelques commentaires ; tel qu’il nous est transmis, il ne permet pas de reconstituer la scène. Pour cinquante personnes, cinq volailles, au moins, sont nécessaires, encore est-il indispensable que tous ne réclament pas « une aile ; » d’où pour chacun l’obligation d’être très attentif à ce qu’auront sollicité et reçu les convives déjà servis. Le Roi, bien certainement, partage ces cinq poulardes : en a-t-il fait autant des pièces de viande du premier service ? En ce cas, il aura passé à ce labeur tout le temps du repas. Porte-t-il sur son uniforme brodé, sur ses grands cordons, pour cette rude et périlleuse besogne, un tablier, des serviettes montées jusqu’au col ? Et puis, quelle que soit son habileté, la question posée cinquante fois, l’attente de la réponse, le choix du morceau, exigent, au minimum encore, une minute. C’est presque une heure écoulée avant que toute la table soit servie. Que le temps doit paraître long à celui qui a été, le premier, honoré de l’offre du Roi, et comme le dernier doit se hâter pour ne point retarder le service suivant ! Que d’autres points d’interrogation encore ! On ne saurait trop mettre en garde ceux qui écrivent leurs Mémoires, contre l’imprécision dans les menus détails. On sera toujours suffisamment renseigné sur les constitutions, les débats parlementaires et les grands événemens de l’histoire ; mais ces petits tableaux de la vie intime et journalière, qui semblent insignifians aux contemporains, deviennent d’insolubles rébus pour la génération suivante, tant les usages sont sujets au changement et condamnés à l’oubli. Croirait-on que, à une époque qui n’est pas bien éloignée de nous, — sous la Régence, — une élégante n’employait que ses jolies mains pour garnir les assiettes de ses hôtes de marque ? À la fin du XVIIIe siècle, Mme Dupin, nonagénaire et toujours jeune, conservait cette coutume du temps de ses vingt ans et « servait tout ce qui était devant elle, même Pomelette, avec ses petits doigts[25]. » Beaucoup plus près de nous encore, et jusque sous le second Empire, il était du meilleur ton, en certaines de nos provinces, lorsqu’on offrait un grand dîner, de présenter le saladier à l’invitée qu’on désirait particulièrement distinguer, pour qu’elle « retournât » la salade : la dame remerciait, confuse de tant d’honneur, retirait ses bracelets et ses bagues et plongeait ses bras blancs dans la verdure huileuse qu’elle triturait délicatement.

Voilà, sans doute, des raffinemens de politesse qui ne seront pas regrettés. Certains, même, pourront s’en offusquer ; mais, puisque nos aïeux y attachaient du prix, c’est que ce petit cérémonial avait pour eux son importance. Le comte Beugnot, qui n’était ni un rustre, ni un sot, prenait, il y a plus de quatre-vingts ans, la défense de ces traditionnelles obligations dont il prévoyait la désuétude. « Peut-être, écrivait-il, n’est-ce pas un si mince mérite pour un maître de maison, même pour un roi, que de savoir faire les honneurs de sa table. Si le maître est d’une condition très supérieure à celle de ses convives, les attentions qu’il leur porte deviennent des faveurs dont ils sont intérieurement plus touchés que des mets qu’on leur offre. Si la condition des uns et des autres est la même, le maître de maison prend sur ses égaux la supériorité de la politesse et des soins. Aujourd’hui, on s’est mis fort à l’aise sur ce chapitre comme sur tant d’autres : le dîner n’est plus que ce que la nature l’a fait, une nécessité qui n’est déguisée par rien de ce que la gaîté, la cordialité, le savoir-vivre de nos pères y avaient introduit. »

Ce que Beugnot déplorait, c’était la fin d’un art difficile et délicat ; il était nécessaire, jadis, pour traiter ses amis, de posséder bien des talens : le maître de maison qui eût affecté de se désintéresser des plats présentés et de la façon dont était servi chacun de ses convives, eût passé pour un « malappris : » il devait avoir l’œil à tout et à tous, se montrer causeur avenant, proposer galamment les mots, varier les formules, nuancer ses attentions, tout en remplissant, le sourire aux lèvres, le rude office d’écuyer tranchant. Combien il y fallait d’esprit, d’entrain, d’amabilité, d’adresse, de tact, et, encore une fois, d’abnégation ! Le rôle est, de nos jours, singulièrement écourté : l’amphitryon s’assied, en étranger, lui vingtième, à son dîner qui se distingue seulement par le luxe de celui d’une table d’hôte de ville d’eaux. Pour bien recevoir, il suffit aujourd’hui d’être riche : c’est un amoindrissement.


Il n’est pas surprenant que, flânant autour des festins royaux ou dans les salles à manger de la plus élégante société parisienne, nous ayons encore retrouvé là cette « douceur de vivre » tant prônée par nos ancêtres : c’est dans ces endroits qu’elle naquit ; mais la province, objectera-t-on, la lointaine et sinistre province, sur laquelle Paris ne rayonnait pas, d’où l’on ne pouvait sortir, où l’on était cloîtré pour la vie, sans même le réconfort du journal qui, actuellement, apporte, chaque jour, à cette exilée, l’écho joyeux de la capitale ?… Quel tableau désolant de monotonie, si l’on se risquait à peindre l’existence morose et somnolente, à proprement parler végétative, qu’y devaient mener nos trisaïeuls dans les années qui précédèrent le branle-bas de la Révolution !

C’est juger de ce temps-là par aujourd’hui ; et c’est précisément le contraire que nous apprennent les correspondances et les souvenirs laissés par les « ruraux » d’autrefois. Il en ressort cette constatation singulière que le grand mouvement imprimé à tout le pays par nos successives secousses politiques a engourdi la vie de province, l’a presque supprimée. Elle était étonnamment intense à l’époque de Louis XVI ; actuellement, si l’on excepte quelques anciennes capitales, ou même, — soyons larges, — la plupart des chefs-lieux de départemens, elle s’est anémiée et agonise presque partout, et les causes de cette néfaste déchéance sont multiples : l’émulation de maussade uniformité a détruit la variété pittoresque des usages et des traditions ; — la rapidité de l’information moderne a suscité, d’un bout à l’autre du pays, les mêmes préoccupations et les mêmes curiosités ; — Paris attire à soi tous les talens et toutes les fortunes par l’agrément qu’il offre à celles-ci et à ceux-là de se dépenser ! — la politique locale, féconde en rancunes, a rompu les liens séculaires qui unissaient entre elles les anciennes familles de la région. On ne fréquente plus chez qui l’on aime, de crainte d’être suspect au comité électoral qui siège en permanence au Café de la Place ; on reste chez soi pour n’être point mal noté ; on s’observe, on se surveille, on s’espionne ; les fonctionnaires nouveaux venus sont reçus avec une froideur guindée, et il advient le plus souvent que si M. le sous-préfet lui-même, — fùt-il homme d’esprit et du monde, ce qui arrive, — risque une tournée de visites, il trouve toutes les portes closes et se voit condamné, — Gaspard Hauser de la politique, — à dépérir d’ennui, d’oisiveté et d’isolement. Ainsi, des gens qui se coudoient quotidiennement parviennent à vivre plus distans que si des abîmes les séparaient, et ceux qui ont habité quelque temps la province reconnaissent qu’il faudrait posséder le dédain superbe d’un philosophe ou le hiératique renoncement d’un trappiste pour résister à une telle disette d’intimité, de bonne grâce et d’aménité. Le mal, pour peu qu’il s’aggrave, sera irrémédiable, et c’est contre cette acrimonie envahissante qu’il est urgent de réagir, si, dans l’élan d’union et de solidarité qui nous emporte aujourd’hui, nous voulons sincèrement que la France rajeunie récupère son charme légendaire et ne se juge pas méconnaissable quand la fantaisie lui viendra de se regarder dans le miroir de son passé.

Oui, quelque paradoxale que puisse paraître cette affirmation, la vie provinciale, à la fin du XVIIIe siècle, était amusante et gaie : même dans les régions les plus « perdues » et considérées comme les moins accessibles, existait une société distinguée ; les simples bourgades recelaient « un cercle » mondain, brillamment composé ; il semble que, plus la pénurie de distractions était à redouter, plus chacun s’évertuait à créer du plaisir.

On a publié, il y a peu d’années, les lettres écrites à sa femme par un conseiller au Parlement de Toulouse, M. de Belbèze, en mission dans le Gévaudan, le Vivarais et les Cévennes, contrées dont les habitans sont peu réputés, je crois, pour leur joyeuseté et leur élégance. Millau, Marvejols, Mende, Florac, Alais, Anduze, la vallée du Rhône, tel est, à peu près, l’itinéraire du magistrat. Partout, il trouve les villes en liesse : on s’en donne à cœur joie de fêter son passage, et ses récits intimes nous enseignent qu’on rencontrait, en ces contrées reculées, des ressources et des raffinemens inconnus aux plus riches cités en notre époque de « progrès : » à Saint-Chely, il est reçu « avec éclat ; » la bourgade est illuminée ; réception, cavalcades, feux de joie ; — au Puy, M. de Belbèze trouve la milice bourgeoise, — plus de quinze cents hommes, — sous les armes ; le souper, chez M. de Riddeberg, est « le plus splendide qu’il ait vu : » cinquante convives, servis en porcelaine de Sèvres ; — à Annonay, il est escorté par cinquante jeunes gens de la ville, en uniforme ventre de biche avec paremens et revers rouges, vestes et culottes blanches ; on le loge dans un couvent où on lui attribue un appartement charmant : antichambre, salon de compagnie, chambre à coucher, cabinet à livres, cabinet de toilette, le tout ouvrant sur une vaste terrasse plantée d’orangers et autres arbres fruitiers en fleurs ; — à Langogne, « la compagnie » est aimable et nombreuse, les femmes sont délicieuses, leurs parures du goût le plus exquis et leurs chapeaux « ravissans ; » — à Villeneuve-de-Berg, les honneurs sont rendus par cinquante cavaliers en vestes écartâtes, magnifiquement montes sur des chevaux couverts de housses « à la houzarde, » bleues, galonnées d’argent ; — à Mende, on joue la comédie : le théâtre n’est qu’une écurie où la crèche forme les loges ; mais le programme est de choix : Zaïre et la Pupille, de Fagan ; — à Bourg-Saint-Andéol, plus de quatre-vingts jolies femmes assistent au bal offert par les officiers ; — et trouverait-on de nos jours à Alais, ainsi qu’il advint au magistrat toulousain, quatre-vingts négocians du lieu, formant un cortège « superbement habillé et bien monté, éclairé par cent torches que portent des gens à pied, » un souper de soixante-quatre couverts, la comédie, le bal, où paraissent en foule « des dames de la parure la plus recherchée » et toutes « virtuoses de premier ordre pour la danse » à la mode[26] ?

Ces choses témoignent d’une abondance, d’un entrain, d’une insouciance, d’une naïveté même depuis longtemps abolis : c’est que ces gens-là, semblables à ce gentilhomme dont parle Mme de Genlis, « n’avaient, de leur vie, réfléchi sur les diverses sortes de gouvernemens et sur la politique ; » ils ne se croyaient pas en exil dans leur petite capitale, qui ne comptait qu’un parti, celui des bons vivans, et l’ambition ne les portait pas à chercher ailleurs des égaux ou des supérieurs : « chacun avait ses racines de terres, de vassaux, de rang, de charges, de devoirs, de plaisirs, de famille, d’amis, de fortune[27] ; » on se plaisait dans sa paroisse natale ; on y vivait et on y voulait mourir, sans éprouver le besoin de recevoir « des coups de coude à Paris ou des dédains à Versailles. » De là cette facilité, cette aisance de ton qui rendaient la société de province si parfaitement agréable que tous ceux qui, l’ayant connue, l’ont vue disparaître, ont pleuré amèrement sa fin.

Chez les bourgeois campagnards, davantage isolés, l’existence est, il est vrai, plus austère et moins mouvementée, mais si remplie, si régulière, si « harmonieuse, » qu’elle reste attrayante en dépit de sa sévérité. Notre témoin, ici, est du Périgord : devenu vieux, — et Parisien, — il se souvenait avec attendrissement de la grande demeure paternelle, située à Saint-Germain-du-Salembre, en pleine campagne, à cinq bonnes lieues de Périgueux. C’est une sorte de manoir, commode et confortable : les salles sont vastes, meublées d’armoires énormes, aussi vieilles que les murs de la maison et dont les lourds panneaux sont ornés de personnages ou d’emblèmes sculptés à même le chêne ou le noyer. Les lits, drapés d’amples rideaux de serge, portent, sur quatre colonnes robustes, un dais capitonné de soie ; trois ou quatre dormeurs peuvent, dans chacun d’eux, tenir à l’aise ; et ces proportions se justifient par le nombre des enfans, les familles les moins pourvues en comptant six ou huit. Les murs des chambres à coucher sont tendus de perse ou d’indienne, ou simplement blanchis à la chaux. La cuisine est la pièce principale : une haute et profonde cheminée où pend, au bout de la crémaillère, une grosse marmite sur un feu de troncs d’arbres ; de chaque côté de l’âtre, un banc pour les serviteurs ; un morceau de vieux tapis, près du foyer, pour le chien du tourne-broche ; au-dessus de la tablette, sur laquelle s’alignent les pots à épices, sont accrochés les fusils, les hallebardes, tout l’arsenal de la maison. Un vaisselier, surmonté d’un dressoir, expose des pots et des plats d’étain, brillans comme l’orfèvrerie des châteaux. Deux grandes tables : l’une pour les repas des maîtres, l’autre pour ceux des domestiques, métayers et journaliers ; on mange en même temps, patrons et gens de service, et « Monsieur » ne manque jamais d’envoyer un morceau de choix, un verre de vin, à quelque serviteur qu’il désire honorer ; il trinque cordialement avec tous. La veillée se passe en commun : les maîtres lisent, ou mettent leurs comptes au courant ; les « domestiques « pèlent » les châtaignes pour le lendemain ; les servantes, le relavage terminé, prennent leurs quenouilles et filent la laine ou le chanvre ; à dix heures, au plus tard, l’un des enfans dit, à haute voix, la prière ; on couvre le feu ; on distribue les chandelles et l’on va se coucher.

Le jour suivant sera pareil : jamais une heure d’oisiveté ; partant, point d’ennui ; nulle place pour les rêveries troublantes d’une vie plus agitée et plus indépendante. Tout ce qui se consomme, tout ce qui sert à l’usage de la famille et de son entourage est l’œuvre de la maison. Les vêtemens mêmes sont faits sur place, d’étoffes fabriquées, avec la laine des moutons de la bergerie, par des tisserands de louage et cousues par un tailleur qu’on nourrit et qu’on paie six à huit sols à la journée. Le lin et le chanvre, récoltés dans la propriété, filés par les servantes, fournissent le linge ; comme on n’arrête pas d’en mettre sur le métier, comme il est inusable, il s’entasse en piles imposantes dans les énormes bahuts que nous venons d’apercevoir. Une famille de fortune médiocre a souvent des draps, des nappes et des serviettes par centaines, et le reste à l’avenant[28]. Le linge est le grand luxe de nos pères : on a retrouvé l’inventaire d’un ancien commerçant de Marseille, petit bourgeois, de condition très modeste : il possède six chemises de batiste, quatre en batiste plus fine, sept garnies de mousseline brodée, neuf plus ordinaires, quatorze en mangarline pour l’hiver, quarante-quatre mouchoirs de divers tissus, trente paires de bas, vingt et un bonnets de coton, quarante-huit coiffes de toile, etc.[29].

Quittons vite ces armoires au linge où nous risquerions de nous attarder, tant la contemplation en est révélatrice, pour revenir à notre campagnard périgourdin, dont bon nombre de nos contemporains n’envient point, sans doute, l’existence, à leur idée trop paisible et trop réglée. Les distractions ne lui font pas défaut, pourtant : il lit, nous l’avons vu ; mais que lit-il ? N’avez-vous jamais exploré l’un de ces grands greniers ménagés sous la toiture des anciennes maisons provinciales ? C’est dans ce « fourre-tout » que chacune des générations qui se sont succédé au vieil immeuble familial a relégué les épaves de celle qui l’y a précédée. Voilà le coin des livres : bouquins à tranches rouges, à reliures de « veau marbré, » voire de maroquin déchiré et terni : c’est la bibliothèque de l’arrière-grand-père qui fut juge à l’échevinage, ou procureur, ou notaire, ou rien, que propriétaire et agriculteur : — quelques livres de droit, recueils de « coutumes » souvent feuilletés ; des almanachs royaux, des récits de voyage, les Fables de La Fontaine, un Gresset ; pas un roman, mais des auteurs latins, beaucoup d’auteurs latins ; un Martial, un Ovide, un Lucain, un Horace surtout ; Horace était la passion de nos aïeux… Nous ne trouverons là rien à notre goût ; rien qui puisse nous aider à nous désennuyer une heure. Eh quoi ! Ils aimaient ça, ces vieux ? Quand ils avaient, tout le jour, arpenté leurs champs ou leurs vignes, compté avec les fermiers, reçu les cliens, surveillé la grange et le pressoir, ils ne se réservaient, pour la soirée, d’autre amusement que de repasser leurs classiques ? Eh ! oui. C’était leur marotte à tous : ils étaient férus du bien dire et de l’antiquité, et c’est ce qui nous valut, lors de la révolution, quand ces bourgeois lettrés se transformèrent en législateurs, tant de Brutus et de Cassius, tant de harangues imitées de Tite-Live, tant de traits copiés des anciens, si bien que l’un d’eux, frais émoulu du collège, projetait d’appliquer les lois de Minos comme constitution à l’usage des Français régénérés. Travers regrettable, sans doute, dans lequel nous ne risquons pas de tomber : nos engouemens se portent à des objets moins austères et nous ferons bien de veiller à ce qu’on ne dépose au grenier, ni notre vieux linge, ni les résidus de nos bibliothèques : nos chemises, réduites en loques par la brosse et les acides, inspireraient aux âges futurs une triste idée de la conscience de nos blanchisseuses, et nos livres, peut-être, une piètre idée de nos préférences littéraires et du sérieux de nos délassemens.


Ces campagnards solitaires du XVIIIe siècle connaissaient, d’ailleurs, d’autres plaisirs que la lecture des auteurs anciens : en Périgord, le moindre événement leur était prétexte à réjouissance : au manoir bourgeois de Saint-Germain-du-Salembre, on recevait les voisins plusieurs fois par an ; comme ils invitaient à leur tour, il s’ensuivait deux ou trois réunions par mois. On mettait en réquisition les cuisines et les cuisinières du voisinage : les dîners étaient formidables et les appétits homériques ; on trouvait là, surtout, une occasion de danser. Il y en avait d’autres : on dansait au Carnaval, aux fêtes votives ; on dansait à la fauchaison. aux semailles, aux vendanges ; en novembre, on se groupait pour « énoiser, » et on dansait encore : dames de châteaux, « demoiselles, » messieurs, paysans, paysannes, maîtres, domestiques, tous dansaient ensemble, sans distinction de rang ni de naissance[30]. Quand on ne pouvait plus danser, on chantait, et il en était ainsi du Nord au Midi, de la Saintonge à la Franche-Comté. La gaîté du Français, quoique proverbiale, demeurait pour les étrangers un sujet d’admiratif ébahissement. Il semble que ce soit là un don particulier, une sorte de monopole, tant notre peuple se distingue par cette exubérance joyeuse de toutes les autres nations de la terre. Sur ce point les témoignages, — sauf deux exceptions : celui de Young et celui de l’Allemand Storch, — sont d’accord ; phénomène quasi unique ou, pour le moins, extrêmement rare. — « Heureux peuple ! » s’écrie Sterne. — « Les villageois sont pleins de vie et de gaité, » nous dit Stevens qui visite la Provence. — « Tous les gens paraissent heureux, » note Rigby en traversant la Flandre[31]. Celui-ci est particulièrement intéressant à suivre, car, avant d’aborder le continent, il se figurait les Français « frivoles et nuls, d’un extérieur chétif, et vivant dans une misérable condition causée par l’oppression de leurs maîtres. » Quelle surprise ! Les premiers indigènes qu’il aperçoit, au moment du débarquement, sont les matelots du bateau-pilote sorti du port de Calais : ils sont « énergiques et joyeux. » En ville, le premier soir, il s’étonne de la quantité de promeneurs, « tous gais et expansifs. » Après un jour de route, il s’extasie : « les femmes sont robustes et bien faites ; de petits groupes d’amis sont assis sur le devant des portes ; quelques hommes fument, d’autres jouent aux cartes… » À Lille, les soldats, grands, bien découplés, qu’on rencontre dans les rues « sont d’une gaîté et d’une politesse particulièrement agréables. » Les habitans jouissent de leur dimanche « d’une façon joyeuse et animée. » À Cambrai, même constatation : « tout ce que nous voyons porte la marque d’un travail industrieux et d’un joyeux entrain. » Les femmes de Roye émerveillent le voyageur : « elles sont d’une beauté vraiment remarquable et presque toutes pourraient être des objets d’admiration. Leur vêtement est d’une simplicité charmante : elles sont bien coiffées et elles ont le sourire aux lèvres. » Heureux, gaîté, joyeux, bonheur, ces mots reviennent à chaque page. Déjà, cinquante ans auparavant, lady Montague avait écrit : « Les villages sont peuplés de paysans forts et joufflus, vêtus de bons habits et de linge propre : on ne peut imaginer quel air d’abondance et de contentement est répandu dans tout le royaume. »

Le paysan de l’ancienne France était-il donc heureux ? C’est une question à laquelle on répond, d’ordinaire, par le mot si souvent cité de La Bruyère qui n’a vu, lui, en nos villageois, que « des animaux farouches mâles et femelles répandus par la campagne. » Outre que l’auteur des Caractères vivait à une époque qui n’est point celle que nous explorons, il est permis de penser que très casanier, assure-t-on, il aura quelque jour aperçu des gens qui cueillaient des pissenlits, — c’est, comme nul ne l’ignore, le nom de la plus estimée des salades ; — et, de la nouveauté de ce spectacle, il aura conclu, témérairement, que tous les ruraux vivaient d’herbes et cherchaient leur pâture à la manière des bêtes : simple bévue de citadin qui sort trop rarement de la ville. On allègue aussi, afin de noircir le tableau, les « cahiers de doléances » que toutes les paroisses de France furent, en 1789, autorisées à rédiger pour exposer leurs besoins et formuler leurs vœux de réformes. De cet imposant amas de paperasses qu’on se plaît à exhumer aujourd’hui pour nous faire mieux apprécier les beautés de l’état actuel, s’exhalent, en effet, des cris de détresse, des lamentations à tirer les larmes aux yeux des plus endurcis. Ce sont là des documens irréfutables, dont les originaux sont conservés dans nos archives et portent les signatures des notables qui en sont les auteurs : c’est, en deux mots, de l’histoire officielle.

Certes, nul ne songe à nier l’authenticité de ces cahiers fameux ; mais il n’est point interdit de contester leur véridicité. Le seul, peut-être, dont il soit possible de contrôler nettement, après tant d’années, les assertions, ne doit être pris ni au tragique, ni même au sérieux. C’est celui de la paroisse de Nouans. Il fut rédigé par François-Yves Besnard, curé du village, bien placé pour connaître la misère de ses ouailles, et il la décrit, sans emphase comme sans ménagement : la peinture est navrante : « Nouans, expose le Cahier, contient environ 150 feux, dont la moitié est inscrite sur l’état des pauvres, ou ne se procure qu’avec peine les plus étroits moyens de subsistance ; le reste, si l’on excepte trois ou quatre chefs de famille dont la propriété et l’aisance n’ont rien de remarquable, se soutient par son travail et son économie. » Suivent les récriminations contre la milice, les impôts, le prix trop élevé du tabac, les corvées, etc. charges écrasantes pour des villageois si dénués de ressources.

Le même François-Yves Besnard, brave homme à la vérité, très épris des idées nouvelles, devait, quelques mois plus tard, renoncer au sacerdoce et renvoyer ses lettres de prêtrise. Il ne peut donc être suspect d’indulgence exagérée pour l’ancien régime. Or, dans les Souvenirs de sa longue vie, qu’il écrivit pour sa propre satisfaction, il nous présente, de sa paroisse, un tableau tout différent de celui naguère adressé à Messieurs des États généraux : il nous conte comment, en arrivant à Nouans, il remarqua « avec admiration » que le sol était parfaitement cultivé : vergers d’arbres fruitiers, jardins potagers, champs de blé, de chanvre, de haricots, de trèfle ; bœufs, vaches et chevaux pâturaient « ayant de l’herbe jusqu’au ventre. » Pas une parcelle de terrain nu. Les maisons n’étaient guère confortables ; mais les basses-cours étaient bien peuplées et il n’y avait pas de petite ferme de quarante arpens qui ne comptât ordinairement six bœufs de travail, six vaches laitières, six génisses, six taureaux, deux jumens poulinières, soixante à soixante-dix moutons, quatre à cinq porcs… etc. Quant à la nourriture des paysans, même des moins aisés, elle était « substantielle et abondante. » Le pain fort bon, le cidre ne manquait à personne. Le potage, au dîner et au souper, suivi d’un plat de viande ou d’œufs ou de légumes ; au déjeuner et à la collation, toujours deux plats, beurre et fromage, puis, souvent, des fruits crus ou cuits. Les tables étaient couvertes de nappes : chacun des convives, muni d’une assiette, d’une fourchette et d’une cuiller, se servait « suivant son idée. » Les vêtemens des plus pauvres, « propres et cossus, » ne différaient en rien de ceux des « richards ; » un simple jardinier était habillé comme son patron. Tout ce monde, hommes et femmes, se réunissait aux cabarets qui « ne désemplissaient pas les jours de dimanches et fêtes, » et où l’on buvait du vin d’Anjou[32]. Et voilà quelle est la vie d’une population qui, lorsque le Roi demande à ses sujets de lui faire entendre leurs motifs de plaintes, est représentée, dans son Cahier, comme étant pour la moitié inscrite sur l’état des pauvres, ou ne se procurant qu’avec peine les plus étroits moyens de subsistance ! Si, pourvus d’un si plantureux régime, les paysans d’autrefois se jugeaient dignes de pitié, c’est donc que la France de ce temps-là jouissait d’une prospérité dont nous ne pouvons nous faire une idée. Si, au contraire ils se lamentaient sans raison, il nous faut considérer leurs doléances comme une mystification. Le dilemme me paraît inattaquable. Et croyez donc à l’ « histoire officielle. »

Il serait inadmissible, d’ailleurs, que tant de voyageurs qui parcoururent alors la France et tinrent journal de leurs impressions se fussent unanimement trompés sur l’état de richesse du pays ou qu’ils eussent été leurrés par de simples apparences. Ce qu’ils éprouvent peut se résumer en cette phrase du docteur Rigby : « Quel pays que celui-ci ! Quel sol fertile ! Que les habitans sont industrieux ! Quel charmant climat ! » Ils ne sont point rares ceux qui, après avoir traversé nos provinces, sont atteints du spleen, dès qu’ils ont repassé la frontière ; ils finiront leurs jours dans la mélancolie pour avoir quitté la France après l’avoir entrevue. L’opinion de ces étrangers est particulièrement intéressante parce qu’elle repose implicitement sur une comparaison : chez nous, on ne comparait l’état social des paysans qu’avec un idéal inaccessible, et qui sait si la plupart de nos déceptions ne sont pas venues de cette utopie ? Peut-être, en rêvant le mieux, a-t-on compromis le bien ; peut-être que tout ce que les hommes ont imaginé depuis cent trente ans pour rendre la vie meilleure et plus facile, en a, au contraire, compliqué les rouages et détraqué le mécanisme, naguère si parfaitement simple. On étonnerait fort nos contemporains, — et plus encore par ce temps de vie chère, — en mentionnant le prix des denrées à la fin de l’ancien régime. En ce qui concerne la seule alimentation, Yves Besnard note que, en Anjou, vers 1780, le saumon, la lamproie, — poissons rares, — valent dix sols la livre : le poisson de mer, qui vient de Caen, est également à bon marché ; pour 10 ou 15 sous on a une couple de poulets ; deux canards pour 18 sous : quant au beurre, on le paie 5 à 6 sols la livre ; la douzaine d’œufs se vend 3 sols. Ceci n’était point particulier à la région, car à l’autre extrémité de la France, on vivait largement à vil prix : Mme de Belbèze, en écrivant à son mari, le tient au courant des comptes de la maison : dans son hôtel de Toulouse, ayant cuisinier, fille de cuisine, valet de chambre et bonne d’enfans, on ne dépense pas plus de 4 livres par jour[33]. Encore à l’aurore du Consulat, le baron de Frenilly, dont le revenu ne dépasse point « 10 à 12 000 livres, » possède vaste domaine à la campagne nécessitant régisseur et gardes-chasses, deux appartemens à Paris, dont l’un au faubourg Saint-Honoré, sept domestiques et un coupé « fait à Londres et charmant, à cela près qu’il était passé le mode et nous donnait, avoue-t-il, l’air de personnes distinguées de Brive-la-Gaillarde. »

Comment cet âge d’or a-t-il pris fin ? Par quelles séries de complications, par l’ingérence de combien d’intermédiaires, et de statisticiens, et de fonctionnaires occupés à faciliter les transactions, à encourager l’élevage, à stimuler l’émulation des Comices agricoles, à multiplier les moyens de transport, le poulet qui valait cinq sous arrive-t-il à nous coûter quinze francs ? C’est là un de ces mystères dont les économistes détiennent, bien certainement, l’explication ; mais, pour un profane, l’énigme paraît indéchiffrable.


Outre ces avantages matériels, non méprisables, nos ancêtres en avaient sur nous un autre que nous ne leur envions pas, faute d’être en état d’apprécier et sa douceur et son importance : ils aimaient leurs rois qu’ils considéraient, avec un respect mitigé de beaucoup de familiarité, à l’égal d’un chef de famille. Après tant et de si tragiques révolutions, cette assertion paraîtra téméraire ; « elle s’appuie cependant sur des constatations qu’on ne peut infirmer : à ce point de vue comme à bien d’autres, notre histoire a été tellement maquillée par les partis successivement triomphans, qu’à l’étudier autrement que dans leurs récits intéressés, on croirait lire la chronique d’une autre nation très lointaine et très dissemblable de nous. Il est certain que, dans les dix premières années du règne de Louis XVI, époque où ce sentiment atteignit son apogée, le peuple de France se sentait uni à ses maîtres par une longue succession de luttes, de gloires, d’efforts, de traditions, d’intérêts communs ; le lien paraissait indissoluble. Certes, depuis longtemps, des théoriciens novateurs entrevoyaient et « préparaient » l’ouragan ; ceci n’est point de notre sujet ; le peuple, lui, n’entendait pas gronder au loin l’orage ; il fut le dernier à s’apercevoir que le ciel se couvrait de nuages. Il était, de 1775 à 1785, enivré de joie de voir, comme l’a dit Michelet, « un honnête jeune Roi avec sa jeune épouse s’asseoir sur le trône purifié de Louis XV. » Quels espoirs ! Quelle détente universelle ! Quel libéralisme émanant de la couronne ! « Un noble enthousiasme animait tous les esprits, » écrivait Malesherbes : il semblait que le bonheur du pays était à tout jamais assuré. Même ceux qui avaient à se plaindre de quelque agent du pouvoir ne rendaient pas le souverain responsable de cette oppression subalterne — « Ah ! si le Roi le savait ! » disaient les pauvres gens tracassés par le fisc. Et les femmes de Paris appelaient Louis XVI « notre bon papa. »

Que ce sentiment contînt une part de factice, on l’accorde. On y aurait trouvé aussi, à l’analyse, l’amour-propre satisfait, le peuple se trouvait inconsciemment flatté d’obéir à des maîtres en comparaison desquels tous les monarques de l’Europe et de l’Asie n’étaient que « des rois de province. « Il s’enorgueillissait du prestige incontesté de l’auguste famille à laquelle étaient liées ses destinées. Il n’était pas peu fier que la Cour de France fût la plus somptueuse, que le palais de Versailles fût le plus admiré du monde : les robes de bergère que portait la Reine à Trianon, et ses courses en fiacre dans Paris ont plus ébranlé la monarchie que ne l’avaient fait les coupables gaspillages de Louis XV.

« La splendeur est indispensable à une Cour française ; ce n’est pas la vanité des princes, c’est la vanité du peuple qui détermine cette nécessité[34]. » Sébastien Mercier a finement noté ce trait de notre caractère : « Un bourgeois de Paris dit très sérieusement à un Anglais : Qu’est-ce que votre Roi ? Il est mal logé, cela fait pitié… Voyez le nôtre… Est-ce là un château superbe ? En avez-vous un pareil à citer ? Quelle grandeur, quel éclat ! Nos princes du sang ont une Cour plus brillante que celle de votre roi d’Angleterre[35]. » Ainsi les « petites gens » tirent-ils gloire de cette magnificence : bien loin de la jalouser ou d’en critiquer la dépense, le peuple en use avec un contentement manifeste et s’y considère comme chez soi. C’est Mercier encore, observateur pénétrant, qui nous révèle cette bonhomie, pure.de toute malice : « Les Parisiens prennent la galiote jusqu’à Sèvres et, de là, courent à pied à Versailles pour y voir les princes, la procession des cordons bleus, le parc, puis la ménagerie. On leur ouvre le grand appartement… Ils se pressent, à midi, dans la galerie pour contempler le Roi qui va à la messe, et la Reine, et Monsieur et Madame, et Monsieur Comte d’Artois, et Madame Comtesse d’Artois ; puis ils se disent l’un à l’autre : As-tu vu le Roi ? — Oui, il a ri. — C’est vrai, il a ri. — Il paraît content. — Dam ! c’est qu’il y a de quoi ! — Au grand couvert, ils remarquent que le Roi a mangé de bon appétit, que la Reine n’a bu qu’un verre d’eau… Voilà qui fournira à l’entretien pendant quinze jours, et les servantes allongeront le col pour mieux écouter ces nouvelles[36]. »


On compterait, de nos jours, en France, un nombre très considérable d’électeurs, et non des plus ignares, obstinément persuadés que, sans la Révolution, tout ce qui ne porte pas une particule passerait actuellement son temps à battre l’eau des étangs pour imposer silence aux grenouilles, afin que les nobles pussent reposer en paix. C’est ce qu’on a appelé l’argument ad bestiam. En temps de période électorale, il est décisif et triomphal. Jamais plus on ne convaincra notre pays que, — contrairement à ce que lui enseigne l’école, — sur la fin des « dix-huit siècles d’oppression, » — autre cliché d’un effet sûr, — paysans, nobles et bourgeois, grands seigneurs et « vilains, » vivaient dans une sorte de camaraderie, et que la division entre les diverses classes de la société était infiniment moins accentuée qu’aujourd’hui. Un exemple entre cent tout aussi probans : le duc de Croy a été convié à la noce de S. A. S. le prince de Condé : noce très gaie. Certain matin, après avoir dansé toute la nuit, les mariés et leurs intimes, — treize ou quatorze personnes, — s’empilent dans une tapissière, — on disait une « gondole » alors, — quittent le Palais-Bourbon à l’aube levante, font le tour par le Pont-Neuf et vont jusqu’à la place Vendôme réveiller un ami qui habite là et qu’on veut emmener à Vanves où on a résolu de passer la journée. La nouvelle épouse, — Charlotte-Godrefride-Elisabeth de Rohan-Soubise, — reste dans la voiture, tandis que ses compagnons secouent le dormeur : il consent enfin à se laisser entraîner, et voilà toute la bande en route pour la banlieue. À Vanves, on patauge durant deux heures ; — on est en février ; — on « court la bague, » on joue « au rat, » et on se promène dans le village où l’on rencontre une noce de paysans se dirigeant vers l’église. Charmante aubaine ! Les deux noces n’en feront qu’une villageois et altesses se mêlent ; on entre ensemble à la paroisse : le curé improvise un petit compliment et reconduit toute cette jeunesse jusqu’à la maison des mariés où est dressée une table de quarante couverts chargée de volailles et de pâtés. « Nous en emportâmes un et fûmes nous réjouir avec les gens de la noce, » relate simplement le duc de Croy, qui ne juge nullement déplacée cette escapade[37] ; notre intelligence de l’histoire est à ce point faussée que, mise au théâtre, fût-ce dans une opérette, une telle anecdote nous paraîtrait d’une extravagante invraisemblance.

À lire les vieux récits laissés par les contemporains, nous croyons comprendre, — à peu près, — que cette tendresse du peuple pour ses maîtres s’accroissait d’une confiance réciproque : on se la témoignait, de part et d’autre, en toute occasion : les souverains ne redoutaient pas de se mêler à la foule ; ils la recherchaient au contraire, certains de la trouver toujours, — miracle de l’amour ! — pleine de tact, de respect discret et de convenance. Quoi de plus révélateur sur ce point que l’aventure d’un étudiant tourangeau récemment débarqué de sa province et qui, curieux de visiter Versailles, est venu y passer une journée en compagnie d’une jeune femme, sa compatriote, dont l’allure nonchalante et la taille arrondie ne laissent aucun doute sur de prochaines espérances de maternité. Ils ont vu les appartemens, la famille royale se rendant à la chapelle, les jardins, Trianon… Vers le soir, les deux provinciaux flânent sur la terrasse du château, parmi une grande affluence composée de gens de tous les mondes : il y a même des bateleurs et des faiseurs détours. Mais la promeneuse est excédée de fatigue : où se re(>oser ? Tous les bancs de marbre sont occupés. Enfin le jeune homme en avise un sur lequel deux femmes seulement sont assises : il s’élance, et va s’emparer de l’espace resté libre à côté d’elles ; il en prend, sans cérémonie, possession, fait signe à sa compagne, jette un regard sur sa voisine… C’est la Reine ! Le voilà aussitôt debout, saluant, s’excusant, exposant les motifs de son intrusion : et Marie-Antoinette insiste pour qu’il aille au plus vite chercher celle à qui est destinée la place si vaillamment conquise. Au moment où la dame, fort troublée, va s’asseoir, la Reine fait signe à un heiduque qui passe, lui ordonne de courir aux appartemens et d’en rapporter un coussin qu’elle dispose elle-même sur le banc, disant : « Ce marbre est trop froid pour vous en ce moment, madame ; votre état exige les plus grands soins… » Et la promeneuse enfin installée, la conversation, s’engage, aussi simple qu’entre campagnards qui prennent le frais devant leur porte[38].

Quelques années plus tard, le provincial revit la Reine, au théâtre, cette fois. Devenu auteur dramatique, il avait écrit un livret d’opéra-comique, Pierre le Grand, dont Grétry composa la musique. Marie-Antoinette assista à l’une des représentations, et voici ce que Bouilly raconte : dès qu’elle parut dans sa loge, tous les spectateurs, debout, acclamèrent ses trois révérences ; à peine assise, elle promena ses regards sur la salle et découvrit, dans une baignoire, la fille de Grétry, Antoinette, dont elle était la marraine. Alors, quittant son gant, la Reine déposa sur le bout de ses doigts un baiser qu’elle fit voler d’un souffle vers sa filleule. Cette infraction charmante à l’étiquette, ce gentil geste de grâce et de gaminerie, déchaîna une tempête de bravos, de pleurs, qui interrompit, durant près d’un quart d’heure, l’orchestre et les chanteurs[39].

Car ce qui plaisait le plus aux bons Parisiens, c’était de surprendre ces petites manifestations affectueuses qui les mêlaient à l’intimité de leurs souverains ; la persuasion que ceux-ci les prenaient, en quelque sorte, pour confidens et témoins de leurs sentimens, les flattait et les attendrissait jusqu’aux larmes. Au Bois de Boulogne, un jour, Marie-Antoinette, montée sur un cheval qu’elle menait « supérieurement, » rencontra le Roi qui, ayant renvoyé sa garde, se promenait suivi d’un important groupe de badauds. La Reine sauta à bas de sa monture : Louis XVI courut à elle et l’embrassa sur le front. La foule applaudit, très émue déjà. Alors le Roi appliqua un gros baiser sur chacune des joues roses de sa femme, et le peuple, autour d’eux, cria d’enthousiasme, pleura de bonheur ; « tout le bois retentit d’acclamations. » On juge d’après cela quelle importance prenaient pour ce bon peuple, si sensible, les « événemens de famille, » tels que la naissance d’un dauphin. Notre époque ne peut imaginer quelle était l’angoisse dans la France entière, dès les prémices de la nouvelle : lorsqu’elle était connue enfin, « toutes les têtes tournaient » de folie ; l’allégresse se manifestait en transports aussi sincères que bruyans, dans les cafés, dans les spectacles, dans les faubourgs populeux, chez les plus pauvres. On s’abordait dans la rue entre inconnus, on se jetait dans les bras du premier venu ; ceux qui étaient admis au bonheur de contempler l’enfant royal tremblaient d’émotion et sanglotaient de joie. En 1781, le duc de Croy consigne dans son Journal : « On me conduisit chez le Dauphin qui me fit de jolies mines ; les larmes m’en vinrent aux yeux ; l’ancienne gouvernante que j’avais vue, celle du grand-père, m’en sauta au col. La scène fut fort touchante. » Telle était la note. Et il n’y avait pas seulement des ducs à la faire entendre. Tout Paris défila à Versailles ; les corps de métiers vinrent tous rendre hommage au nouveau-né : le cortège fut d’une ingéniosité touchante : les ramoneurs « aussi bien vêtus que ceux qui paraissent sur le théâtre, » traînaient une cheminée en haut de laquelle était juché un de leurs plus petits compagnons ; les porteurs de chaises en avaient une très dorée où se voyait une plantureuse nourrice et un gros poupon ; les serruriers, frappant sur une enclume, forgeaient une couronne ; les cordonniers achevaient une petite paire de bottes pour le dauphin au berceau ; les tailleurs mettaient la dernière main à un minuscule uniforme aux couleurs de son régiment. Les fossoyeurs eux-mêmes… Mais on s’aperçut à temps de leur présence et on les dirigea vers les communs du palais, tandis que les autres corporations défilaient sur la terrasse. Les dames de la Halle, elles, vêtues de robes de soie noire et, pour le plus grand nombre, parées de diamans, furent reçues selon le cérémonial accordé à leur clas.se ; elles dînèrent dans les appartemens royaux ; on les introduisit dans la chambre de la Reine, où se trouvait Louis XVI, à qui l’une d’elles chanta des couplets :


Ne craignez pas, cher papa,
D’voir augmenter votre famille,

Le bon Dieu z’y pourvoira.
Fait’s-en tant qu’Versaille en fourmille !… etc.[40].


C’était sans façon ; mais, encore une fois, ça se passait en famille !… Ces choses, dites de bon cœur et acceptées de même, n’étonnaient alors personne et réjouissaient nos bons aïeux ; quant à l’impression qu’elles suscitaient chez les étrangers, elle fut résumée par un mot de l’empereur Joseph II qui, se trouvant, un soir, à l’Opéra, avec Marie-Antoinette, fut si frappé de l’enthousiaste et affectueux accueil fait par le public à la souveraine, qu’il s’écria : « Quelle charmante nation ! » Sur quoi, le Comte d’Artois lui sauta au cou en disant : « Voyez comme nous aimons nos maîtres ! » Tout ce qui était à portée, écrit un témoin, « fondit en larmes de joie[41]. »


À pousser davantage le tableau, on risquerait de faire rire : ce peuple et ces souverains qui pleurent, dès qu’ils se rencontrent, tant ils s’aiment, paraîtront exagérément sensibles ; mais, à coup sûr, cette sentimentalité comptait pour beaucoup dans l’irrésistible charme de l’autrefois et l’on ne pouvait s’abstenir de lui donner une place dans un essai d’exégèse du mot de Talleyrand évoquant avec mélancolie l’attrait aboli du temps de sa jeunesse. La société dont il déplorait la disparition était, nous avons tenté de le montrer, simple, polie, accueillante, cordiale, confiante, gaie et affectueuse ; et voilà bien des agrémens qui justifieraient, en effet, beaucoup de regrets, s’ils étaient perdus pour toujours. Mais il n’en est rien : la France les possède encore, ces vertus de nos pères, et on ne les lui prendra pas plus qu’on ne peut lui ravir son sol merveilleux, son climat enchanteur, son admirable situation géographique, tous les élémens de prospérité et de grandeur qu’elle a reçus du ciel. Seulement, comme nous n’aimons pas à passer pour naïfs et que nous nous sommes, à la longue, avisés que nous étions souvent les victimes de notre bonhomie constitutionnelle, nous avions mis un masque sur nos qualités héréditaires : un masque de scepticisme, de méfiance, d’ironie, d’indifférence et d’égoïsme. On saura plus tard quelle part eut à cette néfaste métamorphose l’instinctive mise en garde contre la pénétration des intrus d’outre-Rhin, qui s’installaient partout à nos côtés, voire à nos places, et ramenaient peu à peu le ton de notre insouciante délicatesse au diapason de leur audacieuse grossièreté.

C’est de cet insensible bouleversement qu’est né le snobisme, un travers si peu de chez nous qu’il a fallu, pour le désigner, enrichir notre langue d’un terme étranger, lequel exprime, au dire d’un philosophe, « la béatitude éprouvée par certaines gens en se sentant transplantés de leur milieu naturel dans un milieu plus en évidence. » C’étaient là amusemens mesquins d’avant-guerre : nous avons mieux à faire, désormais ; et puisque nous devons, d’un même cœur, travailler à rendre au plus vite à notre pays son antique auréole de grâce et de séduction, et contribuer à acquitter le montant de la victoire, nous n’avons qu’à méditer ce mot du sage Franklin : « Les impôts que lève l’État sont toujours supportables ; mais les taxes de la mode et de la vanité sont exorbitantes ; » sur quoi nous redeviendrons nous-mêmes et connaîtrons, à notre tour, « la douceur de vivre. » Qu’on ne cherche point, surtout, dans cette rêverie d’un oisif, vaine et inutile comme toutes les rêveries, — à peine excusable en ce temps d’action, — la moindre velléité de dénigrer la France moderne : se plaire, aux heures de loisir, à la fréquentation de celle de jadis n’exclut pas l’admiration qui est due à celle d’aujourd’hui. Et comment pourrait-on ne pas vénérer et chérir une mère dont les enfans étonnent le monde par leur abnégation filiale, leur sublime endurance, leur héroïsme, et qui, depuis trois ans, tracent, chaque jour, de leur sang, les pages d’une épopée qui fera l’émerveillement de l’histoire ?


G. LENOTRE.

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. De Boigne, I, 44.
  3. La Révolution française, janvier 1910.
  4. Journal du comte Charles de Clary et Aldringen, publié par M. le baron de Mitis et M. le comte de Pimodan, p. 55.
  5. Un Prussien en France1792, p. 316.
  6. De Boigne, I, 209.
  7. Journal d’un Voyage à Paris, traduit et annoté par P. Lacombe.
  8. Par Thiery, 2 vol, in-16.
  9. Journal inédit de Mme Cradock, traduit de l’anglais par Mme O. Delphin-Balleyguier, page 73.
  10. La Vie parisienne sous Louis XVI, d’après le manuscrit de François Cognel, passim.
  11. Revue rétrospective, nouvelle série. Tome X, Un Anglais à Paris.
  12. Mémoires de Mme Du Hausset, 1824, p. 174.
  13. Mémoires de la duchesse de Gontaut, p. 50 et suiv.
  14. Souvenirs d’un Nonagénaire, I, p. 343.
  15. Journal de Mme Cradock.
  16. Voyage d’un Anglais à Paris, 1788, Revue rétrospective 1889. Tome X, et Reichard, Guide du voyageur en France.
  17. Lettres, traduites de l’anglais par M. Caillet. introduction par le baron de Maricourt.
  18. Souvenirs inédits de Delécluze, Revue rétrospective. Tome X, p. 272.
  19. Vie publique des Français, I, 355.
  20. Souvenirs d’un nonagénaire, T, 207.
  21. Un hiver à Paris sous le Consulat, 222.
  22. . Mémoires du général Bigarré, 131.
  23. Mémoires de Beugnot, 1868, II, 289.
  24. Journal du comte Apponyi, I, 360.
  25. Frénilly, 178.
  26. Auguste Puis, Une famille de parlementaires toulousains à la fin de l’ancien régime. Correspondance du conseiller et de la comtesse d’Albis de Belbèze, 1783-85.
  27. Frénilly, 103.
  28. Docteur Poumiès de la Siboutie, Souvenirs d’un médecin de Paris, p. 8.
  29. Octave Teissier, La maison d’un bourgeois de Marseille au XVIIIe siècle, cité par M. H de Gallier, Les mœurs et la vie privée d’autrefois.
  30. Souvenirs d’un médecin de Paris, 10.
  31. Voyage d’un Anglais en France.
  32. Souvenirs d’un nonagénaire.
  33. Une famille de parlementaires Toulousains, p. 187.
  34. Xavier Aubryet, Les représailles du sens commun, 195.
  35. Tableau de Paris, 1782, IV, 256.
  36. Tableau de Paris, 1782, IV, 250.
  37. Mémoires du duc de Croy, 138, 139.
  38. J. N. Bouilly. Mes récapitulations, I, 191.
  39. Idem. I, 285.
  40. Mémoires de Mme Campan, 1823, I, 272.
  41. Mémoires du duc de Croy, 361.