Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Cinquième livre/Chapitre 05

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 97-112).


CHAPITRE V.
DE PRIME.


Après avoir parlé d’abord de l’office de nuit, il convient de dire quelque chose de l’office du jour.

I. Et d’abord parlons de l’heure de prime, où nous devons louer Dieu, tant parce que c’est le commencement du jour et qu’il nous a été donné de passer la nuit en faisant notre salut et sans éprouver d’obstacles de la part de Satan, comme nous l’avons demandé à Dieu à complies, que parce que c’est à cette heure que le Christ a été livré à Pilate par les Juifs et aussi que l’ange annonça aux femmes qui venaient au sépulcre, le soleil étant déjà levé, que le Christ était ressuscité, et qu’il apparut encore à la même heure, sur le rivage de la mer, à ses disciples qui péchaient, en leur disant : « Enfants, avez-vous quelque chose à manger ? » tant parce que c’est à la même heure que le Seigneur allait au temple, et que le peuple faisait la matinée (manitabat), c’est-à-dire l’attendait le matin, ou bien se hâtait, le matin, de l’aller trouver, que parce que l’Ecriture dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu. » C’est donc avec raison qu’à cette heure l’Eglise loue le Seigneur et l’invoque, en disant : « Seigneur, viens à mon secours, » avec la doxologie qui suit, et demande après à être délivrée et de la persécution du monde et des tentations du diable, comme on le voit_, d’après l’hymne Jam lucis orto sidere, « Déjà l’astre du jour étant levé. »

II. Or, il faut noter qu’à l’heure de prime l’hymne est invariable, parce que chaque jour nous avons besoin de la délivrance précitée. Il en est de même de l’hymne de complies. Te lucis, etc., dans laquelle l’Eglise demande à être délivrée des songes et des fantômes de la nuit ; délivrance dont nous avons aussi toujours besoin, comme on le dira au chapitre de Complies. Certaines églises aussi ne varient jamais l’antienne à prime, parce que, comme Dieu est immuable, puisqu’il est l’alpha et l’oméga, le principe et la fin, de là vient qu’il exige toujours de nous les prémices et les dîmes du jour ; et c’est comme pour donner à Dieu ces prémices qu’on ne varie jamais l’antienne, mais on dit toujours celle de la Trinité, à moins qu’il ne survienne quelque fête ; car alors c’est l’antienne de cette même fête que l’on dit. Cependant, dans d’autres églises on change l’antienne et l’hymne, les dimanches, les jours ouvrables et les fêtes de Dieu et des saints.

III. Après l’antienne suivent les psaumes, et, d’après la signification de l’hymne précédente, il apparaît évidemment pourquoi on commence par le psaume Deus in nomine tuo, etc., dans lequel l’Eglise prie Dieu de la délivrer des périls et des ennemis ; ensuite, d’abord contre les ennemis, elle s’arme de la ceinture de la chasteté, en disant Beati immaculati in via, « Bienheureux ceux qui sont sans tache dans le chemin ; » en second lieu, elle se revêt du casque du salut, c’est-à-dire de l’espérance, lorsqu’elle dit : Retribue servo tuo, dont nous parlerons au chapitre VI. Troisièmement, du bouclier de la foi, lorsqu’elle dit Quicumque vult salvus esse, « Quiconque veut être sauvé, » qui est le symbole de notre foi, qui est, comme on le dira bientôt, notre bouclier et notre rempart, le gage de notre victoire, contre la chair, le monde, le diable et toutes ses tentations ; d’où saint Pierre dit : « Résistez-lui en vous appuyant ferme sur la foi, etc. » Quatrièmement, elle prend le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu, en disant le capitule ou la leçon qui se rapporte à la doctrine, parce qu’il faut que les bonnes œuvres, désignées par les psaumes, précèdent, et qu’après vienne la doctrine qui s’occupe des choses spirituelles et les plus intimes, d’après ces paroles : « Jésus commença à pratiquer, puis à enseigner.

IV. Il y a donc trois psaumes, c’est-à-dire Deus, in nomine tuo salvum me fac ; Beati immaculati in via ; Retribue servo tuo, afin que, pendant trois heures, nous ayons un rempart contre les attaques intérieures et extérieures ; et on les dit sous trois doxologies, parce que la Trinité est glorifiée dans nos œuvres. Le second psaume est Beati immaculati in via, jusqu’à Retribue servo tuo. Le troisième est Retribue servo tuo, jusqu’à Legem pone mihi, Domine, viam justificationum tuarum. Ces deux derniers psaumes sont formés de seize versets, car chacun a huit versets ; douze d’entre eux signifient les douze prophètes ; les quatre autres désignent les quatre grands prophètes, savoir : Jérémie, Isaïe, Daniel et Ezéchiel, ou les douze apôtres et les quatre évangélistes. On dit donc ces deux psaumes, composés de seize versets, pour marquer que nous devons, autant que nous le pouvons, observer ce que les douze prophètes et les quatre grands, ou les douze apôtres et les quatre évangélistes ont dit. Nous parlerons des huitaines au chapitre de Complies. Il y a encore, en quelque sorte, cinq psaumes, si on fait attention à la division des huit versets de chaque psaume, signifiant que l’Eglise demande que la mort n’entre pas par les fenêtres de nos cinq sens, ou bien que nos cinq sens soient fortifiés chaque jour par le secours d’en-haut. Le premier est Deus, in nomine tuo salvum me fac ; le second, Beati immaculati in via ; le troisième, In quo corrigit ; le quatrième. Retribue servo tuo ; le cinquième, Adhœsit.

V. Et il faut savoir que, depuis le psaume Beati immaculati in via, jusqu’au psaume Ad Dominum, cum tribularer, clamavi, il y a un psaume qui contient douze capitules, lequel, selon saint Ambroise, est le paradis des fruits et l’apothèque (garde-manger du Saint-Esprit). C’est pour cela que l’Eglise le rumine pour ainsi dire à chaque heure, comme les fruits aromatiques du paradis, afin qu’il soit comme un fruit aromatique pour Dieu et pour le monde ; mais on demande pourquoi ce psaume, Deus, in nomine tuo salvum me fac, que David chanta quand les Juifs voulaient le livrer à Saül, se dit à prime. Je réponds que c’est parce que cypheos, que l’on interprète par florentes, qui est en fleur, signifie le diable qui étale devant ses sujets sa verdeur caduque ; car le diable, soit par lui, soit par ses membres, nous tend des embûches et nous poursuit ouvertement pour nous précipiter dans la mort éternelle. Or, pour éviter sa fourbe, on doit chanter à la première heure, ou au point du jour, ce psaume que David chantait pour être délivré de ses ennemis. Ensuite on dit le psaume Beati immaculati in via, qui est plein de morale, parce qu’il faut que ceux que Dieu a délivrés des liens et de la prison des ennemis se présentent avec de bonnes mœurs et pratiquent toute dévotion.

VI. Or, les dimanches où l’on dit l’office du matin et où l’histoire est changée, on dit à prime cinq psaumes qui sont à la fin du nocturne du dimanche, savoir : Deus, Deus meus, respice, etc. Nous dirons à complies pourquoi on récite ces psaumes à prime. Dans certaines églises, on ne les dit que les dimanches qui se trouvent entre la Septuagésime et Pâques. Dans ce temps (pascal), on dit aussi à prime Dominus regnavit pour la raison qui s’y trouve expliquée ; on dit encore à prime, aux dimanches précités, le psaume Confitemini Domino, pour ne rien passer du psautier qui ne soit dit en entier dans la semaine, parce que là, surtout dans le verset Hœc dies quam fecit Dominus, etc., il s’agit de la résurrection, à laquelle appartiennent les dimanches ; et, d’après cela, le dimanche on dit à prime neuf psaumes, afin qu’avec les neuf chœurs des anges nous puissions louer la Trinité dans la joie de la résurrection. Dans les cinq premiers, c’est-à-dire Deus, Deus meus, respice in me, « Seigneur, Seigneur, jette un regard sur moi, » et les suivants, ce que l’on chante a trait à la passion du Christ ; par le psaume Confitemini, et les trois autres psaumes de chaque jour, on insinue que nous devons louer la doctrine des quatre évangélistes dans les quatre parties du monde. Dans le psaume Deus, in nomine tuo salvum me fac ; « Seigneur, sauve-moi par la vertu de ton nom, » nous demandons l’anéantissement de l’erreur ; dans le Confitemini, on nous exhorte à confesser les louanges de Dieu ; dans le psaume Beati immaculati, on nous exhorte aux œuvres de la louange (qui glorifient Dieu) ; dans le Retribue, à l’accomplissement des commandements. Mais comme la foi est le fondement des préceptes, et que c’est elle qui triomphe du monde, parce que sans la foi le reste n’est rien ; c’est pourquoi on ajoute le symbole de la foi, Quicumque vult, composé par saint Athanase, évêque d’Alexandrie, à la demande de l’empereur Théodose, pour déraciner la perfidie croissante des hérétiques et étendre la foi catholique ; et l’Eglise a décrété qu’on le chanterait tous les dimanches à prime, parce que le peuple se rassemble à l’Eglise principalement à ce moment, ou parce que la foi est le principe du salut. Quelques-uns, cependant, affectent de l’omettre les jours où l’on dit à la messe le Credo in unum Deum. Certains prétendent que ledit Athanase, fuyant la présence de l’empereur Constantin, composa ce symbole à Trêves. Quelquefois on ne le dit pas, car il n’est pas d’institution ecclésiastique primaire. Et remarque que dans ce symbole il y a deux parties principales, l’une qui a trait à la Trinité, l’autre à l’incarnation du Verbe. Mais c’est en vertu de la liberté laissée à cet égard, que l’on chante ce symbole avant ceux des Apôtres et de Nicée. Ensuite vient le capitule, dans lequel le pasteur console ses brebis, et le père de famille ses ouvriers, de peur qu’ils ne viennent à défaillir, accablés par la chaleur et le travail, ce dont nous parlerons bientôt. On dit quelquefois le capitule Gratias vobis et pax a Deo (Galates, c. i), et quelquefois : Pacem et veritatem (Zacharie, viii d.).

VII. Après le capitule suit le répons Christe, Fili Dei vivi, par où l’Eglise montre qu’elle donne son assentiment et qu’elle applaudit à ce qui a été dit dans le capitule ; néanmoins, elle prie pourtant pour elle-même. De là, ensuite, on ajoute le verset Exurge, Christe, « Lève-toi, ô Christ, » c’est-à-dire fais que nous nous levions ; or, se relever de ses vices n’est autre chose que revenir au Seigneur. Or, il faut savoir que certaines églises omettent ce répons : « Christ, fils du Dieu vivant, » dans l’Avent et la Septuagésime, par la raison que tant les patriarches ou les Pères qui vécurent avant la loi, que ceux qui vécurent sous la loi, espéraient être délivrés de leurs misères par le Christ ; tant parce que le Christ lui-même n’était pas encore arrivé à cette époque. C’est pourquoi, lorsqu’on fait mémoire de ces temps, on n’invoque pas la miséricorde du Christ. Cependant, dans les solennités des saints qui se rencontrent dans ces temps, on le dit pour figurer dans ces temps le temps de la grâce. Toutefois, certaines églises ne disent ni le capitule, ni même le répons, mais seulement le verset Exurge, pour imiter la coutume des apôtres, qui, comme nous le lisons, après l’ascension et avant la venue du Saint-Esprit, persévéraient dans la prière et les bonnes œuvres, comme l’atteste saint Luc, qui dit qu’adorant Dieu ils revinrent à Jérusalem avec une grande joie, et qu’ils étaient toujours à bénir et à louer Dieu dans le temple. Nous ne lisons pas qu’alors ils aient prêché le peuple ; mais, le jour de la Pentecôte, lorsqu’ils eurent reçu le Saint-Esprit et eurent été comme confirmés, à la troisième heure, ils commencèrent à parler au peuple : en quoi nous sommes instruits que nous devons, jusqu’à la troisième heure, vaquer aux bonnes œuvres et à la prière, puis enfin, à cette heure, enseigner les autres ; c’est ce que marque la leçon ou le capitule : car le psaume a trait aux bonnes œuvres, et la leçon se rapporte à la doctrine. Or, c’est pour cela qu’on supprime la leçon à prime et par conséquent le répons qui lui correspond. On entend encore par prime les œuvres du pasteur. C’est pourquoi on dit aussi alors : « Seigneur, jette un regard sur tes serviteurs et sur leurs œuvres, etc. » Le pasteur, à l’exemple du Christ, doit le premier faire de bonnes œuvres, de telle sorte qu’aux autres heures il puisse exhorter les autres aux bonnes œuvres. Et c’est pourquoi, après les psaumes qui signifient les œuvres, on ne dit pas le capitule, qui est un encouragement et une consolation. Mais après prime on récite la leçon, comme on l’a dit dans la préface de cette partie.

VIII. On dit ensuite les prières, parce que, dans le Concile d’Adge (De cons., d. v, Convenit), il a été décrété qu’on dirait des prières ou capitules après les psaumes, à chaque heure. Or, on les dit pour trois motifs : premièrement, pour retrancher les pensées superflues ; secondement, pour obtenir miséricorde pour les brebis errantes et les ouvriers succombant sous le poids du travail ; troisièmement, pour implorer du secours contre les tentations, afin que nous puissions, dans l’oraison dominicale, invoquer notre Père avec plus de sécurité ; et on les dit ainsi : Premièrement, on récite l’oraison dominicale, dans laquelle se trouvent sept demandes, pour obtenir les sept dons du Saint-Esprit, comme on le dira. Mais, parce que les mouches mourant dans un parfum gâtent sa suavité, on doit faire précéder le Kyrie eleison (Kurie elesèon).

IX. En effet, il est bon de faire précéder l’oraison dominicale de quelque prière semblable, pour repousser de l’esprit les vaines pensées, afin qu’en disant l’oraison dominicale l’ame qui s’entretient de choses invisibles ne pense qu’aux choses invisibles. Or, dans les offices divins, avant l’oraison même, on dit trois fois ou une fois Kyrie eleison ; et après, une fois ou trois fois Christe eleison, puis encore trois fois ou une fois Kyrie eleison. On dit trois fois Kyrie eleison, pour marquer les trois états de la divinité et de la majesté divine que nous célébrons en quelque sorte dans l’église ; mais on le dit une fois à cause de la seule substance de Dieu. Le premier état a existé avant l’adoption de l’humanité, quand on invoquait la Trinité sans l’union de la nature humaine, et qu’on disait : « Seigneur, » parce que Seigneur est son nom. Le second état fut après l’adoption de l’humanité, c’est-à-dire quand le Christ parut sur la terre, et que, néanmoins, ses disciples le crurent Dieu et Fils de Dieu, car il est appelé Christ, à cause de l’adoption de l’humanité qui a été ointe avec l’huile spirituelle. C’est pourquoi, pour désigner l’état qui tient le milieu, nous disons Christe eleison. Quand donc nous disons trois fois Kriste eleison, c’est pour montrer que le Christ n’a jamais été séparé de la substance de la sainte Trinité, quoiqu’il se fût fait homme. Quand nous le disons une fois, c’est pour montrer qu’il a été seul parmi les hommes, et que personne ne lui a ressemblé en tout point. Le troisième état fut quand il voulut glorifier la nature humaine, qu’il avait adoptée, plus qu’elle ne l’était, dans sa condition mortelle, et parce que dans cette glorification la Trinité a été mise en vue. C’est pour cela que nous disons trois fois Kurie eleison, et une fois à cause de l’unité de substance. Nous avons parlé de l’efficacité de ces paroles dans la quatrième partie, au chapitre de Kyrie eleison. Et remarque que les trois états précités ne se disent que par rapport à nous et non par rapport à Dieu, chez qui il n’y a pas de changement, ni même l’ombre de l’instabilité. Après le Kyrie eleison suit l’oraison dominicale, qui renferme sept demandes, pour l’obtention des sept dons du Saint-Esprit, par lesquels nous méritons les sept vertus ; délivrés des sept vices par ces sept vertus, nous arriverons aux huit béatitudes.

X. On prononce l’oraison à voix basse et secrète : premièrement, pour que ces paroles symbolisent la dévotion de l’humilité et de la prière. Secondement, afin que, nous repliant pour ainsi dire vers les choses intérieures, nous saisissions avec soin par l’esprit les choses que nous prononçons de bouche. Troisièmement, parce que dans cette oraison nous nous adressons à Dieu, qui non-seulement scrute les paroles, mais encore sonde les reins et les cœurs. Quatrièmement, pour marquer que cette oraison a plus d’efficacité dans la dévotion du cœur que lorsqu’elle est prononcée par l’émission de la voix. Car, bien que Moïse ne poussât pas de cris vers le Seigneur, cependant le Seigneur, qui fait plus attention au cri du cœur qu’à celui de la bouche, lui dit : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » (Exode, c. xiv.) Cependant la fin de l’oraison se prononce à haute voix, pour que tous y donnent leur assentiment, et que, par le secours des prières des assistants répondant Amen, nous soyons délivrés de la tentation, parce que, comme le dit saint Augustin : « Il est impossible que la multitude ne soit pas exaucée. » On dit aussi tout haut le commencement de l’oraison, pour inviter à prier les fidèles qui assistent à l’office. Or, on dit l’oraison dominicale pour obtenir la vie spirituelle de l’ame ; c’est pour cela qu’à la fin on ajoute immédiatement : Vivet anima mea et laudabit te, « Mon ame vivra et te louera, etc., etc. » Suivent ces mots : Erravi sicut ovis quæ, par lesquels on se confesse ; car celui qui ne confesse pas ses péchés ne peut vivre en Dieu.

XI. On dit ensuite Credo in Deum, qui est le symbole de notre foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, et par laquelle ceux qui sont purifiés par l’oraison dominicale sont fortifiés contre tous leurs ennemis. On le dit à voix basse, excepté la fin, qui se prononce à voix haute, pour marquer que c’est par le cœur que l’on croit à la justice, mais que c’est par la bouche que se fait la confession qui opère le salut (Extra. De sacra unct.), ce dont nous avons parlé dans la quatrième partie, à l’article du Symbole. Ensuite le prêtre dit, comme en soupirant : « Et moi aussi. Seigneur, j’ai crié vers toi, etc., » selon ces paroles de David : « J’ai crié vers toi. Seigneur, du fond des abîmes. » Mais comme la louange n’est pas agréable dans la bouche du pécheur, et que Dieu a dit au pécheur : « Pourquoi racontes-tu mes justices et fais-tu passer par ta bouche les paroles de mon testament ? » (III, q. vii, § Quod instatur.), c’est pourquoi il demande pour lui la grâce de confesser Dieu, afin qu’en étant rempli il puisse dignement le louer, et il dit pour cela : « Que ma bouche soit remplie de tes louanges. » Suivent encore beaucoup de prières, par lesquelles l’Eglise supplie, implore, demande et rend grâces, d’après la doctrine de l’Apôtre à Timothée ; elle supplie, lorsqu’elle dit : Domine, averte faciem tuam a me, etc., « Seigneur, détourne de moi ta face. »

XII. La supplication consiste proprement à demander avec adjuration, et au nom de quelqu’un ou de quelque chose, comme lorsque l’on dit : « Seigneur, délivre-nous par ta passion. » Elle prie, en demandant qu’on lui accorde des biens, comme ici : « Dieu, crée en moi un cœur pur et un esprit droit. » Elle demande avec instance, quand elle prie pour être délivrée des maux contraires, comme ici : « Seigneur, daigne, pendant ce jour, nous conserver sans péché. » Or, elle rend grâces pour les bienfaits déjà reçus, quand elle dit : « Mon ame, bénis le Seigneur. » Nous en parlerons encore au chapitre de Tierce. On peut encore dire dans un autre sens que l’oraison dominicale, avec les prières suivantes et le psaume Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam, se récitent, par la raison que dans le sein de notre Église il y en a qui commettent des fautes très-légères, et d’autres de très-graves. Le prêtre prie pour ceux qui commettent de très-légères fautes, et pour lui-même, lorsqu’il dit Kyrie eleison et l’oraison dominicale, sans laquelle personne ne peut s’excuser, s’il ne dit en toute sincérité : « Pardonne — nous nos offenses, comme nous les pardonnons, etc. » Pour ceux qui commettent des fautes plus graves et qui s’en relèvent par la pénitence, on dit le psaume Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam, qui appartient proprement aux pénitents, comme on l’a dit au chapitre de Matines et Laudes ; et Vivet anima mea, etc., parce que l’ame du pécheur était morte après le péché mortel. Il expose aussi l’erreur des pécheurs, en disant Erravi sicut ovis quæ periit, etc., « Je me suis égaré comme une brebis perdue. » Il demande un remède en disant : « Cherche ton serviteur. Seigneur, car je n’ai pas oublié tes commandements, » c’est-à-dire je suis prêt à les observer.

XIII. L’Église, dans ses prières, prie pour l’éloignement des péchés, et surtout de quatre. Elle demande à être délivrée de l’impureté et revêtue de la pureté, à être débarrassée de la tristesse qui vient des remords de la conscience ; et, pour posséder la joie et pour arriver à cela, elle récite quatre versets du psaume Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam. Pour chasser l’impureté, elle dit : « Détourne ta face de mes péchés, et détruis toutes mes iniquités, » comme si elle disait : « Ne les punis pas éternellement. » Mais comme il pourrait se faire que l’homme ne prît pas soin de s’en purifier, en voyant qu’il n’en est pas puni présentement, elle ajoute, à cause de cela : « et détruis toutes mes iniquités. » Pour acquérir la pureté, elle dit : « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu ! » Mais comme, après avoir reçu la pureté, l’homme ignore qu’il la possède et est encore déchiré par les remords de la conscience, c’est pourquoi l’Eglise ajoute : « Ne me rejette pas loin de ta face, et ne m’enlève pas ton saint esprit. » Ensuite, pour être mise en possession de la joie, elle dit : « Rends-moi la joie qui naît de la grâce de ton salut, et affermis-moi en me donnant un esprit de force. » Et comme il reste encore des ennemis qui s’efforcent de nous entraîner au mal, et qui sont au nombre de trois, savoir : la chair, le monde et le diable, c’est pourquoi, contre ces ennemis, elle emploie trois versets, savoir : Eripe me, Domine, ab homine malo, « Seigneur, délivre-moi de l’homme méchant, » et les deux versets suivants. Quand ses ennemis sont repoussés, alors elle peut louer le Seigneur ; c’est pourquoi elle dit : « Je chanterai un psaume à la gloire de ton nom. » Et comme Dieu doit être loué en tout temps, elle ajoute : Et reddam vota mea, etc. ; et comme on doit le louer en tout lieu, c’est pourquoi elle ajoute : « Exauce-nous, Seigneur, qui es notre salut, » Exaudi nos, Domine, salutaris noster. De plus, comme nous avons été rachetés par la passion, et que c’est d’elle que notre prière reçoit son efficacité, c’est pourquoi nous rappelons à la mémoire ce que nous lisons et chantons dans la passion, c’est-à-dire Sanctus Deus, sanctus fortis, sanclus et immortalis, « Dieu saint, saint et fort, saint et immortel. » Ensuite nous exhortons notre ame à le bénir pour les bienfaits qu’il nous a conférés, en disant : « Mon ame, bénis le Seigneur, etc. » Ensuite, afin que notre prière soit pure, on fait la confession commune, par laquelle nous sommes purifiés des fautes vénielles, et dont la vie commune n’est pas facilement exempte ; et comme la confession de l’homme n’a point de valeur, si l’homme n’est point intérieurement changé, c’est pourquoi le prêtre ajoute : « Convertis-nous, ô Dieu ! qui es notre salut, et détourne ta colère de dessus nous. » Ensuite, comme on est au commencement du jour, il demande à ce que nous soyons délivrés du péché pendant ce jour, en disant : « Daigne, Seigneur, pendant ce jour, nous conserver sans péché, toi, sans lequel la fragilité humaine peut à peine subsister un instant ; » et comme il est nécessaire que la miséricorde de Dieu nous suive comme elle nous a prévenus, il ajoute, pour cette raison : « Seigneur, que ta miséricorde s’étende sur nous. » Enfin, il prie pour les divers ordres de l’Église, et conclut par le psaume Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam. Tandis que notre pasteur était seul, il priait pour tous, puis en masse (in collectâ).

XIV. Or, le prêtre, en priant ou en prononçant les prières susdites pendant les jours ouvrables, se prosterne à terre pour exciter en lui et dans les autres une plus grande dévotion ; mais, à la fin du psaume Miserere mei, Deus, il se lève, tandis que les autres restent prosternés ; il dit l’oraison en restant debout, parce qu’il tient la place de ce prêtre par excellence qui est dans le ciel, et qui, chaque jour, est notre médiateur et prie pour nous. Il prie d’abord prosterné avec les autres, de même que le Seigneur, dont il est le vicaire, avant sa résurrection, conversa avec les pécheurs et fut étendu sur sa croix ; ensuite il prie debout, pour rappeler la résurrection de celui dont il tient la place. Cependant, dans certaines églises, quand le prêtre se lève, tous les fidèles en font autant, pour désigner qu’ils ont reçu l’espérance de se relever de leurs péchés. Et remarque que la seule unité de l’Église tombe la face contre terre en adorant Dieu.

XV. Dans les jours ouvrables, nous prions parfois prosternés à terre, ce qui signifie huit choses : premièrement, l’infirmité du corps, parce que nous avons été tirés de terre ; secondement l’infirmité de l’esprit, parce que par nous-mêmes nous ne pouvons nous élever vers les choses spirituelles ; troisièmement, la honte, parce que nous ne pouvons lever les yeux vers le ciel ; quatrièmement, la prudence, parce que nous voyons l’endroit où nous nous prosternons, c’est-à-dire en quoi nous sommes affligés sur la terre ; cinquièmement, pour marquer la contrition du cœur ; sixièmement, parce qu’en adorant le Christ nous croyons qu’il est descendu sur la terre, et que sur cette même terre il s’est revêtu de notre chair ; et certains, voulant faire sur eux le signe de la croix, figurent cela en se prosternant d’abord et en touchant la terre de la main ; septièmement, parce que cet acte nous rappelle que, bien que nous ayons été créés dans un état angélique, dans le paradis, cependant nos corps sont réduits à végéter parmi les brutes, et, à cause de notre chute, notre esprit a été comme accablé sous la masse de notre corps ; huitièmement, afin que par cet acte nous confessions que nous sommes pécheurs et que nous nous attachons à des désirs terrestres. Nous roulons notre corps dans la poussière et nous abaissons notre ame sur le pavé des temples ; et cet usage nous vient d’Abraham, qui, se prosternant à terre, adora le Seigneur, et les prophètes l’imitèrent ensuite. Origène, dans l’homélie de cet évangile : « Joseph et Marie étaient dans l’admiration touchant ces choses, » etc., parle ainsi : « Les saints prophètes, quand ils contemplaient quelque chose de saint et de respectable, tombaient la face contre terre, pour se purifier plus parfaitement de leurs péchés, en laissant tomber leur corps à terre. »

XVI. Quelquefois même, dans nos oraisons particulières, nous fléchissons les genoux, semblables à Salomon et à l’Apôtre qui dit : « Je fléchis mes genoux devant le Père de notre Seigneur » (Extra. De immu. eccl. decet), afin que par là nous donnions à entendre que tout genou doit fléchir devant le Christ ; mais alors nous ne nous prosternons pas, mais nous, tenons notre front élevé, comme pour dire par cet acte : « Seigneur, entraîne-moi après toi. » Que devons-nous dire pendant que nous fléchissons les genoux ? Nous en parlerons dans la sixième partie, au chapitre de Pâques. Et quelquefois nous nous tenons debout, comme pour témoigner notre joie de ce que nous irons dans la maison du Seigneur. La première position exprime notre condition ; la seconde, notre désir ; la troisième, notre espérance. Les dimanches et aux fêtes de Pâques on ne fait pas de génuflexion, et on ne dit pendant les heures ni Kyrie eleison, ni l’oraison dominicale ; mais nous prions debout, à cause de la joie de la résurrection dont nous célébrons alors la mémoire, ce dont nous parlerons dans la partie suivante, au chapitre de la Fête de Pâques. On observe la même chose à la fête de la Pentecôte, où nous rappelons la liberté qui nous a été donnée par l’arrivée du Saint-Esprit, et aux autres jours de fêtes, où nous rappelons la sainte société des anges et des saints qui jouissent déjà de la joie éternelle, excepté les jours où le corps et le sang du Christ sont exposés. En ces jours, cependant, nous devons prier la tête inclinée, comme les pieuses femmes le firent au sépulcre, et même alors nous versons aussi les prières pleines de larmes de la vie présente, pour marquer que dans la résurrection future, où seront la vraie liberté et la vraie société, on ne priera plus pour les malheureux. Nous parlerons de cela dans la sixième partie, au chapitre du Samedi après la Pentecôte.

XVII. Cependant, dans certaines églises, à tous les offices on dit l’oraison dominicale, bien qu’en se tenant debout ; car cette oraison est le sel et l’assaisonnement du sacrifice ; et, de même que dans l’Ancien-Testament on ne faisait aucun sacrifice sans sel, ainsi il ne paraît pas qu’aucun de nos offices doive se faire sans cette oraison. Nous avons encore parlé de ceci dans la préface delà première partie. Or, ces prières signifient d’une manière mystique l’humilité, comme on le dira à l’article de Complies. Nous les disons le visage tourné à l’orient, comme on l’a dit dans la préface de cette partie. En dernier lieu, on ajoute la prière nommée salutation, c’est-à-dire Dominus vohiscum ; elle précède et suit après, parce que, de même que le Seigneur, après sa résurrection, salua ses apôtres en disant : « La paix soit avec vous, » puis leur parla, et, après s’être entretenu avec eux, répéta de nouveau : « La paix soit avec vous, » ainsi le prêtre, qui est son vicaire et son représentant, après s’être relevé et avoir quitté sa posture inclinée, salue ses frères en disant : Dominus vohiscum ; puis il prie pour eux, et, après sa prière, dit de nouveau : Dominus vohiscum, comme s’il voulait dire : Si vous avez obtenu la grâce de Dieu, persévérez dans cette grâce ; et le peuple répond pour la seconde fois : Et cum Spiritu tuo, comme s’il disait : Tu as prié pour nous, nous prions aussi pour toi. Nous avons parlé de cela dans la quatrième partie, au chapitre de la Salutation que le prêtre adresse au peuple. Enfin, on dit Benedicamus, dont nous avons parlé dans la préface de cette partie.

XXVIII. Or, après que l’Eglise a adressé sa prière au Seigneur, elle implore les prières des saints, en disant Pretiosa in conspectu, qui n’appartient pas à prime ; c’est pourquoi certains disent cette prière après matines et laudes. Certains encore intercalent entre prime et Pretiosa prime de la bienheureuse Marie, et certains la messe des morts ; certains religieux la disent dans le chapitre. Quelques-uns, pourtant, disent qu’elle appartient à prime, d’après ce que nous avons dit dans la préface, où il s’agit de la leçon, et la réunissent à prime ; ensuite le prêtre, en l’honneur de la Trinité, prie généralement pour lui et pour tous les autres, en disant trois fois Deus, in adjutorium, etc. ; ou bien on le dit trois fois pour demander le secours de Dieu contre les embûches du diable, de la chair et du monde, ou en l’honneur de la Trinité ; et c’est pourquoi on ajoute Gloria Patri, etc. Après le Gloria Pairi, on ne dit pas Alleluia, parce que le lieu où l’on a coutume de le dire (c’est-à-dire Gloria Patri), c’est-à-dire le chapitre, n’est pas consacré. Car, de même que lieu sacré signifie cette Jérusalem dans laquelle on entend cette parole angélique, c’est-à-dire Alleluia, ainsi le lieu non consacré représente notre pèlerinage, la terre d’exil où nous péchons ; ensuite, parce que tant que nous sommes dans cette vie nous péchons, c’est pour cela qu’on ajoute Kyrie eleison, Pater noster, et ensuite Respice, Domine, etc., où il est dit : « Et dirige leurs fils. » Nos fils, ce sont les pensées qui naissent de nos cœurs, et ce sont elles que l’on demande qui soient dirigées pour l’accomplissement des œuvres du Seigneur. Or, les œuvres de nos mains sont les œuvres extérieures, qui procèdent de la partie inférieure de nos pensées ; mais comme toutes tendent à un seul but, c’est pourquoi opus se prend au singulier, lorsque l’on dit : « Et dirige l’œuvre de nos mains. « Le berger ou le pasteur prie de nouveau, prie généralement pour toutes ses brebis, en disant : « Seigneur, daigne diriger, etc. ; » l’office est terminé par l’oraison, afin que la grâce divine qui précède nos actions puisse encore les suivre.