Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Sixième livre/Chapitre 006

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 3p. 183-188).


CHAPITRE VI.
DU MERCREDI, ET DES JEÛNES DES QUATRE-TEMPS (5).


C’est dans cette semaine que l’on pratique les jeûnes des Quatre-Temps. C’est pourquoi nous parlerons d’abord ici de ces jeûnes ; puis, en second lieu, des autres jeûnes ; et, enfin, de l’office de ce jour.

I. Dans la primitive Église, il fut décidé que les jeûnes des Quatre-Temps auraient lieu trois fois l’an ; mais le pape Calixte (lxxxvi d.) décida qu’on les observerait quatre fois l’an, car les Juifs jeûnaient aussi quatre fois l’an, c’est-à-dire avant Pâques, avant la Pentecôte, la fête des Tabernacles au mois de septembre, et la Dédicace, dont on parlera dans la préface de la septième partie. Car si on ne jeûnait que trois fois dans l’année divisée en trois parties, il resterait certains jours dont nous n’offririons pas à Dieu les prémices, et c’est surtout pour consacrer à Dieu les prémices du temps que l’on observe ces jeûnes, comme nous le dirons bientôt. C’est de ces jeûnes que Zacharie dit : « Les jeûnes du quatrième, du cinquième, du septième et du dixième mois seront changés pour la maison de Juda et pour Jérusalem en des jours de fêtes, de joie et d’allégresse. Nous jeûnons donc quatre fois l’an :

II. Premièrement, pour corriger, en chacune des quatre saisons de l’année, les quatre éléments viciés dont notre corps se compose ; car le corps de l’homme se compose de quatre éléments, et son ame de trois puissances : la puissance rationnelle, la concupiscible et l’irascible. Afin donc d’équilibrer en nous ces éléments et ces puissances, nous jeûnons quatre fois l’an, pendant trois jours à chaque jeûne, afin que le nombre quatre se rapporte au corps, et le nombre trois à l’ame. En effet, l’année se partage en quatre saisons : le printemps, l’été, l’automne, l’hiver, qui, par leurs agréments, ont coutume de nous détourner de l’amour de Dieu.

III. Le printemps est chaud et humide, et nous jeûnons dans cette saison, afin que l’élément de l’amour soit corrigé en nous et ne se laisse pas entraîner par la vaine beauté du printemps ; nous jeûnons donc pour nous prémunir contre l’impureté qui provient de l’humidité et de la chaleur. L’été est chaud et sec ; nous jeûnons donc alors pour corriger en nous l’élément de la chaleur, afin qu’il ne produise point l’incendie de la chair ; ou bien contre l’orgueil, parce que les fruits de la terre qui fleurissent et qui mûrissent dans ce temps nous donnent lieu de nous enorgueillir. L’automne est froid et sec, et nous jeûnons dans cette saison, afin de ne pas sécher et dépérir par la langueur de notre ame, et de ne pas paraître dans les tabernacles éternels sans la graisse de l’huile ; ou bien nous jeûnons contre l’avarice, parce qu’alors on recueille et on possède les moissons. L’hiver est froid et humide ; nous jeûnons donc alors pour que nos membres ne s’énervent pas dans le luxe et la mollesse par l’excès du manger et du boire, de peur que par là nous ne venions à négliger l’amour de Dieu ; ou bien nous jeûnons alors pour combattre la paresse, engourdis que nous sommes par la froidure.

IV. Nous jeûnons donc dans ces quatre saisons de l’année, afin de nous préserver des vices et de nous purifier de nos péchés par ces jeûnes. Et, comme chaque saison se compose de trois mois, c’est pourquoi nous observons pendant l’année quatre jeûnes de trois jours chaque, jeûnant un jour pour chaque mois, afin de consacrer un jour à satisfaire pour les péchés commis pendant le mois.

Y. Secondement, nous jeûnons encore pour les raisons suivantes : le premier jeûne a lieu dans le mois de mars, c’est-à-dire la première semaine de Carême, afin qu’en nous se développe le germe des vertus, et que les vices, qui ne peuvent être entièrement exterminés, se dessèchent pour ainsi dire en nous. Le second jeûne a lieu en été, dans la semaine de la Pentecôte, parce qu’alors l’Esprit saint est venu, et que nous devons être pleins de ferveur dans l’Esprit saint. Le troisième a lieu en septembre, avant la fête de saint Michel et quand on recueille les fruits ; et nous devons alors rendre à Dieu le fruit des bonnes œuvres. Le quatrième se fait en décembre, quand les herbes se dessèchent et meurent, parce que nous devons nous mortifier au monde.

VI. Troisièmement, on jeûne encore, parce que le printemps se rapporte à l’enfance, l’été à la jeunesse, l’automne à la maturité ou la virilité, l’hiver à la vieillesse. Nous jeûnons donc au printemps, afin que nous soyons des enfants par l’innocence ; dans l’été, pour que nous devenions des jeunes gens par notre constance ; dans l’automne, pour que nous devenions mûrs par la modestie ; dans l’hiver, pour que nous devenions des vieillards par la prudence et l’intégrité de la vie.

VII. Quatrièmement, nous jeûnons encore dans les quatre saisons de l’année, afin que Dieu nous conserve tout ce qui naît de la terre dans ces saisons et qui sert à l’usage de l’homme.

VIII. Cinquièmement, pour marquer les quatre grands événements qui sont arrivés dans les quatre saisons, savoir : la conception du Fils de Dieu, au printemps ; sa nativité, en hiver ; la conception de saint Jean-Baptiste, en automne ; et sa nativité, en été.

IX. Sixièmement, selon saint Jérôme, à cause des diverses plaies ou fléaux qui sont arrivés dans ces époques. Or, en quels jours ont lieu ces jeûnes et pourquoi ont-ils lieu ? C’est ce que nous dirons dans la huitième partie, au chapitre de l’Année solaire. Ces jeûnes sont nommés jeûnes des Quatre-Temps, parce qu’ils ont lieu aux quatre époques précitées de l’année.

X. On les nomme encore les Trois-Jeûnes, parce qu’ils ont lieu pendant les trois jours de la semaine qui sont consacrés aux jeûnes des hommes ; car les anciens jeûnaient pendant ces mêmes jours de la semaine, et dans la suite on y a ajouté les jeûnes en question. On les appelle encore jeûnes des prémices, parce que, comme dans la loi ancienne il était prescrit d’offrir à Dieu les prémices et la dixième partie de tous les biens, il a paru convenable aux saints Pères, comme le dit saint Augustin dans le livre de la Doctrine chrétienne, d’offrir à Dieu les dîmes et les prémices des saisons ; c’est pourquoi, pour les prémices, ils ont institué les jeûnes des quatre-temps, qui, pour cela, ont été appelés jeûnes des prémices ; et, pour les dîmes (ou dixième partie), ils ont établi les jeûnes du Carême.

XI. Or, il faut savoir que les jeûnes du printemps ont d’àbord été établis dans la première semaine de mars ; ceux d’été, dans la seconde semaine de juin ; ceux d’automne, dans la troisième de septembre, et ceux d’hiver, dans la quatrième de décembre. Mais, à cause des nombreux inconvénients qui résultaient de là, le pape Léon (lxxvi d., Hujus) décréta que le jeûne d’hiver se ferait dans la troisième semaine de l’Avent ; celui du printemps, dans la première semaine de Carême ; celui d’été, la première après la Pentecôte, et que celui d’automne conserverait son ancienne institution. Pourquoi les jeûnes ont-ils été établis pendant les mois précités, et pourquoi les ordinations ont-elles lieu pendant ces jeûnes ? C’est ce que l’on peut voir dans la septième partie, au chapitre du Samedi après le dix-septième dimanche qui suit la Pentecôte et dans la préface de la seconde partie. Pourtant, fais attention, dans la computation des semaines du mois de septembre, que, si ce mois commence le dimanche, le lundi, le mardi ou le mercredi, ces jours font partie de la première semaine de ce mois, et que le jeûne aura lieu dans la troisième semaine à partir de celle-ci. Mais si ce mois commence le jeudi, le vendredi ou le samedi, alors, le dimanche suivant, tu commenceras à compter la première semaine, et le jeûne aura lieu la troisième semaine après. Ainsi les jours précédents ne comptent pas dans la supputation des semaines. Cependant, d’après la primitive institution de l’Église, les jeûnes du printemps sont appelés les premiers, parce qu’ils avaient lieu dans le premier mois, c’est-à-dire en mars, parce que, chez les Romains, c’était le premier mois. Les jeûnes de l’été sont appelés les quatrièmes, parce qu’ils se faisaient dans le quatrième mois, c’est-à-dire en juin. Les jeûnes d’automne sont les septièmes, parce qu’ils s’observent dans le septième mois, c’est-à-dire en septembre. Les jeûnes d’hiver sont les dixièmes, parce qu’ils ont lieu dans le dixième mois, c’est-à-dire dans le mois de décembre. C’est pourquoi Zacharie dit : « Les jeûnes du premier, du quatrième, du septième et du dixième mois seront changés en joie pour la maison de Juda » (lxxvi d., Jejunium quarti). Mais, puisque ces jeûnes rappellent les quatre saisons de l’année, comme on l’a dit ci-dessus, pourquoi ont-ils lieu au premier, au quatrième, au septième et au dixième mois, puisque ces saisons ne commencent pas dans ces mois ? — Je réponds :

XII. Ce jeûne est imité de celui de l’ancienne loi, et il a lieu dans ceux de nos mois qui correspondent aux nombres des mois de ce temps-là chez les Juifs ; car ce peuple jeûnait suivant les lunaisons, c’est-à-dire à la première, à la quatrième, à la septième et à la dixième [lune]. Et c’est ce que signifient ces paroles de Zacharie, quand il dit le jeûne du premier, du quatrième, du septième et du dixième [mois], parce que, comme le commencement de l’année judaïque coïncide avec la première lunaison, ainsi le mois de mars est aussi le commencement de notre année.

XIII. Or, cette assertion, que nos jeûnes sont tirés de l’ancienne loi, se trouve fondée sur ce que, depuis le jeûne du printemps jusqu’au jeûne d’été, il y a quatorze semaines, nombre équivalent à celui des générations depuis Abraham jusqu’à David ; de même, depuis le jeûne d’été jusqu’au jeûne d’automne, il y a également quatorze semaines, nombre correspondant aux générations qui eurent lieu depuis David jusqu’à Jéchonias ; depuis l’automne jusqu’à l’hiver, quatorze semaines, nombre égal à celui des rois depuis Jéchonias jusqu’au Christ, y compris les rois que saint Mathieu a passés dans son évangile.