Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 04

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 32-37).


CHAPITRE IV.


DE LA CONSÉCRATION ET DE L’ASPERSION DE L’EAU BÉNITE (2)
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I. Le prêtre qui doit célébrer les dimanches se pare d’abord de l’aube et de l’étole avant de revêtir la chasuble (planetam), afin d’être plus libre dans ses mouvements ; en cet état, il bénit l’eau, conformément à la règle donnée par le pape Alexandre Ier et il asperge d’eau bénite l’autel, l’église et le peuple, afin de chasser au loin toute impureté des esprits immondes, tant de la demeure que des cœurs des fidèles. Cette vertu est inhérente à l’eau exorcisée, et aussi parce que tout le peuple des chrétiens, qui a pris une seconde naissance dans le sacrement du baptême, lave ainsi, par le moyen de l’eau, les corps déjà lavés de ceux qui ont pris une seconde naissance, de même que le sang de l’agneau était mis sur les portes de ses maisons par l’ancien peuple [de Dieu], pour en écarter l’ange exterminateur.

II. De là vient qu’on lit dans la règle ou le canon (in canone) du pape Alexandre Ier : « Nous bénissons pour les peuples l’eau mêlée de sel, afin que tous ceux sur qui elle se répand soient sanctifiés et purifiés, et nous voulons que tous les prêtres fassent cette aspersion. Car si la cendre de la génisse, répandue sur le peuple, le sanctifiait et le purifiait, savoir : des fautes vénielles, combien plus l’eau mêlée de sel et consacrée par les prières qu’on adresse à Dieu sanctifie le peuple et le purifie de ses fautes vénielles. Et si, en y jetant du sel, Elisée fit cesser la stérilité de l’eau, combien plus le sel, consacré par les prières qu’on adresse à Dieu, détruit-il la stérilité des choses humaines, sanctifie-t-il et purifie-t-il ceux qui sont souillés, multiplie-t-il les autres biens, et détourne-t-il les pièges du diable, et défend-il, enfin, les hommes des fantômes mensongers ! » Le prêtre juste asperge encore le tabernacle, lorsqu’il implore la miséricorde de Dieu.

III. Le pape Cyprien dit aussi qu’on asperge les hommes d’eau bénite, parce qu’elle a le pouvoir de les sanctifier ; d’où vient qu’on lit dans l’Écriture cette parole d’Ezéchiel : « Je répandrai sur vous de l’eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous. » On lit aussi dans le livre des Nombres : « Celui qui, pour avoir touché le corps mort d’un homme ou d’un animal, en demeurera impur durant sept jours, recevra l’aspersion de cette eau le troisième et le septième jours, et il sera ainsi purifié du péché. Que s’il ne reçoit point cette aspersion le troisième jour, il ne pourra être purifié le septième. » Et encore : « Celui qui n’aura point reçu l’aspersion de cette eau ainsi mêlée souillera le tabernacle ; » c’est-à-dire que, comme un homme impur, il n’entrera pas avec les autres dans le tabernacle, c’est-à-dire au dedans de lui-même, qui fait partie du tabernacle du Seigneur, qui est l’Église, « et il périra du milieu d’Israël. » Encore : « Celui qui n’aura point été purifié par l’eau d’expiation sera impur, et son impureté demeurera sur lui. » Et encore : « Tu purifieras les lévites en les aspergeant avec l’eau de purification. » — « L’eau dont on se sert pour l’aspersion est une purification, » On voit par ces citations que l’aspersion de l’eau est comme un bain sacré. Cependant certains auteurs rapportent les paroles précitées à l’eau du baptême.

IV. Tous les dimanches on bénit l’eau en mémoire du baptême, comme on le dira dans la sixième partie, à l’article de l’Ascension, excepté cependant les dimanches de Pâques et de la Pentecôte, parce que, les samedis qui précèdent ces dimanches, on met à part l’eau bénite dont nous aspergeons nos personnes et nos maisons, et cela avant l’infusion du chrême dans les fonts bénits, comme on le voit dans le canon Cautum, etc. Donc, avec l’eau bénite nous aspergeons nos corps et tous lieux, en témoignage du baptême. On ne nous asperge pas pour que nous soyons rebaptisés, mais pour que nous invoquions la grâce du nom de Dieu en même temps que le souvenir du baptême ; et, quoique pendant les deux dimanches de Pâques et de la Pentecôte on asperge l’autel, pourtant on ne chante pas alors l’antienne Asperges me, Domine, etc., parce qu’alors nous devons plutôt pleurer lorsque nous nous rappelons que nous avons été purifiés par le Christ, par le supplice de sa passion, selon cette parole : « Je repasserai toujours ces choses dans ma mémoire ; et mon ame s’anéantira en elle-même. » Donc, les dimanches avant la messe et devant le grand autel seulement on asperge tout le peuple, quoique aux nocturnes et aux vêpres on encense tous les autels ou au moins les principaux.

V. Sur quoi il faut considérer que cette aspersion se fait pour une autre raison sur le peuple et sur les autels, parce que Dieu a mis tous les hommes sous le joug du péché, au moins du péché véniel, car le juste tombe sept fois par jour. C’est pourquoi le peuple, entrant dans l’église pour assister aux divins mystères, est aspergé de cette eau sanctifiée, qui est pour effacer les fautes de chaque jour, comme la cendre de la génisse dans l’Ancien-Testament. D’après cela, celui qui est immonde était tenu à l’écart de l’assemblée du peuple (ecclesiam), jusqu’à ce qu’il fût lavé par l’eau. On asperge l’autel par respect pour le sacrement qu’on y doit consacrer, afin d’en écarter tous les malins esprits. Et, comme le Christ est symbolisé par l’autel, qui doit être de pierre, selon cette parole de l’Apôtre : « Le Christ était la pierre, » et notre foi est en un seul Christ et non en plusieurs, voilà pourquoi, afin que le signe réponde à la chose signifiée, on asperge un seul autel et tout le peuple, parce que c’est le Christ seul qui porte les péchés du monde.

VI. L’encensement représente quelquefois l’effusion des diverses grâces spirituelles ; et, comme la grâce se trouve non-seulement dans le chef ('in capite), mais aussi dans ceux qui sont soumis au chef, c’est avec juste raison qu’après le premier autel on a coutume d’encenser les autres, qui symbolisent les divers degrés des saints. L’encens dans l’encensoir signifie le cœur enflammé du feu de l’oraison, parce que notre prière doit seulement s’adresser principalement à Dieu et au Christ, notre médiateur ; c’est pourquoi on a coutume d’encenser l’autel et le crucifix. Dans le temps de Pâques, nous chantons pour l’aspersion Vidi aquam, paroles tirées d’Ezéchiel, chapitre xlvii. Le Seigneur lui montra la cité bâtie sur un mont qui s’étendait vers le midi, et dans laquelle était un temple admirable. Cette cité, c’est l’Église, dont il est dit : « Une cité posée sur une montagne ne peut être cachée. » Le temple, c’est le corps du Christ, dont il est dit : « Détruisez ce temple, et je le réédifierai dans trois jours. » L’eau qui sort du temple est la fontaine du baptême qui coule du côté du Christ.

VII. Mais, puisque le Christ a été percé d’une lance au côté gauche, pourquoi dit-on ici que cette eau sort du côté droit ? Je réponds : Il y a deux côtés du Christ, le droit et le gauche. Le droit est sa divinité, et le gauche son humanité. Donc, l’eau est sortie du côté droit, parce que de la nature divine du Christ l’eau invisible de l’Esprit saint s’est épanchée, et il a donné à cette eau invisible qui jaillit du côté gauche, c’est-à-dire de l’humanité du Christ percée d’un coup de lance, la vertu du salut. C’est donc à juste titre qu’à la procession du jour de Pâques nous chantons ces paroles à la louange de ce fleuve, dans l’inondation duquel nous avons pris une seconde vie par la mort du Christ. Mais après l’Octave de la Pentecôte, les dimanches, pendant l’aspersion, on chante l’antienne Asperges me, Domine, etc., qui, depuis Pâques jusqu’alors, était omise parce que le Prophète avait prédit tout ce qui se rattache à la foi de la passion et à l’humilité du baptême.

VIII. Enfin, lorsqu’on bénit l’eau on y mêle du sel, pratique qui tire son origine d’Elisée ; et cela a lieu pour marquer que le peuple, symbolisé par l’eau, est imbu de la parole de Dieu par la voix du prêtre, afin de pouvoir se sanctifier, et le sel symbolise la parole de Dieu. On fait trois signes de croix sur l’eau et sur le sel, pour apprendre au peuple à rendre grâces à la sainte Trinité pour l’instruction et la rédemption dont il lui est redevable. L’eau marque aussi la confession, et le sel signifie l’amertume du repentir. De cette eau mêlée procède un double enfantement, la division ou le partage des fautes, et l’origine des vertus et des bonnes œuvres.

IX. Mais pourquoi bénit-on le sel avant l’eau ? Je réponds : Par le sel on entend l’amertume de la pénitence, et par l’eau le baptême ; donc, comme la contrition du cœur doit précéder l’absolution, voilà pourquoi on bénit le sel avant l’eau. Et remarque qu’il y a quatre sortes d’eau bénite :

X. La première, dans laquelle se fait le jugement dit de purgation, qui n’est plus en usage. La seconde est celle qui sanctifie lors de la dédicace de l’église et de l’autel, cérémonies dont il a été parlé dans la première partie, chapitres de la Consécration de l’Église et de l’Autel. La troisième est celle dont on nous asperge dans l’église, et dont il est ici question. La quatrième est l’eau du baptême, dont il sera parlé dans la sixième partie, à l’article du Samedi saint. On avait coutume d’en arroser les hommes avant que de les oindre du chrême, et cela a lieu encore dans certains lieux ; mais l’usage en est interdit de nos jours. Ils pensaient que cette aspersion les lavait une seconde fois de leurs péchés, quoique cependant il soit constant que personne ne peut être baptisé deux fois. Et, comme ce qui est plus digne attire à soi ce qui est moins digne, si une eau non bénite est mêlée à de l’eau bénite elle devient eau bénite par le fait même du mélange.