Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 09

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 190-198).


CHAPITRE IX.
DU DIACRE.


I. Les diacres s’appellent en grec Διαϰονοτ, en hébreu lévites, et en latin ministres, élus ou offrants, selon [saint] Isidore (ministri, sive assumpti, sive offerentes). On lit dans le livre des Nombres qu’un certain ordre de diacres prit naissance de la tribu de Lévi, fils de Jacob, et c’est pourquoi on les appelait Lévites, c’est-à-dire élection (adsumptio), ou élus.

II. Parce qu’ils furent choisis, comme Eléazar et Ithamar, pour aider les prêtres. Car le Seigneur parla à Moïse et lui dit : « Prends la tribu de Lévi, et place-la devant Aaron, le grand-prêtre, et que ses fils le servent en veillant et en observant tout ce qui se rapporte au culte de la multitude devant le Tabernacle du Témoignage, et qu’ils gardent les vases du Tabernacle, et qu’ils rendent tous les services qui regardent le saint ministère. » Or, de même que le prêtre reçoit la consécration, ainsi l’on donne au diacre l’office d’aide ou de serviteur, comme on le dira bientôt. Il fut ordonné aux Lévites qui avaient atteint l’âge de cinquante ans, de garder les vases sacrés ; et à ceux qui avaient vingt-cinq ans et au-dessus, de servir dans le Tabernacle afin qu’ils pussent, étant d’un âge où l’on est robuste, porter des fardeaux, transporter d’un lieu à l’autre l’Arche de l’Alliance, la table [des pains] de proposition et les vaisseaux du Tabernacle. Ce qui revit et se reproduit dans le Nouveau-Testament, lorsque les diacres placent l’étole sur l’épaule gauche, et que, dans les jours de jeûne, ils replient la chasuble (casulam) sur la même épaule, parce que tout ce que nous supportons de labeur dans cette vie nous le portons en quelque sorte à gauche, jusqu’à ce que nous passions de la gauche à la droite, dans laquelle nous aurons le repos. C’est pour cela aussi que les diacres cardinaux (diaconi cardinales) portent la table de l’autel de Saint-Jean-de-Latran sur leurs épaules le jour de la Cène (Jeudi saint) à la sacristie, et le Samedi saint la reportent sur l’autel. Ils portent toujours aussi le Souverain Pontife, comme les Lévites portaient l’Arche de l’Alliance.

III. Or, le diacre ne porte pas la dalmatique, ni le sous-diacre la tunicelle (tunicellam) les jours de jeûne, pendant l’office de la messe, pour la raison qui est écrite dans cette deuxième partie au chapitre du Diacre, et dans la sixième au chapitre de la Septuagésime ; mais ils portent leurs chasubles ou planètes repliées sur l’épaule gauche, non de droite à gauche, comme fait le prêtre, mais tout entières et relevées sur les bras, comme d’habitude. Cependant le sous-diacre, au moment de lire l’épître, dépose sa chasuble, et, après l’avoir lue, la reprend ; et le diacre, avant de commencer la lecture de l’évangile, s’en dépouille, et, après l’avoir décemment pliée, la place sur l’épaule gauche et l’attache sous le bras droit, de telle manière qu’elle descende, en façon d’étole, de l’épaule gauche au côté droit ; et, étant ceint de cette façon, il la garde ainsi jusqu’à ce que la dernière oraison soit dite, après la postcommunion ; alors, il la revêt comme auparavant. Et, la messe étant finie, tant le sous-diacre que le diacre la déposent.

IV. Assurément, ces choses sont pleines d’un divin mystère. Or, ils portent leurs planètes repliées dans les temps dont nous avons parlé : premièrement, pour la raison susdite ; secondement, ils les portent ainsi pour montrer qu’ils sont tenus, pendant ces temps, à une perfection aussi grande que celle qui est exigée du prêtre dans les autres ; c’est pour indiquer aussi que, revêtus de la charité, symbolisée par la planète, ils servent à l’autel, et non sous le poids de la crainte, comme cela avait lieu dans l’ancienne loi, qui était une loi de crainte et non d’amour, comme la nouvelle ; et cela surtout dans les temps des jeûnes, parce que ce qui se fait sans charité n’est pas méritoire. Et ils les portent élevées en haut, afin de pouvoir plus librement remplir leur service, et pour montrer que, selon la parole de l’Apôtre, oubliant ce qui est derrière eux et matériel, ils se portent aux choses intérieures et spirituelles. Et ils les portent élevées sur les bras, pour marquer qu’ils doivent montrer, par leurs œuvres, la charité qu’ils portent dans leur âme ; car la charité est convenablement désignée par les mains et les bras. Mais ils ne les portent pas repliées à droite et à gauche, comme le prêtre, pour indiquer la différence de leur autorité et de leurs charges. Cependant le sous-diacre sur le point de lire l’épître dépose sa chasuble, parce qu’il va s’acquitter de son office. Or, lui, par sa charge, il représente l’ancienne loi. C’est pourquoi les épîtres sont aussi tirées quelquefois de l’ancienne loi, sous l’empire de laquelle on servait Dieu, non par amour, comme il a été dit précédemment, mais par crainte. Or, comme cet état de choses dura autant que la loi, pour en présenter une image, jusqu’à ce que l’épître soit terminée le sous-diacre n’a pas la planète qui désigne l’amour. Au contraire, le diacre, qui lit l’évangile, ne la dépose pas, mais se l’attache autour du corps en forme d’étole, ornement qui appartient à sa charge ; car son office est de prêcher la doctrine évangélique, qui est la loi de l’amour, et cela en raison de l’amour qui rend le joug du Seigneur suave, joug par lequel toutes les pensées mondaines sont comprimées, et que représente l’étole mise sur l’épaule gauche.

V. Et il se ceint de la planète, c’est-à-dire de la charité, de l’épaule gauche au côté droit, afin que le joug du Seigneur lui soit doux dans la prospérité et dans l’adversité, que désignent le côté droit et le côté gauche. Et il est, en quelque sorte, armé par les épaules contre l’adversité, et ceint devant l’autel contre les appas ou les prospérités du monde.

VI. Le diacre a encore une double charge, à savoir : de prêcher au peuple, et c’est pour cela que, prêt à lire l’évangile, il dit à l’assemblée et au prêtre dont il est le ministre : « Le Seigneur soit avec vous (Dominus vobiscum). » Assurément, à cause de la charge de prêcher qu’il a, il porte la chasuble sur l’épaule, parce que le prédicateur, dans cette vie, doit être responsable des œuvres du peuple ; ce qui a été pris au grand-prêtre de la loi, qui, lorsqu’il sacrifiait, repliait les extrémités de son baudrier sur son épaule. Or, comme il sert le prêtre, et comme sa fonction, vu la nécessité pressante, est d’aller et de venir, il doit avoir le côté droit dégagé et libre ; d’où vient qu’on lit ceci dans le canon du Concile de Tolède (xxv, d. Unum) : « Il faut que le diacre porte un seul oratium sur l’épaule gauche, parce qu’il prie (orat), c’est-à-dire parce qu’il prêche. » En outre, le sous-diacre et le diacre, au moment de lire, l’un l’épître, l’autre l’évangile, déposent leurs chasubles, confessant en quelque sorte, par cette action, que ce n’est pas un vêtement qui leur est propre et particulier, mais qu’ils le portent selon la convenance du temps. Enfin, vers la fin de la messe, le diacre revêt la planète, pour marquer qu’il ne suffit pas d’entreprendre et de commencer la pratique des bonnes œuvres par la charité, si l’on ne l’achève encore et si l’on ne la mène à fin dans la charité.

VII. Troisièmement, on peut encore dire que le diacre, en revêtant la chasuble, déclare qu’il est prédicateur, et qu’il doit être plein d’ardeur dans la dilection, et soupirer avec force après la vie contemplative. Et lorsqu’il se la met autour du corps et qu’il la pose pliée sur son épaule, il annonce l’œuvre de la prédication, de l’oraison et de la lecture, et il vient en aide à son prochain dans ses nécessités ; et il la fait passer à droite lorsqu’il rapporte tout au souverain bien. Et ainsi, lorsqu’il revêt la chasuble, il représente Marie ; quand il s’en ceint le corps, il figure Marthe servant le Seigneur avec sollicitude.

VIII. Quatrièmement, lorsque le diacre, dans le temps des jeûnes, replie la chasuble sur son épaule, il brandit, en quelque sorte, le glaive sur la tête des ennemis, comme on le dira dans la préface de la troisième partie.

IX. Et dans le Nouveau-Testament, cet ordre a pris son commencement des apôtres, qui élurent diacres sept hommes d’un bon témoignage, pleins de l’Esprit saint, comme on le dira bientôt. C’est pourquoi les saints Pères ont décrété (xciii, d. Diaconi, et c. seq.) que sept diacres assisteront le pontife à l’autel, lorsqu’il célébrera le sacrifice de la messe dans l’église-mère (in matrice ecclesia, Rome ?). Dans l’Apocalypse, ils sont appelés les sept anges qui sonnent de la trompette, parce qu’il leur appartient et qu’il leur a été donné de faire éclater au dehors les mystères profonds qu’ils ont reçus par l’inspiration du Ciel. Ils sont les sept candélabres d’or qui doivent montrer aux autres la lumière de l’Évangile du Christ. Ils sont appelés les sept tonnerres, parce qu’ils doivent menacer d’une manière terrible, en proclamant que tout arbre qui ne produit pas un fruit bon doit être coupé et jeté au feu. Selon la coutume et à la manière d’un hérault, ils avertissent l’assemblée des fidèles (ecclesiam) de prier et de fléchir les genoux.

X. À eux, en effet, il appartient d’assister le prêtre et de le servir dans tout ce qui se rapporte aux mystères ou aux sacrements (sacramentis) du Christ : dans le baptême, ils lui présentent le chrême ; à la messe, la patène et le calice ; ils lui apportent les offrandes, c’est-à-dire les hosties ; ils les rangent sur l’autel ; ils accommodent aussi, c’est-à-dire ils ornent la table du Seigneur qui est sur l’autel ; ils portent la croix, par exemple, dans les processions ; et ils prêchent, c’est-à-dire ils lisent l’évangile et les œuvres de l’Apôtre, c’est-à-dire l’épître, par exemple si le sous-diacre vient à manquer. Car, de même qu’il fut recommandé de prêcher, c’est-à-dire de lire l’Ancien-Testament, ainsi il a été enjoint aux diacres de prêcher, c’est-à-dire de lire le Nouveau. Or, de même que le Seigneur, jusqu’au moment où il prêcha l’Évangile, servit ses parents et ses disciples, selon cette parole de lui : « Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir, » ainsi il ne convient à personne de lire l’évangile plus qu’au diacre, dont le nom signifie serviteur. C’est pourquoi, lors de son ordination, il reçoit l’étole, qui signifie le joug du Christ, parce qu’il doit lire l’évangile, dans lequel sont contenues les paroles touchant ce joug.

XI. À lui aussi appartient l’office des prières, qui consiste à dire les litanies et à réciter les noms de ceux que l’on doit ordonner ou même baptiser. C’est encore lui qui avertit d’avance les oreilles de prêter attention à Dieu, lorsqu’il dit : « Humiliez vos têtes devant Dieu, » ou : « Humiliez-vous pour recevoir la bénédiction. » C’est encore lui qui exhorte les fidèles à crier à Dieu, quand il dit : Κύρίε ἐλέησον (Kyrie eleison), au temps des Rogations. C’est le sous-diacre qui donne la paix ou le salut, lorsqu’il dit : « Le Seigneur soit avec vous, » et qu’il annonce les festivités. Or, voilà les choses qui, avec plusieurs autres, se rapportent à la charge du diacre, et que nous lisons dans les canons [du Concile] de Jérusalem (Hier., xxiii, distinct. Diaconi, etc.), qui les contiennent d’une manière plus étendue.

XII. Les diacres de l’Église doivent aussi, tels que les yeux de l’évêque, examiner tout ce qui est autour d’eux et le rapporter à l’évêque. Ils ne doivent pas cependant baptiser ni distribuer le corps du Seigneur, si ce n’est dans un cas de nécessité, à savoir : en l’absence de l’évêque ou du prêtre, et après en avoir reçu d’eux l’ordre ; et ils ne peuvent pas bénir le calice.

XIII. Ils ne doivent pas aussi s’asseoir entre les prêtres, ou devant eux, ou au-dessus d’eux, sans leur ordre ; ils peuvent cependant être priés de prêcher dans l’assemblée des prêtres. Les diacres remplacent les quarteniers qui existaient chez les Gentils.

XIV. Assurément, comme on le lit dans le canon xxiii (dist. Diaconus), lorsqu’on ordonne le diacre, l’évêque seul le bénit en lui imposant les mains sur la tête, parce qu’il le consacre, c’est-à-dire l’ordonne non comme prêtre, mais comme ministre ou serviteur, c’est-à-dire diacre. Cependant, dans les Actes des Apôtres on lit ces paroles : « Ils les amenèrent devant les apôtres, qui prièrent et leur imposèrent les mains. » En quoi l’on voit que non-seulement l’évêque, mais aussi les prêtres qui sont présents à cette cérémonie doivent imposer la main sur le diacre pendant son ordination. Car, est-ce que l’éveque seul peut prier plus efficacement que plusieurs apôtres ? Or, en lui imposant les mains ils ne lui donnent pas le Saint-Esprit, mais ils prient afin qu’il descende sur eux tous. Donc, puisque l’usage de tous les biens n’appartient pas à un seul homme, mais à plusieurs, c’est à juste titre que plusieurs mains s’étendent sur la tête du diacre, afin que chacun, quoiqu’il soit, supplie le Seigneur d’accorder une partie de son esprit à celui qu’on doit ordonner, de même que l’esprit de Moïse, que le Seigneur répandit par lui sur soixante-dix hommes.

XV. On impose la main sur ceux qu’on doit ordonner, parce que par la main nous entendons les œuvres, par les doigts les dons de l’Esprit saint, et par la tête l’ame de l’homme. On fait donc bien d’imposer la main aux candidats, parce que, pénétrés dans l’ame des dons de l’Esprit saint, ils sont envoyés dans le monde pour faire les œuvres du Christ. On parlera de l’imposition de la main au chapitre de l’Évêque. Mais, puisqu’on impose la main au diacre, on demande pourquoi, quand ensuite on l’ordonne prêtre, on lui impose la main une seconde fois. Je réponds que, par la consécration, il passe d’une œuvre à une autre, c’est-à-dire du service de Dieu à son immolation ; ce que, pas plus que lui, nous ne pouvons faire sans être aidés de la grâce de Dieu. Et la suspension des mains a lieu lorsqu’on répand les prières sur la tête de celui qu’on doit ordonner.

XVI. Et remarque que, lorsqu’on bénit les confirmés sur le front, ainsi que le sel et l’eau, les linges de l’autel, les habits sacerdotaux et les autres choses de ce genre, cette suspension des mains a lieu parce qu’une certaine vertu est inhérente aux mains consacrées. Cette vertu s’élève, en quelque sorte, lorsqu’on répand sur les choses qu’on doit bénir la bénédiction en élevant les mains. C’est pourquoi l’Apôtre, avertissant son disciple Timothée, lui dit : « Je t’avertis de ressusciter [en toi] la grâce de Dieu que tu as reçue par l’imposition de mes mains, » afin que la dévotion se réveille dans le cœur par la pratique, comme dans le corps par l’élévation des mains sur la tête. Car la vertu qui s’attache à cette bénédiction s’étend non-seulement aux choses animées, mais aussi aux choses inanimées. C’est pourquoi quelques-uns assurent que la vertu du temple efface les péchés véniels dans l’ame de celui qui y entre par un sentiment de dévotion. Cette élévation des mains a encore lieu d’une manière très-puissante, surtout dans la prononciation des exorcismes, comme si le prêtre, par un acte même du corps, menaçait le diable en le mettant en fuite par la vertu de la consécration faite avec les mains.

XVII. Troisièmement, on peut dire que la dispensation ou distribution des sacrements est de la compétence de Dieu seul comme principe, et des ministres de l’Eglise comme ses serviteurs. Car ils n’ont rien à eux, mais ils le tirent du premier et principal auteur de tout. C’est pour cette raison qu’une certaine sanctification spirituelle est attachée à la distribution des sacrements et à la bénédiction ou consécration des vêtements, de l’eau et des choses de ce genre ; sanctification que les ministres de l’autel, se défiant de leurs mérites, doivent implorer de Dieu même, de cœur et d’action. Il est donc convenable d’exprimer tout cela par l’élévation ou la suspension des mains, qui symbolisent les œuvres. Voilà pourquoi il est dit dans les Lamentations de Jérémie : « Élevons nos cœurs en même temps que nos mains. »

XVIII. Le diacre se sert de la dalmatique, afin d’apprendre à rechercher la raison cachée des choses sublimes et élevées. De là vient qu’en certaines églises il ne s’en sert que dans les jours de fêtes, parce que les disciples ne comprirent les mystères qu’après que le Seigneur eut été glorifié. Et il s’en sert sans mettre d’aube dessous, dans le temps de l’offrande et du lavement [des mains ou des autels] seulement, comme l’a établi le pape Zozime (xciii, dist. Diaconus sedeat).

XIX. Ajoutez à cela qu’on donne au diacre, lors de son ordination, avec certaines paroles, l’étole et le livre de l’Évangile, qui sont les choses et les paroles spécialement propres à ce ministère, les autres étant de pure solennité. Et il reçoit l’étole, parce qu’il doit lire l’évangile, que figure le joug du Christ (l’étole). Il remplit cette charge celui qui distribue avec discernement le corps et le sang du Christ, et qui, par son exemple, exhorte les autres à prier et à veiller. Or, le Christ exerça cet office quand, après la Cène, il distribua de ses propres mains aux disciples le sacrement de son corps et de son sang ; et aussi quand il exhorta les apôtres à prier, en leur disant : « Veillez et priez, etc. ; » et quand il prêcha l’Évangile.