Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 18

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 278-285).


CHAPITRE XVIII.
DES QUATRE COULEURS DONT L’ÉGLISE SE SERT DANS LES VÊTEMENTS ECCLÉSIASTIQUES (44)[1].


I. Il y a quatre couleurs principales dont l’Église se sert pour distinguer les vêtements sacrés, selon les propriétés des jours ; ce sont : le blanc, le rouge, le noir et le vert. Or, on lit qu’il y avait aussi quatre couleurs pour les vêtements de l'ancienne loi, c’étaient : le bysse, la pourpre, l’hyacinthe et l'écarlate, dont on parlera encore dans le chapitre suivant. L’Église romaine use aussi de la couleur violette et de celle du safran, comme on le dira plus bas.

II. On doit se servir de vêtements blancs dans les festivités des saints confesseurs et des vierges qui ne sont pas martyrs, et cela à cause de leur justice et de leur innocence. « Car ses Nazaréens sont devenus purs » (Tren., iv). « Et ils marcheront avec moi, revêtus d’habits blancs ; car ils sont vierges et ils suivent l’Agneau partout où il ira » ( Apoc, iii). C’est pour la même raison qu’on doit se servir de vêtements blancs dans les solennités des Anges, de l’éclat et de la pureté desquels le Seigneur dit, en parlant à l’astre du jour : « Où tu lorsque les astres du matin me louèrent ? » De même dans toutes les fêtes de Dieu, de sa sainte mère Marie, et dans celle de tous les Saints (la Toussaint) ; cependant, il y en a qui se servent alors de vêtements rouges, comme on le dira plus bas, à la fête principale de saint Jean l’évangéliste, la Conversion de saint Paul, la Chaire de [saint] Pierre. On en parlera aussi plus bas. De même depuis la vigile de la Nativité du Seigneur jusqu’à l’octave de l’Épiphanie inclusivement, comme on le dira dans la préface de la septième partie, excepté dans les festivités des Martyrs qui tombaient dans cet intervalle de temps. A la Nativité du Sauveur, et aussi de son Précurseur, parce que l’un et l’autre naquirent purs, c’est-à-dire sans la tache du péché originel. Or, le Seigneur monta sur un léger nuage, c’est-à-dire prit une chair exempte des péchés, et il entra en Égypte, c’est-à-dire vint dans le monde, selon ce que l’Ange dit à la Vierge : « L’Esprit saint surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre, etc. » Mais, quoique Jean fût conçu dans le péché, il fut cependant sanctifié dans le sein (in utero) de sa mère, selon cette parole du Prophète : « Je t’ai sanctifié avant que tu sortisses du sein [de vulva) de ta mère. » Et l’Ange dit à Zacharie : « Il sera rempli de l’Esprit saint étant encore dans le sein de sa mère. » Aussi dans l’Épiphanie, à cause de la splendeur de l’étoile qui conduisit les Mages, selon cette parole du Prophète : « Les nations (gentes) marcheront à ta lumière, et tu les conduiras à la splendeur de ton lever. » Dans la Purification de la bienheureuse Marie[2], à cause de la pureté de Marie, qui, selon le cantique de Siméon, porta « la lumière qui devait écarter « le voile des yeux des Gentils, etc. » Dans la Cène du Seigneur (Jeudi saint), à cause de la composition du chrême que l’on consacre pour purifier l’ame ; car le texte de l’Évangile recommande principalement la pureté dans cette solennité : « Celui qui est lavé, dit-il, n’a besoin que de se laver les pieds, et alors il est tout pur ; » et encore : « Si je ne te lave pas, tu ne partageras pas mon héritage. » Aussi le Samedi saint, à l’office de la messe, jusqu’à l’octave de l’Ascension inclusivement, toutes les fois que l’on fait l’office du temps, outre les jours des Rogations, et excepté dans les fêtes des Martyrs qui tombent dans cet intervalle, comme on le dira plus bas. Dans la Résurrection, à cause de l’Ange témoin et hérault de la résurrection, qui apparut couvert d’une robe blanche, et dont [saint] Mathieu dit « que son visage avait l’éclat de la foudre, et que ses vêtements étaient blancs comme la neige. » Et aussi parce que les enfants qui ont pris alors une seconde naissance [par le Baptême] ont des vêtements blancs. Dans l’Ascension, à cause de la nuée brillante dans laquelle le Christ monta ; et après lui deux hommes se tinrent debout, revêtus de vêtements blancs, et ils dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenez-vous ici debout ? etc. »

III. Or, il faut remarquer ceci : c’est que, quoique pour la consécration du pontife on doive se servir de vêtements tels qu’ils conviennent au sens propre du jour consacré à Dieu, cependant pour la dédicace de l’église il faut toujours se servir d’habits blancs, quel que soit le jour ou l’on célèbre cette solennité ; car, pour la consécration du pontife on chante la messe du jour, mais pour la dédicace de la basilique on chante la messe de la Dédicace. Car l’Église, elle aussi, a le nom de vierge, selon cette parole de FApôtre : « Je vous ai fiancée à un seul homme, et je dois vous présenter comme une vierge chaste au Christ. » C’est d’elle que l’époux dit dans les Cantiques : « Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de tache en toi : viens du Liban, etc. » Cependant, celui même qui est consacré doit être paré de vêtements blancs, pour montrer qu’en tout temps ses vêtements doivent être blancs, c’est-à-dire sa vie sans tache. Aussi pendant les octaves des susdites fêtes, les octaves de celles qui en ont ; et on doit se servir de la couleur blanche quand on fait l’octave de la même fête.

IV. Mais on doit se servir de vêtements rouges dans les solennités des Apôtres, des Évangélistes et des Martyrs, à cause du sang de leur passion qu’ils ont répandu pour le Christ ; car « Ce sont ceux qui sont venus ici après avoir passé par de grandes afflictions, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau » (Apoc., vii) ; excepté dans la fête les Innocents, comme on le dira bientôt. Aussi dans la fête de la Croix, sur laquelle le Christ a versé son sang pour nous ; d’où vient que le Prophète dit : « Pourquoi ton vêtement est-il rouge comme celui de ceux qui foulent le raisin sous le pressoir ? » Mais, selon les autres, il est mieux alors de se servir de vêtements blancs, parce que c’est la fête non de la Passion, mais de l’Invention et de l’Exaltation. Aussi depuis la vigile de la Pentecôte, à la messe, jusqu’au samedi après la même fête inclusivement, et cela à cause de la ferveur de l’Esprit saint, qui apparut sur les apôtres en langues de feu ; tîar « ils virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent et s’arrêtèrent sur chacun d’eux. » D’où vient que le Prophète a dit : « Il a envoyé du ciel le feu dans mes os. » Mais, quoique l’on doive se servir de rouge pour le Martyre des apôtres Pierre et Paul, cependant dans la Conversion de ce dernier et dans la Chaire de Pierre il faut se servir de blanc ; de même que, bien qu’on se serve de blanc pour la Nativité de saint Jean-Baptiste, il faut cependant se servir de rouge dans la Décollation du même.

V. Et quand on célèbre la festivité d’un saint qui est à la fois martyr et vierge, on met le martyre au-dessus de la virginité, parce qu’il est le signe d’une très-parfaite charité, selon ce que la Vérité dit : « Personne ne peut avoir une plus grande dilection que de donner sa vie pour ses amis. » C’est pourquoi dans toute commémoration des saints il y en a qui se servent de rouge ; mais les autres, comme l’Église romaine, usent de blanc, parce que l’Église dit, non pas cependant dans cette solennité, mais de cette solennité, que les saints, selon l’Apocalypse de [saint] Jean, « se tiendront debout en présence de l’Agneau, revêtus de robes blanches, et tenant des palmes dans leurs mains. » D’où vient que l’épouse dit, dans les Cantiques : « Mon bien-aimé est blanc et rose (rubicundus), choisi entre mille ; » blanc dans les confesseurs et les vierges, rose dans les martyrs et les apôtres. Car les uns et les autres sont « les fleurs des rosiers et les lis des vallées. » Encore ceux qui, dans la fête de tous les Saints (la Toussaint), usent de rouge, sont mus par la pensée que cette fête fut d’abord instituée seulement en l’honneur des martyrs. Mais on peut répondre que, au contraire, c’est en l’honneur de la bienheureuse Vierge ; et aujourd’hui, d’après l’institution de Grégoire VII, l’Église fête aussi dans ce jour les confesseurs et les vierges, comme on le dira dans la septième partie, à l’article de cette fête [la Toussaint]. On se sert aussi de la même couleur dans les octaves des susdites fêtes, quand elles en ont. On doit se servir de la couleur rouge quand il s’agit de l’octave.

VI. On doit se servir de noir dans la sixième férié ou Parascève (Vendredi saint), et dans les jours d’affliction et d’abstinence pour les péchés, et aussi aux Rogations, comme on le verra dans le Traité de ce nom, dans la sixième partie, et dans les processions que le pontife romain fait les pieds nus, et aux messes pour les défunts, et depuis l’Avent jusqu’à la vigile

la Nativité [Noël), et depuis la Septuagésime jusqu’au samedi de Pâques. Car l’épouse dit dans les Cantiques : « Je suis noire, mais belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon ; ne veuillez pas me mépriser, parce que je suis brune, car le soleil m’a décolorée. » Mais dans la fête des saints Innocents, les uns prétendent qu’on doit se servir de noir, et les autres, au contraire, de rouge : les premiers, à cause de la tristesse, parce qu’ « Une voix a été entendue dans Rama, ainsi que des pleurs et de grands hurlements de douleur ; c’était Rachel qui pleurait ses fils, etc. » Car, aussi pour la même cause, on suspend un peu les cantiques d’allégresse, et on porte la mitre sans orfroi, à cause de leur martyre ; ce dont l’Église, faisant surtout commémoration, dit : « Sous le trône de Dieu tous les saints crient : Venge notre sang qui a été répandu, Seigneur notre Dieu. » De même aussi le dimanche de Lætare, Jérusalem (Réjouis-toi, Jérusalem), à cause de l’allégresse que désigne la Rose d’or[3], le pontife romain porte la mitre parée de l’orfroi ; mais à cause de l’abstinence il se sert de vêtements noirs. Mais l’Église romaine se sert maintenant de la couleur violette quand cette fête arrive hors du dimanche, et de rouge dans l’octave de cette même fête.

VII. Il reste donc à parler de l’usage des vêtements verts dans les jours non fériés et communs, parce que la couleur verte tient le milieu entre le blanc, le noir et le rouge, et on s’en sert particulièrement dans l’octave de l'Épiphanie, dans la Septuagésime, et pendant la Pentecôte et l’Avent, quand on célèbre l’office du dimanche. Nous trouvons cette couleur nommée dans l’endroit où il est dit : « Le troëne avec le nard, le nard et le safran. »

VIII. A ces quatre couleurs on en joint d’autres, savoir : au rouge l’écarlate ; au noir le violet, qu’on appelle autrement coccus ; au blanc la couleur du bysse, au vert le safran, quoique quelques-uns rapportent les roses aux martyrs, le safran aux confesseurs, et le lis aux vierges. On parlera encore des couleurs sur la fin du chapitre suivant.

IX. Mais il n’y a pas d’inconvénient à se servir de la couleur violette dans les jours où l’on fait usage de la couleur noire. D’où vient que l’Église romaine se sert de la couleur violette depuis le premier dimanche de l’Avent jusqu’à l’office de la vigile de Pâques exclusivement. Parfois, dans les susdits temps, on fait l’office du temps, à l’exception de la cinquième férie de la Cène du Seigneur (Jeudi saint), et de la sixième férie ou Parascève (Vendredi saint). Mais dans les festivités des saints qui se rencontrent dans la Septuagésime et dans l’Avent, on ne doit pas se servir d’ornements noirs ou violets. Et il faut savoir que le Samedi saint, pendant tout l’office qui a lieu avant la messe, on doit se servir de la couleur violette ; toutefois, sont exceptés de cette règle : le diacre qui bénit le cierge [pascal], et le sous-diacre, son aide ; lesquels sont revêtus de la dalmatique et de la tunicelle, et se servent de vêtements blancs (albis), parce que cette bénédiction, ainsi que la messe, se rapporte à la résurrection. Mais la bénédiction du cierge [pascal] étant accomplie, le diacre, ayant ôté sa dalmatique, prend une planète de couleur violette et la garde jusqu’à ce que commence l’office de la messe ; quant au sous-diacre, il ne change pas de vêtements. Quelques-uns aussi, le dimanche des Rameaux, se servent d’habits blancs à la procession et à la bénédiction des rameaux, pendant qu’on lit l’évangile et qu’on chante Gloria, laus, à cause de l’allégresse de la festivité consacrée au Christ, dont l’on fait commémoration dans les susdites paroles et les susdits vêtements. Mais l’Église romaine se sert toujours maintenant de la couleur violette, ainsi qu’à la procession qui a lieu le jour de la Purification avant la messe, parce que cet office se rapporte à l’attente pleine d’angoisse de Siméon, et parce qu’elle connaît le sens (sapit) de l’Ancien-Testament.

X. L’Église romaine se sert encore de la couleur violette pendant les Quatre-Temps de septembre, et les vigiles des saints où il y a jeûne, quand la messe est de la vigile ; et pendant les jours des Rogations, et à la messe que l’on dit le jour le saint Marc, de l’office des Litanies ; car, lorsque nous jeûnons, crucifiant notre chair, nous la macérons, afin que, devenue ainsi livide, elle soit confirmée par la pâleur du Christ, par l’accablement duquel nous avons été guéris. Or, pour représenter cela nous nous servons alors de la couleur violette, qui est pâle et en quelque sorte livide. Au reste, on met des voiles de trois couleurs sur les autels à la fête de Pâques, comme on l’a dit dans la première partie, au Traité des Peintures, etc.

  1. Voir la note 43 page 440.
  2. In upopantè, mot grec qu’on traduit en bas-latinpar Ypopanton, Ypapanti, et mieux Hypapanti, terme barbare donné à l’appellation de la fête de la Purification de la bienheureuse [vierge] Marie, à cause de la rencontre, dans le Temple, du vieillard Siméon et d’Anne, veuve ; d’où vient que D. Ménard, éditeur du Sacramentaire de saint Grégoire-le-Grand, dit qu’il trouve aussi cette fête appelée festum S. Simeonis dans un livre Mss. de Reims, à quoi se rap’{ porte le témoignage d’Anastase-le-Bibliothécaire (in Sergio P. P., p. 62) : [Constituit autem, dit cet auteur en parlant du pape Sergius, ut diebus Annunciationis Domini, Nativitatis, et Dormitionis sanctee Dei genitricis semperque virginis Mariœ, ac sancti Simeonis, quod Hypapantem Grœci appellaiit, litania exeat, etc. ] Et Ugution : « Ypapanti, mot indéclinable, c’est-à-dire rencontre, obviatio vel occursus ; d’où vient que la présentation du Seigneur dans le Temple, c’est-à-dire la fête de la Purification de la bienheureuse vierge Marie est appelée Ypapanti, et alors Siméon accourut au Christ et vint à sa rencontre, et le reçut dans ses bras et le présenta. » (V. Flodoard, 1. 3, Hist. Rem., c. 6 ; — Orderici Vitalis, lib. 13, p. 921 ; — Gualdo, in Vita S. Anscharii, archiep. Hamburg, cap. 105 ; — Jean, évêque d’Avranches, De Officii Ecclesiœ ; — et Ughelli, Italia sacra, t. 5, p. 528.)
  3. On donne le nom de Rose d’or (Rosa aurea) à une rose de ce métal que le Pape a coutume de bénir le dimanche de Carême où l’on chante Lœtare Jerusalem, et qu’après la messe il porte en procession dans Rome, et donne ensuite à quelque grand prince ou roi présent alors à sa cour, ou bien qu’il leur envoie, avec le conseil du Sacré-Collége et selon qu’il lui plaît. (V. le Cérémonial romain, lib. 1, sect. 7, où sont rapportées les oraisons propres à la bénédiction de cette rose et certaines particularités touchant sa signification.) — Nous parlerons ailleurs, et au long, de cette cérémonie intéressante.