Rapport sur une mission scientifique en Corée

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RAPPORT
SUR
UNE MISSION SCIENTIFIQUE
EN CORÉE.




Monsieur le ministre,

Appelé en 1900 par le Gouvernement coréen pour étudier et construire des voies ferrées sur certaines parties de son territoire, j’ai eu l’honneur de vous proposer d’employer — durant mon séjour dans ce pays — les moments de loisir que pourraient me laisser mes occupations professionnelles à des recherches scientifiques. Vous avez bien voulu faire bon accueil à ma proposition et me charger d’une mission à l’effet d’entreprendre des recherches anthropologiques sur la population des pays que j’allais parcourir, et d’y recueillir des collections d’histoire naturelle. Durant les années que je viens de passer en Corée, j’ai récolté, en effet, d’importants documents qui feront l’objet de travaux spéciaux dès qu’ils seront étudiés et classés.

Je viens, en attendant, Monsieur le Ministre, vous présenter un rapport sommaire sur les résultats principaux que j’ai obtenus jusqu’ici, non sans de grandes difficultés de tous genres. Mes efforts ont porté surtout sur les points où mes travaux m’ont appelé, c’est-à-dire sur la partie méridionale de la Corée et les districts de Séoul, de Song-to, de Pyeung-hiang, de Kang-hoa, etc. À mesure que la construction du chemin de fer avancera (ligne de Séoul à Eui-tju) j’étudierai les régions avoisinantes.

Jusqu’à présent, mes observations ont porté sur l’anthropologie, les monuments mégalithiques, les monuments de la religion et de la superstition, c’est-à-dire les temples et les fétiches ; sur les cultes, les légendes, en un mot le folk-lore de la Corée ; sur l’ethnographie en général des Coréens anciens et actuels, enfin j’ai pu recueillir quelques collections d’objets ethnographiques et d’histoire naturelle que j’ai eu l’honneur de vous faire parvenir.

ANTHROPOLOGIE ET ARCHÉOLOGIE.

Anthropologie. — Bien que la Corée ait été visitée, à diverses reprises, par des missionnaires, des voyageurs érudits, et, dans ces derniers temps, par un grand nombre de « Globe-trotters », elle est restée, à bien des points de vue, une terra incognita, surtout pour les savants. Déjà isolée par sa position dans les mers lointaines, cette péninsule, que Reclus a comparée avec justesse à l’Italie pour sa forme et sa disposition géographique, avait toujours observé un parti-pris volontaire de se faire oublier du reste de l’univers. Placée entre la convoitise de ses redoutables voisins la Chine et le Japon, dont elle fut tributaire pendant des siècles, la Corée estimait que le mieux était de ne pas donner signe de vie. C’est ainsi que sommeilla longtemps, derrière ses villes muraillées, ce petit peuple que l’on a appelé « la Nation ermite ». Brusquement tirée de sa torpeur par les événements de ces dernières années, notamment la guerre sino-japonaise, et l’approche des Russes en Mandchourie, la « Terre du Calme matinal », comme l’appellent gracieusement ses habitants, a été bien déjouée dans ses calculs puisqu’elle est aujourd’hui le point de mire de tous les regards en Extrême-Orient.

C’est à ce brusque réveil et à ce rappel à la réalité que ce pays, en s’ouvrant aux étrangers, doit son essor rapide. En recouvrant son indépendance par le traité de 1895 la Corée semble avoir repris une vitalité nouvelle, et ses efforts tendent à rattraper le temps perdu. Malgré sa transformation qui sera, je l’espère rapide, ce coin de l’Orient jaune est des plus curieux à observer tant il a d’originalité personnelle, malgré ses redevances à la Chine et au Japon. Le type, le costume, la mentalité des Coréens sont autant de surprises, autant de problèmes pour le voyageur européen, même familier avec l’Extrême Orient, car il se trouve ici dans un petit monde nouveau qui ne ressemble en rien à ses voisins.

Le type anthropologique, différent de celui du Chinois et du Japonais, a tout d’abord attiré mon attention, et profitant du nombreux personnel indigène de mes chantiers, j’ai entrepris sur les ouvriers des mensurations anthropométriques, tâche difficile à un point que l’on ne saurait croire, dans un pays d’ignorance, de superstition et de méfiance à l’égard des étrangers. Avant de quitter Lyon, ma ville natale, j’avais appris dans le laboratoire de M. Ernest Chantre, sous-directeur du Muséum, le maniement des compas. C’est grâce aussi à son obligeante intervention que je dois d’avoir pu tirer parti de mes nombreuses mesures et de mes recherches scientifiques sur les Coréens.

D’après les observations faites par les voyageurs, il résulterait que deux types distincts se remarquent en Corée. Le plus commun offre tous les caractères de la race mongole ; l’autre, au contraire, rappelle le type européen par la forme du nez et des yeux, la coupe du visage, la nuance de la peau et l’abondance de la barbe. D’après Siébold, ce dernier type semblerait être le cachet de l’aristocratie coréenne. On a prétendu que cette dualité du type est un fait commun à toute la ceinture d’îles qui couvrent les côtes orientales de l’Asie, depuis les Kouriles jusqu’à Formose, et même jusqu’à la zone orientale de l’Indo-Chine.

Notre étude a porté sur cent treize sujets mâles, hommes faits, pour la plupart, sans anomalie ni difformité. Ces Coréens habitent le Kyeng ki-to (province de Séoul), et appartiennent à trois localités principales : celles de Chang-tari (18 sujets), de Ma-hpo (53 sujets) et de Séoul (42 sujets). Ce sont les habitants des villages situés près de la ligne de fer en construction, et ils sont, comme je l’ai dit précédemment, employés aux travaux de la voie. Ils peuvent être regardés comme de très bons types. Tous sont cultivateurs, et par conséquent gens du peuple, ce qui est à considérer dans un pays où les castes sont très tranchées.

La peau, les yeux et les cheveux. — La couleur de la peau est d’un blanc mat, rappelant celle des Japonais. La nuance des parties du corps couvertes est, comme chez d’autres peuples, plus claire que celle des parties exposées à la lumière. La première se rapporte au no 23 du tableau chromatique de Broca et la seconde au no 26. Les cheveux toujours droits et gros sont noir foncé et leur insertion est angulaire. La barbe, moins rare que chez les Japonais, en général, est d’une nuance moins foncée que celle des cheveux, ainsi, d’ailleurs, que celle des poils du corps qui sont rarement très développés.

Les yeux, souvent bridés et légèrement obliques, le sont moins pourtant que chez les Chinois et les Japonais ; ils ne le sont même quelquefois pas du tout. Plutôt grands que petits et à fleur de tête, ils présentent des paupières en apparence bouffies : la supérieure semble être dédoublée transversalement. Leurs bords sont garnis de cils noirs assez longs. L’écartement bi-palpébral interne est grand, et diffère peu dans les trois séries. La moyenne de cet écartement est de 33 millimètres, et celle du diamètre bi-palpébral externe est de 96 millimètres. L’indice moyen est de 34.39 pour les trois groupes réunis.

La couleur des yeux répond, en général, au no 3 du tableau chromatique et quelquefois au no 4, c’est-à-dire qu’elle est d’un brun plus ou moins foncé. Ils sont protégés par des sourcils épais et noirs mais non rapprochés.

Le nez, la face et les oreilles. — Le nez est droit, peu saillant et court. Sa longueur ou hauteur n’est que de 49 millimètres en moyenne pour les trois groupes réunis. Elle atteint cependant 51 millimètres dans le groupe de Séoul et 48 seulement dans celui de Ma-hpo. Sa largeur moyenne est de 36 millimètres pour les trois groupes et l’indice nasal moyen est de 73.47.

La face est large et courte : la moyenne du diamètre ophrio-mentonnier n’est que de 128 millimètres et celle du diamètre bizygomatique de 139 millimètres. L’indice facial total moyen des trois groupes réunis est de 108.59.

La bouche n’est pas très grande ; son diamètre moyen est de 48 millimètres. Les lèvres sont rarement épaisses. La dentition est médiocre en général. Les dents sont pourtant assez régulières et bien plantées. On ne rencontre chez aucun sujet des traces de prognathisme.

L’oreille est plutôt petite que grande ; elle est bien faite et souvent rapprochée de la tête. Sa hauteur moyenne est de 61 millimètres chez les gens de Chang-tari et de Ma-hpo et de 64 millimètres chez ceux de Séoul.

La taille et la grande envergure. — Le Coréen est d’une taille au-dessus de la moyenne. Elle diffère à peine dans les trois séries. Ce sont pourtant les gens de Ma-hpo qui ont la taille la plus élevée : elle est de 1 m. 62. Ce chiffre correspond à celui donné par une série de 247 sujets de la province de Ham-kyeng étudiés par Loubentoff.

La grande envergure présente une moyenne de 1 m. 62 pour l’ensemble des 113 sujets, et elle diffère peu d’un groupe à l’autre. Elle est égale à la taille dans la majorité des cas. Il faut remarquer cependant que chez les gens de Séoul elle dépasse de deux unités la taille qui est, chez eux, de 1 m. 61.

La tête et ses dimensions. — Les Coréens sont brachycéphales : leur tête est courte. Le diamètre antéro-postérieur moyen est de 177 millimètres ; le diamètre transverse de 148 millimètres. L’indice céphalique moyen (longueur-largeur) est de 83.61 pour les trois groupes réunis. Il est à remarquer que cet indice est le plus élevé dans le groupe de Chang-tari ; il atteint le chiffre de 84.61, tandis que chez les deux autres il n’est que de 83.72 et de 83.42. La hauteur de la tête est assez grande ; elle est en moyenne de 124 millimètres. L’indice céphalique de hauteur-largeur est de 96.

En résumé, ces trois groupes de Coréens montrent que ce peuple est plus brachycéphale qu’on ne le croyait. Ils le sont beaucoup plus que les Chinois et les Japonais. Ils sont mésorhiniens et ont une face courte. Les yeux sont écartés, presque toujours bridés et légèrement obliques. Enfin, leur taille au-dessus de la moyenne est presque toujours égale à la grande envergure.

J’ai rapporté 160 photographies anthropologiques, face et profil, et j’ai pu recueillir, non sans des difficultés extrêmes, trois crânes et un squelette à peu près complet de Coréen de Chang-tari.

Archéologie. — Un de mes premiers soins en arrivant en Corée a été de m’informer de l’existence de mégalithes dans ce pays. Là encore la tâche n’est pas aisée, car soit désintéressement de sa part, soit qu’il désire garder le plus longtemps possible son pays de la curiosité des Européens, il est très difficile d’obtenir d’un Coréen, et je parle d’un Coréen intelligent, de ceux qui se tiennent en contact avec nous, un renseignement quelconque concernant un objet, un monument ou un fait antérieur à sa génération. Il ignore tout, et la moindre interrogation éveille sa méfiance.

Dolmens de Pabalmaq. — Le voyageur Gowland a signalé, le premier, trois dolmens sur la route qui conduit à Broughton-bay et qui est appelée aussi la route du nord-est, au lieu de Solmorro ou Tsolmoro, district de Po-tcheun. Cela n’est pas précisément exact. C’est plus loin, aux villages de Pabalmaq ou Paboulma et Arié Pabalmaq, que se trouvent, en réalité, ces monuments.

Le premier dolmen, le plus intéressant, est à 1 kilomètre avant Pabalmaq, soit à 53 kilomètres de Séoul. Il est à gauche de la route et près d’un petit ruisseau. Il s’élève sur un tumulus à peine visible au milieu des champs de maïs environnants. Ce dolmen, en bon état, se compose d’une grande table en granit d’un seul bloc, mesurant 4 m. 10 de longueur, 3 m. 50 de largeur et 0 m. 36 d’épaisseur, et dépassant de beaucoup les parois de la chambre. Celle-ci devait être fermée, mais on a dû fouiller ce monument, car aujourd’hui la dalle d’entrée est enfouie dans la terre, et on n’en voit plus qu’un angle émergeant du sol actuel de la chambre. Les deux côtés et le fond sont constitués par de grandes dalles qui ont une hauteur de 1 m. 10 en arrière et de 1 mètre en avant. Les joints avaient été bouchés avec de petits cailloux, car on en retrouve encore près du sol, dans les interstices, entre la dalle du fond et celles des côtés. J’ai recueilli dans ce dolmen de nombreux débris de poterie noire décorée de dessins géométriques.

Le deuxième mégalithe est à 2 kilomètres plus loin, derrière le village d’Arié-Pabalmaq (petit Pabalmaq) sur une faible éminence dénudée. Mais ce n’est qu’un demi-dolmen, car il se compose d’une grande table de 5 m. 50 de largeur, 6 mètres de longueur et 0 m. 40 d’épaisseur, qui repose à gauche sur deux blocs de petites dimensions et à droite sur le sol. Les deux blocs n’ont guère plus de 0 m. 40 de hauteur.

Je n’ai pas pu aller voir le troisième dolmen signalé à Hoâ-San, à 8 kilomètres de ce dernier village. J’ai pu savoir seulement qu’il était complet, de même grandeur à peu près que les deux premiers, mais ne dépassant le sol actuel que de 0 m. 60 environ.

Les Coréens appellent les dolmens « Koïndol », ce qui veut dire « pierres l’une sur l’autre ».

Dolmens de l’île de Kang-Hoa. — L’île de Kang-Hoa, que j’ai visitée, renferme des dolmens très intéressants. C’est en quittant la ville de Kang-Hoa, et à 6 kilomètres environ nord-nord-ouest de sa muraille, en suivant une route qui traverse des rizières, que nous arrivons au premier dolmen dit de Ha-Henn, du nom du village ou plutôt de la réunion de deux ou trois hameaux voisins. Il est à droite et au bord du chemin. De moindres dimensions que les précédents, la dalle supérieure mesure 2 m. 80 de longueur, 2 m. 60 de largeur et 0 m. 65 d’épaisseur. Elle est portée par deux dalles verticales et latérales (les fonds manquent) qui émergent du sol à 0 m. 50 seulement. À 1 kilomètre plus loin se trouve un autre dolmen, sur la gauche de la route, un peu sur le flanc de la colline. Il est plus grand que le précédent, mais une dalle latérale est tombée, de sorte que la dalle supérieure repose d’un côté sur le sol. Mais le plus important de ces mégalithes est celui qui se trouve à 150 mètres à droite de la route, entre les deux précédents. Il s’élève presque au milieu de la vallée. C’est — jusqu’à présent — le plus grand des dolmens que j’ai vus en Corée. La dalle qui forme le toit de cette chambre funéraire est un seul bloc, de forme irrégulière, qui mesure environ 7 mètres de longueur et 4 m. 50 de largeur. Dans sa plus grande épaisseur, cette table a 1 mètre environ. Le dolmen s’élève à 1 m. 50 au-dessus du sol actuel. La dalle supérieure est portée par deux longues dalles formant les faces latérales nord et sud du monument. Elles ont une longueur d’environ 4 m. 50 à 5 mètres, une épaisseur de 0 m. 50 à 0 m. 60 et une hauteur de 3 m. 50 à 4 mètres. J’ai fait creuser le sol à plus de 1 mètre de profondeur, et les dalles descendaient encore plus bas. La chambre est orientée ouest-sud-ouest — est-nord-est, et ouverte aux deux extrémités. À 20 mètres de là, une dalle émerge du sol. Elle s’élève à 2 m. 50, sur une longueur de 3 mètres.

En faisant fouiller pendant toute une grande journée le sol de ce dolmen, j’ai recueilli seulement, parmi de nombreux débris de squelette humain brisés, une pointe de flèche complète, mais qui fut cassée en deux morceaux par le Coréen chargé de ce travail, et une pointe d’une autre flèche (en schiste). Les gens d’ici racontent que des Japonais sont venus fouiller ces dolmens : cela expliquerait le peu de succès de mes recherches. Entre la ville de Kang-Hoa et ce dolmen se trouve un petit cromlech fort bien fait que — vu l’heure tardive — je n’ai pu photographier.

Dolmens de Sune-Sane-Hi. — Pendant une de mes excursions à Song-To, j’ai eu la bonne fortune de rencontrer une série importante de « Koïndol » à Sune-Sane-Hi, à 10 lis de Pong-Sane, sur la route de Song-To à Pyeung-Hiang. Ils se présentent comme un véritable cimetière, au nombre de vingt-deux, répandus sans ordre dans un champ, au pied d’une petite colline sur la rive gauche et au bord de la rivière Syen-Nai. De dimensions moyennes, ces dolmens offrent entre eux beaucoup de ressemblance. Ils sont construits en dalles de schiste (toute la région est schisteuse) et se composent d’une dalle supérieure portée par deux dalles latérales seulement. Ils sont donc ouverts aux extrémités. Mais ils offrent cette particularité d’avoir leur sol recouvert d’une dalle, et celle-ci résonne comme si elle était posée sur une cavité. J’ai mesuré un des plus remarquables de ces monuments, placé un peu en avant des autres. La chambre mesure 1 m. 40 de hauteur, 1 mètre de largeur et 3 m. 50 de longueur. Les parois latérales sont d’énormes bancs schisteux. La dalle supérieure — très épaisse, en général — ne déborde que faiblement les parois latérales. L’orientation de ce dolmen est à peu près sud-nord. Le peu de temps dont je disposais ne m’a pas permis de faire des fouilles. J’ai appris qu’il y a en plein village de Itchym, dans le Kan-Oueun-To, deux cents de ces monuments.

ETHNOGRAPHIE.

Religion et superstition. — Je me propose de développer dans un travail de longue haleine cette question de la religion et de la superstition en Corée, telles qu’elles se présentent encore au seuil du XXe siècle. Ce n’est pas un des moindres étonnements du visiteur européen que celui de trouver, à l’intérieur des villes muraillées endormies depuis des siècles, et après un passé artistique qui ne fut pas sans prestige, une population en proie aux devins et aux sorciers. En dehors du culte des morts, toutes les croyances du Coréen, du haut en bas de l’échelle sociale, vont aux forces de la nature et aux esprits qui personnifient ces forces. Bien que le bouddhisme et le confucianisme aient été tour à tour les religions officielles de la Corée, ils ne furent jamais compris que d’une élite très restreinte de lettrés, et, seul, le culte naturaliste est resté le plus vivace et a donné lieu aux plus étonnantes superstitions. Par ce fait, les Coréens n’ont pas de religion nationale proprement dite. J’ai photographié un grand nombre de monuments élevés aux différents cultes qui se pratiquent côte à côte ; quelques-uns, appartenant au culte bouddhique : pagodes, bonzeries, myrioks, sont — entre autres — remarquables par leur architecture. J’ai photographié et décrit également tous les sanctuaires de la superstition : autels et fétiches des esprits du ciel, de la terre, du vent, de la route, de la maison, de la maladie, etc. ; les poteaux à face humaine (o-bang-tchang-goun[ou]-tsou-sari), indicateurs des distances ou fétiches protecteurs des villages et des vallées ; les arbres sacrés à chiffons, les tas de pierres votifs dédiés aux esprits qui protègent ou menacent le voyageur.

Mœurs, coutumes, etc. — Depuis mon arrivée en Corée, je n’ai cessé — en m’entourant des meilleurs contrôles et avec l’aide d’un indigène lettré — d’étudier et de vérifier tout ce qui a été dit sur l’ethnographie des Coréens. J’ai pu, grâce au temps dont je disposais, réunir les matériaux les plus importants, et je ne crains pas de dire les plus exacts, sur tout ce qui touche aux mœurs, usages, coutumes, organisation sociale, etc., des habitants anciens et actuels de ce pays. Et il n’est pas sans intérêt de noter ce qui se passe de nos jours en Corée, car elle se modifie si rapidement qu’il est hors de doute qu’avant peu elle aura perdu sa couleur originale, pour gagner — bien entendu — d’autres avantages précieux qui lui manquent totalement.

 

Un peuple qui s’habille en blanc de la tête aux pieds et dont les chapeaux en bambou ou en crin sont — à eux seuls — une curiosité extraordinaire, cela ne se voit pas tous les jours. Il y a quelques années seulement, les hommes seuls circulaient le jour dans les rues, tandis qu’un couvre-feu, sonné au coucher du soleil, les rappelait au logis pour permettre aux femmes de jouir de la ville à leur tour.

Les séances de sorcellerie qui, chaque jour, se donnent sur plusieurs points de la ville, dans la chaumière, dans le palais, là où la maladie, le deuil, le mariage ou quelque autre événement de la vie a demandé l’intervention des chamanes ou les exorcismes des sorcières, les visites aux tablettes des ancêtres, les préoccupations d’un peuple voué au culte perpétuel des morts et des esprits sont à chaque pas, à chaque instant une surprise, une étude pour l’Européen. Il en est de même pour l’organisation sociale. La société est divisée en castes. Aux aristocrates sont attribuées les fonctions lucratives (le fonctionnarisme est une des plaies de la Corée) ; le commerce est entre les mains des corporations marchandes ; le gros du peuple est formé par les coolies. La misère et la malpropreté de ces derniers contrastent vivement avec la tenue irréprochable des nobles que l’on voit circuler dans la fange des rues, soit en chaises à porteurs, soit à pied, suivis de serviteurs empressés. Il n’entre pas dans le cadre de ce rapport de m’étendre sur ce chapitre qui est — comme celui de la religion et de la superstition — un champ des plus vastes. Je me propose — dans une publication ultérieure — de le développer à loisir, grâce aux matériaux précieux que j’ai pu réunir et à une abondante illustration fournie par mes photographies personnelles.

J’ai réuni enfin une collection de costumes, objets divers, matériel de sorcières, etc., en tout 42 pièces que je destine à nos musées publics.

ZOOLOGIE.

Mes récoltes zoologiques que j’ai eu l’honneur de vous adresser ont été opérées dans des conditions généralement assez difficiles ; elles ne se composent encore que de 280 sujets parmi lesquels MM. les professeurs Vaillant, Oustalet et Chantre ont reconnu 58 espèces différentes. Plusieurs appartiennent à des mammifères des groupes felis, cervus, muridés et microcheiroptères, non encore déterminés.

Une autre série est composée d’oiseaux dont les plus importants sont : Athene ninox scutellatus (Raff.). — Accipiter virgatus (Tem.). — Hypsipetes amaurotis (Bp.). — Cyanopolius cyaneus (pall.). — Pica rustica (Scop.). — Corvus Levaillanti (Len.). — Oriolus cochinchinensis (Briss.). — Larius lucionensis (L.). — Ampelis japonicus (Sieb.). — Passer Montanus (L.). — Cuculus poliocephalus (Lath). — Columba livia (Tem.). — Columba domestique (?) variété blanche. — Phasianus torquatus (Gu.). — Rhyncophilus glareola (L.). — Ardea cinerea (Briss.), etc.

Parmi les reptiles, on remarque : Malaclessimys Renesii (Gray.). — Amphiesnatiyrinum (Boïé). — Coluber dione (pallas.) — Rana esculenta (L.), etc.

Les poissons, tous d’eau douce, sont peu nombreux, mais intéressants. On peut citer parmi eux : Tetraodon oculatus (L.). — Anguila anguila (L.). — Carassius auratus (L.). — Pseudogolio esoritus (Schlegel). — Culotor (Sp.). — Pseudobagus (Sp.). — Ophicephobus (Sp.). — Siniperca (Sp.), etc.

J’ai recueilli enfin une centaine d’insectes coléoptères et lépidoptères, puis une cinquantaine de coquilles marines non encore déterminés.

GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE.

Les fossiles, les roches et les minéraux que j’ai récoltés sont au nombre de 72. Parmi ces pièces, on remarque d’abord une série d’empreintes végétales dans des schistes d’origine sans doute miocène supérieur de Song-To et de Nagasaki ; puis des schistes argileux de Tong-Sol ; des calcaires de Tcha-Ko-Rion ; des blocs de conglomérat de Sai-Soul-Mak ; enfin des échantillons de plomb argentifère de Kang-Hoa, etc.

GÉOGRAPHIE ET TOPOGRAPHIE.

J’ai recueilli de très importants documents topographiques et de nombreux renseignements de géographie économique inédits on peu connus. Il me serait difficile d’en donner ici un aperçu, même sommaire. Je me propose d’en faire l’objet d’une publication spéciale.

Tels sont, Monsieur le Ministre, les résultats principaux de la mission que vous m’avez fait l’honneur de me confier. J’ose espérer qu’ils vous paraîtront dignes d’intérêt.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma plus haute considération.

Émile Bourdaret.
Séoul, 20 novembre 1903.