Rapport sur l’organisation de l’instruction publique en Tunisie

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Rapport sur l’organisation de l’instruction publique en Tunisie
Revue pédagogique, second semestre 1883 (p. 35-43).

L’ORGANISATION
DE

L’INSTRUCTION PUBLIQUE EN TUNISIE

Rapport présenté à M. le Ministre de France à Tunis par M. Machuel, délégué dans les fonctions d’inspecteur d’académie pour les écoles tunisiennes.


Monsieur le Ministre,

Le service dont l’organisation s’impose tout d’abord en Tunisie est celui de l’instruction publique. C’est lui qui doit préparer le personnel indispensable aux autres services, et c’est parmi les élèves sortis de nos écoles que les employés tunisiens devront être recrutés. Il est donc urgent de nous occuper dès maintenant de la création de ces écoles et de rechercher les moyens les plus pratiques et les plus rapides d’instruire les indigènes. Il faut aussi que nous arrivions, dans un temps très rapproché, à former des instituteurs arabes, sachant suffisamment notre langue pour pouvoir l’enseigner, façonnés à nos méthodes, imbus de nos idées et dévoués à notre cause. C’est sur eux que nous devons compter pour assurer notre influence, pour répandre nos idées et pour amener leurs coreligionnaires à nous considérer comme leurs défenseurs naturels.

Je vais vous soumettre, monsieur le ministre, un projet d’ensemble auquel, sans doute, un examen plus attentif de la question fera apporter des modifications, mais qu’il serait peut-être avantageux d’appliquer rapidement.

Je crois nécessaire toutefois de le faire précéder de quelques renseignements sur l’état actuel de l’enseignement en Tunisie, afin d’examiner s’il ne serait pas possible d’utiliser ce qui existe déjà. L’instruction est donnée aux indigènes dans trois sortes d’établissements : les mekâteb[1] ou écoles primaires, les medâres[2] ou écoles supérieures, et le collège Sadiki[3]

Les écoles primaires sont au nombre de 112. Elles ont une population scolaire de 3,480 élèves, ce qui donne une moyenne de 30 enfants par école. Je ne parle ici que de celles de la capitale. Ces établissements sont absolument privés, c’est-à-dire qu’ils sont tenus par des maîtres que les parents paient eux-mêmes (de un à cinq francs par mois) et qui ne reçoivent aucun secours, soit du gouvernement beylical, soit de la commission chargée de l’administration des biens habous[4]. Tout individu sachant le Coran peut tenir une de ces écoles après avoir obtenu l’autorisation de l’administration. L’enseignement que les enfants y reçoivent se borne à la lecture, à l’écriture et à l’étude du Coran. Il est donc avant tout religieux. L’élève doit être muni d’une planchette en bois sur laquelle il écrit, sous la dictée du maître, des versets du livre sacré. Chaque jour il est tenu de réciter, sans commettre la moindre faute, le texte écrit sur l’un des côtés de la planchette qu’il lave ensuite pour écrire la partie qui continue le texte qui se trouve de l’autre côté. À l’heure de la dictée, tous les élèves se réunissent en cercle autour du maître qui, sans le secours d’aucun livre, dicte à chacun d’eux ce qu’il doit écrire, de sorte qu’il est obligé de se rappeler, dans un même temps, les termes de quinze ou vingt chapitres différents. Tout cela se fait sans ordre et sans méthode. Jamais aucune explication n’est donnée à l’étudiant sur la grammaire, le sens des mots, l’histoire, etc. Le moueddeb[5] serait du reste fort embarrassé de le faire, car, en dehors du Coran, il ne sait absolument rien, le plus souvent, et il ignore les choses qui nous paraissent les plus élémentaires. Cet enseignement se continue tant que les enfants ne savent pas entièrement par cœur le livre de Dieu, ce qui demande en moyenne cinq années. Il en est beaucoup qui quittent l’école avant d’avoir obtenu ce résultat, soit pour apprendre un mélier ou se livrer au commerce, soit par dégoût pour l’étude. L’enseignement donné aux enfants par les indigènes s’adresse donc complètement à la mémoire et rien qu’à elle. Leur jugement n’est absolument pas exercé ; leur attention n’est aucunement tenue en éveil ; leur intelligence ne tire qu’un maigre profit du régime auquel elle est soumise.Il n’y a jamais entre le maître et les élèves le moindre échange d’idées ; aussi, lorsque les étudiants sortent de ces écoles, sont-ils incapables d’écrire, sans commettre les erreurs les plus grossières, dix lignes dans leur propre langue. J’ajouterai que le tâleb est autorisé à sévir de toutes les façons contre les élèves dont il a lieu de se plaindre et qu’il se sert souvent de sa baguette pour stimuler leur ardeur. Enfin, je ferai observer qu’à l’heure des leçons tous les élèves étudient à voix haute[6].

L’État n’exerce aucune surveillance sur les mekâteb, qui échappent entièrement à sa direction. Les familles elles-mêmes ne s’occupent jamais de la tenue de ces écoles, de leur matériel, toujours très modeste d’ailleurs, de leur installation. Toutes celles que j’ai visitées avaient pour local une salle de quelques mètres carrés seulement, avec cinq ou six nattes[7].

J’y ai été reçu très froidement, car, je le répète, elles ont un caractère complètement privé, et en y pénétrant, même avec une autorisation du premier ministre et en compagnie d’un notable de la localité, je violais en quelque sorte le domicile d’un particulier.

L’enseignement supérieur se donne à Tunis à la grande mosquée appelée Djama Zitoûna[8].

Là un grand nombre de professeurs, fort instruits dans leur partie, font des cours de droit, de grammaire, de rhétorique, de théodicée. fs expliquent aussi le Coran à l’aide de commentaires, mais ils font rarement des cours de littérature proprement dite[9]. La poésie, l’histoire, la géographie n’occupent dans l’enseignement qu’une place tout à fait effacée ; l’étude des sciences y est à peu près inconnue. Les branches les plus cultivées sont le droit et la grammaire. Les professeurs en développent les points les plus obscurs, s’arrêtent aux subtilités de tous genres et arrivent par ce moyen à ne rien apprendre à la majorité de leurs auditeurs. Ceux dont l’intelligence a pu profiter quelque peu de cet enseignement, qui rappelle l’enseignement scolastique du moyen âge, deviennent cadi, adel, fonctionnaires de l’administration, etc. Les plus distingués peuvent aspirer à leur tour au professorat.

Les étudiants qui fréquentent ces cours (ils sont, m’a-t-on dit, au nombre de 700 environ) sont entretenus pour la plupart à l’aide des revenus des biens habous. La commission chargée de la gestion de ces biens leur donne mensuellement une certaine somme avec laquelle ils pourvoient à leur entretien. Beaucoup demandent leur nourriture à la générosité de riches particuliers. Ils sont logés dans des établissements qui portent le nom de medâres (au singulier medraça), et dans lesquels certains cours se font également. Ces medâres, qui sont relativement bien installées, n’ont en général qu’un rez-de-chaussée où il y a une salle d’étude décorée du nom de mosquée et un certain nombre de chambres, de 20 à 40, occupées par deux, trois et même quatre étudiants. Au milieu se trouve le plus souvent une vaste cour entourée d’arcades. Voilà où nous pourrons peut-être trouver des locaux pour nos écoles. Les étudiants que j’ai vus paraissaient avoir de 18 à 30 ans. Ils m’ont dit qu’ils venaient des différents pays de la Tunisie, surtout des villes de la côte. Ils m’ont écouté avec un certain intérêt et ont mis le plus grand empressement à me donner tous les renseignements que je leur ai demandés[10].

Le collège Sadiki est, à proprement parler, un établissement d’enseignement secondaire. C’est aussi le seul qui rende des services réels à la Tunisie. Je me propose de vous en parler longuement dans un rapport spécial que je vous adresserai ultérieurement. Il a subi tout récemment une amélioration notable et fonctionne actuellement dans d’assez bonnes conditions : mais il sera nécessaire d’y apporter encore des réformes profondes. Ce collège nous sera d’une très grande utilité ; nous pourrons y former des jeunes gens suffisamment instruits parmi lesquels les diverses administrations de la Régence recruteront leurs employés. et (ce qui doit nous intéresser davantage) un personnel complet pour nos écoles. Mais il est indispensable qu’un régime tout différent soit appliqué aux étudiants qui se destineront à la carrière de l’enseignement et que le mode de recrutement des élèves soit changé.

Projets proposés.

D’après les détails qui précèdent, vous voyez, monsieur le ministre, qu’il est à peu près impossible d’utiliser, en dehors du collège Sadiki, les établissements d’instruction en Tunisie. Nous ne pouvons absolument pas compter sur les écoles que j’ai appelées primaires et qui sont tout à fait privées. Le gouvernement n’a sur elles aucune action, et nous ne saurions, sans danger de froisser la population, y introduire notre enseignement. En admettant même que la chose fût possible, dans quelles conditions se ferait-elle ? Aurions-nous des maîtres qui iraient dans quelques-unes seulement, où les élèves seraient réunis à certains moments, faire, pendant une ou deux heures par jour, des cours de français ? Combien de maîtres ne nous faudrait-il pas ! Et le matériel, et les salles même, où les trouverions-nous ? car tous les locaux que j’ai vus seraient difficilement appropriés à notre enseignement. Du reste, j’affirme que la chose est impossible et que, si on voulait la mettre à l’essai, on blesserait sans résultat utile toute la population, même si les maîtres chargés de l’enseignement du français étaient musulmans. L’indigène tunisien, quoique plus sage, plus policé que ses coreligionnaires d’Algérie, tient encore à sa religion, bien qu’elle ne soit pas chez lui entachée de fanatisme et qu’il sache faire plier les exigences du culte aux nécessités de notre époque de progrès. Il acceptera avec joie nos leçons, mais à la condition qu’elles ne toucheront pas aux questions religieuses. Or si nous voulons faire pénétrer notre enseignement dans les lieux destinés spécialement à l’étude du Coran, nous l’indisposerons contre nous. Il est donc prudent de notre part de ne rien faire qui puissé lui permettre de croire que nous voulons nous immiscer dans le domaine de la religion. Ce que nous ne devons pas faire maintenant, peut-être viendra-t-il le demander lui-même plus tard.

Voici, à mon avis, ce qu’on pourrait faire avec beaucoup de chances de succès, en attendant que nos cours normaux convenablement installés et le collège Sadiki nous aient fourni un personnel tunisien suffisant.

Il faudrait créer à Tunis pour les indigènes trois ou quatre écoles à la tête desquelles nous placerions des maîtres français sachant l’arabe. Si le nombre des élèves l’exige, on prendrait au collège Sadiki des adjoints qui, sous la surveillance de l’instituteur, seraient chargés de certaines classes, ce qui aurait l’avantage de les préparer à l’enseignement tout en leur permettant d’achever leurs études. Pour les locaux, nous obtiendrions sans doute (et il faudra que le gouvernement tunisien s’y prête de bonne grâce) plusieurs de ces medâres dont j’ai parlé plus haut, et qui, par leur disposition intérieure, conviendraient assez à l’installation de ces écoles, si les aménagements nécessaires sont reconnus possibles par un architecte. Le directeur y aurait même son logement. On conserverait la mosquée, dans laquelle se ferait l’enseignement du Coran que je juge indispensable de maintenir jusqu’à nouvel ordre.

Dans les commencements, je ne demanderais que cinq heures de classe par jour aux directeurs, et je leur ferais faire, quatre ou cinq fois par semaine, des cours d’adultes. Ces cours seraient, j’en ai la certitude, favorablement accueillis par les jeunes gens tunisiens, et nous pourrions sans doute augmenter ainsi rapidement le nombre de nus élèves-maîtres. En tout cas, ils auraient pour résultat d’assurer notre influence, d’augmenter la confiance des indigènes dans notre protectorat, en leur faisant voir que nous ne cherchons que leur bien et que nous voulons Îles rapprocher le plus possible des peuples civilisés de l’Europe. Je recommanderais même aux maîtres français de consacrer une partie de leurs cours à des conversations sur des sujets divers capables d’intéresser leurs auditeurs et de frapper leur imagination. Nos instituteurs seraient ainsi, en dehors de leur rôle pédagogique, ce que j’appellerais volontiers des semeurs d’idées.

Je voudrais aussi faire réserver une des plus belles medâres a ceux des étudiants indigènes qui demanderaient à étudier notre langue et qui consentiraient à accepter plus tard des postes d’instituteurs. On leur procurerait plus de confortable, on veillerait à ce que leurs chambres fussent mieux entretenues, on demanderait pour eux à la commission chargée de la gestion des biens habous une allocation plus forte, de façon à les attirer ; mais aussi on exercerait sur eux une surveillance de tous les instants, et on exigerait un travail sérieux et continuel et des progrès sensibles sous peine d’être renvoyés. Le professeur ou les professeurs d’arabe qui font actuellement des cours dans cette medraça continueraient leurs leçons. mais en dehors des heures qui seraient réservées à l’étude du français. Je mettrais dans cet établissement, qui serait comme l’embryon d’une école normale dont la nécessité se fera bientôt sentir (car le collège Sadiki devra conserver son caractère d’établissement secondaire), le meilleur instituteur qui nous serait envoyé. On diviserait dans la suite les étudiants en plusieurs années suivant le degré de leurs connaissances, et plus tard on n’accepterait dans cette école que les meilleurs élèves des écoles primaires de toute la Régence. Je crois que nous arriverions à créer ainsi, à peu de frais, un établissement durable et sérieux.

En outre, monsieur le ministre, je voudrais voir s’ouvrir le plus tôt possible, dans les principales localités de la Tunisie (Bizerte, Béja, le Kef, Monastir, Sousse, Kairouan, etc.), une dizaine d’écoles semblables à celles de Tunis et où l’on pourrait aussi admettre des Européens. Nous obtiendrions les locaux encore plus facilement au dehors que dans la capitale. L’autorité militaire, jalouse de nous aider dans cette lâche essentiellement pacifique, nous faciliterait, j’en suis sûr, les moyens d’obtenir ce que nous désirerions. Il faudrait même demander dès maintenant des locaux dans tous les endroits où une garnison a été établie, dussions-nous ne pas les utiliser tout de suite : nous les aurions au moins pour plus tard. En outre, quel inconvénient y aurait-il à demander que, dans certains endroits, des jeunes gens pris dans l’armée, sergents ou autres, fussent détachés pour tenir momentanément, moyennant une très légère rétribution, quelques-unes de nos écoles reculées ? Ces différents instituteurs nous prépareraient rapidement des candidats pour mes cours du collège Sadiki et de l’école normale, et, au bout de quelques années, nous aurions formé une pépinière d’instituteurs indigènes que nous répandrions dans toute la Tunisie. La dépense première que nous serons obligés de faire sera largement compensée par les résultats que nous obtiendrons. Du reste, elle ne sera pas très forte, puisqu’il ne nous faudra qu’une quinzaine de maîtres.

Au surplus, voici un état approximatif des dépenses auxquelles entraînerait l’installation de ces différentes écoles :

Écoles dirigées par des instituteurs diplômés :
Appointements de l’instituteur français…Fr.
3.000
Appointements du maître indigène
500
Matériel de classe
250
Fournitures de classe
250
Total…Fr.
4.000
Soit pour 10 écoles 40, 000 francs.
Écoles tenues par des militaires.
Indemnité au maître français…Fr.
500
Indemnité au maître indigène
500
Matériel de classe
250
Fournitures de classe
250
Total…Fr.
1.500
Soit pour 10 écoles 45, 000 francs.
Total pour les 20 écoles : 55, 000 francs.

À cette somme il convient d’ajouter 5, 000 francs pour payer les primes d’arabe aux instituteurs qui auraient subi l’examen avec succès, et pour couvrir les dépenses imprévues.

En résumé une somme de 60, 000 francs serait nécessaire pour parer aux premières nécessités, et, si elle nous est accordée, nous serons à même d’ouvrir, dès le mois d’octobre prochain, une vingtaine d’écoles dans toute la Tunisie.

Quand je songe à l’importance qu’il y a pour nous à répandre largement l’instruction et surtout la connaissance de notre langue dans ce beau pays ; quand je pense à la grandeur de cette œuvre si digne de la France, et aux résultats féconds qu’elle entraîner, il me semble impossible que le gouvernement de la République, qui s’est toujours montré si généreux pour l’enseignement, ne nous aide pas de tout son pouvoir. Et il ne s’agit pas pour nous de faire en Tunisie un essai dont la réussite soit problématique ; le succès ici est certain, et nous pouvons affirmer dès maintenant que nos écoles seront favorablement accueillies par les indigènes et qu’elles prospéreront rapidement.

Je viens donc vous prier, monsieur le ministre, de vouloir bien demander au gouvernement les crédits nécessaires pour mettre à exécution les projets que j’ai l’honneur de vous présenter, s’il vous semble convenable de les adopter. Je vous serai reconnaissant d’insister auprès de M. le ministre de l’instruction publique pour que ces crédits nous soient accordés le plus tôt possible. Si nous n’ouvrons pas quelques écoles au mois d’octobre prochain, nous perdrons une année entière, ce qui sera surtout regrettable au point de vue de l’instruction des élèves-maîtres que nous voulons former. Si l’État ne peut pas nous donner 60,000 francs que nous demandons pour ouvrir 20 écoles, qu’il mette au moins à notre disposition les fonds nécessaires pour installer celles de Tunis.


  1. Le mot mekâteb est le pluriel du substantif mekteb, qui signifie proprement lieu où l’on écrit. Les écoles primaires sont encore appelées en Tunisie kettâb ou bien ketâteb.
  2. Medâres, pl. de medraça (prononcé dans l’usage oral mederça), veut dire lieu où l’on enseigne.
  3. Sadiki est un adjectif relatif tiré du nom du bey Mohammed Essâdek, Le collège Sadiki a été fondé en 1874 par le général Kbeireddine, qui voulait fonder en Tunisie un personnel administratif absolument indigène, mais connaissant les langues des peuples de l’Europe et façonnés à leurs mœurs. Cet établissement avait été très richement doté ; malheureusement l’incurie du gouvernement et les irrégularités d’une administration insouciante ou coupable l’ont privé d’une grande partie de ses revenus.
  4. On appelle biens habous des biens immobilisés en faveur d’une mosquée, d’une école, d’un établissement de bienfaisance, des pauvres des deux villes saintes la Mecque et Médine, etc. Toute propriété, constituée habous, est inaliénable, et ses revenus doivent être nécessairement employés à l’objet auquel ils étaient destinés. En Tunisie, un grand nombre de mosquées et de medâres ont des habous importants qui, bien administrés, permettraient d’entretenir des professeurs et des élèves nombreux. Malheureusement leurs revenus sont dilapidés.
  5. Le moueddeb est, à proprement parler, celui qui est chargé de l’éducation. En Tunisie les maîtres primaires portent ce nom. En Algérie, on les appelle cheïkh (littér. vieillards), derrar, tâleb.
  6. Il n’est pas rare de rencontrer des indigènes qui savent par cœur, en dehors du Coran, qui est la base de toutes les études, un ou deux ouvrages de grammaire avec commentaires, un ouvrage de droit, différents traités de théodicée, etc., etc., mais qui ne sauraient rédiger une lettre d’un ordre d’idées simple.

    Voici quelques autres détails sur l’enseignement des écoles coraniques. Lorsqu’un élève est envoyé en classe, ses parents lui donnent une petite planchette, généralement en bois d’olivier, de noyer ou de chêne, sur laquelle le maître race les lettres de l’alphabet arabe, après l’avoir enduite d’une couche très légère de terre glaise appelée sensâl (régulièrement selzâl). Un moniteur fait répéter à l’élève ces lettres jusqu’à ce qu’il les possède bien ; puis il lui enseigne à les tracer, à les grouper, à les prononcer avec les voyelles, etc. Lorsque l’enfant commence à savoir lire, le maître lui écrit avec l’extrémité opposée de la plume, qui est toujours en roseau, les premiers versets du Coran ct l’élève les repasse à l’encre. Cette encre est faite avec de la laine grillée trempée d’eau, Quand l’enfant a acquis une certaine habitude, on l’exerce à écrire sous la dictée sa leçon du lendemain. Un jour par semaine le magister fait réciter à chacun de ses élèves les différents chapitres déjà appris afin qu’ils ne les oublient pas. Il y a certaine sourat (c’est le nom qu’on donne aux chapitres) qui sont l’occasion de petites fêtes scolaires. Lorsque l’élève arrive à ces sourat, il doit faire un cadeau au maître, et régaler ses condisciples d’un plat de couscous. Ce jour-là l’école est en vacances. L’enfant va montrer à ses différents parents et aux amis de la famille sa planchette enluminée pour la circonstance, et il reçoit de chacun d’eux quelque menue monnaie comme récompense ; enfin quand l’écolier est arrivé au dernier chapitre du Coran (c’est le deuxième dans l’ordre réel et le plus long), il fait à son maître un présent plus important, et la famille donne une fête qui doit avoir un certain éclat.

  7. Cette salle renferme quelques nattes étendues à terre, quelquefois dressées contre le mur à une hauteur de 60 centimètres environ. Le maître est habituellement assis sur un modeste tapis. Il n’est pas rare de le voir s’occuper à quelques petits travaux manuels (tricotage ou autres) pendant que les élèves étudient à haute voix leurs leçons.
  8. Djama signifie qui réunit. C’est le lieu où les musulmans se réunissent pour faire la prière, assister aux prônes, etc. Dans presque tous les djama on fait des cours de droit, de théodicée ou de grammaire. Zitoûna a le sens d’olivier. À l’endroit où la grande mosquée qui porte ce nom a été construite, il y avait, paraît-il, autrefois un olivier près duquel était une zaouia.
  9. Les professeurs arabes font rarement leurs cours sans avoir sous les yeux le texte à expliquer et un commentaire. Les auditeurs ont également un exemplaire sur lequel ils suivent, et ils se contentent d’écouter ce que dit le maître sans demander d’explications. Bien rarement le professeur cherche-t-il à savoir si son auditoire a compris. Il est vrai que ce sont presque toujours les mêmes ouvrages qui font l’objet des leçons, et que les passages qui n’ont pas été saisis à la suite d’une première explication deviendront plus clairs pour les étudiants à la seconde ou à la troisième. Jamais il n’est donné de devoirs écrits à faire.
  10. Beaucoup d’étudiants viennent à Tunis avec l’intention bien arrêtée de travailler et de puiser, auprès de maîtres renommés, une instruction arabe solide et qui leur permettra d’obtenir quelque emploi, ou d’acquérir, dans leur pays, une situation honorifique ou religieuse importante. Mais la plupart sont attirés par le désir de mener une existence facile et peu coûteuse. Beaucoup d’entre eux assistent aux enterrements pour réciter des prières, vont psalmodier dans les mosquées et les maisons particulières les versets du Coran, et reçoivent pour cela des gratifications plus ou moins fortes qui leur permettent de couler tranquillement leurs jours. Aussi rencontre-t-on assez souvent dans les medâres des étudiants à barbe grise.