Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 01
On lit dans l’Exode (xxv c., à la fin) que le Seigneur dit à Moïse : « Fais toutes choses d’après le modèle qui t’a été indiqué sur la montagne. »
I. C’est pourquoi nous devons nous modeler sur cette céleste Jérusalem qui a reçu l’ordre de louer le Seigneur, et qui, comme dit l’Apôtre aux Galates (iv c.), se trouve en haut, et qui est notre mère, surtout en louant Dieu simultanément avec nous, d’après ces paroles : « Jérusalem, j’ai placé sur tes murs des gardiens qui, tout le jour et toute la nuit, ne cesseront de louer le nom du Seigneur. » Et dans l’Apocalypse (iv cap.) il est dit que les animaux ne cessaient de répéter : « Saint, saint, saint, etc. » Cependant l’Eglise militante ne peut complètement imiter l’Eglise triomphante ; car, comme on le lit au livre de la Sagesse (cap. ix), le corps corruptible
appesantit l’ame. Ainsi empêchés par avance que nous sommes par notre infirmité, nous ne pouvons à chaque heure du jour célébrer continuellement les louanges divines, parce qu’il est nécessaire que l’homme, de temps en temps, pourvoie aux besoins du corps, d’après ces paroles de la Genèse (iii c.) : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » (l dist., in capite). Et c’est pourquoi nous faisons ce que nous pouvons, en louant Dieu à certaines heures du jour naturel.
II. De là, le prophète Esdras enseigna au peuple d’Israël, de retour de la captivité de Babylone, à louer Dieu quatre fois pendant la nuit et quatre fois pendant le jour, afin que l’homme s’offre et rende ses devoirs au Créateur pendant un nombre d’heures égal au nombre des quatre éléments qui composent son corps, offrant ainsi à Dieu et mettant à sa disposition chacun de ces éléments ; c’est-à-dire, pour ce qui concerne la nuit, les vêpres, les complies, les nocturnes ; le point du jour, c’est laudes et matines (laudibus matutinis), et pour le jour, les heures de prime, de tierce, de sexte et de none. Or, il est prouvé que l’office du soir, qui est le commencement de tout office, et qui, selon saint Isidore, vient de vespera stella, étoile du soir (Lib. Etymolog.), qui paraît à l’approche de la nuit, appartient à la nuit. Mais David dit : « J’ai prononcé tes louanges sept fois pendant le jour ; » et ensuite : « Je me levais à minuit pour célébrer ton nom, etc. » Cet ordre est approuvé par le Concile d’Agde (Extra De celeb. miss., c. i) et conservé par la sainte Eglise, puisque l’office nocturne est chanté au milieu de la nuit. Les sept autres heures canoniques se disent de jour, à savoir : laudes et matines qui jadis se disaient à l’aurore, quoiqu’aujourd’hui prime, tierce, none, vêpres et complies soient unies aux nocturnes. Ces sept heures sont appelées canoniques, comme si on disait régulières (Extra De pœnit. et remiss, quod in te), parce qu’elles ont été régulièrement observées par les saints Pères. Car le mot grec kanon signifie règle en latin. Or, le sacrifice de la messe, à cause de l’excellence d’un aussi grand sacrement qui y est consacré, surpasse toutes les autres louanges et est une louange par elle-même, et n’est pas compris parmi les autres ; c’est pourquoi dans cet ouvrage on lui a consacré un traité spécial, quoique plusieurs aient assuré que la messe appartient à l’office de tierce ou de none, par la raison qu’on a coutume de la célébrer régulièrement entre ces deux heures.
III. Or, l’office de nuit représente le temps d’affliction où le diable tenait le genre humain assiégé ; et l’office du jour signifie le temps de notre rédemption et de notre délivrance par le Christ, soleil de justice, qui, par la clarté de sa divinité, a éclairé nos ténèbres et nous a arrachés à la servitude du diable. C’est donc avec raison qu’enrichis d’un si grand bien par les sept dons de la grâce de l’Esprit saint, nous chantons sept fois les louanges du Seigneur.
IV. Secondement, parce que le jour naturel représente l’âge de chaque homme, non pas celui que nous avons actuellement, mais celui que nous aurions si nous n’eussions pas péché. Ce jour naturel a sept degrés : le premier est la première enfance, qui est représentée par matines et laudes ; le second est l’âge de la seconde enfance, désignée par prime ; le troisième, l’adolescence, désignée par tierce ; le quatrième, la jeunesse, représentée par sexte ; le cinquième, la maturité, désignée par none ; le sixième, la vieillesse, marquée par vêpres ; le septième, la décrépitude ou la fin de la vie, signifiée par complies. Or, dans tous ces âges différents nous devons louer notre Créateur sur les jugements de sa justice. Au sujet de la première enfance, le bienheureux Nicolas nous en donne un exemple, lui qui, le mercredi et le vendredi, par vertu d’abstinence, ne suçait le lait de sa mère qu’une fois le jour[1]. Pour ce qui est des autres âges, la chose est assez évidente. Troisièmement, parce que, selon Salomon, le juste tombe sept fois par jour par négligence (De pœnitentia, dist. iv, Septies). C’est donc avec raison que l’on doit invoquer sept fois le secours divin, pour pouvoir se relever par la vigilance de la prière. Quatrièmement, parce que le nombre sept forme tous les autres nombres.
V. Au reste, puisque les douze heures de la journée doivent toutes être consacrées à louer le Seigneur, pourquoi ne chante-t-on l’office dans l’Eglise que quatre heures du jour seulement ? A cela je réponds que, comme nous ne pouvons continuellement et à chaque heure du jour célébrer les louanges de Dieu, nous suppléons par les heures de prime, de tierce, de sexte et de none à ce qui manque aux autres heures. Car, à chacune de ces heures on dit trois psaumes ; ainsi, en quatre heures le nombre des psaumes répond au nombre des heures. Chaque psaume contient huit versets, qui signifient l’octave de la résurrection[2], dont nous parlerons au chapitre des Complies. Or, nous chantons aux heures les psaumes de huit versets, parce que nous nous réjouissons de la gloire de la résurrection ; on dit encore à chaque heure trois fois Gloria Patri après les psaumes, afin que nous rendions gloire au Père, pendant les heures qui nous sont accordées pour nous occuper des soins du corps, un nombre de fois proportionné à celui de ces heures, afin que par là nous montrions que nous vaquons à toute heure au service de Dieu. Or, les trois glorifications[3] renfermées dans la première heure indiquent que nous sommes occupés au service de Dieu pendant la première, la seconde et la troisième heures ; les trois qui se trouvent à tierce nous protègent pendant la quatrième, la cinquième et la sixième heures ; les trois qui se trouvent à sexte nous défendent des embûches du diable pendant la septième, la huitième et la neuvième heures ; et none, avec ses glorifications, nous protège pendant la dixième, la onzième et la douzième heures. On pourrait encore dire, et non sans raison, que sous prime on renferme deux heures, à savoir : prime d’abord, puis la seconde heure ensuite ; tierce en renferme trois, c’est-à-dire tierce même, puis la quatrième et la cinquième ; sous sexte il y en a également trois, c’est-à-dire sexte même, la septième et la huitième ; sous none deux seulement, à savoir : la neuvième et la dixième ; vêpres représentent la onzième, et complies la douzième. Mais dans les six heures du jour précitées, c’est-à-dire à prime, à tierce, à sexte, à none, à vêpres et à complies, nous louons Dieu d’une manière spéciale, et non pas dans la seconde, la quatrième, la cinquième, la septième, la huitième et la dixième heures, parce que les premières sont, sous certains rapports, privilégiées et au-dessus des autres, comme on le montrera au commencement du traité de chacune de ces heures. C’est pour cela, et avec raison, qu’on célèbre l’office divin pendant ces heures.
VI. Car le Christ fut arrêté pendant la nuit.
Le matin, il fut tourné en dérision ; à la première heure, il fut livré aux Gentils ; à la troisième, flagellé et crucifié par les clameurs des Juifs ; à la sixième, attaché à la croix ; à la neuvième, il rendit le dernier soupir ; à la onzième, il fut détaché de la croix ; à la douzième, enseveli. De même, pendant la nuit, il ravit sa proie à l’enfer ; le matin, il ressuscita ; à la première heure, il apparut à Marie ; à la troisième, il se présenta à ceux qui revenaient du sépulcre ; à la sixième, il apparut à Jacques ; à la neuvième, à Pierre ; le soir, il découvrit le sens des Ecritures aux deux disciples allant à Emmaüs, et se manifesta à eux ; à complies, il dit aux apôtres : « La paix soit avec vous, » et il mangea avec eux. Saint Bernard nous montre comment nous devons louer Dieu pendant ces heures, en disant : « Mes frères, en immolant l’hostie de louanges, joignons le sens aux paroles, l’amour au sens, l’allégresse à l’amour, la maturité à la joie, l’humilité à la maturité, la liberté à l’humilité. » En outre, les chants (psalmodiœ) continuels (diutinœ) ont reçu leur nom de prime, tierce, sexte et none, et non des autres heures, afin que par elles nous nous acquittions du service de Dieu, parce qu’on rapporte dans l’Evangile que ce fut à ces heures-là que sortit le père de famille pour louer des ouvriers pour travailler à sa vigne, qui signifie la sainte Eglise.
VII. Il y en a encore qui disent que la coutume de chanter tierce, sexte et none, vient du prophète Daniel, qui, sachant que Nabuchodonosor avait élevé une statue qu’il avait ordonné à tous ses sujets d’adorer, se retira dans sa maison, et, ouvrant les fenêtres trois fois par jour, fléchissait les genoux, en se tournant vers Jérusalem ; ce que saint Jérôme expliquant, il dit que c’est de là que vient la tradition ecclésiastique de fléchir trois fois le genou pendant le jour, c’est-à-dire à tierce, à sexte et à none.
VIII. Dans les mêmes heures, nous devons aussi louer la bienheureuse Vierge, à savoir : à nocturne ou à matines, parce que c’est à cette heure que paraît dans le ciel une étoile que l’on nomme tramontane (transmontana)[4], laquelle fait arriver les matelots au port. La bienheureuse Vierge aussi est cette étoile tramontane ; et si nous, qui sommes dans ce siècle, nous la louons dignement, elle nous conduira au port du salut. Nous devons la louer à prime, parce qu’alors paraît une étoile appelée Diane[5], que suit le soleil. La bienheureuse Vierge aussi est cette étoile appelée Diane, elle qui a porté le vrai soleil, c’est-à-dire le Christ, qui éclaire le monde entier. De même à tierce, parce qu’à cette heure nous avons coutume d’avoir faim ; et c’est la Vierge qui nous a apporté le vrai pain, c’est-à-dire le Christ, qui renferme tout rassasiement. Il en est de même à sexte, parce qu’alors le soleil a plus d’ardeur et de chaleur ; et nous devons alors louer la Vierge et la prier de réchauffer notre froideur dans la charité par le soleil, c’est-à-dire le Christ, qu’elle a enfanté. De même à none, parce qu’alors le soleil décline vers le couchant ; et la Vierge nous aide et nous protège encore lorsque nous déclinons vers notre coucher, c’est-à-dire que nous arrivons à la vieillesse. De même à vêpres, heure où le jour commence à finir, parce qu’elle protège ses serviteurs à l’heure de la mort. De même à complies, où le jour est complètement terminé, parce que, lorsque notre vie est terminée, elle intercède pour nous et nous fait recevoir dans les tabernacles éternels, où la joie des élus est complète.
IX. Ce fut le pape Urbain qui établit qu’on chanterait l’office de la vierge Marie, comme on le dira au chapitre du Temps de l’Avent. Or, l’office nocturne nous rappelle le temps qui s’est écoulé depuis Adam jusqu’à Noé ; l’office du matin, le temps écoulé depuis Noé jusqu’à Abraham ; prime, le temps écoulé depuis Abraham jusqu’à Moïse ; tierce, depuis Moïse jusqu’à David ; sexte, depuis David jusqu’à l’avènement du Christ ; none, le temps qui s’écoulera jusqu’au second avènement, quand le Christ viendra pour mettre à nu les actions les plus secrètes ; vêpres nous remémore le sabbat, c’est-à-dire le repos des âmes après leur sortie du corps, jusqu’au jour du jugement ; complies nous rappelle le nombre complet des saints, et la joie définitive des saints au jour de la grande solennité, quand les bénits du Père entreront en possession du royaume de Dieu. Donc, dans cette partie nous nous sommes proposé de traiter des offices ecclésiastiques en général, c’est-à-dire de ce qui se dit à l’office de l’Eglise en général : des nocturnes, des laudes, des matines, de prime, de tierce, de sexte, de none, de vêpres et de complies.
- ↑ Métaphraste, biographe de S. Nicolas, et les anciennes proses de la fête du grand évêque de Myre, ont conservé le souvenir de ce fait.
- ↑ C’est-à-dire l’éternel repos dont jouiront dans le ciel les justes après leur résurrection (Du Cange, voce Octava, 1).
- ↑ Ou doxologies ; c’est ainsi qu’on appelle le Gloria Patri, et Filio, etc.
- ↑ Ou étoile polaire.
- ↑ D’où l’expression battre ou sonner la Diane ; c’est le réveil militaire que l’on bat ou que l’on sonne dans les camps, au point du jour.