Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 11

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 205-211).


CHAPITRE XI.
DE L’ÉVÈQUE.


I. À cause des choses qui reposent spécialement sur la charge épiscopale, l’épiscopat est compris entre les ordres, dans les sacrés Canons. Et le nom d’évêque résonne plus comme celui d’un fardeau que d’un honneur (plus… oneris quam honoris) ; car ἐπισϰοπος, en grec, s’interprète en latin surintendant, faisant l’office de sentinelle ou d’éclaireur. En effet, chef avant tous dans l’Église, on l’appelle spéculateur, selon ce que le Seigneur dit au Prophète : « Fils de l’homme, je t’ai établi pour veiller sur la maison d’Israël, » afin qu’il ne s’occupe pas négligemment du peuple confié à sa garde, mais qu’il veille avec attention et sollicitude et sur leurs mœurs et sur toutes choses.

II. Donc, comme l’évêque est une sentinelle, voilà pourquoi, d’après l’institution [du pape] Clément Ier, sa chaire ou sa place dans l’église est plus élevée que celle des autres, afin qu’il domine le peuple, et qu’il le garde, et qu’il voie tout autour de lui, et que tous le voient, de même que le vigneron, pour veiller sur sa vigne, se tient dans l’endroit le plus élevé.

C’est pour cela que l’Apôtre dit : « Celui qui désire l’épiscopat « désire un grand travail. » Il ne dit pas un honneur, mais une fatigue, parce que l’évéque est élu non pas tant pour commander que pour servir. Le fauteuil (faldistorium) de l’évêque désigne la juridiction spirituelle qui est annexée à la dignité pontificale. Or, il ne doit pas l’exercer en juge, à moins qu’il ne siège sur le tribunal, ce que prouvent ces paroles du Seigneur, qui dit dans l’Evangile : « Les scribes et les pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, etc. » L’escabeau ou marche-pied désigne la puissance temporelle, qui doit être soumise à la puissance spirituelle, comme le prouve le pape Gélase (Extra, de major, et obed. solitœ, xcvi, dist. Duo. et c. seq., et Inn. iii) dans son épître décrétale. Et la puissance spirituelle foule aux pieds la temporelle par le moyen de la discipline de correction, quand elle s’écarte de la vérité par le péché [Extra y de julic. novit., XIII, dist. Valentinianus). D’où vient que le Psalmiste dit : « Jusqu’à ce que je réduise tes ennemis particuliers (inimicos tuos) à servir d’escabelle à tes pieds. »

III. Or, le pontife est le prince des prêtres ; il est en quelque sorte le pont et la voie de ceux qui le suivent. On l’appelle aussi le souverain prêtre et le très-grand pontife, comme on l’a dit ci-devant ; car il fait les prêtres et les diacres (levitas), il distribue et dispose les offices et les rangs de l’Église, et il est l’ordonnateur en chef de toutes choses, il indique ce que chacun doit faire. Auparavant, les pontifes étaient à la fois pontifes et rois, comme on en a touché un mot dans la première partie, au chapitre des Consécrations. Or, c’était la coutume des anciens que le pontife fut en même temps roi et prêtre : (sacerdos) ; d’où vient aussi que les empereurs romains s’appelaient pontifes.

IV. On donne encore au pontife le nom de prœsul (président), parce qu’il préside dans les conciles.

V. On l’appelle aussi antistes (prince), parce qu’il est avant les autres (ante alios stans) et qu’il est élevé au-dessus du peuple ; ou de anti, qui veut dire contre, parce qu’il s’oppose (contradicit) aux hérétiques, comme le berger aux loups. On a dit, dans la préface de cette partie, d’où procède le rang épiscopal.

VI. Or, la consécration épiscopale (dans laquelle l’Esprit saint vient sur ceux qui la reçoivent dignement) se donne toujours le dimanche et à l’heure de tierce (hora tertia), parce que les évêques tiennent la place des Apôtres, auxquels l’Esprit saint fut donné le jour de la Pentecôte et à la troisième heure. Cependant un homme ne peut pas être consacré évêque le même jour qu’on l’ordonne prêtre.

VII. Car, selon les statuts des Canons (lxxviii, dist. Si forte), lorsqu’on ordonne un évêque, les évêques de la même provinnce (episcopi… comprovincîales) que le candidat doivent se rassembler avec le métropolitain, et deux évêques posent et tiennent le livre des Évangiles sur la tête et sur le front du candidat ou sur ses épaules, pendant qu’un autre évêque le bénit, et tous les autres évêques qui sont présents lui touchent la tête de leurs mains.

VIII. Or, on tient le livre sur la tête du récipiendaire : Prenièrement, afin que le Seigneur affermisse l’Évangile dans son coeur. Secondement, afin qu’il comprenne par là quel honneur et quel labeur pèsent sur lui, parce que tout ce qui est élevé en ce monde, c’est-à-dire tout prélat, est plus rempli d’angoisses que réjoui par les honneurs. Troisièmement, pour marquer qu’il ne doit pas être paresseux à porter çà et là autour de lui le fardeau de la prédication de l’Évangile. Quatrièmement, pour l’avertir de se soumettre encore plus au joug accoutumé et d’obéir à l’Évangile.

IX. Et la présence de trois évêques au moins, y compris le métropolitain, est requise pour la règle et l’exemple. Pour la règle, de peur qu’un si grand don ne paraisse avoir été accordé d’une manière cachée, et afin que pour lui tous ensemble répandent des prières devant Dieu. El pour l’exemple, parce que Jacques[1], frère du Seigneur, fut ordonné évêque de Jérusalem par les apôtres Pierre, Jacques (le majeur) et Jean.

X. Or, l’imposition de la main a commencé à Isaac, que Jacob bénit en lui mettant la main sur la tcte (Genèse, xxvii). Moïse en fit autant pour Josué, quand il le mit à la tcte du peuple d’Israël (Num., xxvii). Le Seigneur en agit de même pour les apôtres, lorsqu’il les établit princes du monde. Et, à leur tour, les apôtres aussi donnèrent l’Esprit saint en imposant les mains ( Act., xix). On a parlé de l’imposition de la main au chapitre du Diacre.

XI. Au reste, pour ce qui regarde l’ordination de l’évêque, il faut savoir qu’à l’heure des vêpres (hora vespertina), le samedi, on examine le candidat sur ses mœurs et sur l’état de sa vie passée, et l’on implore trois fois la bénédiction du ciel, afin que la sainte Trinité montre qu’elle préside à son ordination. Or, le matin du jour qui suit, on l’examine touchant la vie à venir et l’institution de la foi et de la primitive Église, à cause de ceux qui sont suspects dans la foi, les mœurs et la condition ; et on oint sa main et sa tête, ce dont on a parlé dans la première partie, au chapitre des Consécrations et des Onctions. Ensuite, on oint ses mains, et on lui met la mitre sur la tête, pour lui marquer que « [Dieu] lui a donné le « pouvoir de bénir toutes les nations, et a scellé son testament sur sa tête. » On lui donne aussi le bâton pastoral et l’anneau, dont on parlera dans la partie qui suit. Or, chacune de ces choses sont données et ont lieu avec les paroles qui leur sont propres. Ces paroles, l’onction dé la tête et de la main, la confirmation des deux pouces, et le don du bâton pastoral, de l’anneau et de l’évangile, sont la substance de ce sacrement ; le reste est de pure solennité. On a dit, dans le susdit chapitre des Consécrations, ce qui a rapport à l’évangile et au don du bâton pastoral, et pourquoi, après sa consécration, l’évêque chevauche un cheval blanc ou couvert d’une housse blanche.

XII. Et l’on consacre l’évêque entre l’épître et l’évangile ; et il ne peut pas, le jour de sa consécration, célébrer les ordinations, parce qu’alors il ne célèbre pas seul le saint sacrifice, mais qu’il aide le principal officiant. Cependant le pape, que l’on consacre avant l’hymne angélique [Gloria in excelsis], pourrait le faire, puisqu’après sa consécration il achève de célébrer solennellement la messe.

XIII. Or, il y a cette différence entre les évêques et les prêtres (sacerdotes) : c’est que, bien qu’il y ait six choses qui, communément, appartiennent à tous les prêtres, à savoir : catéchiser, baptiser, prêcher, confesser, délier ou lier, cependant neuf choses regardent spécialement le pontife, à savoir : ordonner les clercs, bénir les vierges, consacrer les pontifes, imposer les mains, dédier les basiliques, déposer ceux qu’on doit dégrader, célébrer les synodes, faire le chrême, consacrer les vêtements et les vases du culte. Il y a encore d’autres choses qui se rapportent à la charge épiscopale ; par exemple, de marquer du chrême au front, de donner la bénédiction solennelle avant la paix, et autres choses semblables. Mais cependant les plus grands comme les plus petits prêtres, généralement, en certaines occasions, représentent le type du souverain pontife, c’est-à-dire du Christ, lorsque, par exemple, ils supplient Dieu pour les péchés des hommes, et que, par la pénitence, ils réconcilient les pécheurs avec le ciel ; d’où vient que l’Apôtre dit : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde, et il a placé en nous une parole de réconciliation. Supplions-le donc dans la personne du Christ, et nous serons réconciliés à Dieu. »

XIV. Car les prêtres sont médiateurs entre Dieu et les hommes, lorsqu’ils rapportent au peuple les préceptes de Dieu en prêchant, et qu’ils présentent leurs vœux au Seigneur en le suppliant. C’est pourquoi ils doivent se conduire de telle manière qu’ils soient agréables devant Dieu et devant les hommes ; car, comme le dit le pape Alexandre : « Autant les prêtres du Christ seront plus dignes, autant ils seront exaucés plus facilement dans les nécessités du peuple, pour lesquelles ils crient devant le Seigneur. » Et, comme l’Apôtre le dit : « Le prêtre n’est pas médiateur pour un seul homme, et il ne peut réconcilier ceux que divise la discorde, s’il ne forme en même temps un avec chacun, par le lien de l’association et de l’amitié ; » car, si celui qui déplait est envoyé pour intercéder, l’esprit de celui qui est irrité contre lui et contre son prochain sera provoqué à une conduite pire que la première.

XV. On comprend aussi sous le nom de presbyter l’évêque et le prêtre (sacerdos), comme cela paraît clairement par ces mots que l’Apôtre écrit à Tite, qu’il appelle à la fois évêque et prêtre (presbyterum). Et l’on prouve de beaucoup de manières pourquoi l’évêque et le prêtre sont une même chose. Les prêtres ont pris leur commencement, dans l’Ancien-Testament, des fils d’Aaron, et les évêques d’Aaron lui-même. Ceux qui s’appelaient alors prêtres (sacerdotes) sont maintenant nommés presbyteri, et ceux qui s’appelaient princes des prêtres se nomment maintenant évêques. Et aujourd’hui les vocables sont différents, de telle sorte que l’évêque ne s’appele pas presbyter, et vice versa, parce que très-anciennement (antiquitus), quand les presbyteri (vieillards) se livraient aux pratiques de la piété, on les ordonnait prêtres en tout lieu, et que chez les Juifs ceux qui étaient les chefs du peuple s’appelaient presbyteri ( ou vieillards), nom qu’ils recevaient comme une marque d’honneur. On les appelait aussi évêques ou spéculateurs, à cause de l’œuvre qu’on leur voyait accomplir, et parce qu’ils étaient chargés de veiller à tout ce qui avait été établi pour le culte de la religion.

XVI. C’est aussi pour cela que [saint] Jérôme parle en ces termes : « Jadis un prêtre (presbyterum) était la même chose qu’évêque ; et avant que, par l’instigation du diable, il y eût des recherches et des dissensions dans la religion, et qu’on dît au peuple : Je suis disciple de Paul, et moi d’Apollon (Apollinis), et moi de Céphas (Pierre), les églises étaient gouvernées par l’assemblée générale des prêtres (presbyterorum). Mais, après que chacun eut pensé que ceux qu’il avait baptisés lui appartenaient à lui et non au Christ, il fut décrété dans tout l’univers qu’un des prêtres (presbyter) serait mis au-dessus des autres. » Or, que les évêques sachent que c’est plutôt par la coutume que par la permission de la vérité du Seigneur qu’ils sont plus grands que les prêtres. Et [saint] Augustin dit « que cependant, selon les vocables que l’usage a consacrés, l’évêque devient plus grand que le prêtre. » Augustin, cependant, est au-dessous de Jérôme. Le Christ exerça cette charge quand, levant ses mains sur la tête de ses disciples, il les bénit en leur disant : « Recevez l’Esprit saint ; ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis, etc. »


FIN DU DEUXIÈME LIVRE.
  1. Saint Jacques, apôtre, surnommé le mineur, pour le distinguer d’un autre saint Jacques, dit le majeur, aussi apôtre. Il était fils de Marie de Cléophas, sœur de la sainte Vierge ; ce qui fait que l’Ecriture l’appelle frère du Seigneur, voulant dire par là qu’il était son cousin. Il fut le premier évêque de Jérusalem.