Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 52

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 383-387).


CHAPITRE LII.
DE L’AGNUS DEI.


Comme Jésus, aussitôt après avoir salué ses apôtres, comme on l’a déjà vu, leur donna le pouvoir de remettre les péchés, en disant : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, leurs péchés leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez ils leur seront retenus » (Joan., xx),

I. C’est pour cela que le chœur élève la voix, crie à Dieu, et fait cette demande : « Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés du monde, aie pitié de nous. » En effet, saint Jean, voyant venir Jésus, dit : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. » Or, il détermine pourquoi il l’appelle Agneau, en ajoutant « qui enlève, » c’est-à-dire qui est venu pour enlever les péchés du monde, parce que le Christ, qui est notre pâque, a été immolé pour effacer nos péchés. Car dans l’Ancien-Testament on offrait un agneau pour les péchés du peuple, et dans le Nouveau le Christ s’est offert lui-même à Dieu son Père pour délivrer le genre humain et laver ses péchés dans son sang. C’est donc avec raison que lorsque l’on prend le corps et le sang du Seigneur on chante l' Agnus Dei, afin que tous nous croyions que nous prenons alors le corps et le sang du même Agneau, qui a eflacé par sa mort les péchés du monde, et que Jésus-Christ notre Seigneur, par sa résurrection, nous a donné la vie éternelle ; et afin que nous le priions de ne point cesser jamais d’avoir pitié de nous, lui qui a eu pitié de nous dans sa passion.

II. Agnos en grec, signifie pur et chaste en latin, parce qu’il est une victime pure et propre à être immolée ; parce que Jésus-Christ, le véritable Agneau, par sa seule miséricorde s’est offert pour nous et nous a rachetés. Le mot agneau vient encore d’innocentia (innocence), parce que l’agneau ne nuit ni aux hommes ni aux animaux. Donc les paroles susdites : « Agneau de Dieu, qui effaces les péchés du monde, aie pitié de nous, » sont une sorte d’invocation pour que, par la miséricorde de l’Agneau innocent, les péchés, qui fondent sur nous d’une manière soudaine, soient enlevés de nos cœurs. Troisièmement, agneau se dit encore de agnoscendo (reconnaître), parce que dans un troupeau nombreux l’agneau reconnaît sa mère rien qu’à son bêlement. C’est ainsi que le Christ, sur l’autel de la croix, en nous donnant d’abord la paix, nous reconnut par ses soins, comme on l’a déjà dit. Il reconnut aussi son Père par son obéissance, selon ces paroles de l’Apôtre aux Philippiens : « Il s’est rendu obéissant jusqu’à la mort. » Il re connut aussi sa mère par les soins qu’il prit d’elle, car il adressa cette parole à saint Jean (c. xx) : « Voici ta mère. » Et c’est pour cela que dans le sacrifice de l’autel on dit trois fois Agnus Dei, comme si l’on disait : « Agneau qui as reconnu ton Père, aie pitié de nous. — Agneau qui as reconnu ta mère, aie pitié de nous. — Miséricordieux agneau qui as racheté le monde et qui t’es offert pour nous, donne-nous la paix. » Ou bien, encore, on dit trois fois Agnus Dei, pour désigner les trois états du corps du Christ, sur la terre, dans le sépulcre et dans le ciel.

III. On peut encore dire que le Christ est venu pour trois raisons. Premièrement, pour nous délivrer de la misère du péché. Deuxièmement, pour nous racheter du mal de la peine. Troisièmement, pour nous donner de la plénitude de sa grâce. Pour les deux premiers motifs, on dit deux fois : miserere nobis. Quant au troisième, on dit : dona nobis pacem. Cette demande de la paix suit aussitôt après que l’on a dit trois fois : Agnus Dei, pour marquer que l’Agneau a été envoyé par la bienveillance de la Trinité. D’où Isaïe : « Envoie ton Agneau, Seigneur, etc. ; » comme on lit dans l’Apocalypse : « Le Christ est l’agneau qui a été mis à mort dès l’origine du monde. » Et remarque que certains prêtres disent l’Agnus Dei les mains appuyées sur l’autel, montrant en cela qu’ils appliquent leur esprit tout entier aux paroles qu’ils prononcent. Car l’intention est proprement exprimée par la langue, non par les mains ; c’est pour cela que pendant que la langue parle les mains se reposent, et parce qu’aussi ils demandent pour le peuple la miséricorde et la paix céleste, et non terrestre, ce qui est désigné par la disposition des mains. D’autres, les mains jointes, se tiennent un peu inclinés sur l’autel, pour exprimer par cette inclinaison l’humilité qui est nécessaire dans la prière, et la jonction des mains symbolise une seule et même intention. Or, suivant l’antique coutume de l’école des chantres dans l’Église romaine, coutume que cette école observe encore, on ne varie pas à ce sujet, et on dit uniformément trois fois : « Christ, aie pitié de nous, » à cause des trois genres de péchés dont nous demandons la rémission, les péchés de pensées, commis par le cœur ; les péchés de paroles, par la bouche ; et les péchés d’actions, par les œuvres ; ou bien en l’honneur de la Trinité, ou à cause des trois ordres de fidèles qui sont dans l’Église, représentés par Noé, David et Job, dont Ezéchiel vit le salut assuré dans une vision. Dans la suite, de nombreuses adversités de plusieurs genres étant venues fondre sur l’Église, elle commença dans sa tribulation à crier vers le Seigneur : « Donne-nous la paix, » et c’est pour que ces cris soient plus facilement entendus, qu’elle les adresse à l’heure même de l’immolation. Cette variante ne diffère pas de la coutume où l’on était sous l’Ancien Testament de répéter deux fois : « Epargne, Seigneur, épargne ton peuple. » Et à la troisième fois on ajoutait cette variante : « Ne permets pas que ton héritage tombe dans l’opprobre. » Disons donc : « Aie pitié de nous » quant à l’ame, aie pitié de nous quant à la chair, et : « Donne-nous la paix, » sous les deux rapports de l’ame et du corps, afin que nous ayons la paix spirituelle du cœur et la paix temporelle du corps.

IV. Car il y a la paix des pécheurs et la paix des justes, la paix du temps et la paix de l’éternité, et voilà pourquoi on prie trois fois pour la paix pendant la messe, comme on l’a dit à la quatrième particule du canon, à ces paroles : diesque nostros, etc. Et, parce que Dieu ne donne la paix qu’à ceux dont il a pitié, c’est pourquoi on dit en dernier lieu : « Donne-nous la paix. » L’église de Latran ne dit jamais : « Donne-nous la paix, » pas plus que l’école des chantres ; et cela, d’après une ancienne coutume, comme on l’a vu. D’où il résulte qu’elle n’est ni valable, ni vraie, la raison de ceux qui prétendent que dans l’église de Latran on ne dit pas le da nobis pacem parce, que toutes les autres églises doivent recevoir la paix de celle-ci, qui passe pour avoir été consacrée la première, et qu’elle ne doit pas la recevoir des autres églises. Le Vendredi saint, on dit trois fois l’Agnus Dei avec miserere nobis, comme ont verra à cet article. À la messe pour les morts, on dit deux fois l’Agnus avec cette finale : dona eis requiem, et à la troisième fois on ajoute : sempiternam. Et on ne dit pas : dona nobis pacem, parce qu’alors nous imitons les funérailles du Sauveur. Ce n’est donc qu’au dernier Agnus qu’on ajoute sempiternam ; sur quoi il faut remarquer qu’on doit souhaiter aux fidèles défunts un triple repos.

V. On doit souhaiter, premièrement, qu’ils soient délivrés de la peine, dans laquelle se trouve le travail et non le repos ; deuxièmement, que la gloire soit accordée à leur ame, parce qu’alors véritablement ils se reposeront dans le bien désiré, c’est-à-dire en Dieu même ; troisièmement, qu’ils soient dotés de la gloire du corps, afin que leurs corps ne soient plus désormais exposés aux misères. Le premier repos n’est pas le repos éternel, parce que, quand la peine n’existe plus, la gloire est encore à désirer ; le second même n’est pas complètement le repos éternel. Suivant saint Augustin, avant la résurrection des corps, il reste toujours dans les ames un certain désir naturel de reprendre leur corps qui, en quelque façon, empêche les corps de se porter entièrement dans le sein de Dieu. Mais le troisième repos, avec la définition que nous en avons donnée, est véritablement le repos éternel, parce que les ames qui jouissent de la présence de Dieu, après avoir repris leur corps, jouiront désormais en lui du repos éternel le plus parfait. C’est pour cela qu’il ne convient de dire que la troisième fois, et non les deux précédentes, requiem sempiternam.

VI. Le pape Sergius Ier ordonna que l' Agnus Dei serait chanté trois fois pendant la communion, par le clergé et par le peuple.