Recherches quantitatives sur l'excitation électrique des nerfs traitée comme une polarisation

La bibliothèque libre.

Recherches quantitatives
sur l’excitation électrique des nerfs
traitée comme une polarisation


(Deuxième mémoire.)


Par M. Louis Lapicque




On a été amené bien souvent à prononcer le mot de polarisation à propos de l’excitation électrique du nerf ; mais la notion est restée vague jusqu’à NERNST qui en a donné une conception basée sur la chimie physique.

« En l’état actuel de la science, le courant galvanique ne peut produire dans un tissu organique, comme dans un conducteur purement électrolytique, aucune autre action que des déplacements d’ions, c’est-à-dire des changements de concentration ; nous concluons donc que ces derniers doivent être la cause de l’effet physiologique… On sait que, dans un tissu organique, la composition de la solution aqueuse qui forme le conducteur électrolytique n’est pas partout la même, et, en particulier, qu’elle est différente à l’extérieur et à l’intérieur des cellules. Des membranes semi-perméables s’opposent à l’égalisation par diffusion. Sur ces membranes, et là seulement, peuvent se produire des changements de concentration par le courant… Le courant amène jusque-là des sels que la membrane empêche de transporter plus loin. Les sels qui sont en état de traverser la membrane assurent la conduction. C’est là, évidemment, qu’il faut chercher le siège de l’excitation électrique. »

Mais, à mesure que le courant accumule les sels à la membrane, la diffusion s’établit en sens contraire ; le changement moyen à la membrane résulte des effets opposés du courant et de la diffusion. Nernst se sert de ces conceptions pour expliquer l’inefficacité physiologique des courants alternatifs à grande fréquence ; ces conceptions, traitées le plus simplement possible, conduisent aux équations déjà établies pour la polarisation des électrodes métalliques par les courants de même forme ; dans le cas des courants sinusoïdaux, on arrive, pour l’intégrale de l’effet produit, à une expression qui contient en dénominateur la racine carrée de la fréquence. Une série d’expériences faites sur le nerf sciatique de la grenouille (électrodes en platine platiné) montrent qu’en effet, entre 900 et 2.000 alternances par seconde, l’intensité nécessaire pour le seuil augmente sensiblement comme la racine carrée de la fréquence.

On sait que les membranes semi-perméables interposées sur le trajet d'un conducteur électrolytique peuvent effectivement donner lieu à une polarisation, ce qui revient au même, comme le remarque Nernst. Le fait a été démontré en 1890 par Ostwald. Une membrane de parchemin est interposée entre une solution de ferrocyanure de potassium et une solution de sulfate de cuivre; il se forme dans son sein un dépôt de ferrocyanure de cuivre ; on établit de part et d'autre une différence de potentiel d'environ deux volts; l'intensité primitive du courant décroît peu à peu jusqu'au quart environ, valeur à laquelle elle demeure indéfiniment constante ; la force électromotrice supprimée, une force contre-électromotrice se révèle; nous avons donc bien polarisation et décharge de la polarisation ; tous les phénomènes s'expliquent si on admet que l'ion potassium d'une solution et l'ion SO(4) de l'autre peuvent traverser la membrane, tandis que l'ion Fe(CN)(6) et l'ion cuivre sont arrêtés. En effet, on peut observer un dépôt de cuivre métallique sur la face de la membrane tournée vers l'anode.

J'ai pensé qu'on pouvait rendre compte de tout ce que nous observons dans l'excitation électrique en étudiant la polarisation des membranes suivant la conception d'Ostwald, peu différente de celle de Nernst. Soit un conducteur formé par une solution d'électrolytes divers; interrompons ce conducteur par un diaphragme formé d'une membrane perméable à certains ions (ions I), imperméable (ou beaucoup plus lentement perméable) à certains autres (ions II). S'il y a une différence de potentiel maintenue constante entre les deux extrémités du conducteur, une certaine intensité du courant sera transportée par les ions I, les ions II viendront s'accumuler jusqu'à une certaine limite sur les deux faces de la membrane, les cations sur la face tournée vers le potentiel le plus élevé, les anions sur l'autre face. II est probable qu'il se passera là des phénomènes complexes, diffusion lente des ions II dans l'épaisseur de la membrane, peut-être combinaison avec la substance même de la membrane (teinture électrique), etc. Nous pouvons, malgré ces phénomènes secondaires, traiter en première approximation la polarisation des membranes comme une polarisation quelconque. La polarisation des électrodes métalliques présente aussi des phénomènes secondaires qui paraissent maintenant beaucoup plus voisins de ceux-là qu'on ne l'aurait pensé il y a quelques années. Les physiciens admettent « avec Berthelot et Bouty, qu'aucune électrode n'est rigoureusement inattaquable ou imperméable aux produits de l'électrolyse (Edmond ROTHÉ, thèse de la Faculté des Sciences de Paris, numéro 1148, 1904) ». Les corrections doivent être étudiées pour chaque cas particulier. Dans les nerfs, outre que la membrane nous est encore peu connue (malgré les recherches récentes qui montrent le rôle des lipoïdes), les électrolytes sont multiples et englobés dans un milieu rendu très visqueux par des colloïdes divers; les sels de chaux jouent probablement un rôle spécial ; la gaine de myéline, quand elle existe, doit avoir une grosse influence. C'est donc un cas très complexe. Néanmoins, la première approximation peut toujours être rapportée, ni plus ni moins que pour des électrodes métalliques, à une charge de condensateur. Il faudra seulement ne pas oublier que ce ne sera là qu'une approximation. La charge d'un condensateur ayant une fuite, voilà le schéma auquel, en première analyse, il convient de comparer ce que l'expérience physiologique nous révèle comme loi de l'excitation électrique. Soit un condensateur, de capacité donnée K, ayant l'une de ses armatures au potentiel O; l'autre armature est en communication à travers une résistance R avec une source de potentiel de niveau V; les deux armatures sont reliées entre elles par une communication de résistance rho. Nous posons que le seuil de l'excitation est atteint quand le condensateur est chargé à un potentiel v. On voit tout de suite que le schéma satisfait à la condition générale que nous avons déduite en combinant le point de vue de Du Bois-Reymond avec celui de Weiss pendant le régime, il ne se passe rien dans le condensateur. La charge est un phénomène qui se produit dans les premiers instants qui suivent la fermeture ; mais ce n'est nullement à la variation ascendante du courant qu'elle est liée. Supposons une self très petite; le courant atteint en un temps extrêmement court sa valeur maximale, voisine de V/R puis décroît pour atteindre sa valeur définitive V/(R + rho). Si R est très grand par rapport à rho (et nous verrons qu'il en est généralement ainsi dans les expériences), V/(R + rho) est très peu inférieur à V/R; cette période décroissante n'affecte donc que dans une proportion très faible l'intensité de l'ensemble du courant quand on a des centaines de mille ohms dans le circuit ; Weiss, et nous après Weiss, l'avons considérée comme faisant partie déjà du régime permanent de ce courant, et de ce point de vue, l'erreur n'était pas grosse; mais dans la région même où se produit l'excitation, au contact de l'électrode et du nerf, région qui est représentée par K et rho, la variation est capitale. Le problème ramené au schéma précédent est complètement défini au point de vue physique et peut être traité exactement par l'analyse mathématique Le potentiel v auquel sera chargé le condensateur hypothétique un temps t après la fermeture brusque du circuit contenant la force électromotrice V est donné par l'expression

v = V*(rho/(R + rho))*[1 - exp((-t)*((R + rho)/(R*rho*K)))].

Mais les valeurs expérimentales qui s'obtiennent en fonction l'une de l'autre sont la durée t, et la force électromotrice V nécessaire pour atteindre le seuil de l'excitation dans cette durée t. De l'équation précédente on tire :

V = v*[(R + rho)/(rho)]*[1/(1 - exp((-t)*((R + rho)/(R*rho*K))))].

Remarquons que R est connu et constant; k, rho, v sont par hypothèse constants; nous pouvons donc poser

v*[(R + rho)/(rho)] = alpha,

(R*rho*K)/(R + rho) = beta.

En substituant, nous obtenons

V = (alpha)/(1 - exp(-t/beta)),

expression comparable à la formule de Weiss,

V = a/t + b.

Dans l'une et l'autre formule, on obtiendra la valeur des constantes, dans une expérience donnée, au moyen de deux déterminations de V pour deux valeurs de t. Avec la nouvelle formule, il sera nécessaire d'avoir deux valeurs de t dont l'une soit double de l'autre pour pouvoir résoudre le système des deux équations données par l'expérience.

J'avais d'abord posé le problème, ainsi qu'il arrive souvent au début d'une étude, dans une forme inutilement compliquée. J'ai eu recours, pour en obtenir l'étude mathématique, à l'obligeance de MM, Chatanay et Lévy, deux élèves de l'École Normale supérieure, qui suivaient mon cours cet hiver; leur travail m'a été très utile pour éclaircir la question, et je leur en adresse ici mes bien sincères remerciements. Sous la forme simple indiquée plus haut, le calcul peut se conduire de la façon suivante:

Dans le conducteur R, l'intensité i = (V - v)/R ; dans le conducteur rho, l'intensité i'; la différentielle de la charge du condensateur K est :

K*dv = i*dt - (i')*dt.

c'est-à-dire:

K*dv = ((V - v)/R)*dt - (v/rho)*dt = [(((V — v)*(rho) - (v*R))/(R*rho))]*dt,

ou, en séparant les variables et en mettant en facteur les termes constants,

[(K*R*rho)/(R + rho)]*[dv/((V*rho/(R + rho)) - v)] = dt,

qu'on peut encore écrire

-dt*[(R + rho)/(K*R*rho)] = [dv/(v - (V*rho/(R + rho)))].

Cette différentielle a pour intégrale :

A - t*[(R + rho)/(K*R*rho)] = L*[(V*rho)/(R + rho) - v]

Si nous posons qu'à l'origine du temps la charge du condensateur était nulle, faisant dans l'équation précédente t = o et y = o, nous aurons la valeur de la constante d'intégration :

A = L*[(V*rho)/(R + rho)]

ce qui donne :

(-t)*[(R + rho)/(K*R*rho)] = L*[(V*rho)/(R + rho) - v] - L*[(V*rho)/(R + rho)]

ou, en remplaçant la différence des logarithmes par le logarithme du quotient

(-t)*[(R + rho)/(K*R*rho)] = L*[1 - ((R + rho)/(V*rho))*v],

c'est-à-dire

exp((-t)*[(R + rho)/(K*R*rho)]) = 1 - [(R + rho)/(V*rho)]*v.

Il n'y a qu'à résoudre par rapport à v.

Soient

V(1) = (alpha/(1 - exp(-(t')/beta))),

et

V(2) = (alpha/(1 - exp(-(t")/beta))),

où V(1), V(2), t', t" sont des valeurs numériques; il s'agit d'obtenir alpha et beta. Posons exp((t')/beta) = x; alors si t" = 2*t', exp((t")/beta) = (x^2); substituons dans les équations précédentes; retranchons membre à membre la première de la seconde, nous arrivons à une équation du 2d degré à une inconnue. Résolvant par rapport à x, on obtient finalement, toutes simplifications faites, x (c'est-à-dire exp((t')/beta)) = (V(2)/(V(1) - V(2))) (l'autre racine de l'équation = 1). D'où l'on tire

beta = (t')*[(log(e))/(log(V(2)) - log(V(1) - V(2)))].

Nous allons nous servir de ces constantes brutes pour confronter les deux formules en présence de l'expérience; mais nous aurons à reprendre plus tard l'examen des grandeurs physiques, soit réelles, soit hypothétiques, que nous avons réunies en bloc sous les désignations globales, purement algébriques, alpha et beta. Dès maintenant, il convient de faire remarquer que, sous sa forme globale, la formule nouvelle à laquelle nous sommes arrivés par la considération d'un condensateur avec fuite est identique à celle que donnerait la charge d'un condensateur sans fuite.

Pour celui-ci, v = V*(1 - exp(-t/(R*C))), d'où V = v/(1 - exp(-t/(R*C))); posant v = alpha, R*C = beta, on arrive à la même formule.

Mais la discussion des paramètres mènerait ici à des contradictions grossières avec l'expérience. Par exemple, en ajoutant ou en supprimant une résistance dans le circuit d'excitation, on ne changerait pas la force électromotrice nécessaire, mais on changerait le coefficient du temps. Pratiquement, c'est le contraire qui est vrai, et cela s'accorde avec la formule complète, comme nous le verrons. Malgré leur type essentiellement différent, la formule de Weiss (hyperbole) et celle que je propose (logarithmique), correspondent toutes deux à des courbes convexes vers le zéro, et asymptotes, d'une part, à l'axe des y, d'autre part, à une parallèle située à une certaine hauteur au-dessus de l'axe des x; prises sur un petit arc voisin du sommet de la parabole, ces courbes peuvent différer très peu l'une de l'autre; mais en s'éloignant de l'origine, c'est-à-dire pour les valeurs un peu grandes du temps, les deux courbes s'écartent l'une de l'autre; l'hyperbole descend au-dessous de la logarithmique. Je rappelle que, dans le mémoire précédent, la critique que nous avons faite de la formule de Weiss portait principalement sur la constante b difficile à expliquer physiquement et donnant une valeur trop basse pour le voltage liminaire des grandes durées (pages 570 et suivantes). Au contraire, la formule logarithmique donne par extrapolation dans ce sens des valeurs très satisfaisan tes.

Nous allons nous en rendre compte sur un exemple expérimental, tiré du mémoire de Weiss; c'est la seule expérience de ce mémoire où soit donnée la valeur expérimentale de V pour t = infini. (Les durées sont exprimées en centimètres, qui valent en secondes 1/(13.000), les voltages en unités arbitraires, probablement de l'ordre du centième de volt; résistance approximative du circuit, 5.10^(5)).

  • Expérience du 6 décembre 1900.
  • Archives italiennes de Biologie, 1901, t. XXXV, p. 434.

Des durées 4 et 12, je tire, pour la formule de Weiss, les valeurs a =168 ; b = 21. Des durées 8 et 16, je tire, pour la formule logarithmique les valeurs alpha = 29,5 ; beta = 6,3. (Les durées 6 et 12 donneraient alpha = 29,5; beta = 6,5). Pour t = infini, la formule de Weiss devient V = b; la mienne, V = alpha.

  • DURÉE du passage
  • VOLTAGE
  • observé
  • ((a/t) + b)
  • (alpha/(1 - exp(-t/beta)))
  • 3; 82; 77; 78;
  • 4; 63; 63; 62,5;
  • 6; 49; 49; 48;
  • 8; 41; 42; 41;
  • 12; 35; 35; 34,5;
  • 16; 32; 31,5; 32;
  • infini; 30; 21; 29,5;

Pour la durée 3 l'expérience est sûrement mauvaise ; la durée est trop brève pour que la phase d'établissement puisse être négligée. Pour les durées suivantes, les deux formules s'accordent toutes deux avec l'expérience d'une façon convenable et sensiblement équivalente. Pour t = infini, la formule de Weiss donne un écart considérable ; la mienne, avec des valeurs tirées directement des passages courts, et sans aucune correction en vue de la durée infinie, donne pour celle-ci une valeur très bonne.

Si l'expérience embrasse une échelle de durées un peu plus étendue, comme c'est généralement le cas dans les expériences de Weiss, alors la formule logarithmique est incapable de suivre les chiffres expérimentaux; le calcul des constantes effectué sur des durées différentes donne des valeurs qui varient systématiquement avec la durée.

  • EXEMPLE. Expérience de Weiss du 19 décembre.
  • Durées.... 4; 6; 8; 10; 12; 14; 20; 40;
  • Voltages... 185; 142; 123; 112; 103; 97; 86; 77;

On obtient pour les constantes les valeurs suivantes :

  • beta; alpha;
  • Calculées sur 4 et 8: 5,8; 92;
  • Calculées sur 6 et 12: 6,2; 87;
  • Calculées sur 10 et 20: 8,3; 78;
  • Calculées sur 20 et 40: 9,4; 76;


Au contraire, la formule de Weiss donne pour les constantes a et b des valeurs qui ne varient que de 62 à 65 pour b, et de 46 à 49 pour a. Cette formule parait donc mieux traduire l'expérience, d'autant plus que les écarts, légers en eux-mêmes, ne se présentent pas comme variant dans un sens déterminé d'un bout de la série à l'autre. Mais portons en graphique, non pas la portion de courbe des V donnée par l'expérience, mais les valeurs du produit V*t que la formule de Weiss présente comme alignés sur une droite ; sous cette forme, l'oeil est sensible aux écarts les plus légers : la droite exacte qui passe par le point correspondant à la durée 40 et par les points des durées les plus courtes laisse au-dessous d'elle le point de la durée 20. Cet écart ne serait rien, constaté une fois; mais dans à peu près toutes les expériences de Weiss, dans celles qu'il a publiées, comme dans celles qu'il a bien voulu en outre me communiquer au cours de la très amicale conversation que nous entretenons, oralement ou par lettre, depuis plusieurs années, sur la loi d'excitation, on retrouve une inflexion de ce genre. Cette petite inflexion m'a intéressé, parce qu'elle m'a paru marquer la trace de la courbe concave en haut, qui correspondait à la formule logarithmique. Si l'on construit cette courbe, en partant des valeurs des constantes trouvées pour les durées 20 et 40, on obtient la figure ci-contre. Je retrouvais, plus ou moins marquée, une sinuosité de ce genre dans mes propres expériences que j'avais considérées jusqu'alors comme suffisamment représentées par une droite. Mais j'ai refait des expériences spéciales pour mettre cette sinuosité plus en évidence.

C'est même Weiss qui a remarqué le premier cette inflexion. Je lui avais demandé les chiffres de ses expériences sur le crapaud, car j'avais beaucoup de peine à admettre que sur cet animal l'effet du voltage plus grand ne déformât pas la courbe des quantités en l'abaissant vers l'origine. En m'envoyant ces chiffres, le 26 avril 1903, Weiss notait comme un fait assez curieux... une inflexion entre les points 10 et 15. A ce moment, nous n'avons trouvé aucune interprétation, et puis, ni lui ni moi, n'y avons plus pensé.


Pour cela, il y avait d'abord lieu de faire des déterminations plus nombreuses pour les durées un peu longues, de multiplier les points expérimentaux dans la partie de la courbe dont je soupçonnais la concavité vers le haut. Ensuite, il était indiqué, pour rendre plus apparent tout ce qui pourrait se rapporter à une polarisation, de diminuer autant que possible la résistance du circuit, de façon à obtenir l'excitation avec la plus petite force électromotrice possible.

Pour ce second point, j'ai construit des électrodes impolarisable de faible résistance, toujours à mercure, calomel et eau salée physiologique, dont le croquis ci-joint donnera une idée suffisante. La paire de ces électrodes, avec les petits bouchons en papier-filtre sur lesquels repose le nerf, présente une résistance de 7.000 ohms environ (au lieu de 50.000 pour le modèle avec les mêmes éléments chimiques dont je me sers ordinairement). J'ai vérifié, à diverses reprises, de la manière suivante que ces électrodes sont pratiquement impolarisables dans les conditions où je les emploie; les deux bouchons de papier-filtre étant en contact, le galvanomètre, amorti, étant dans le circuit, je ferme sur ce circuit une force électromotrice de quelques centièmes de volt, c'est-à-dire de l'ordre de grandeur utilisé dans les expériences; le galvanomètre vient avec sa vitesse ordinaire à une certaine déviation, qui demeure absolument constante. D'autre part, le galvanomètre, non amorti et fonctionnant en balistique, pour des passages de courant sous force électromotrice constante, durant 1, 2, 3 millièmes de secondes, donne des élongations qui sont sensiblement dans le rapport 1, 2, 3. Dans le reste du circuit il n'y a qu'une résistance de 5.000 ohms ; le nerf étant interposé sur une longueur de 3 à 4 millimètres, on a au total une résistance de 30 à 40.000 ohms dont la plus grande partie, les deux tiers environ, est fournie par le nerf. Pour la constance des résultats, ce dernier point est évidemment très désavantageux, la moindre variation de résistance dans le nerf faisant varier d'une façon appréciable l'intensité du courant. Le désir de mettre en évidence la polarisation nous oblige à laisser en même temps une influence relativement considérable à d'autres phénomènes, tels que la dessiccation, ou les changements de température; il faut s'efforcer d'éliminer ces perturbations avec plus de rigueur que dans les circonstances ordinaires. De tentative en tentative, j'en suis venu à placer l'expérimentateur avec toute l'expérience (sauf l'interrupteur balistique avec son pistolet à fulminate, qui émet des fumées pénibles dans un espace étroit), dans une grande étuve réglée à température constante et saturée d'humidité; ce qui n'empêche pas de maintenir autour du nerf sa petite chambre humide. La température était réglée plusieurs heures d'avance ; les grenouilles vivantes destinées à l'expérience, les électrodes, les instruments, tout était placé d'avance dans l'étuve de façon à être en équilibre de température. Il importe de disséquer les nerfs lombaires jusqu'à la colonne vertébrale ; en posant le sciatique sur les électrodes, on opère ainsi sur une région très éloignée de la section des cylindres-axes; en outre, il ne faut pas tenir compte des déterminations faites dans les premières minutes après la section. Mais pour faire avec précision, à l'interrupteur balistique, une série assez nombreuse de déterminations du seuil, il ne faut guère moins d'une heure ; malgré toutes les précautions, on n'arrive pas à retrouver au bout de ce temps le seul exactement au point où on l'a trouvé au début. Pour éliminer les causes d'ennuis de ce chef, chaque série de déterminations était faite en double, et dans les deux sens; c'est-à-dire qu'après avoir fait les déterminations des temps les plus longs aux temps les plus courts, on les faisait des temps les plus courts au temps les plus longs; ou bien on prenait alternativement un temps long et un temps court; de la sorte, on n'est pas exposé à rapporter à l'influence de la durée ou du voltage un effet d'une altération progressive du nerf. Avec la résistance employée, il faut des forces électromotrices extrêmement petites; pour manier celles-ci avec précision, on établit par dérivation sur le distributeur de potentiel ordinairement employé, une différence de potentiel d'un demi-volt entre les deux extrémités d'un pont en platine iridié de un mètre de long, bien calibré, et muni d'un curseur à. contact précis (instrument de Fritz Köhler, utilisé pour la méthode de Kohlrausch); chaque millimètre vaut ainsi un demi-millivolt; les contacts sont soigneusement établis, et un voltmètre éprouvé donnant le 10ème de volt sert à vérifier de temps en temps la différence de potentiel aux extrémités du pont. La détermination du seuil pour le courant de durée indéfinie n'était faite qu'a la fin de l'expérience, de crainte que ces longs passages ne produisent une altération permanente, mais immédiatement après une détermination du seuil pour le temps mesuré le plus long.

Voici quelques expériences; les chiffres expérimentaux sont reproduits dans l'ordre où ils ont été obtenus ; les temps sont exprimés en centimètres du rhéotome (27 c. m. = 1.10^(-3) s.), les voltages en millimètres du pont (1 m. = 0,5 volt). L'objet observé est toujours le gastrocnémien de "Rana esculenta", excitation par le nerf sciatique.

  • Expérience du 10 mars, température 18 degrés:
  • t: 81; 27; 67; 18; 40; 9; 54; 9;
  • V: 135; 200; 137; 240; 170; 360; 145; 370;
  • t: 67; 54; 40; 27; 18; 9; 81; infini;
  • V: 145; 150; 180; 200; 245; 380; 144; 143;

Étant donné l'ordre dans lequel ont été pris ces chiffres, il serait peut-être illégitime de faire la moyenne des deux valeurs de V prises pour chaque valeur de t. Mais il est intéressant de constater que les sept premières déterminations aussi bien que les sept dernières dessinent nettement la sinuosité qui s'indiquait dans les expériences de Weiss obtenue avec deux appareils qui n'ont de commun que le principe, indépendante de l'ordre dans lequel se succèdent les durées, cette sinuosité tient donc bien à la loi de l'excitation. Les séries suivantes ont été faites symétriquement pour permettre un emploi correct des moyennes. Je suis arrivé d'ailleurs à réduire de plus en plus les écarts.

  • Expérience du 15 mars, température 12,5 degrés:
  • t: 81; 67; 54; 40; 27; 18; 9;
  • V: 58; 62; 66; 76; 91; 115; 175;
  • t: 18; 27; 40; 54; 67; 81; infini;
  • V: 115; 92; 77; 70; 67; 64; 63;

La moyenne donne, avec les durées transcrites en millièmes de seconde,

  • t: 1/3; 2/3; 1; 1,5; 2; 2,5; 3;
  • V: 175; 115; 91; 76; 68; 64; 61;

et pour t = infini, nous appuyant sur la constatation faite en terminant la série, nous prendrons V à une unité au-dessous de la valeur pour t = 3, c'est-à-dire à 60. Ici, les points expérimentaux exprimés en V*t s'écartent peu sensiblement d'une droite. La sinuosité, reconnaissable pourtant, est peu marquée ; il me semble qu'il en est généralement ainsi dans les expériences faites à température relativement basse : la formule de Weiss rend compte très bien des sept déterminations à durée limitée. Mais les constantes de cette formule prennent les valeurs a = 44, b = 46,5 ; l'écart entre la valeur de b et le voltage pour le courant de longue durée est ici considérable (près de 25 pour 100). En réalité, la limite inférieure du voltage, comme le montre l'expérience, est sensiblement atteinte à 3 millièmes; pour toutes les durées plus longues, la formule de Weiss donnerait des écarts de plus en plus marqués; ainsi, au lieu de 60, valeur invariable, elle donne pour t = 5, V = 55, déjà un écart de 10 pour 100, et pour t = 10, V = 51, près de 20 pour 100; on voit qu'il n'y a pas besoin de faire une extrapolation bien forte pour trouver en défaut la formule qui suffit dans l'échelle peu étendue des expériences. Au contraire, si on prend la formule logarithmique avec alpha = 59, beta = 1 (millième de seconde), on trouve des valeurs trop fortes pour les durées les plus courtes (écart prévu ne dépassant d'ailleurs pas 15 pour 100), mais un accord convenable à partir de 1 millième jusqu'à l'infini.

  • DURÉE du passage
  • VOLTAGE observé
  • V = ((44/t) + 46,5)
  • ÉCARTS en pourcents
  • V = (59)/(1-exp(-t))
  • ÉCARTS en pourcents
  • 0,33; 175; 178; +2; 208; +19;
  • 0,66; 115; 111,5; -2; 125; +8;
  • 1; 91; 90,5; 0; 93; +2;
  • 1,5; 76; 75; -1; 76; 0;
  • 2; 68; 68,5; +1; 68; 0;
  • 2,5; 64; 64; 0; 64; 0;
  • 3; 61; 61; 0; 62; +1,5;
  • infini; 60; 46,5; -22; 59; -1,5;

Malgré le très petit écart entre les valeurs expérimentales et la formule de Weiss pour toutes les durées mesurées, il est facile de voir sur un graphique qu'il n'y a pas besoin d'une grande extrapolation pour apercevoir laquelle des deux formules correspond le mieux à la réalité. La valeur de V*t, suivant la formule logarithmique, tend vers alpha*t; la courbe est asymptote à la droite, O*alpha*t passent par l'origine; la loi de Weiss, représentée par la droite a*b*t, coupe la droite O*alpha*t suivant un angle d'ouverture notable; or, au-dessus du point de croisement, les valeurs expérimentales sont sensiblement constants, c'est-à-dire qu'elles suivent O*alpha*t et non plus a*b*t. Mais, en réalité, la plupart des expériences montrent que notre formule tirée du condensateur idéal ne peut suivre exactement qu'un arc très restreint de la courbe expérimentale. Voici d'ailleurs les valeurs des constantes de la formule logarithmique tirées directement de l'expérience ci-dessus.

  • beta; alpha;
  • Calculées sur 0,33 et 0,66: 0,51; 84;
  • Calculées sur 1 et 2: 0,93; 60;
  • Calculées sur 1,5 et 3: 1,07; 57;

Les constantes qui ont servi dans le tableau ci-contre ont été obtenues en combinant les deux dernières valeurs, de façon à réaliser une concordance convenable sur la plus grande longueur possible. La valeur de 57 pour alpha présenterait un écart en moins que l'on peut considérer comme étant de règle. Cet écart est plus accentué quand la température est plus élevée.

  • Expérience du 13 mars, température 24°5.
  • t: 81; 67; 54; 40,5; 27; 18; 9;
  • V: 111; 112; 115; 125; 154; 185; 270;
  • t: 18; 27; 40,5; 54; 67; 81; infini;
  • V: 190; 156; 127; 115; 113; 112,5; 112;

Dans cette série, faite à une température relativement élevée, le temps 3 millièmes de seconde (81 centimètres) est relativement très long ; on voit bien que le voltage nécessaire s'approche asymptotiquement de sa valeur minima, atteinte à très peu de chose près pour cette durée. De ces chiffres très peu éloignés on tire la moyenne :

  • t: 9; 18; 27; 40,5; 54; 67; 81;
  • V: 270; 187; 155; 126; 115; 112,5; 112;

De la durée 1 à la durée 3, les valeurs expérimentales de V*t marquent une concavité vers le haut bien accentuée. Il ne m'a pas été possible de trouver des constantes pour lesquelles la formule logarithmique épouserait exactement cette courbe; toutes les courbes théoriques, construites avec la formule, sont moins arquées et donnent des valeurs trop faibles, soit pour le temps 1, soit pour le temps 3. En vertu de raisons théoriques, c'est ce dernier écart que j'accepte: on obtient d'ailleurs, dans l'échelle des durées expérimentées, sauf pour le temps le plus court, des écarts qui sont du même ordre que ceux donnés par la loi de Weiss; les uns et les autres ne dépassent pas 5 pour 100.

  • DURÉE du passage
  • VOLTAGE observé
  • V = ((60/t) + 92)
  • ÉCARTS en pourcents
  • V = ((103)/(1 - exp((-t)/(0,9))))
  • ÉCARTS en pourcents
  • 0,33; 270; 272; 0; 327; +21;
  • 0,66; 187; 182; -2,5; 197; +5,5;
  • 1; 155; 152; -2; 154; 0;
  • 1,5; 126; 132; +4,5; 127; 0;
  • 2; 115; 122; +6; 115; 0;
  • 2,5; 112,5; 116; +3; 110; -2;
  • 2.5; 112,5; 116; +3; 110; -2;
  • 3; 112; 112; 0; 107; -4,5;
  • infini; 111,5; 92; -18; 103; -7;

Ainsi, entre 3 et 30 dix-millièmes de secondes, sur le sciatique de la grenouille, la portion de courbe expérimentale traitée par Weiss comme une droite est réellement une courbe sinueuse. Mais l'assimilation du phénomène de l'excitation à une charge du condensateur conduit. pour la loi d'excitation, à une formule qui offre des écarts systématiques déjà sensibles aux deux extrémités de la série; écarts très marqués pour les temps les plus courts, écarts moindres pour les temps longs. Je dis que ces écarts systématiques confirment que le phénomène en jeu est bien une polarisation. En effet, nous avons traité cette polarisation comme un condensateur idéal, à capacité parfaitement déterminée; or, on sait, pour les électrodes de platine dans des solutions d'électrolytes quelconques, qu'une telle assimilation n'est qu'approchée. La capacité de polarisation n'est qu'une grandeur fictive, mesurée par le rapport de la différence du potentiel v établie entre les électrodes à la quantité d'électricité qui a été fournie aux électrodes. Ce rapport varie et avec le temps de charge et avec le voltage, de sorte que la capacité de polarisation n'a de sens défini que comme limite, pour v = 0 et t = 0 (Bouty, "Sur les capacités de polarisation", Annales de Chimie et de Physique, t.III, 7ème série, 1894). S'il en est de même pour une polarisation de membrane (et, vraisemblablement, la différence d'avec le condensateur est ici plus marquée encore), nous ne pouvions pas trouver des nombres concordant exactement avec la charge d'une capacité électrostatique. Il serait prématuré de rechercher si les écarts constatés sont explicables par les phénomènes secondaires de la polarisation, puisqu'ici nous ne connaissons pas ces phénomènes secondaires. Pour le moment, il est sage de se contenter de cette première approximation au point de vue physique. Mais au point de vue physiologique, il y a un certain nombre de gros faits connus qui doivent s'accorder avec la formule proposée. Pour cette discussion, il est nécessaire de revenir à la formule développée qui seule représente la théorie de la polarisation de membrane; avec les deux constantes alpha et beta nous avons étudié la formule comme une formule empirique, la comparant aux résultats numériques obtenus dans un ensemble de conditions données; mais ces constantes représentent chacune un ensemble de grandeurs physiques, les unes hypothétiques, les autres expérimentales et modifiables à notre volonté. Il faut voir ce que devient la formule quand nous prendrons pour variable une de ces dernières grandeurs, et comparer les résultats à l'expérience. Je rappelle la formule, qui donne la force électromotrice liminaire V en fonction de la durée du passage t:

V = v*((R + rho)/(rho))*[1/(1 - exp(-(R + rho)/(K*rho*R)))],

et nous avons posé:

alpha = v*((R + rho)/(rho)), beta = (K*rho*R)/(R + rho).

Les constantes qu'on peut appeler physiques sont v, K, rho et R.

Dans l'appareil schématique qui nous sert de modèle, R est la somme des résistances du circuit extérieures aux armatures. Dans les expériences d'excitation du nerf (nous allons envisager uniquement le sciatique de la grenouille) ces résistances sont de trois espèces :

  • 1° la somme des résistances instrumentales du circuit d'excitation ;
  • 2° la résistance propre du segment de nerf interposé aux électrodes, le nerf étant considéré comme un conducteur électrolytique auquel peut s'appliquer la loi d'Ohm ;
  • 3° une résistance de membrane à l'anode, résistance de forme non définie, se comportant pour une partie comme une résistance de polarisation.

La somme de 1 et 2 est toujours beaucoup plus grande que 3. Un centimètre de nerf, pris au sens de 2, fait 50 à 60.000 ohms ; les électrodes impolarisables, comprises dans 1, dans les formes habituelles, font au moins autant; il y a en outre toujours des résistances additionnelles, parfois considérables. Dans les expériences de Weiss, la résistance totale du circuit était fréquemment de 800.000 ohms. En règle générale, dans les expériences d'excitation électrique du nerf, la résistance est de l'ordre de 10^(5), la résistance de membrane à l'anode est de l'ordre de 10^(4); on peut, par rapport à la somme totale, négliger ce qui, dans cette dernière résistance, est de la polarisation. Au total, nous avons donc pour R un certain nombre d'unités de l'ordre 10^(5) ohms. Dans l'appareil schématique, rho est la résistance de la communication entre les armatures du condensateur. Dans le nerf, c'est la résistance de la membrane en contact immédiat avec le cylindre-axe en face de la cathode ; c'est une partie seulement de la résistance de membrane dans cette région ; elle est inconnue, et varie (nous allons y revenir) avec la surface de contact de l'électrode, mais, suivant la conception physique que nous en avons exposée, elle a, dans des conditions données, une valeur parfaitement définie; elle est certainement, dans la généralité des cas, inférieure à une unité de l'ordre de 10^(4) ohms. R est donc beaucoup plus grand que rho.

  • 1° Nous allons d'abord examiner l'excitabilité pour une fermeture brusque du courant constant prolongé; la formule s'applique, en faisant t = infini ; exp(-t/beta) tend vers zéro, et V devient égal à alpha, c'est-à-dire à v*[(R + rho)/(rho)].

Influence des résistances. — R étant beaucoup plus grand que rho, (R + rho)/(rho) diffère peu de (R/rho); v et rho étant supposés constants, on voit que V sera à peu près proportionnel à R, c'est-à-dire que, si nous ajoutons ou retranchons des résistances (sans self) au circuit d'excitation, il faudra augmenter ou diminuer le voltage à peu près dans la proportion dont nous aurons augmenté ou diminué la résistance totale; c'est en effet ce qu'on observe.

Influence de la surface de la cathode. — On sait que la surface du contact de l'électrode active a une importance considérable; Du Bois-Reymond disait que l'excitation est fonction de la densité du courant, ce qui revient à dire que l'intensité nécessaire à l'excitation croît comme la surface de contact. Considérons la membrane qui introduit dans le circuit la résistance rho; cette membrane est un conducteur de longueur constante, mais de section variable; soit r sa résistance par unité de section ; pour une section s, sa résistance totale rho = r/s. Remplaçons dans V = v*(R/rho), il vient V = (v*R*s)/r; on voit que V croît comme la surface en question.

  • 2° Passons à l'élément chronologique de la fonction, c'est-à-dire au facteur du temps qui intervient comme logarithme.

J'ai pris beta inverse de ce facteur, pour que beta soit lui-même un temps. Il me semble que les considérations physiologiques sur ce facteur, auquel j'attache une grande importance, prendront ainsi une forme plus concrète ; ce sera l'équivalent du rapport a : b des constantes de la formule de Weiss, rapport dont j'ai déjà étudié la variation physiologique en des cas divers. L'expression 1/(1 - exp(-t/beta)) tend rapidement vers 1 quand t/beta s'accroît ; pour t = 3*beta, sa valeur est 1,055 ; pour t = 4*beta, elle devient 1,02; c'est-à-dire que, dans l'approximation des expériences ordinaires, dès qu'on aura t = 3*beta, l'influence de la durée sur le voltage liminaire cessera d'être appréciable. Pour le gastrocnémien de la grenouille excité par le sciatique d'après les chiffres cités plus haut, beta est à peu près un millième de seconde. Trois millièmes de seconde, voilà donc la durée au bout de laquelle le processus correspondant au seuil pour le courant constant est pratiquement terminé. C'est exactement le chiffre que j'ai donné antérieurement en calculant sur la formule de Weiss par le rapport a : b. Il faut examiner maintenant la variation possible des différentes grandeurs physiques qui composent ce coefficient beta. Nous pouvons écrire beta = K*rho*(R/(R + rho)). (R/(R + rho)) est de dimension 1; et sa valeur est très voisine de 1, rho étant très petit par rapport à R ; il en résulte que, pratiquement, dans la généralité des expériences d'excitation nerveuse, le temps beta = K*rho, le produit d'une capacité par une résistance, ce qui fait bien un temps ; mais ici, le produit de la résistance de la capacité de polarisation de la membrane par la résistance de cette membrane. Or, ce produit est constant, quelle que soit la surface considérée; en effet, la capacité croît comme la surface, et la résistance varie suivant la proportion inverse. Il en résulte que, si l'on fait varier, sur un nerf, la surface de contact de l'électrode active, on changera le voltage nécessaire à l'excitation, comme nous venons de le voir, mais nullement l'élément chronologique de l'excitabilité. D'autre part, si on fait varier les résistances du circuit, c'est-à-dire R, soit en ajoutant ou retranchant des résistances, soit en faisant passer le courant par une longueur plus ou moins grande du nerf, le facteur (R/(R + rho)) toujours très voisin de l'unité, ne variera que d'une façon peu sensible. Il en résulte que l'expression beta = K*rho*(R/(R + rho)) ne sera influencée d'une façon appréciable par aucun changement dans le dispositif instrumental. C'est en effet ce que j'ai constaté dans de nombreuses expériences; cet élément chronologique, mesuré par le rapport a : b, restait sensiblement constant, bien que chacun des deux paramètres variât beaucoup suivant la disposition des électrodes Cette constance s'explique très bien dans la conception d'une polarisation de membrane comme mécanisme de l'excitation électrique ; le produit K*rho, c'est-à-dire la capacité de polarisation et la résistance par unité de surface, dépend de l'organisation de l'élément nerveux considéré, de l'épaisseur de la nature de la membrane; de la composition de la solution d'électrolytes, et de la gelée de colloïdes en contact, etc.; il devra varier avec la température, l'hydratation, etc., mais sera tout à fait indépendant des conditions dans lesquelles l'excitation lui est appliquée. Cet élément chronologique est donc bien une propriété fondamentale du tissu excitable, nerveux ou autre ; j'ai insisté sur ce point de vue dans divers travaux antérieurs. Ainsi, l'interprétation physique à laquelle j'arrive aujourd'hui donne un sens précis à certains faits importants antérieurement connus sur l'excitabilité; faits en vue desquels elle n'a pas été construite ; c'est une raison, il me semble, de la considérer comme un pas dans le sens de la réalité. La plus grave lacune qui subsiste actuellement, c'est que la formule n'explique pas l'inefficacité des courants lentement croissants. C'est une lacune, ce n'est pas une objection ; il faut reconnaître que ces courants inefficaces sont très lentement croissants, par rapport aux durées envisagées ici; il s'agit de vitesses d'un autre ordre. H est possible que l'explication trouve place dans les corrections reconnues nécessaires. Mais il est préférable d'attendre le résultat d'expériences qui s'indiquent et que je me propose de faire.

Post-scriptum. — Pendant que ce mémoire était à l'impression, j'ai pu réaliser, avec des substances appartenant au milieu physiologique, une membrane fortement polarisable (parchemin entre une solution de phosphate disodique et une solution de chlorure de calcium). Une étude sommaire de cette polarisation m'a montré qu'elle s'écarte notablement de la forme simple d'une charge de condensateur; les écarts sont précisément du sens et de la grandeur nécessaires pour répondre aux phénomènes constatés sur l'excitation électrique des nerfs.