Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 37

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 236-240).


CHAPITRE XXXVII.
DE LA SECONDE PARTIE DU CANON, SAVOIR : MEMENTO DOMINE (16).


« Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes, et de tous ceux qui assistent à ce sacrifice, etc. »

I. Ainsi commence la seconde partie du canon, qui montre qu’on doit encore prier pour les fidèles soumis à l’autorité de l’évêque. On voit évidemment, par la phrase précitée et les termes dont elle se compose, qu’en cet endroit le prêtre doit particulièrement faire mémoire des vivants, tandis que les paroles suivantes : « Souviens-toi des morts, » marquent qu’il peut faire mémoire spéciale de ceux-ci. On voit clairement par là que c’est une chose sainte et salutaire que d’assister aux saints mystères de la messe, puisque le sacrifice de l’eucharistie s’offre spécialement pour ceux qui y assistent.

II. Mais, puisque Dieu n’ignore rien et qu’il ne peut oublier quoi que ce soit, d’où vient que nous demandons que Dieu se souvienne de nous ? Or, on dit que Dieu connaît ceux qu’il justifie ; d’où vient cette parole : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ? » et on dit qu’il ne connaît pas ceux qu’il réprouve, selon cette parole : « Je ne vous connais pas. » On dit encore qu’il oublie les méchants, quand un d’eux revient au bien, selon cette parole : « Si l’impie fait pénitence, je ne me souviendrai plus de toutes ses iniquités. » On dit aussi qu’il oublie les bons, lorsqu’un d’eux tourne à mal, selon cette parole : « Si le juste se détourne de sa justice, je ne me souviendrai plus de toute son équité passée. » Dieu, parfois aussi, se souvient pour faire miséricorde, selon cette parole : « Souviens-toi de moi, mon Dieu, parce que ma vie est un souffle ; » parfois, pour punir, selon cette parole : « Souviens-toi. Seigneur, des filles d’Edom, au jour de Jérusalem. » Or, nous demandons, non pas que Dieu se souvienne de nous, mais qu’il ait pitié de nous, selon cette parole : « Souviens-toi de tes miséricordes, Seigneur, des miséricordes que tu as fait paraître de tout temps. » Le prêtre dit ensuite : « dont tu connais la foi, et dont tu sais la dévotion, etc. » Comme s’il disait : « Toi qui es propice à ceux qui sont fidèles et dévots, qui seul lis dans les consciences si elles ont une foi droite et si elles te chérissent dévotement ; ô Dieu ! toi qui sondes les reins et les cœurs, Seigneur des sciences, qui recherches toutes les choses cachées, en la présence de qui aucune créature ne peut se rendre invisible. » — « Pour qui nous t’offrons ou qui t’offrent ce sacrifice de louanges, etc., » comme si le prêtre disait : « Souviens-toi, Seigneur, non-seulement de ceux pour qui nous offrons ce sacrifice de louanges, mais encore des prêtres qui offrent ce sacrifice, etc. » En effet, le prêtre offre le saint sacrifice pour le peuple et aussi pour lui-même.

III. Ou bien le prêtre dit : « Pour qui nous t’offrons, ou qui t’offrent, » parce que ce ne sont pas seulement les prêtres, mais aussi tous les fidèles qui offrent ; car, si le ministère des prêtres accomplit le sacrifice d’une manière spéciale, c’est le vœu des fidèles qui l’exécute d’un accord général. « Pour qui nous offrons » marque l’action ; « qui t’offrent » indique la dévotion. On appelle ce sacrifice un sacrifice de louanges, selon cette parole de l’Apôtre : « Tout ce que vous devez faire, faites-le à la louange de Dieu, afin que Dieu soit loué en vous. »

IV. Deuxièmement, on appelle ce sacrifice un sacrifice de louanges, parce que le Christ l’institua en rendant grâces à Dieu, comme on le dira dans la sixième particule du canon, aux mots : Gratias agens. Troisièmement, c’est parce que, quand nous offrons quelque chose à Dieu, nous lui rendons ce qui lui appartient, et que nous ne lui donnons rien qui soit à nous, selon cette parole : « Si j’ai faim, je ne te dirai pas : La terre et tout ce que renferme son globe est à moi ; mais : Immole à Dieu un sacrifice de louanges, et rend tes vœux au Très-Haut. » Quatrièmement, parce que nous devons louer Dieu, non-seulement parce qu’il a souffert pour nous, mais encore parce qu’il est toujours avec nous, chaque jour de la vie, jusqu’à la mort ; ou bien, parce que non-seulement il s’est livré pour payer notre rançon, mais aussi parce qu’il s’est donné à nous comme une nourriture : comme rançon, afin de nous racheter de la mort ; comme nourriture, afin de nous sustenter jusqu’à la vie éternelle, selon cette parole : « Celui qui me mange vit par moi, » c’est-à-dire pour lui-même, car telle est l’ecthèse ou l’explication de ces mots qui suivent, et que voici : « pour la rédemption de nos âmes, pour l’espérance de leur salut et de leur conservation. »

V. Le prêtre dit ensuite : « pour tous ceux qui leur appartiennent, » savoir : pour leurs parents ou alliés, pour leurs connaissances ou amis ; car, bien que nous soyons obligés de chérir aussi nos ennemis, selon cette parole : a Chérissez vos ennemis, » cependant nous devons observer l’ordre de la charité, qui nous fait commencer par nous-mêmes (XXIII, q. v. Si non licet ; De pœni., d. iii, Sane cavendum extra de usus pallii, in fin :), selon cette parole : « Le roi m’a fait entrer dans le cellier où il met son vin, il a réglé dans moi la charité ; » et l’Apôtre ajoute : « Lorsque l’occasion se présente, faisons du bien à tout le monde, mais surtout aux fidèles. » — « Pour la rédemption de leurs âmes, etc. » Comme si le prêtre disait : « Nous offrons ce sacrifice, non pour un avantage temporel, ou parce que nous désirons les choses de la terre, mais pour l’espérance de leur salut et de leur conservation, » c’est-à-dire afin de pouvoir espérer leur salut ou leur conservation. En effet, c’est l’espérance qui sauve l’ame et qui conserve le corps ; car la santé de l’une et de l’autre vient de Celui qui dit : « Je suis le salut du peuple. » La santé de l’ame et du corps provient de la rédemption de l’ame, c’est-à-dire de la rémission du péché ; et réciproquement, c’est de l’accomplissement du péché que procède la maladie de l’ame et du corps, selon la sentence de la Vérité : « Tu vois que tu es guéri (dit Jésus au malade) ; ne pèche plus à l’avenir, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire » ( Extra De poenit. et remiss, cum infirmitas, in princ.).

VI. L’homme possède trois sortes de biens, les biens du corps, de l’esprit et de l’éternité, savoir : ici-bas, dans la région moyenne, et en haut ; tels sont les biens pour lesquels le prêtre dit qu’il offre le sacrifice. Il l’offre pour les biens du corps, c’est-à-dire pour sa conservation ; pour les biens spirituels, c’est-à-dire pour la rédemption de l’ame ; pour les biens éternels, c’est-à-dire pour le salut. Car le Seigneur nous apprend à prier pour ces trois sortes de biens ; pour ceux de l’éternité, en disant : « Que ton règne arrive ; » pour ceux de l’esprit, en prononçant ces mots : « Que ta volonté soit faite en la terre comme au ciel ; » pour les biens du corps, par ces paroles : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Nous offrons le sacrifice pour les biens éternels, afin qu’ils nous soient donnés en récompense ; pour les biens spirituels, afin de les recevoir selon nos mérites ; pour les biens du corps, afin que l’administration nous en soit donnée, pour que, par les uns et les autres, nous arrivions au ciel. Mais puisque, comme dit l’Apôtre, la vertu se perfectionne dans l’infirmité (Extra De sac. unc., c. i), et qu’il ajoute : « Lorsque je suis affligé par la maladie, je suis plus fort, » pourquoi offrons-nous un sacrifice de louanges pour la conservation du corps, sinon pour rendre grâces à Dieu, dans l’Eglise, de la santé qui nous a été donnée ou rendue ?

VII. Le prêtre dit ensuite : « Et ils rendent leurs vœux à toi, Dieu éternel, vivant et véritable. » On dit leurs vœux, parce qu’ils en font la promesse volontairement, parce que que nous devons volontiers et librement faire un vœu à Dieu et l’accomplir (Extra De voto, magnœ). Mais, puisque nous donnons ce qui nous appartient, et que nous rendons ce qui est à autrui, pourquoi dit-on : « ils rendent leurs vœux, » plutôt que : « ils donnent leurs vœux ? » ou bien, si l’on conserve l’expression rendent, pourquoi met-on leurs vœux, plutôt que les vœux d’autrui ? C’est avec raison que le mot vœu est appliqué à l’homme et à Dieu : à Dieu, à cause de l’autorité de sa grâce ; à l’homme, à cause du libre arbitre ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi. » Donner est le propre de l’homme ; mais rendre est l’attribut de Dieu.