Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Septième livre/Chapitre 35

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 95-116).


CHAPITRE XXXV.
DE L’OFFICE DES MORTS.


Ici il nous faut parler de l’Office des Morts.

I. Quelquefois il s’appelle Agenda, du verbe (ago, agis) je fais, parce que, entr’autres significations de ce mot agere, faire est la même chose que celebrare, célébrer. D’où vient que l’office établi pour les défunts et en leur mémoire est appelé Agenda ; quelquefois encore on le nomme exsequia, funérailles, du verbe exsequor, exsequeris, exécuter, accomplir, rendre les derniers devoirs, parce que, entr’autres significations, exsequi veut dire la même chose que extra alia sequi, suivre hors ou en dehors d’autres choses, ou par delà d’autres régions, par delà la vie, ou suivre jusqu’à la fin. Donc l’office ou service pour la sépulture des morts se nomme exsequiœ, parce qu’on le célèbre pendant que l’on porte les morts hors des vivants, pour les ensevelir ; ou parce qu’on y observe des cérémonies spéciales et particulières, en dehors des heures canoniques. Cet office se rattache à la fête de tous les saints ; car ces deux offices, qui durent trois jours, expriment ou désignent trois mystères différents, ou bien ont trois raisons mystiques différentes. La vigile de tous les saints est le jour de l’affliction, la solennité est le jour de l’allégresse, et le jour dont il est question ici est celui de la prière. Dans le premier, nous nous mortifions par le jeûne ; dans le second, nous nous réjouissons et nous prenons part à la béatitude des saints, rendant à Dieu des actions de grâces ; dans le troisième, nous prions pour les âmes qui sont retenues dans le purgatoire, demandant d’obtenir pour elles, par nos prières, soit un soulagement à leurs peines, soit un entier pardon.

II. Or, l’Église a établi que l’on ferait en ce jour la commémoration de tous les fidèles défunts, afin qu’ils fussent aidés par le bienfait général de la prière de tous les autres fidèles ; car dans le purgatoire ils ne sont plus capables de faire des actes méritoires et d’obtenir ainsi les biens spirituels (De cons., distinct, i, Visum), comme il a été déjà dit au chapitre de la Toussaint. Car, comme le dit Pierre Damien, saint Odilon, ayant appris qu’auprès du mont Etna, en Sicile, on entendait souvent la voix et les hurlements des démons qui se plaignaient que les âmes des défunts étaient arrachées de leurs mains par les aumônes et les prières, ordonna que dans ses monastères, après la fête de tous les saints, on célébrerait la commémoration des morts ; ce qui fut dans la suite approuvé et confirmé par toute l’Eglise. Premièrement donc, examinons par qui l’office des morts a été institué ; secondement, où il a commencé ; troisièmement, comment on doit le célébrer ; quatrièmement, comment on doit ensevelir les morts.

III. En premier lieu, il fut institué par les apôtres ; mais, comme l’atteste saint Isidore dans ses Offices ecclésiastiques, il fut augmenté et en grande partie réglé et disposé par Origène ; de là vient que saint Augustin le recommande dans son Enchiridion, en disant que, dans l’organisation des offices ecclésiastiques, il vient immédiatement après les apôtres.

IV. Cet office a commencé dans l’ancienne loi ; car, comme le dit saint Ambroise {XII, q. ii), après la mort de Jacob, Joseph et ses autres frères, avec un grand nombre d’Égyptiens, le ramenèrent à Ebron ; mais, auparavant, ils le pleurèrent pendant quarante jours en Égypte, et ensuite ils le pleurèrent sept jours dans le champ d’Achad (Gen., ch. i). De même, on lit dans le Deutéronome (dern. chap.) qu’après la mort de Moïse le peuple d’Israël le pleura pendant trente jours, et qu’il fit la même chose pour Aaron et pour Marie. De même, le deuil pour la mort du fils sage durera sept jours, dit Salomon ; le deuil pour le fils insensé durera éternellement, parce qu’il est mort pour l’éternité.

V. Or, remarque que certains font mémoire pour les défunts pendant trois jours, pour représenter les trois jours de la sépulture du Seigneur, ou par égard pour la résurrection du Christ qui ressuscita le troisième jour, souhaitant par là aux morts de ressusciter avec le Christ ; ou bien encore à cause de la Trinité, ou bien afin que, comme pendant leur vie ils ont péché de trois manières, savoir : par pensées, par paroles et par actions, leurs péchés leur soient remis par la Trinité. D’autres célèbrent la messe sept jours ou pendant sept jours, et l’un et l’autre sont montrés dans le livre des Nombres (c. xix), où il est dit que celui qui aura touché le cadavre d’un mort sera impur pendant sept jours ; c’est pourquoi il sera aspergé d’eau pendant dix jours, et ainsi il sera purifié (De consec., d. i, Aqua). Assurément, la pollution ou l’impureté contractée par l’attouchement du cadavre d’un homme mort désigne l’ame souillée par les œuvres mortes.

VI. Or, on célèbre cet office pendant sept jours : premièrement, afin que le défunt puisse parvenir au sabbat de l’éternel repos ; secondement, afin que lui soient remis tous les péchés qu’il a commis en sa vie, qui est renfermée dans l’espace de sept jours ; troisièmement, à cause des sept éléments qui composent l’ame et le corps. En effet, l’ame possède trois forces, savoir la faculté raisonnable (ou du raisonnement), la concupiscible et l’irascible ; le corps est composé de quatre éléments. Afin donc que les péchés que l’homme a commis pendant cette vie, qui est comprise dans l’espace de sept jours, soient détruits et anéantis, on célèbre pour les morts un office de sept jours. Quatrièmement, de même que les fils de Jacob pleurèrent la mort de leur père pendant sept jours, comme il a déjà été dit plus haut, de même aussi l’Église célèbre un office de sept jours pour les morts.

VII. Il en est qui font la novendinale, c’est-à-dire un office de neuf jours, afin que par cet office les âmes des morts, délivrées de leurs peines, soient associées aux neuf ordres des anges. Or, il en est quelques-uns qui n’approuvent point cela, pour que nous ne paraissions pas imiter les Gentils, de qui cette coutume paraît être tirée ; car ils pleuraient leurs morts pendant neuf jours, et, le neuvième, ils renfermaient leurs cendres dans des pyramides ou des bustes.

VIII. D’autres célèbrent un office de trente jours ou célèbrent le trente-et-unième jour pour les défunts : premièrement, parce que les enfants d’Israël pleurèrent Moïse et Aaron pendant autant de jours, comme il a été dit précédemment ; secondement, parce que trois fois dix font trente ; par le nombre trois, nous entendons la Trinité, et par le nombre dix, les dix préceptes du Décalogue. Nous observons donc pour les morts un office de trois dizaines de jour, afin que les fautes qu’ils ont commises dans l’observation ou contre l’observation du Décalogue ou des préceptes du Christ, et contre la Trinité, leur soient pardonnées par la miséricorde divine ; troisièmement, parce que le nombre ou le cours de la lune s’achève dans l’espace de trente jours ; c’est pourquoi l’office pour les morts dure pendant trente jours, afin que l’on comprenne que leurs œuvres sont pleines devant le Seigneur.

IX. Il y en a encore qui font durer l’office des morts quatre fois dix jours, ou quarante jours, afin que les péchés qu’ils ont commis contre la doctrine des quatre évangélistes et contre les dix préceptes de la loi leur soient pardonnés.

X. Ceux qui observent quarante jours d’office représentent la sépulture du Seigneur, souhaitant que les morts partagent la gloire du Christ, qui resta dans le sépulcre quarante heures, y compris l’heure à laquelle il rendit l’esprit et la dernière heure de la nuit du dimanche où il ressuscita, selon saint Augustin. Ils représentent encore qu’après la mort de Jacob, ses enfants le pleurèrent pendant quarante jours, connue il a été dit précédemment.

XI. D’autres le célèbrent pendant cinquante jours, parce que, comme le disent Bède et Grégoire, dans la Glosse sur l’endroit où l’on dit qu’Abraham demanda an Seigneur qui voulait détruire Sodome : « S’il y en a cinquante (cinquante justes), les feras-tu périr ? » et le Seigneur lui répondit : « Non. » Le nombre cinquante est un nombre parfait et désigne l’année jubilaire, c’est-à-dire le huitième âge où se trouveront la rémission des péchés et la pleine liberté. Afin donc que les âmes des défunts acquièrent une pleine liberté et la rémission de leurs péchés, on célèbre pour eux un office de cinquante jours. En outre, il est dit dans saint Marc : « Un seul grain rapportait, l’un trente, l’autre cinquante, un autre cent pour un. »

XII. D’autres font un office de soixante jours, parce que la Sexagésime désigne la douleur de l’Église à cause de l’absence de l’Époux, et que, pour la consoler, deux ailes lui sont données, comme il a été dit dans la sixième partie, au chapitre du Dimanche de la Quadragésime (Carême). Ainsi, ceux qui agissent de la sorte marquent la douleur qu’ils éprouvent de l’absence de leurs défunts ; pour se consoler et pour la purification de l’ame du défunt, ils offrent au Seigneur un sacrifice, et donnent aux pauvres des aumônes.

XIII. Quelques-uns encore célèbrent le centième jour, afin que les morts passent de la gauche à la droite, du combat au triomphe, de la terre au ciel, de la misère à la gloire, de la mort à la vie ; car ils leur souhaitent l’éternelle béatitude, désignée par le nombre cent, au-delà duquel il n’y a plus de nombre.

XIV. Certains font l’anniversaire pour trois raisons. Premièrement, afin que les défunts passent des années du malheur aux années de l’éternité ou à la vie éternelle, qui est sans fin et, semblable à l’année, tourne sur elle-même ; ou bien, parce que là où existe l’identité ne se trouve aucune variété.

XV. Secondement, parce que, de même que nous célébrons l’anniversaire des saints pour leur honneur et notre propre utilité, comme il a été dit dans la préface de cette partie, ainsi nous célébrons l’anniversaire des défunts pour leur utilité et pour nourrir notre dévotion.

XVI. Troisièmement, on célèbre le jour anniversaire des défunts, parce que, selon saint Augustin, nous ignorons quel est leur état dans l’autre vie, et il vaut mieux pour eux que nos bienfaits soient surabondants et superflus que de leur faire défaut (XIII, q. ii, Non œstimamus). Or, si l’anniversaire tombe un dimanche ou coïncide avec quelque solennité, on ne doit pas le remettre au jour suivant, comme on le fait aux solennités des saints, mais on doit le célébrer le jour précédent, afin qu’au plus vite on soulage les peines que les défunts souffrent dans le purgatoire ; car les défunts ont besoin de notre secours et de nos bienfaits, tandis que les saints n’en ont pas besoin.

XVII. On ne doit point faire l’anniversaire des morts un jour de fête, ni dire la messe pour eux, à moins que le corps ne soit présent, parce qu’en tout temps on peut dire la messe pour les défunts quand le cadavre est présent, excepté le jour la Parascève ; car on ne peut ni inhumer le corps, ni dire la messe pour le défunt, puisqu’alors on ne doit pas consacrer le corps du Christ. On doit attendre au lendemain, et alors, c’est-à-dire le samedi, on peut chanter la messe pour lui et ensevelir son corps. De même, si quelqu’un meurt le jour de Pâques, on doit garder jusqu’au lendemain son corps sur la terre et l’ensevelir alors, après avoir dit la messe pour lui. Car on ne doit pas ensevelir un corps sans avoir dit la messe pour lui, quoique le contraire ait lieu dans la plupart des endroits.

XVIII. Or, selon le concile de Chalons (De consecrat., d. i), il a paru à propos et convenable que l’on dut prier et offrir le sacrifice pour les défunts. Cependant, dans les jours précités, ce sont les amis des défunts qui s’acquittent de cela spécialement. Or, il en est qui en tout temps, excepté seulement les jours de fête, prient généralement pour les défunts à l’office du soir et du matin. D’autres célèbrent la messe tous les jours pour eux. D’autres, au commencement du mois, chantent neuf psaumes, neuf leçons et neuf répons. Or, c’est une sainte et salutaire pensée que de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. Dans certains endroits on ne dit point dans l’église l’office des morts depuis le Jeudi saint jusqu’à l’octave de la Pentecôte, parce que tous les offices de ce temps doivent être courts, ni les jours de dimanche. Or, on dit qu’un certain abbé empêcha ses moines de célébrer les dimanches pour les défunts ; mais les morts, pour cela, le maltraitèrent et l’accablèrent des plus rudes coups : c’est pourquoi il révoqua sa défense,

XIX. Et remarque que les suffrages qui se font dans l’Eglise pour les défunts[1] (15) qui n’ont plus de fautes à expier, sont des actions de grâces ; car ces âmes, qui sont parfaitement pures lorsqu’elles sortent de leurs corps, s’envolent aux cieux, et elles n’ont pas besoin de notre secours (Extra De celeb. miss, cum Marthœ, ad fi. ; XIII, q. ii, Tempus). Les prières qui se font pour celles qui sont entièrement mauvaises tournent toutes à la consolation ou à l’avantage des vivants ; car le secours de nos prières ne leur est d’aucune utilité, puisque ces âmes descendent aussitôt en enfer. Pour celles qui ne sont qu’à moitié bonnes, c’est-à-dire qui sont dans le purgatoire, nos prières leur servent à l’expiation de leurs péchés. Pour celles qui sont médiocrement mauvaises, savoir qui sont dans les limbes, nos prières leur sont propices ou causent un adoucissement à leurs peines ; car, selon saint Augustin, nos prières leur sont utiles ou leur servent à obtenir une complète rémission, ou certainement rendent leur condamnation plus supportable (XIV, q. ii, Tempus, in fine). Certains, cependant, rangent sur la même ligne ceux qui sont médiocrement bons et ceux qui sont médiocrement mauvais, qu’ils appellent non valde bonos (pas très-bons), savoir qui entre dans le purgaloire ; qui, pendant leur vie, n’ont pas accompli la pénitence qui leur était enjointe, et auxquels sont utiles les aumônes, les prières, les jeûnes et les sacrifices que l’on fait à leur intention ; car, disent ces derniers, tous ces actes ne servent de rien à ceux qui sont dans l’enfer.

XX. Remarque encore que, d’après saint Jérôme (De consec., d. v, Mediocriter), lorsque l’on dira un psaume ou une messe pour toutes les âmes à la fois, elles ne reçoivent pas moins que si on les disait pour chacune d’elles en particulier. Pourtant, à ce sujet, l’on peut dire que si l’on fait les suffrages pour certaines âmes en particulier, ces suffrages servent plus à celles pour lesquelles ils sont faits spécialement qu’aux autres. Si on les fait en général ou en commun, ils servent plus à celles qui, pendant leur vie, ont plus mérité qu’ils leur fussent utiles, comme on peut le voir dans ledit chapitre (Non œstimemus) et le chapitre (Tempus si in œquali vel majori necessitate existunt) ; car encore, bien que, selon saint Augustin (XIII, q. ii, Non œstimemus), ces suffrages ne servent pas à tous ceux pour lesquels ils se font ; cependant, comme nous ne connaissons point à qui ils sont utiles ou non, on doit les faire pour tous, de peur qu’on ne vienne à en priver quelqu’un à qui ils seraient utiles ; car il vaut mieux qu’ils soient superflus pour ceux auxquels ils ne nuisent ni ne servent, que de faire défaut à ceux auxquels ils sont utiles ; et c’est pour cela que le jour de l’anniversaire se fait, comme il a été dit plus haut.

XXI. Mais est-ce que les suffrages de celui qui, à cause du péché mortel, n’est pas dans la charité servent à celui qui est mort dans la charité ? Je réponds : Les œuvres sacramentelles, comme la messe, l’office des morts, les collectes et autres choses telles, faites par celui qui est en cet état, sont valables et utiles aux morts (Extra De cleric. excomm. mini., cap. Si), tant parce que c’est de Dieu et non de celui qui les fait qu’elles tirent leur efficacité, que parce que celui qui fait ces œuvres ne les fait pas en son propre nom, mais comme le syndic ou le délégué de tous ; c’est-à-dire qu’il agit ainsi au nom de toute l’Église, selon ce qu’on a dit dans la préface de la quatrième partie. Mais si, comme une personne privée, il fait d’autres suffrages, ou s’il agit ainsi en un autre nom ou en son propre nom ; si c’est au nom d’autrui, comme si, par l’ordre d’un défunt ou d’un autre qui vit dans la charité, il fait l’aumône pour lui, comme ministre, avec ses biens, alors certainement il lui est utile, parce qu’alors il est censé agir par ordre de celui au nom duquel il agit (Extra De sent, excom. mulieres), et c’est celui qui commande d’exécuter, qui est censé exécuter lui-même (ff. De solu. qui mandato). De là vient qu’un vœu de pèlerinage étant émis par quelqu’un, un autre, par son ordre, peut accomplir ce vœu (Extra De voto licet). Il en est de même quand deux personnes, dont une est dans la charité et l’autre n’y est pas, lisent le psautier pour un défunt, et quand quelqu’un donne l’aumône à un juste, afin qu’il prie pour un défunt. En effet, dans ces circonstances, il est utile au défunt, à cause de la charité du juste qu’il s’est adjoint ( ff. Quod cum fal. tut. vel act., § Extra De elect. illa contra ; extra De offic. deleg. cum nupt.) ; mais si c’est en son nom particulier et de son propre bien que quelqu’un fait l’aumône, prie, jeûne et fait d’autres austérités pour un défunt, les théologiens s’accordent presque tous à dire que ces actes ne servent de rien au défunt ; car on lit dans saint Jean (c. ix) : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs ; » mais ces paroles sont celles de l’aveugle et non pas de l’évangéliste. Et Isaïe (chap. i) : « Lorsque vous aurez multiplié les prières, je ne vous exaucerai point, car vos mains sont pleines de sang, » c’est-à-dire de péchés. Bien plus, selon le bienheureux Augustin (IV, q. vii, In gravibus), « Pendant que celui qui déplaît à Dieu l’intercédé, il provoque l’ame du juge irrité à plus de sévérité encore, car Dieu méprise les dons des injustes et n’exauce que les prières des justes. » De même, le Seigneur dit, par la bouche du prophète Amos : « Je ne recevrai point les vœux de ceux qui ont la graisse de la terre, » c’est-à-dire des pécheurs (XXIV, q. i, Odi). Mais comme il en est peu qui vivent sans crime (De pœnit., dist. ii. Si enim in princ., i dist.) et qu’un tel sentiment, qui prive les défunts de la miséricorde et de tant de suffrages, et refroidit pour eux la charité des vivants, est trop dur et trop sévère, c’est pourquoi il ne paraît point qu’on doive le suivre (i d., Penderet ; extra De renum., Nisi, § I) ; car si nous condamnons les suffrages des hommes qui ont la conscience chargée du péché, les défunts n’auront plus qu’un bien petit nombre de fidèles pour les soulager.

XXII. Il paraît donc qu’on doit dire que, bien que les suffrages de celui qui est en état de péché n’aient pas lieu dans la charité, cependant ils ont lieu dans la foi, et que s’ils ne sont pas utiles à celui qui est mort dans la charité, par le défaut de mérites d’une sainte vie ; cependant, comme ces suffrages ont lieu suivant la doctrine de l’Église et sont produits par celui qui demeure dans la foi et pour celui qui a mérité de recevoir une pareille grâce, le mérite de la foi et la charité de l’Église qui inspire à la personne qui produit ces suffrages la pensée de les produire, celle du défunt qui en tire le fruit et qui est capable de le recevoir ; de plus, la libéralité de Dieu, plein de compassion pour nous, qui, selon le bienheureux Ambroise (De pœn., dist. i, Quantumlibet), ne révoque point les bienfaits, bien plus qui amoncelle les trésors de sa libéralité et qui, par un effet de cette libéralité, considère l’œuvre faite par autrui comme si elle avait été opérée par celui pour qui elle se fait ; tout cela, dis-je, supplée au défaut de charité de l’agent ; car, d’après le droit ou d’après les lois, quand une personne paie la dette d’une autre, le débiteur lui-même est libéré de la dette (ff. De pig. act. solutum, § Solutam) ; et si la liberté a été accordée à un esclave, et que Titius se soit engagé à payer dix écus pour sa délivrance, de quelque manière que Titius s’acquitte de son engagement, l’esclave est libre (ff. De sta. ho. Arethusa). Mais, de plus, une personne peut acquérir pour autrui un legs et un héritage qu’il est incapable d’acquérir pour lui-même (ff. ad Treb., L. I, Cogi, § Hi qui ; ff. Si quis, aliquem testari pr., L. 1, § Sed si legatum) ; et celui qui, par suite d’un crime qu’il a commis, est incapable de demander pour lui-même, est admis à demander pour les autres et pour ceux dont il a la tutelle (III, q. vii, § Tria). D’après saint Augustin (I, q. i, Si fuerit), bien qu’un canal de pierre ne produise rien, cependant l’eau qui passe par ce canal féconde la terre. Et saint Jérôme (De pœn., dist, i, Potest fieri ; et d. iii, Pium) : « Si parfois vous voyez parmi beaucoup d’œuvres mauvaises quelque pécheur en faire quelques-unes qui sont justes, cependant Dieu n’est pas injuste au point d’oublier le peu de bien qu’ils font, à cause du grand nombre de leurs iniquités. »

XXIII. Assurément, les défunts connaissent de quatre manières, selon saint Augustin, les suffrages qui se font à leur intention : premièrement, par révélation divine, savoir quand Dieu le leur révèle ; secondement, par la manifestation ou la révélation des bons anges ; car les anges ici-bas sont continuellement avec nous, et, considérant tous nos actes, ils peuvent en un instant pour ainsi dire descendre jusqu’à eux et leur en faire part aussitôt ; troisièmement, par l’intimation des âmes qui en sortent ; quatrièmement, par expérience, savoir quand ils sentent un soulagement à leurs peines.

XXIV. Or, il faut savoir que les défunts très-méchants ne savent ce qui est fait par les vivants qu’autant qu’on le leur permet. Il en est de même pour ceux qui sont à peu près bons, qui sont dans les flammes du purgatoire, qui ne jouissent pas encore de la vision de Dieu, si ce n’est qu’en tant qu’il leur est permis de le savoir de la manière précitée. Mais ceux qui sont entièrement purifiés, qui déjà jouissent de cette béatitude, savent bien ce qui se passe dans la patrie céleste, d’après ces mots de saint Grégoire : « Qu’est-ce que peuvent ignorer ceux qui voient Celui qui voit tout ? » 11 en est cependant d’autres qui disent qn’ils savent tout ce qui leur est nécessaire et pas autre chose ; d’où vient qu’Isaïe dit, dans la personne du peuple affligé : « Abraham, notre père, a ignoré ces choses » (XIII, q. II, De mortuis).

XXV. Mais les morts s’occupent-ils des vivants ? Saint Augustin s’étend sur ce sujet dans son livre « Sur le soin que l’on doit avoir des morts, » comme il le dit encore (XIII, q. ii, Fatendum). Beaucoup croient qu’il est des morts qui, soit en songe, soit de quelque autre manière, apparaissent aux vivants, et que souvent ils les ont avertis de l’endroit où leur corps était inhumé, ou de leur construire des sépulcres et d’autres choses innombrables. Et on trouve que ceci est vrai dans les Dialogues de Grégoire et dans d’autres écrits, authentiques pour la plupart. Cependant, comme le dit le même saint Augustin dans le livre précité, quoique les morts paraissent dire et demander de pareilles choses en songe, il ne faut pas penser, à cause de cela, que ces choses soient la réalité : car les vivants aussi, pour la plupart du temps, apparaissent en songe à ceux qui sont plongés dans le sommeil, tandis qu’eux-mêmes ignorent qu’ils apparaissent, quand ils entendent dire de ceux qui ont eu ces songes qu’il les avaient vus faire ou dire quelque chose en songe. D’où vient, comme il le dit, qu’il faut croire que ce sont des opérations des anges, qui, par une disposition de la Providence divine, servent à apporter quelque consolation aux vivants ; car le Concile d’Ancyre (XXVI, q. x, Episcopi, in princ.) dit que la plupart sont souvent trompés par les illusions et les fantômes produits par les démons.

XXVI. L’office des morts est l’imitation complète des trois jours de la sépulture du Christ ; car, comme dans ces trois jours, de même dans cet office nous supprimons tous les cantiques de louange et toute solennité. Car, à la messe, nous ne demandons pas les bénédictions de l’évêque et nous ne disons pas l’Agenda : Domine, labia mea aperies, etc., ni Deus, in adjutorium, ni Benedicamus, ni l’invitatoire, à moins que le corps soit présent, et même aux vigiles ; ni Gloria Patri aux répons et à la fin des psaumes ; nous ne demandons ni ne donnons pas de bénédiction au commencement des leçons. Nous ne disons ni le Tu autem, ni le Deo gratias. On ne dit à la messe ni Alleluia, ni Gloria in excelsis, ni Ite, Missa est. Car, dans l’ancienne loi, il était défendu d’offrir pour le péché l’huile de la joie et l’encens de la suavité. Et la mort est la vengeance du péché ; d’où ces mots : « Là où est le péché, là sont les ténèbres ; » et on ne doit point faire paraître d’allégresse ni chanter des cantiques de joie là où règnent le deuil et la tristesse du cœur ; et on célèbre avec deuil et tristesse les funérailles des morts.

XXVII. Nous supprimons encore les laudes, parce qu’ignorant où les morts passent, nous ne savons si nous devons louer Dieu, de sa justice, ou de sa miséricorde ; nous réprimons la joie, parce que nous entrons tristes dans ce monde et que tristes nous en sortons : on ne doit donc pas dire la séquence, qui est un cantique d’allégresse.

XXVIII. De plus, quoiqu’à la messe pour les vivants tous doivent être encensés, pour marquer que leurs prières s’élèvent dans la patrie céleste ; cependant, dans la messe pour les morts, l’encens ne doit point être porté dans le chœur, ni être offert ; c’est-à-dire l’autel ne doit point être encensé, mais on doit seulement encenser le contour du corps du Seigneur, parce que cela a été prohibé par la loi, comme il a déjà été dit précédemment. Personne donc n’est encensé dans cet office, pour marquer que les morts ne peuvent mériter en rien par leurs prières ; d’où le Psalmiste dit : « Les morts ne te loueront point, Seigneur. » Mais on encense les corps des défunts et on les asperge d’eau bénite, non pour que leurs péchés soient effacés, parce qu’ils ne sauraient l’être alors par ce moyen, mais pour éloigner d’eux tout esprit immonde. On le fait encore, pour marquer la société et la communion des sacrements qu’ils ont partagées avec nous tant qu’ils ont vécu ; de là vient que Denys dit qu’anciennement les vivants embrassaient les morts, en signe de l’unité qu’ils avaient eue avec eux. Or, ces choses et autres semblables leur seront ou sont utiles, en tant que, par de telles cérémonies, c’est à Dieu lui-même que l’on rend honneur. Dans l’introït pour les morts il se trouve un double verset, savoir Te decet, et Exaudi oratiotiem meam, etc ; on l’a dit dans la sixième partie, au Samedi de la troisième semaine de Carême. De même, à la messe pour les morts, on ne doit pas entremêler de prières pour les vivants, comme il a été dit dans la quatrième partie, au chapitre de l’Oraison.

XXIX. On ne donne pas la paix pour trois raisons. Premièrement, parce que cet office, comme il a déjà été dit, est la représentation des trois jours de la sépulture du Seigneur, où l’on ne la donne point, par horreur pour le baiser de Judas. Secondement, parce que nous ne communiquons pas avec les morts et qu’ils ne nous répondent point ; car nous sommes dans le sixième âge, et eux dans le septième.

XXX. De là vient que le corps des morts ne doit jamais être dans l’église, tant que dure la célébration de la messe du jour. Bien plus, s’il s’y trouvait auparavant, on doit le porter hors de l’église dans le vestibule, quelles qu’aient été son autorité et sa dignité pendant sa vie, et ensuite le rapporter pour la messe des morts.

XXXI. Troisièmement, parce que, de même qu’un seul pain est composé de la réunion d’un grand nombre de grains, et qu’on tire le vin d’un grand nombre de grappes de raisin, ainsi l’Église se compose de l’agglomération d’un grand nombre de fidèles, dont certains sont bons et d’autres mauvais. Or, comme nous ignorons si le mort se trouve actuellement en union ou en conformité avec l’Église, s’il a la paix avec son créateur et s’il est réconcilié avec lui, c’est pourquoi nous ne donnons point la paix à la messe ; et nous ne louons point Dieu pour les morts ou à cause des morts, car nous n’avons pas sujet de le faire, puisque leur repos est encore incertain pour nous. La quatrième raison a été donnée dans la quatrième partie, à l’endroit où l’on traite du Baiser de paix.

XXXII. Il faut encore remarquer que l’office des morts commence par vêpres. Après suivent les vigiles, dont il y a trois sortes ; car, dans quelques églises, on lit neuf leçons de Job, dont la première est Parce mihi, Domine. Dans d’autres on lit des leçons tirées de la Sagesse, et elles commencent par celle-ci : Melius est ire ad, etc. Dans d’autres encore on les extrait d’un sermon de saint Augustin. Mais, quelle que soit la source d’où on les tire, on les dit absolument sans Jube, Domine, benedicere, et sans Tu autem, Domine ; ou bien ailleurs elles commencent et se terminent comme dans les funérailles que nous célébrons dans les trois jours précités de la sépulture du Christ. Cependant, dans quelques églises on remplace le Tu autem par Beati mortui qui in Domino moriuntur, etc., « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, » paroles tirées de l’Apocalypse (chap. xiv).

XXXIII. Dans cet office on dit le psaume Te decet hymnus, Deus, parce qu’il s’agit du retour des enfants d’Israël de la captivité dans la terre de promission ; de même, les défunts aussi sortent de la misère de la captivité, pour entrer dans la vie éternelle. On dit aussi le psaume Domine, ne in furore tuo arguas me, etc., qui, bien qu’étant le sixième dans l’ordre du psautier, est cependant intitulé : Pro octava, (Pour l’octave), comme si par ce psaume nous implorions Dieu pendant six âges, afin que nous puissions être les ornements du septième et parvenir à l’octave de la gloire, ou bien parvenir à la gloire du huitième. L’office des morts n’a pas de secondes vêpres, comme il a été dit dans la sixième partie, au chapitre de Vêpres.

XXXIV. Dans le Concile de Tolède (XXVI, q. v, Quicumque) il a été statué que le prêtre qui célébrerait la messe des défunts, afin que son ennemi trouvât la mort, serait déposé, et que tant lui-même que celui qui l’exciterait à un tel acte serait puni du bannissement à perpétuité. Maintenant il faut voir comment le corps doit être enseveli. Or, quand une personne paraît être à l’agonie, on doit la placer à terre sur de la cendre, ou au moins sur de la paille, par où on insinue qu’elle est cendre et qu’elle retournera en cendres ; et ceci se fait à l’exemple du bienheureux Martin qui, pour donner aux autres un modèle à suivre en sa personne, termina sa vie, couché sur la cendre. Et si le mourant est un savant ou lettré, on doit lire devant lui la passion du Seigneur ou du moins une partie de la passion, pour qu’ainsi il soit excité à une plus grande componction ; et on doit dresser la croix à ses pieds, afin que, mourant à sa vue, il soit plus contrit et se convertisse. Il doit encore être couché sur le dos, afin que sa face regarde toujours le ciel, à l’exemple du bienheureux Martin ; et, avant qu’il expire, on recommandera son ame au Seigneur.

XXXV. Lorsqu’il aura rendu le dernier soupir, on doit sonner les cloches, comme il a été dit dans la première partie, où l’on traite des Cloches. Ensuite, si son corps n’a pas tout récemment, avant sa mort, reçu les dernières onctions, on doit le laver, pour marquer que si l’ame, par la confession et la contrition, a été purifiée du péché, l’un et l’autre, savoir l’ame et le corps, acquerront au jour du jugement la glorification et la splendeur, et pour désigner que ceux-là, comme le dit Job, meurent vraiment dans le Seigneur et sont bienheureux qui n’emportent aucune tache du péché, mais laissent par la pénitence toute souillure dans ce monde. Mais comme il n’est question de cette locution ni dans l’Ancien-Testament, savoir dans le Lévitique (chap. x), ni dans le Nouveau (Act., c. iii), il ne faudrait pas, au dire de certains, s’en préoccuper beaucoup. Saint Augustin dit dans son livre Sur le soin qu’on doit prendre des morts : « Les devoirs que l’on rend au corps humain après sa mort, ne sont point une assurance de salut, mais un devoir d’humanité. » Cependant, lorsque Marie-Madeleine oignit le Seigneur avant sa passion (Math., c. xxvi), elle fit pour Jésus qui allait mourir ce qu’elle n’eût pu faire pour le Seigneur mort. « Elle a par avance, dit le Seigneur, enseveli mon corps, » par où l’on peut prouver que les corps des morts doivent être lavés ; car, comme le dit saint Jérôme dans son Original ou Explication de saint Mathieu (chap. vi), à ce passage : Unge caput tuum, « Oins ta tête. « Pour ces parties du corps, on se servait de parfums au lieu de bains. Le treizième canon du Concile de Tolède (XIII, q. ii, Qui divina) a statué que ceux qui, appelés par Dieu, sortent de ce monde, seront portés au lieu de leur sépulture, accompagnés seulement du chant des psaumes et des voix de ceux qui psalmodient.

XXXVI. Or, le défunt doit être porté par des gens de sa profession ; s’il est diacre, par des diacres ; s’il est prêtre, par des prêtres, s’il s’en trouve de présents ; autrement, il n’y a pas obligation absolue qu’il en soit ainsi, parce que nécessité fait loi (De consec, d. i, Sicut, ; extra De observatione jejun., ca, ii, Clericus a clericis, catholicus a catholicis). S’il appartient à quelque confrérie, il sera porté par ceux qui appartiennent à la même confrérie. Or, il n’est point permis aux femmes de porter les corps, de peur de les mettre dans le cas de découvrir leur corps, ce qui pourrait nous exciter à l’impureté, et ce qui pourrait arriver facilement. Or, tandis que l’on transporte le corps de la maison à l’église ou au lieu de sa sépulture, suivant la coutume de quelques pays, on fait trois pauses dans le chemin. Premièrement, pour marquer que le défunt, tandis qu’il vivait sur la terre, afin de pouvoir se présenter dignement devant le Seigneur et jouir de l’éternel repos avec les autres saints, s’est exercé principalement à trois choses, savoir à l’amour de Dieu, à la charité pour le prochain et à la garde de soi-même ; ou bien qu’il a vécu et terminé sa vie dans la foi de la sainte Trinité. Secondement, pour représenter que le Seigneur s’est reposé trois jours dans le sein de la terre. Troisièmement, on fait trois pauses dans le chemin, afin que, par la triple cessation de la psalmodie qui a lieu dans ces trois haltes, il reçoive la triple absolution, alors prononcée, des péchés qu’il a commis de trois manières : par pensées, par paroles et par actions. (Exod., iii) : « Nous marcherons pendant trois jours dans la solitude. »

XXXVII. Ensuite on le place dans le tombeau ou la fosse, où en certains endroits on met de l’eau bénite et des charbons avec de l’encens. On y met de l’eau bénite, pour que les démons, qui la craignent beaucoup, ne s’approchent point du corps ; car ils ont coutume d’exercer leur fureur sur les corps des morts, afin que ce qu’ils n’ont pu leur faire pendant leur vie, ils le leur fassent du moins après leur mort. On y place de l’encens, pour éloigner ou dissiper la mauvaise odeur du corps, ou bien afin que le défunt soit censé avoir offert à son créateur le parfum agréable des bonnes œuvres, ou bien pour montrer que les prières des fidèles servent aux défunts. On y met des charbons, pour marquer que cette terre ne peut plus servir à un usage profane, car le charbon subsiste plus longtemps sous la terre que toute autre matière. On y met aussi du lierre ou du laurier, et autres choses de ce genre, qui toujours conservent leur verdure dans le tombeau, pour désigner que ceux qui meurent dans le Christ ne cessent pas de vivre ; car, quoiqu’ils meurent au monde corporellement, cependant, sous le rapport de l’ame, ils vivent et revivent en Dieu. Cependant, pour une autre considération, les anciens se servaient du cyprès dans les funérailles, parce que, de même que le cyprès une fois coupé ne pousse plus de nouveaux rejetons, mais meurt tout entier ; de même, suivant les païens, l’homme mort ne revit plus. On observe encore ces cérémonies, non que les cadavres aient le sentiment, mais en figure, c’est-à-dire parce que l’on espère la résurrection ou la miséricorde de Dieu ; ou bien pour provoquer sa bienveillance à de pareils actes de miséricorde, ou bien parce que de tels honneurs rendus aux morts plaisent à Dieu.

XXXVIII. On doit ensevelir le mort de telle sorte que sa tête soit tournée à l’occident et ses pieds à l’orient. En cette position, pour ainsi dire, il prie, et ceci insinue qu’il est disposé à se diriger en toute hâte d’occident en orient, du monde ou de la terre au siècle futur. Et en quelque lieu hors du cimetière que le chrétien soit enseveli, on doit toujours placer une croix à la tête de sa sépulture, pour marquer qu’il a été chrétien, parce que le diable redoute beaucoup ce signe et craint de s’approcher de l’endroit qui resplendit du signe de la croix.

XXXIX. On doit aussi ensevelir les fidèles chrétiens, après les avoir enveloppés d’un suaire, comme l’observent les Provençaux, ce qu’ils ont emprunté de l’évangile où l’on parle du suaire et du linge dans lesquels on ensevelit le Christ, Il en est d’autres qui cousent les morts dans un cilice, pour représenter par là les insignes de la pénitence, car la cendre et le cilice sont les armes des pénitents. On ne doit point les revêtir d’habits communs, comme on fait en Italie ; et, comme quelques-uns le disent, on doit leur chausser les jambes et leur mettre aux pieds des chaussures (sotulares), pour désigner par là qu’ils sont prêts à paraître au jugement.

XL. Les clercs, s’ils sont ordonnés, sont revêtus ou parés des insignes de leurs ordres. S’ils ne sont pas dans les ordres sacrés, on les inhume comme les laïques. Cependant, dans les ordres ou pour les autres ordres, cela souvent sera omis, si le défunt est pauvre. Cependant, pour un prêtre et pour un évêque, il ne faut jamais l’omettre ; car les habits sacerdotaux désignent les vertus, ornés desquelles ils doivent être en un plus haut degré que les autres et se présenter à Dieu tous deux. Le pape Eutycien décréta que nul n’ensevelirait les martyrs sans la dalmatique ou le collobium de pourpre.

XLI. À ce sujet, il faut considérer si le Christ s’est revêtu d’habits après sa résurrection et s’il est monté au ciel, vêtu ; s’il est apparu vêtu aux deux disciples allant à Emmaüs et aux autres femmes et aux disciples. En effet, on lit que les anges apparurent vêtus, d’après ces paroles de Jean : « Elle vit des anges assis qui étaient vêtus de blanc ; w et ailleurs : « Voici que deux hommes se dressèrent debout auprès d’eux, vêtus de blanc, qui leur dirent : Ce Jésus qui a été élevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu monter. » Or, le Christ est monté vêtu aux cieux, d’après ces paroles : « Quel est celui qui vient d’Edom, et dont les vêtements sont teints de la pourpre de Bosra ? » De même, les anges dirent : « Pourquoi ton vêtement est-il rouge ? »

XLII. On demande encore si les hommes seront nus après le jour du jugement ou s’ils seront vêtus, car les anges ont toujours coutume d’apparaître vêtus. Le Christ, après sa résurrection, apparut vêtu, et il en fut de même dans sa transfiguration, puisque ses vêtements parurent blancs comme la neige. Il parait, au contraire, que les hommes seront nus, et c’est un sentiment qui fait autorité que nous serons dans la même forme et le même état que celui d’Adam avant de pécher, et dans un état meilleur encore. Mais alors Adam fut nu ; donc nous serons nus. Solution : Nous ne définissons rien touchant le vêtement ; mais nous nous contentons de dire que là il n’y aura ni difformité, ni aucune adversité, et que nous serons vêtus et parés des ornements des vertus. Or, qui doit être enseveli et dans quel lieu ? Le lieu de la sépulture confère-t-il quelque chose ou procure-t-il quelque avantage ? Nous avons traité de cela dans la première partie, où il est question du Cimetière. Or, remarque que, comme il est écrit dans le Lévitique (chap. xxi) : « Le pontife n’ira jamais visiter aucun mort, pas même son père et sa mère, et il ne sortira point des lieux saints ; » de là vient que le pontife romain n’entre dans la maison d’aucun défunt. De même, comme il est encore dit dans le même livre (ibid.) : « Les prêtres ne raseront point leur tête ni leur barbe, ni ne couperont leurs cheveux en aucune façon, «  C’est pourquoi ceux qui sont affligés de la mort de ceux qui leur sont chers laissent croître leur barbe, ne rasent point leurs cheveux et portent encore des vêtements noirs, afin que, par la couleur noire et leur douleur, ils paraissent être ensevelis avec le mort qu’ils regrettent.

XLIII. On peut encore demander ici si les morts parlent et ont une voix ; et il paraît que oui, d’après cette parole du Prophète : « Les louanges et les chants d’allégresse sont dans leur bouche. » Le pape Hormisdas (i, d., Si quis diaconus) dit que ceux pour lesquels nous aurons eu une fausse indulgence nous accuseront devant le tribunal du Christ ; et le bienheureux Augustin (XIII, q. ii, Faciendum) dit que les défunts qui ne savent pas ce qui se passe sur la terre au moment où les choses se passent, l’apprennent ensuite de ceux qui, en mourant, s’éloignent de cette terre. Mais l’Apôtre semble dire le contraire, lorsqu’il dit que « alors les langues cesseront ; » et le Psalmiste, que « les morts ne loueront pas le Seigneur. » Et remarque, selon saint Augustin, que pendant le temps qui se trouve entre la mort de l’homme et la dernière résurrection, les âmes habitent des lieux cachés, c’est-à-dire cachés à nos yeux. Enfin remarque, selon maître Jean Beleth, que les anciens avaient coutume de dire que, quand les âmes des hommes sont renfermées dans leurs corps, on les appelle âmes ; dans les enfers, mânes ; dans les cieux, esprits. Quand les morts étaient nouvellement ensevelis, ou quand l’esprit errait autour des sépultures, ils l’appelaient ombre. D’où le Psalmiste dit : « Quand je marcherais au sein des ombres de la mort, je ne craindrais aucun mal, puisque tu es avec moi. » C’est pourquoi alors ils plaçaient du pain et du vin sur les tombeaux des morts, comme il a été dit au chapitre de la Chaire de saint Pierre.

XLIV. A la messe des morts, on dit quelquefois l’épître Vir fortissimus Judas (II Machab., c. xii) ; quelquefois aussi, Nolumus vos ignorare de dormientibus sicut et cœteri qui spem non habent (I Thessal., c. iv) ; d’autres fois, Audivi vocem de cœlo ( Apoc, c. xiv) ; d’autres fois aussi, Ecce mysterimn vobis dico (I Cor., c. xvi). On dit quelquefois l’évangile Amen dico vobis quia venit (Jean, c. v) ; quelquefois, Dixit Martha ad Jesum (Jean, c. ii) ; d’autres fois, Sicut enim Pater suscitat mortuos et vivifient, etc. (Jean, c. v) ; et d’autres fois encore, Omne quod dat mihi Pater (Jean, c. vi) ; et quelquefois aussi, Ego sum panis vivus qui de cœlo descendi, du même évangile (ibid.).

  1. Voir, note 15, un admirable travail de Gilbert Grimaud, savant et très-orthodoxe théologien du XVIIe siècle, sur le Memento des trépassés, qui a lieu chaque jour à la Messe.