Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 51

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 369-383).


CHAPITRE LI.
DE LA FRACTION DE L’HOSTIE.


Quand l'oraison dont nous venons de parler, c’est-à-dire le Libera nos, est terminée, le diacre, après avoir repris la patène, découvre le calice, enlève le corporal, et regarde avec soin sur le calice.

I. Ensuite le prêtre, voulant rompre l’hostie, la lève de l’autel, met la patène dessous, et place l’hostie dessus ; ensuite il prend l’hostie, qu’il rompt par le milieu sur le calice, en disant : Per eumdem Dominum nostrum. Dans certaines églises, la partie qui, après la fraction, est restée dans sa main droite, le prêtre la pose sur la patène, en disant : Qui vivit, etc. ; la partie qui est restée dans sa gauche, il la rompt de nouveau par le milieu, et il joint la particule qui, après la subdivision, est restée dans sa main gauche, à la partie posée d’abord sur la patène, en disant : in unitate sancti Spiritus, etc. Mais l’autre particule restant dans sa droite, il la tient sur l’ouverture du calice avec deux doigts, c’est-à-dire avec le pouce et l’index ; puis, élevant en même temps le calice et la particule avec ses deux mains peu élevées, il dit à haute voix : Per omnia secula seculorum ; après quoi il dépose sur l’autel le calice et l’hostie, en disant : Pax Domini sit semper vobiscum. Et, en prononçant ces paroles, il fait trois fois le signe de la croix sur le calice avec ladite particule de l’hostie ; ensuite, il la met dans le calice, en disant : Fiat commixtio corporis. Puis l’évêque donne la bénédiction solennelle. Mais il faut examiner chacune de ces cérémonies en particulier ; et, d’abord, pourquoi le diacre découvre-t-il le calice et regarde-t-il dedans le calice ainsi découvert ? À ce sujet, nous devons dire que l’ouverture du calice signifie l’entrée du monument. Le diacre enlève le corporal de dessus le calice, et ensuite le fixe attentivement, pour signifier que l’Ange du Seigneur roula la pierre à l’entrée du monument, en retira les linceuls, et veilla sur le sépulcre en le regardant avec soin. En second lieu, il faut examiner pourquoi le prêtre place l’hostie sur la patène, et, la retirant ensuite, la rompt sur le calice. À ce sujet, nous dirons que par le calice est désignée la passion du Christ ou la jouissance de l’éternelle béatitude, d’où le Psalmiste dit : « Qu’il est illustre et éclatant mon calice qui enivre ! » Et ensuite : « Ils seront enivrés par l’abondance qui règne dans ta demeure. » Par la forme ronde de la patène, on entend la perfection des bonnes œuvres.

II. Le prêtre donc, voulant rompre l’hostie, la place d’abord sur la patène, afin que, l’y prenant, il la rompe sur le calice, pour marquer que personne ne peut être exposé aux passions du monde d’une manière méritoire, ni être admis à la jouissance de l’éternelle béatitude, à moins qu’il ne se soit affermi dans la pratique des bonnes œuvres. D’où l’Apôtre dit aux Ephésiens : « Revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin que vous puissiez résister dans les jours mauvais, et vous soutenir parfaitement en toutes choses. »

III. Ensuite, l’hostie est placée sur la patène et rompue sur le calice, pour signifier que le Christ, par l’immensité de sa charité, s’est offert à sa passion, désignée par la disposition de la patène. L’hostie est rompue sur le calice, afin que ses menues parcelles ne soient pas dispersées, mais reçues avec sûreté dans le fond du calice. Ailleurs, cependant, la fraction de l’hostie a lieu ensuite sur la patène, pour rappeler que le pain vivant, descendu du ciel, a été rompu pour nous sur l’autel de la croix. Ailleurs encore, quand on est pour consommer l’hosyie on l’enlève de dessus l’autel. Car, dans l’ancienne loi, le prêtre mangeait les pains de proposition pris sur l’autel, comme on l’a dit au chapitre de l’Oblation du prêtre.

IV. Troisièmement, il faut voir pourquoi l’hostie est rompue, C’est parce que, dans l’Ancien-Testament, il était ordonné que les victimes fussent offertes par parties. De plus, parce que notre Rédempteur bénit le pain et le rompit, et le donna ainsi à ses disciples, c’est pourquoi le prêtre, d’après la loi et d’après le Christ, divise en trois fractions le pain très-saint, afin que dans la fraction du pain nous reconnaissions le Seigneur, comme le firent les deux disciples auxquels le Seigneur lui-même apparut le jour de sa résurrection, lorsqu’ils allaient à Emmaüs. Car, comme le dit saint Prosper (De consec., dist. ii) : « Pendant que l’hostie est rompue, et que le sang est versé dans la bouche des fidèles, l’immolation du corps du Christ sur la croix et l’effusion du sang de son côté se trouvent alors symbolisés. »

V. Quatrièmement : Pourquoi l’hostie est-elle rompue par le milieu ? À ce sujet, il faut remarquer qu’elle est partagée par la fraction en deux moitiés, d’après le double état des prédestinés, c’est-à-dire l’état de la gloire éternelle et l’état de la misère temporelle. C’est pour cela qu’une moitié est subdivisée en deux parties, dont l’une est pour les prédestinés qui achèvent de se purifier dans le purgatoire, et l’autre pour ceux qui vivent encore en ce monde caduc, comme on le verra plus bas. Cinquièmement : Pourquoi la partie de l’hostie qui reste, après la fraction, dans la main droite du prêtre, est-elle placée dans la patène de préférence à celle qui est restée dans la main gauche ? C’est que la partie qui est restée dans la main droite désigne les prédestinés qui jouissent déjà de la gloire et qui possèdent déjà cette droiture à laquelle aucune autre droiture ne peut être mêlée. Et c’est pour désigner cela que l’on choisit avec raison la partie de l’hostie qui est dans la main droite. L’autre partie de l’hostie désigne les prédestinés qui sont encore plongés dans les misères du temps, où l’on trouve bien des voies tortueuses, et peu de droiture. Et c’est pour ce motif, et avec raison, que cette partie se tient avec la main gauche. Celle donc qui est dans la droite, ne devant pas être divisée, comme on le dira bientôt, est déposée sur la patène ; mais celle qui est dans la gauche, devant être divisée, n’est pas déposée dans la patène, et est réservée pour être divisée.

VI. Sixièmement : Pourquoi la partie qui est restée dans la main gauche est-elle divisée une seconde fois ? Pour résoudre ceci, il faut dire que ceux qui sont dans la gloire conservent un état uniforme et jouissent d’une seule et constante béatitude. C’est pourquoi la partie retenue dans la main droite et placée sur la patène, qui les désigne, comme nous venons de le voir, n’est pas rompue ; mais ceux qui se trouvent encore plongés au sein des misères du temps sont divisés dans leur état et dans leur misère. Car autre est l’état de misère de ceux qui sont encore renfermés dans le corps, autre est l’état de ceux qui achèvent de se purifier dans le feu du purgatoire. C’est pourquoi on doit diviser la partie retenue dans la main gauche, et qui les désigne.

VII. Septièmement : Pourquoi la particule qui reste après la division dans la main gauche est-elle réunie à la partie déjà placée sur la patène ? A cela il faut répondre que, d’après saint Augustin, Dieu a deux mains : la droite, instrument de ses miséricordes, et la gauche, qui punit ceux qui sont dans le purgatoire. En tant qu’ils sont purifiés de leur faute, le châtiment seul est leur partage, et c’est pour cela que la particule qui se trouve dans la main gauche du prêtre figure ces âmes Mais ceux qui sont encore dans la vie présente, qui est un état de pénitence, pourraient, par leur repentir, acquérir la miséricorde ; c’est pourquoi ils sont figurés par l’autre particule qui se trouve dans la main droite. Et comme pour ceux qui sont dans le purgatoire, comme pour ceux qui sont dans le paradis, il n’y a nul doute quant à la gloire future, c’est pourquoi ils sont désignés, avec raison, par la particule qui se trouvait dans la main gauche, et qui est réunie à celle placée auparavant sur la patène, qui désigne ceux qui sont dans le paradis, parce que les premiers seront infailliblement réunis aux derniers. Cependant nous émettrons plus bas un autre sens à ce sujet. Mais la particule qui est restée dans la main droite, et qui désigne ceux qui sont dans la vie présente, n’est pas réunie à la fraction qui se trouve sur la patène ; elle est mêlée au sang du Christ, parce que ces derniers ont encore besoin des mérites de la passion du Christ, mérites fondés sur l’effusion du sang de l’Agneau sans tache. Or, la réunion susdite des deux parties de l’hostie ressemble aux deux quartiers formant la pleine lune qui brille sur le monde, et elle désigne la réunion des deux Testaments dans la passion du Christ. Ces deux parties doivent être inclinées vers le calice, comme pour incorporer le sang, sans lequel le corps n’existe pas. Cette réunion signifie encore certains fidèles qui, lorsqu’ils auront été purifiés par les afflictions tant présentes que futures, seront unis par l’union la plus parfaite à Dieu lui-même, qui est notre béatitude.

VIII. Huitièmement : Pourquoi les deux parties susdites sont-elles conservées hors du calice, sur la patène ?

IX. Plusieurs disent à ce sujet que les trois fractions de l’hostie figurent les trois états des bienheureux dans le ciel, dans le purgatoire et dans le monde, comme on le dira bientôt. Or, à quelques égards, le calice figure l’éternelle jouissance, comme on l’a déjà dit. Et comme ceux qui vivent dans le siècle, aussi bien que ceux qui sont dans le purgatoire, doivent un jour être admis à partager cette jouissance, c’est pour cela que les deux parties de l’hostie sont conservées hors du calice, jusqu’à ce qu’elles soient consommées ; mais cette raison ne s’accorde pas en tout avec ce que nous avons dit ci-dessus, et nous donnerons plus bas une autre explication. On peut encore dire que les deux parties de l’hostie sont placées sur la patène, parce que, si l’on tenait dans les deux mains toutes les particules à l’ouverture du calice, on pourrait encourir bien des dangers : ainsi, on pourrait se tromper facilement et mettre dans le calice une partie qui ne doit pas y être mêlée ; ou bien encore, par suite du tremblement des mains, ces parties pourraient tomber dans le calice : le prêtre, ainsi embarrassé, ne pourrait s’acquitter librement de son office ; et autres choses semblables. D’autres, cependant, tiennent toutes les parties de l’hostie sur l’ouverture du calice, de peur qu’en les changeant de place quelque particule ne tombe ou ne reste dans la patène, ce dont on parlera encore au chapitre de la Communion du prêtre.

X. Neuvièmement : Pourquoi le prêtre tient-il sur le calice la particule qui est restée dans sa main droite ? A ceci il faut répondre que cette particule, comme on l’a déjà vu, représente ceux qui, vivant dans leurs corps, ont encore besoin de la miséricorde de Dieu ou des mérites sus-mentionnés de la passion du Christ et de l’effusion de son sang. Cette particule est donc tenue à l’ouverture du calice, la face dirigée vers le sang, afin de donner à comprendre l’intention, l’attente et l’espérance des vivants, par rapport aux mérites et à la passion du Christ. Le prêtre la tient avec le pouce, qui signifie la vigueur de la vertu, et avec l’index, symbole de la discrétion de l’esprit, pour montrer que l’on doit considérer et attendre ces mérites avec une foi robuste et un esprit discret ; ou bien, encore, elle est tenue avec deux doigts, pour marquer la double nature qui exista dans le corps du Christ, la nature divine et la nature humaine. Cette partie est mêlée au sang, pour montrer que ceux qui considèrent et attendent dignement et avec foi les mérites et la passion du Christ, sont aidés par cette passion et par ces mérites.

XI. Dixièmement : Pourquoi le prêtre se relève-t-il pour dire : Per omnia secula seculorum ? Nous répondrons que, comme il veut demander que le Seigneur soit toujours avec nous, comme tout fruit excellent et tout don parfait viennent d’en haut (I, q. ii » Quam pio), c’est avec raison qu’il s’élève à Dieu de corps et d’esprit, espérant de recevoir ce qu’il demande.

XII. Onzièmement : Pourquoi, en prononçant ces paroles, élève-t-il la voix, tenant aussi le calice un peu élevé ? A ceci nous répondrons que le prêtre, vicaire du Christ, après la fraction de l’hostie, comme on l’a dit, et sur le point d’annoncer la paix, élève la voix, pour que le peuple, qui désire la paix, le comprenne et réponde Amen (xxxviii). Il montre aussi avec soin le calice un peu élevé de l’autel, pour désigner le Christ, qui était descendu par sa passion, symbolisée parle calice ; mais qui, s’élevant par sa résurrection d’entre les morts, apparut ensuite à ses disciples effrayés et leur dit : Pax vobis, « La paix soit avec vous. » On peut encore dire, comme on l'a déjà expliqué, que la particule que l’on tient à l’ouverture du calice représente les vivants, les croyants et ceux qui attendent le secours des mérites de la passion et de l’effusion du sang du Christ. De plus, cette particule est ainsi tenue, pour que nous croyions deux choses : premièrement, que le Christ est vrai Dieu, et que son corps et son sang n’ont jamais été séparés de sa divinité ; deuxièmement, que le Christ a été vrai homme, que son corps a été un vrai corps, que son sang a été du vrai sang ; nous n’achevons pas. C’est pourquoi le prêtre élève un peu tout à la fois le calice avec ladite particule, pour montrer que nous croyons fermement le premier point, et il les dépose aussitôt sur l’autel, pour indiquer que nous adhérons au second de la même manière.

XIII. Douzièmement : Pourquoi ladite élévation et déposition du calice se font-elles avec les deux mains, et non avec une seule ? A cela nous répondrons que cela se fait et se fait ainsi, pour donner à entendre que, de même que nous croyons de toute la force de notre intellect aux deux points précités, de même nous les aimons et nous sommes entraînés vers eux de toute la force de notre affection. Cela a lieu encore pour plus de sûreté et de décence.

XIV. Treizièmement : Pourquoi le prêtre dit-il encore d’une voix plus élevée : Pax Domini, etc. ? C’est parce que nous devons exprimer non-seulement par des signes, mais encore par des paroles, la joie que nous cause la résurrection. C’est pourquoi le prêtre, à cause de l’allégresse que lui cause la résurrection, s’avance, dépose aussitôt le calice, et prononce d’une voix plus forte : Pax Domini sit semper vobiscum, « La paix du Seigneur soit toujours avec vous, » pour marquer que, le premier jour de la semaine, Jésus, après sa résurrection d’entre les morts, se tint au milieu de ses disciples et leui dit : « La paix soit avec vous ; » puis une seconde fois : « La paix soit avec vous » (Joan., xx) ; comme s’il eût dit : « Je vous donne la paix du cœur sur la terre, et la paix de l’éternité dans la patrie. » Le prêtre donc insinue la même chose, en disant : La paix du Seigneur, c’est-à-dire la paix du cœur soit toujours avec vous, c’est-à-dire dans la vie présente, et la paix de l’éternité dans la vie future. Or, cette paix est celle qui a été donnée aux justes, quand l’ame du Christ, descendant dans les limbes, en ramena tous les fidèles, séchant toute larme de leurs yeux, afin qu’ils ne connussent plus désormais la douleur, mais qu’ils possédassent la paix, avec laquelle ils vivent dans l’éternité dans la société du Christ ; ou bien encore c’est la paix qui a été donnée au corps du Christ, quand son ame retourna dans son corps, afin que, de même que son ame ne fût jamais troublée par la mort de son corps, ainsi son corps ne le fût plus désormais par aucun changement ultérieur ; mais que l’un et l’autre possédassent la paix et se réjouissent toujours au sein de l’éternelle beatitude.

XV. Quatorzièmement : Pourquoi le prêtre, en disant Pax Domini, forme-t-il le signe de la croix sur le sang avec ladite particule de l’hostie ? A cela il faut répondre que les trois croix signifient les trois jours que le Christ passa dans le sépulcre, ou les trois femmes qui cherchaient Jésus crucifié à l’entrée du monument ; d’où ces paroles : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? »

XVI. Quinzièmement : Pourquoi, lorsque le prêtre a prononcé Pax Domini, le chœur répond-il Et cum spiritu tuo, « Et avec ton esprit ? » C’est qu’en répondant ainsi il souhaite la paix au prêtre lui-même, et il demande aussi que la paix lui soit donnée à lui-même ; et, pour qu’il soit digne de la recevoir, il dit avant, trois fois, Agnus Dei, etc. Cependant, lors que le pape célèbre à Rome, dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, et qu’il dit Pax Domini, on lui répond comme nous le verrons dans la sixième partie, au chapitre de Pâques.

XVII. Seizièmement : Pourquoi ladite particule de l’hostie est-elle mêlée au sang ? Cette mixtion a lieu : premièrement, pour marquer que le corps du Christ ne fut pas sans le sang, ni le sang sans le corps ; deuxièmement, pour désigner qu’un seul sacrement est consacré sous les espèces du pain et du vin ; troisièmement, le mélange du corps et du sang, après le triple signe de croix, signifie le retour de l’ame dans le corps : car, lorsque tout fut pacifié dans le ciel et sur la terre, la vertu de la Trinité fit rentrer dans sa chair l’ame du Crucifié, afin de ne pas laisser son ame dans les limbes et de ne pas permettre que sa chair vît la corruption, selon ce qu’il dit lui-même par le Psalmiste : a Je me suis endormi, et j’ai pris mon sommeil, et je me suis réveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa protection. » Elle signifie donc l’unité de l’ame et de la chair qui furent réunis lors de la résurrection du Christ ; car, comme on l’a déjà dit, le pain se rapporte à la chair et le vin au sang, parce que, suivant le Philosophe[1], le sang est le siège de l’ame (XXXIII, q. ii, Moses). Nous avons encore parlé de cela au chapitre de l’Oblation.

XVIII. Dix-septièmement : Quand la mixtion doit-elle se faire ? Quelques-uns, il est vrai, mettent la particule dans le calice, et disent ensuite Pax Domini, parce qu’il est manifeste que la paix a été donnée aux hommes de bonne volonté par la résurrection, désignée par lesdites paroles. Mais d’autres ne le font qu’après avoir dit Pax Domini, et même après avoir dit l’Agnus Dei, afin que leur prière soit plus efficace, lorsqu’en disant l’Agnus Dei ils tiennent dans leurs mains cette parcelle, la regardant tout à la fois des yeux du corps et des yeux de l’ame ; d’autres encore, avec respect, la mettent dans le calice, en disant Da nobis pacem ; car, comme on dit trois fois Agnus Dei, et que les deux premières fois on le termine par miserere nobis, « aie pitié de nous » la première fois par rapport à l’ame qui réside surtout dans le sang, et la seconde par rapport à la chair, il est évident que cette double invocation est prononcée séparément, et c’est pour cela que la partie de l’hostie qui désigne la chair, et le sang qui désigne l’ame, ne doivent pas être réunis aux deux premiers Agnus Dei, mais seulement à la fin du troisième, terminé par pax, qui se rapporte aux deux substances, c’est-à-dire au corps et à l’ame. Car c’est lui qui nous a purifiés de nos péchés dans son sang.

XIX. Il y a d’autres prêtres, en quatrième lieu, qui font le mélange, après avoir dit Pax Domini, et c’est avec bien plus de raison et d’évidence qu’ils agissent de la sorte, car il est certain que l’Agnus Dei, qui a lieu après la salutation, représente ce que fit le Seigneur lorsqu’il visita ses disciples et leur donna le pouvoir de remettre les péchés. C’est pour représenter cela que le prêtre, après avoir mêlé au sang la particule de l’hostie, dit : Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis, « Agneau de Dieu, qui enlèves[2] les péchés du monde, aie pitié de nous, » pour désigner que, de même qu’il a uni le corps au sang, ainsi, par sa miséricorde, il nous lave de nos péchés, après nous avoir réunis au même sang, ou aux mérites procédant de son effusion. Et, en mettant la particule dans le calice, il dit : Fiat commixtio, etc., « Que le mélange se fasse, » paroles qu’il faut rapporter aux espèces du pain et du vin, sous lesquelles le corps et le sang du Christ sont contenus. Or, on dit Agnus Dei après avoir couvert le calice, pour marquer que le Christ, entrant, les portes fermées, dans la maison où se trouvaient les apôtres, leur donna le pouvoir de remettre les péchés.

XX. Dix-huitièmement : Pourquoi fait-on trois parties de l’hostie ? A cela on répondra que l’hostie est partagée en trois parties : premièrement, en mémoire de la Trinité ; deuxièmement, en mémoire du triple état du Christ. Le premier de ces états consista à rester parmi les hommes ; le second à séjourner dans le sépulcre comme mort ; le troisième désigne son immortalité dans le ciel. Troisièmement, pour rappeler et marquer qu’il souffrit dans trois parties de son corps, c’est-à-dire dans ses pieds, dans ses mains et dans son côté. Quatrièmement, pour désigner les trois parties de son corps mystique : la première est dans le ciel ou dans la patrie, et c’est l’Église triomphante ; la seconde est sur la terre, et c’est l’Église militante ; la troisième est dans le purgatoire, et c’est l’Église souffrante. Cinquièmement, pour représenter les trois personnes qui allaient à Emmaûs, à savoir : le Christ, Cléophas et Luc, comme certains le disent.

XXI. Dix-neuvièmement, il reste à voir ce que ces parties elles-mêmes signifient. Et d’abord, d’après le pape Gélase, la partie mise dans le calice signifie le corps que le Christ tira du sein de la Vierge. La partie qui est mangée sèche désigne tous les fidèles. La partie réservée jusqu’à la fin de la messe (suivant l’antique coutume de l’Église romaine), pour les ministres ou les malades, signifie tous les morts. La seconde partie, mise dans le calice, désigne l’Église militante ; la partie réservée désigne les âmes du purgatoire. Troisièmement, le pape Sergius (De consec., d. ii, Triforme) s’exprime ainsi : « Le corps du Seigneur se présente sous trois formes : la partie offerte à la messe dans le calice représente le corps du Christ déjà ressuscité ; la partie mangée par le prêtre nous désigne le Christ vivant encore sur la terre ; la partie qui reste sur l’autel jusqu’à la fin de la messe représente le corps du Christ, ou, selon d’autres, le corps des fidèles caché dans la sépulture. » Cette partie reste sur l’autel jusqu’à la fin de la messe, parce que jusqu’à la fin des siècles les corps des saints resteront dans le sépulcre. Mais l’usage de réserver une partie jusqu’à la fin de la messe a passé. On peut encore expliquer ce mystère d’une quatrième manière : Le corps du Christ est l’Église universelle avec ses membres, d’après ces paroles de l’Apôtre : « Nous sommes un grand nombre qui participons à un même pain et à un même corps, etc. » On trouve dans ce corps, en quelque sorte, trois parties, dans lesquelles consiste le tout. Une de ces parties est la tête, et c’est le Christ, qui est le caput (chef) et une partie du corps. Ceux dont les corps reposent dans le tombeau et les âmes qui règnent avec le Christ forment la seconde partie ; ces deux parties, c’est-à-dire la tête et cette autre partie du corps, sont comme réunies, selon ce qui est écrit : « Là où sera le corps, là se rassembleront les aigles. » C’est pour cela que les deux parties réunies sont réservées à l’autel sur la patène, hors du calice, et comme hors de la passion, désignée par le calice. Car le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus désormais ; la mort ne le dominera plus, et les saints, qui sont avec lui, n’auront plus faim ni soif, le soleil ni la chaleur ne tomberont plus sur eux, parce que leur premier état est passé. La troisième partie qui est mise dans le calice signifie les saints qui vivent encore dans ce monde et qui doivent souffrir encore ses passions, jusqu’à ce que, sortant de cette vie, ils se réunissent à leur chef. Là ils ne mourront plus et ne souffriront plus désormais.

XXII. Voici la signification des trois parties faites du corps du Christ, dans les vers suivants : « La première signifie sa chair, la seconde les saints qui sont dans le sépulcre, la troisième désigne les vivants ; cette dernière est trempée dans le sang du martyr par excellence. Les fidèles ne prennent le calice que sous l’espèce du pain. » Cinquièmement, selon maître Guillaume d’Auxerre, la partie qui est mêlée au sang signifie les vivants, une autre de ces parties signifie les âmes du purgatoire, et l’autre ceux qui sont dans le paradis.. Car l’Eglise prie pour les vivants, afin qu’ils restent dans le bien ; pour les âmes du purgatoire, afin que leur délivrance arrive plus promptement et qu’ils soient plus vite purifiés ; elle prie au nom de ceux qui sont dans le ciel, pour qu’ils prient eux-mêmes pour nous. Sixièmement, encore, d’après saint Augustin, la partie qui est mise dans le calice y est mise à l’intention de ceux qui ne vivent pas saintement et qui se roulent dans le sang et dans le péché. Les deux autres sont offertes pur les morts : une pour les saints, qui déjà jouissent du repos (et c’est seulement en action de grâces, puisqu’il ne leur reste plus rien à expier) ; l’autre pour les âmes qui, quoique devant être sauvées, sont encore dans les tourments. Et voilà pourquoi cette dernière est appelée oblation. Aussitôt que la particule de l’hostie est dans le calice, on couvre ce vase avec la pale dite corporal, parce que le corps du Christ, une fois détache de la croix, resta dans le sépulcre enveloppé d’un suaire, que figure la pale.

XXIII. Vingtièmement : Pourquoi ne donne-t-on pas la bénédiction solennelle ? Il est vrai qu’en cet endroit, c’est-à-dire avant la paix, l’évêque donne la bénédiction solennelle pour marquer que nous ne pouvons pas avoir la paix, à moins que notre Seigneur Jésus-Christ ne nous prévienne par ses plus douces bénédictions, qui sont les bénédictions de sa grâce elle-même, parce que, selon le Psalmiste, « le salut appartient au Seigneur, et sa bénédiction est sur son peuple. » Or, tandis que l’évêque se tourne pour bénir le peuple, le peuple fléchit respectueusement le genou, comme si par cette action il disait : « Que Dieu, notre Dieu, nous bénisse, et que sur toute la surface de la terre on craigne le Seigneur, car il est le Seigneur qui bénit ceux qui l’invoquent. » D’où le Psalmiste : « Il a béni tes enfants en toi ; » et, quoique cette bénédiction soit solennelle, néanmoins plusieurs donnent encore une autre bénédiction solennelle à la fin de la messe. Et sur cette bénédiction, nous dirons ici qu’elle a lieu tant parce que le Seigneur, après avoir salué les apôtres, leur dit deux fois Pax vobis, comme on l’a déjà vu (et nous en parlerons encore au chapitre du Baiser de paix), que parce que nous ne pouvons bien commencer ou acquérir la paix, à moins que nous ne soyons prévenus par la grâce de la bénédiction divine. Ainsi, nous ne pouvons profiter dans le bien, ni persévérer finalement dans la paix, si nous ne sommes pas aidés par la grâce de la bénédiction de Dieu.

XXIV. Or, à la messe des morts le pontife ne bénit pas solennellement, tant parce qu’à cette messe cessent toutes les solennités, que parce que cette bénédiction solennelle est non-seulement destinée à détruire les fautes vénielles, mais encore à exciter le peuple à se confier dans le bras du Seigneur et à le confesser béni dans tous les siècles. Or, les défunts, comme absents, ne peuvent être excités, quoiqu’ils puissent être aidés par nos suffrages ; c’est encore parce que la joie ne peut être mêlée au deuil. Or, il faut observer que, par la mort et dans la mort du Christ, l’ame fidèle reçoit des bénédictions ; c’est pour cela que dans l’office des morts le diacre invite, suivant l’usage, les fidèles à s’humilier, en disant : « Humiliez-vous, » pour recevoir la bénédiction, et aussitôt le pontife bénit. Certains auteurs assurent que cet office n’est pas un des sept offices de la messe, parce que ces bénédictions ne sont pas de l’Eglise romaine, qui ne les donne pas, et c’est pour cela qu’elle ne bénit pas à cet endroit, mais à la fin de la messe. Mais, quel que soit celui qui les a instituées, elles sont bien placées en cet endroit, où est représentée la descente du Christ aux enfers, c’est-à-dire peu de temps avant sa résurrection, lors qu’il donna sa bénédiction éternelle à ceux qu’il venait de délivrer de prison. Ces bénédictions ont été préfigurées par Jacob bénissant ses enfants, par Moïse bénissant les enfants d’Israël, et par le Christ qui, en mourant, bénit ses disciples.

  1. Avons-nous besoin de dire que ce Philosophe par excellence est Aristote ?
  2. Tollere, en latin, a le triple sens de porter, effacer et ôter.