Recension de livres de l'Abbé Bouchot (L'Observateur littéraire, 1759)

La bibliothèque libre.
L’Observateur littéraire, année 1759, tome 3
se trouve à Paris chez Michel Lambert, libraire (p. 64-70).

LETTRE III ABC ROYAL.


VOus passerez, s’il vous plaît Monsieur, de l’A B C au Rudiment, & du Rudiment à la Grammaire. Je ne vous tiendrai pas long-tems sur ces différens objets que M. l’Abbé Bouchot, Chanoine de Pont-à-Mousson, nous remet sous les yeux dans trois Brochures séparées. Le titre entier de la premiere est l’A B C Royal, ou l’Art d’apprendre à lire par les sons, sans épeller les voyelles ni les consonnes, du nom que ces dernieres ont dans l’Alphabet ; dédié aux enfans de France, Monseigneur le Duc de Berry, Monseigneur le Comte de Provence, & Monseigneur le Comte d’Artois ; chez Mérigot, pere, Quai des Augustins, & Lambert, rue de la Comédie Françoise. Ce sujet par lui-même paroîtra peu important, & sera indifférent pour tous ceux qui sçavent lire ; mais il n’en mérite pas moins l’attention de ceux qui ont des enfans à faire instruire, & de ceux sur-tout, à qui l’on confie cette premiere instruction.

L’arrangement des lettres de l’Alphabet n’est, selon M. Bouchot, ni arbitraire, ni dû au hazard ; l’Auteur y voit des combinaisons réfléchies, dont je ne vous entretiendrai pas ; elles ne font rien pour sa nouvelle méthode que voici. Nous avons cinq voyelles que tout le monde connoît, & dix-neuf consonnes auxquelles on a donné des noms différens. C’est sur ces noms que roule principalement le systême de M. Bouchot, ou plutôt sur le son que doit avoir chacune de ces consonnes. Mettez-en une devant chaque voyelle, & la même consonne aura cinq différens sons ; par exemple, c devant a fera ca, devant e, fera ce, &c. Mettez cette même consonne après la voyelle ; elle changera de nom & fera ac , ec , &c. Joignez deux consonnes ensemble devant une voyelle, ce fera une nouvelle dénonination ; comme cra , cre ; joignez-en trois, & vous aurez encore une autre dénomination, comme scra, scre, &c. Ainsi, quand on sçait le son des cinq voyelles, en nommant tout d’un coup & d’une seule voix la consonne devant ou après chaque voyelle, on peut lire dans tous les Livres sans épeller. L’Auteur a dressé à cet effet cinq colonnes qui représentent les cinq combinaisons de l’assemblage des consonnes avec les cinq voyelles. Un enfant apprend facilement en huit jours une de ces colonnes, pour nommer tout d’un coup les consonnes du nom des voyelles, & peut, par conséquent, lire à Livre ouvert dans l’espace de cinq semaines. L’expérience jointe aux certificats qu’en a l’Auteur, sont des preuves sans réplique. Voilà, en gros, en quoi consiste la nouvelle méthode de M. l’Abbé Bouchot. Elle entraîne après soi bien des détails qui ne seroient ni agréables, ni faciles à exprimer sur le papier.

RUDIMENT FRANÇOIS.

Le second Ouvrage de M. l’Abbé Bouchot est un Rudiment François à l’usage de la jeunesse des deux sexes ; pour apprendre en peu de tems la Langue par régles, les principes d’orthographe, & servir d’introduction au Latin & aux Langues étrangeres ; dédié & Monseigneur le Duc de Bourgogne ; chez les mêmes Libraires que le précédent.

Le fond de ce Livre est le même que celui de nos Grammaires ordinaires ; mais la forme & la façon de l’établir est différente. L’Auteur s’est particulierement appliqué à donner des définitions aisées, claires, intelligibles & grammaticales ; & non des définitions de Logique, telles qu’on les trouve dans tous nos Grammairiens. Mais ce qui ne se trouve encore nulle part, c’est la distinction qu’il fait de cinq déclinaisons Françoises, auxquelles se rapportent tous les noms & pronoms qui se déclinent dans notre Langue. L’ordre qu’il a suivi dans le Traité des Participes, est aussi tout nouveau, de même que la raison pour laquelle ces mêmes participes ne sont pas déclinables lorsqu’ils ne sont précédés que de leur régime, & non de leur nominatif. Par exemple : la nouvelle que le Gazetier a dite, & la nouvelle qu’a dit le Gazetier. Le participe, dans le premier exemple, est déclinable, & il ne l’est pas dans le second ; parce que, dit M. l’Abbé Bouchot, pour rendre le participe déclinable, il faut qu’il fasse un sens avec ce qui le précéde, & qu’il n’ait besoin d’aucun mot qui se trouve à sa suite pour faire ce premier sens. Ainsi, dans le premier exemple, le participe est déclinable, parce qu’on trouve un sens avec ce qui le précéde ; au lieu que dans le second, il n’y a aucun sens, parce que pour en former un, il est nécessaire d’y ajouter un nominatif. Je soumets, Monsieur, toutes ces raisons à votre jugement.

Traité des deux imperfections de la Langue Françoise.

Le zèle de M. l’Abbé Bouchot pour la perfection de notre Langue, est infatigable, & paroît guidé par des lumieres sûres. La division de ce troisiéme Ouvrage est annoncée dans le reste du titre : Une prononciation incertaine, nécessité de la fixer, l’impossibilité de trouver la prononciation par l’écriture, moyens de l’indiquer sans toucher à l’orthographe ; chez les mêmes Libraires.

La premiere imperfection de notre Langue est donc une prononciation incertaine de plusieurs mots qu’il conviendrait de fixer ; M. l’Abbé Bouchot laisse ce soin à Messieurs de l’Académie. Quant à l’impossibilité actuelle de trouver, en certains cas, la véritable prononciation, l’Auteur a imaginé une maniere de l’indiquer infailliblement, sans changer l’orthographe. Elle consiste à placer des accents sur les mots qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent : par exemple, le mot de Polonois se prononce autrement que Chinois : M. l’Abbé Bouchot veut qu’on laisse ce dernier mot comme il est, & que dans Polonòis on mette un accent sur le dernier ò. Dans aiguiser, il n’y aura point d’accent sur l’u, & il y en aura un dans gùider, &c. En voilà assez, Monsieur, pour vous donner une idée du projet de l’Auteur, dont vous pourrez voir les effets dans son Livre accentué dans ce nouveau goût. Vous applaudirez à l’utilité de ses vûes, & à une sorte d’agrément qu’il a répandu, sur ces discussions grammaticales.