Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 10

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 67-69).


CHAPITRE X.


LE CÉLÉBRANT ENCENSE L’AUTEL[1].


I. Le baiser de paix donné, l’évêque ou le prêtre, recevant l’encensoir des mains du diacre, encense l’autel consacré, parce que le Christ, qui a pris un corps par la génération des prophètes, et qui est né, selon la chair, du sang et de la race de David, embrasse l’Église dans ses prières, selon celle qu’il fait dans l’Évangile : « Père saint, c’est pour eux que je prie, et pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui doivent croire par leur parole. » Quand le diacre reprend l’encensoir pour encenser l’évêque ou le prêtre, il nous apprend, dans le sens moral, que si nous voulons offrir dignement l’encens de la prière, nous devons prendre l’encensoir de l’incarnation, car, sans la foi au Médiateur, les hommes ne peuvent plaire à Dieu. Et, selon sa promesse même, s’ils demandent quelque chose avec foi, en priant, ils le recevront. L’encensoir symbolise donc le Verbe incarné.

II. Car, de même que dans l’encensoir la partie supérieure el la partie inférieure sont unies par trois petites chaînes,

III. Ainsi dans le Christ il y a trois anneaux qui rattachent Tentre elles la divinité et l’humanité, la chair et l’ame, en unissant l’humanité à la chair, la divinité à l’ame. Il y en a qui indiquent un quatrième anneau, qui est celui de la divinité jointe à un être composé à la fois d’une ame et de chair ; d’où vient que quelques encensoirs ont quatre chaînettes. Moïse parle aussi de cet encensoir à Aaron d’une manière spéciale : « Prends l’encensoir et du feu sur l’autel, puis tu jetteras dessus de l’encens. » Il y a encore une autre considération à faire relativement à l’encensoir, comme nous en avons touché un mot dans le chapitre de l’Arrivée du Pontife à l’autel.

IV. L’évêque ou le prêtre encense une seconde fois l’autel déjà encensé, pour montrer que le Christ est en même temps autel et hostie, pontife et prêtre ; c’est à lui qu’on offre le sacrifice, parce qu’on l’adore, non-seulement en tant que Dieu, mais aussi en tant qu’homme. C’est pourquoi, dans certaines églises, après avoir encensé le pontife, le diacre encense tout le tour de l’autel, ce qui a fait dire au Psalmiste : « Seigneur, j’entourerai ton autel. » L’encensoir d’or signifie la sagesse, parce que tous les trésors de la sagesse de Dieu furent cachés dans le Christ. De là vient que l’ange se tint debout auprès de l’autel, ayant un encensoir d’or, et qu’on lui donna de l’encens pour le garnir ; c’est-à-dire que le Christ, par sa résurrection, a pris pouvoir de la chair. L’argent signifie la chair du Christ, pure de toute faute, et brillante de chasteté ; le cuivre, sa fragilité et sa nature mortelle ; le fer, la force qui l’a fait ressusciter. Si l’encensoir a quatre chaînettes, il démontre que le Christ est composé de quatre éléments ou orné de quatre vertus, qui sont : la justice, la prudence, la force et la tempérance. La cinquième chaînette, qui passe au milieu des autres, désigne l’ame qui, pendant trois jours, se sépara de la chair. Si l’encensoir a trois chaînettes, il figure l’ame, la chair et le Verbe unis en une seule personne. La quatrième chaînette, qui sert de séparation, est la puissance qui a été donnée au Christ de donner sa vie pour ses brebis. Si l’encensoir n’a qu’une chaînette, il marque que seul le Christ est né d’une vierge, et que seul il n’a pas été soumis à l’esclavage de la mort. L’anneau, auquel se rattachent toutes ces chaînettes, c’est la divinité du Christ, qu’aucune limite ne clôt, qui contient et qui opère toutes choses.

V. En outre de la raison mystique, on encense aussi l’autel pour en écarter toute la malice des démons. Car on croit que la fumée de l’encens a le pouvoir de mettre en fuite les démons. D’où vient que, quand Tobie interrogea l’Ange pour connaître combien de vertus curatives il y avait dans le poisson qu’il lui avait ordonné de conserver, l’Ange lui répondit : « Si tu mets sur les charbons une partie de son cœur, la fumée qui en sort chasse toutes sortes de démons. »

VI. Le pape Sother (xxiii d. Sacratas) défendit aux religieuses d’encenser le tour de l’autel.

  1. Voir la note 6 page 457.