Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 09

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 63-67).


CHAPITRE IX.


LE PRÊTRE BAISE L’AUTEL ET LE LIVRE.


I. Après avoir mis l’encens dans l’encensoir, le prêtre ou l’évêque, ayant dit Deus tu conversus, etc., baise l’autel consacré, pour marquer l’accord avec les Juifs et pour indiquer que le Christ, en venant à nous, s’est uni la sainte Église, selon cette parole du divin épithalame : « Qu’il me donne un baiser de sa bouche. » En effet, dans le baiser la bouche s’unit à la bouche, et dans le Christ non-seulement l’humanité est unie à la divinité, mais l’épouse est étroitement liée à l’époux, selon cette parole du Prophète : « Il m’a ornée d’une couronne comme une fiancée, et, comme elle, il m’a parée de colliers. » Quand le verset prophétique de l’introït est entonné par le chantre, le prêtre, en montant à l’autel, le baise une seconde fois, parce que le Christ est venu au monde par le témoignage des prophètes et à la passion dont l’autel est le théâtre. Combien de fois baise-t-on l’autel en célébrant la messe, et sur quel | endroit ? Pourquoi y pose-t-on les mains, et pourquoi on imprime d’abord la figure de la croix aux places qu’on doit baiser ? Autant de questions qui seront traitées à l’article de la quatrième partie du Canon. Ici, l’autel signifie le peuple juif.

II. Le livre des évangiles indique le peuple gentil, qui a cru par l’Évangile ; voilà pourquoi l’évêque ou le prêtre baise l’évangile et l’autel, parce que le Christ a donné la paix au monde quand, devenu la pierre angulaire, il a fondu les deux peuples en un seul. On peut dire aussi que le sous-diacre offre à l'évêque ou au prêtre le livre des évangiles que l’on portait fermé à la procession. En arrivant à l’autel, le célébrant ouvre l’Évangile, pour montrer que personne n’est digne d’ouvrir le livre écrit au dedans et en dehors, scellé de sept sceaux, que le lion de la tribu de Juda, la clé de David ; ce fut lui qui ouvrit le livre et brisa les sept sceaux. L’autel symbolise l’Église, selon cette parole de l’Exode : « Si tu me fais un autel de pierre, tu ne le bâtiras point de pierres taillées. » Par la taille des pierres employées à la construction de l’autel, l’Église désigne et réprouve la division de ses fils ; elle craint pour eux qu’ils ne soient divisés par les hérésies et les schismes. L’évêque ouvre donc le livre quand il arrive à l’autel, parce que, dès que le Christ eut rassemblé la primitive Église des Apôtres, en les enseignant et en leur prêchant, il leur révéla les mystères de l’Écriture, en leur disant : « Il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais les autres ne l’apprennent qu’en paraboles. » C’est pourquoi, après sa résurrection, « il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprissent les Écritures. » L’évêque fait bien plus encore et bien mieux, lorsqu’il ouvre le livre des évangiles, quoique le Christ ait éclairci les mystères des Écritures par le moyen de ses ministres. Le livre étant ouvert, il le baise à gauche, pour marquer que les prédicateurs ont réconcilié et offert les Gentils au Christ, car il ne les a pas prêchés par lui-même, quoiqu’il ait lui-même prêché la paix dans l’Évangile, en disant : « Je vous donne ma paix, etc. » Et parce que le Christ, suspendu à la croix, a fait la paix, voilà pourquoi le célébrant, avant de passer au côté droit de l’autel, se signe du signe de la croix, parce que, comme dit l’Apôtre aux Ephésiens, « le Christ est notre paix ; » de deux peuples il n’en a fait qu’un, enjoignant ensemble deux murailles différentes, c’est-à-dire deux peuples étrangers l’un à l’autre. Ensuite le livre des évangiles est posé fermé sur l’autel, et cela représente Jérusalem, comme on le dira à l’article de l’Évangile.

III. Ensuite le pontife romain (et certains autres aussi) se retourne et donne un baiser au diacre, pour montrer que la paix dont nous parlons est arrivée à l’avènement du Christ et telle que les prophètes l’avaient promise. David s’écrie : « La justice paraîtra de son temps avec une abondance de paix qui durera autant que la lune. » Et un autre Prophète : « La paix régnera sur notre terre quand il sera venu. » C’est pourquoi, au moment de la naissance du Christ, la voix des anges entonna ce chant : « Et paix sur la terre aux hommes qui veulent le bien. » Parfois le baiser signifie la paix, comme on le dira au chapitre du Baiser de paix. Le diacre, s’inclinant aussitôt, baise la poitrine du Pape, pour marquer que c’est par l’inspiration de Dieu que les prophètes ont prédit l’avènement de la paix. Et Jean, en dormant sur la poitrine du Seigneur, but à longs traits à la source de l’Évangile, qui réside dans la poitrine du Seigneur (xciii d. Legimus).

IV. Dans quelques églises, l’évêque baise d’abord ses assistants, puis l’autel, ensuite l’Évangile, parce que le Christ a d’abord rapproché de sa personne les apôtres, puis les Juifs, ensuite les Gentils. Dans certains endroits encore, l’évêque apporte le baiser de paix aux chantres, accomplissant en quelque sorte à rebours cette parole : « Je vous donne ma paix, je vous laisse la paix. » Il la donne à ceux qui sont présents, il la laisse à ceux qui sont absents. Les chantres ne disent pas le Gloria Patri avant d’avoir reçu le baiser de paix, parce que la foi en la Trinité n’a pas brillé avant que le Seigneur se fût incliné, qu’il nous eût réconciliés, et qu’il eût ordonné aux apôtres de prêcher la Trinité. C’est pourquoi l’évêque, après leur avoir donné le baiser de paix, leur fait signe de dire : « Gloire au Père, et au Fils, et à l’Esprit saint, comme dans le principe, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. » Voici ce que le chantre annonce, c’est que les cœurs des pères pardonnent à leurs fils. Abraham vit trois anges et en adora un. Ainsi donc, nous, ses fils, nous devons croire à la Trinité dans l’unité. Après que la paix lui a été donnée, le chantre rend gloire à la sainte Trinité, comme s’il disait : « Rendons gloire à Dieu le Père, Fils et Esprit saint, parce qu’il a daigné, dans les derniers temps, nous montrer la paix qu’il avait prophétisée par la voix de ses saints prophètes. » Quand il dit : « Comme dans le principe, » les diacres s’avancent vers l’autel et reviennent de nouveau à l’évêque, ce qui figure que les apôtres se livrèrent à la mort pour se réunir au corps du Christ. Au commencement de la messe, les évêques se tiennent inclinés devant l’autel ; mais, lorsque ce verset commence, ils se lèvent, parce que le chœur des saints martyrs, avant la dernière tribulation, était dans la vallée des larmes ; mais ensuite, couronnés par le martyre, ils se tiendront toujours debout, comme des hommes libres et pleins d’assurance devant le Seigneur. Le baiser donné, les diacres prient de nouveau le pontife, comme s’ils lui disaient : « Seigneur, apprends-nous à prier. »

V. Dans certaines églises aussi, les diacres, deux à deux, baisent les côtés de l’autel intérieurement ou alternativement, parce que le Seigneur envoya les apôtres prêcher deux par deux, en leur disant : « En quelque maison que vous entriez, dites : Paix à cette maison. » Et ils revinrent trouver le Christ, comme les diacres l’évêque.