Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/II/Sec 1/Art 4

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Art. IV. — État civil.

Les différentes conditions de la vie sociale réagissant plus ou moins directement sur le moral, on s’est demandé depuis longtemps si le célibat ou le mariage n’offriraient point quelques relations avec la folie. Cette question, débattue par beaucoup d’auteurs, mérite de fixer quelques instants notre attention.

1839. 1831 à 1838.
Mariés. 130. 1084.
Célibataires. 81. 950.
Veufs. 28. 207.
État civil non indiqué. 310. 1690.
549. 3931.

La première chose qui frappe dans ces deux colonnes, c’est le nombre considérable d’aliénés dont l’état civil n’a point été indiqué. Ce fait, dû au défaut de renseignements dans plusieurs cas, dans d’autres à la négligence des employés, nous empêchera de tirer des conclusions rigoureuses à ce sujet : car si la condition sociale de ces malades venait à être connue, il pourrait arriver que nos résultats fussent changés, et que le chiffre des célibataires, qui est en seconde ligne, fût notablement plus fort que celui des hommes mariés. Cette circonstance n’est pas la seule qui puisse rendre fautives les recherches dont nous nous occupons. Un certain nombre d’individus devraient être retranchés, d’une part, de la totalité qui sert de base à nos calculs : ainsi, tous ceux qui ont moins de 20 ans et qui se trouvent, quoique non mariés, dans des conditions autres que celles du célibat ; d’une autre part, les imbéciles, les idiots et les épileptiques, dont l’état civil ne peut être certainement regardé comme une prédisposition. Nous aurions cherché à combler cette lacune, et à donner à nos calculs plus de précision, si la proportion des individus mariés et des célibataires avait été plus forte, et s’il n’y avait point eu un si grand nombre d’aliénés dont l’état civil nous était inconnu.

Voyons d’abord pour point de comparaison la proportion des célibataires, mariés et veufs, que nous fournissent les statistiques que nous avons sous les yeux.

De Boutteville. Desportes. Esquirol. Nantes. Caen. États-Unis. Allemagne.

Jacobi.
Turin.

Bonacossa.
États-Unis.

Beck.
Dundée. Totaux.
Célibataires. 197 1295 505 22 107 818 974 400 65 12 4395
Mariés. 234 1217 387 11 39 545 176 250 41 8 2908
Veufs. 12 267 40 4 » 46 30 » 2 » 401
État civil non indiqué.
206 679 » 14 » » » » » » 899
Totaux. 649 3458 932 51 146 1409 1180 650 108 20 8603

La dernière colonne, qui résume toutes les statistiques, nous fait voir, contrairement à nos résultats, que les célibataires sont en excès, que les gens mariés viennent ensuite, et que les veufs y sont en très faible proportion. La même chose se rencontre dans chacun de ces travaux séparément, à l’exception de la statistique de Rouen, où le nombre des individus mariés l’emporte d’une manière notable. Nous avons réduit de la manière suivante le chiffre de nos relevés et ceux du tableau précédent, afin que l’on pût mieux saisir les différences qui les distinguent.

1839. 1831-38.
Mariés, 1 sur 4,246. 1 sur 3,626.
Célibataires, 1 sur 6,770. 1 sur 4,137.
Veufs, 1 sur 34,653. 1 sur 18,291.
Statistiques réunies.
Célibataires, 1 sur 1,980.
Mariés, 1 sur 2,928.
Veufs, 1 sur 21,453.

La détermination de l’état civil n’ayant point été établie avec plus de précision dans l’un et l’autre de ces trois relevés, nous ajouterons plus de créance à ce dernier, parce que son chiffre étant très élevé, il offre, à défaut d’autre, une condition de nombre qui est d’une grande valeur dans les travaux de ce genre.

Mais pour donner à nos résultats une plus grande signification, il ne suffit pas d’avoir constaté que, sur un nombre donné d’aliénés, il existe plus de célibataires que de gens mariés ; il importe de savoir comment la population se trouve répartie à cet égard, afin de pouvoir rechercher relativement à l’état civil le rapport qui existe entre les aliénés et un nombre donné d’habitants. Nous avons sous les yeux deux recensements, l’un de la France en 1831, l’autre de Paris en 1836 ; nous n’avons opéré que sur le sexe masculin.

Sur 15,636,874 individus existant en 1831,

8,866,422 étaient célibat., c’est-à-dire 1 sur 1,763.
6,047,841 mariés, 1 2,582.
722,611 veufs, 1 21,638.

Sur 445,055 individus du sexe masculin recensés à Paris en 1836,

254,462 étaient célibat., c’est-à-dire 1 sur 1,748.
174,080 mariés, 1 2,556.
16,513 veufs, 1 36,951.

Si nous comparons maintenant la proportion obtenue chez les aliénés à celle de la population, nous verrons que dans les deux cas, les célibataires sont comme 1 est à 1, et les gens mariés comme 1 à 2 : d’où nous pourrions conclure que le mariage et le célibat se trouvant dans un rapport égal, il n’est point vrai que ce dernier état prédispose à la folie. Mais si, à l’exemple de M. Parchappe, nous retranchons du nombre des célibataires tous ceux qui ont moins de 20 ans (en opérant à la fois sur le chiffre des aliénés et sur celui de la population), nous arrivons à un résultat analogue au sien, c’est-à-dire que pour les aliénés célibataires la proportion est de 1 sur 1,880, tandis que celle des individus non aliénés est de 4 sur 4,362. Il serait donc vrai que le célibat prédispose à la folie. Mais que de causes d’erreurs dans cette appréciation ! Combien, par exemple, ne voit-on point à Paris de célibataires placés dans les mêmes conditions que les gens mariés ?