Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/II/Sec 2/Causes occasionnelles.

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DEUXIÈME SECTION.
CAUSES OCCASIONNELLES.

Avant d’énumérer les nombreuses causes qui président au développement de la folie, on sent le vague qui règne sur les classifications adoptées jusqu’à ce jour, ou plutôt encore l’absence de toute classification. La distinction partout admise en causes physiques et en causes morales est évidemment insuffisante, et ne peut mener à aucun résultat bien satisfaisant. C’est après l’avoir critiquée que M. Parchappe a proposé une nouvelle division qui s’applique surtout à ces dernières.

« Une première classe comprend les causes généralement désignées sous le nom des causes morales, celles qui, corrélatives aux facultés intellectuelles, affectives et morales de l’homme, représentent ses besoins dans la vie et ses intérêts dans la société.

« Une seconde classe comprend les causes qui consistent dans l’abus que l’homme peut faire de ses facultés en recherchant les jouissances intellectuelles et sensuelles.

« Une troisième classe comprend les causes qui, consistant dans un état morbide des organes de l’homme, entraînent nécessairement ou accidentellement un des troubles de la raison désignés sous le nom commun d’aliénation mentale.

« Une quatrième classe comprend les causes externes qui, physiquement, chimiquement ou physiologiquement, troublent les fonctions cérébrales et déterminent la folie.

« La première classe, celle des causes morales, a été subdivisée en groupes représentant les principaux intérêts de l’homme dans l’état de société : religion et conscience, amour, famille et affections, fortune, réputation, conservation, patrie.

« La seconde classe se subdivise naturellement en excès intellectuels et en excès sensuels.

« Dans la troisième classe ont été distingués les états morbides qui ont leur siége organique dans le cerveau et ses dépendances, de ceux qui ont pour siége les autres organes. »

Nous pourrions reprocher à cette classification d’avoir omis une série de causes qui sont de quelque importance, celles qui s’opposent à la satisfaction d’un besoin : ce sont, par exemple, les privations de tout genre, le défaut d’une alimentation suffisante, etc. La misère, rangée par M. Parchappe à l’article fortune, fait assez voir qu’il la regarde uniquement comme une cause morale ; mais nous voyons à Bicêtre bien des individus devenus fous par ce seul fait qu’ils étaient privés des choses les plus nécessaires à l’entretien de la vie, et qu’un bon régime avait bientôt rétablis. La continence, comme l’abus des plaisirs vénériens, peut conduire à la folie. Et si l’on accorde quelque confiance aux excès d’étude, à la fatigue morale, doit-on négliger les cas où l’absence de toute excitation intellectuelle favorise dans un sens opposé la production de l’aliénation mentale ? Ne voit-on pas tous les jours des malades, offrant de nombreuses chances de guérison, tomber par la privation d’excitants moraux dans un état qui enlève tout espoir de succès ? N’est-ce point la condition des prisonniers qui, renfermés dans une étroite cellule, privés de toute communication avec leurs semblables, sont bien plus exposés à être atteints d’aliénation mentale ?

Nous croyons donc convenable d’établir une cinquième classe, que nous intitulerons privations, qu’on pourra subdiviser en intellectuelles et sensuelles, et qui sera destinée à combler ce vide.

Voici les tableaux des causes rangées suivant l’ordre indiqué. Nous avons pour le construire compulsé les registres de la division, bien incomplets sous ce rapport, pour les années écoulées de 1831 à 1838, et nos propres observations pour 1839.

TABLEAU DES CAUSES
Séparateur


CAUSES MORALES. En
1839.
En
1831-
1838.
Religion et conscience.
Dévotion exaltée.
5 1
Amour.
Amour contrarié.
6 14
Jalousie.
2 9
Famille et affections.
Chagrins domestiques.
26 173
Perte d’une personne aimée.
6 »
Fortune.
Revers de fortune.
6 66
Espérance déçue.
1 5
Perte au jeu.
» 1
Procès.
» 1
Misère.
18 130
Inquiétudes à propos d’intérêts d’argent.
2 »
Joie à propos d’intérêts d’argent.
1 »
Réputation.
Amour-propre blessé.
3 3
Ambition.
» 7
Fausse accusation.
» 3
Conservation.
Frayeur.
6 45
Colère.
» 1
Patrie.
Événements politiques.
2 9
Nostalgie.
3 4
87 472
EXCÈS.
Intellectuels.
Excès d’étude.
2 3
Lecture exagérée de romans ou d’autres livres.
3 »
Sensuels.
Libertinage.
3 29
Excès vénériens.
13 »
Onanisme.
3 22
Abus de boissons alcooliques.
46 224
70 278
PRIVATIONS.
Intellectuelles.
Vie dans la réclusion.
14 »
Sensuelles.
Continence.
1 »
Privation d’aliments.
14 »
29 »
CAUSES ORGANIQUES. En
1839.
En
1831-
1838.
Cérébrales.
Mélancolie.
1 »
Hypocondrie.
2 »
Manie.
8 »
Épilepsie.
3 20
Hémorragie cérébrale.
16 51
Congestion cérébrale.
21 19
Méningite.
» 7
Convulsions.
» 10
Âge avancé.
» 28
Non cérébrales.
Pneumonie.
5 »
Érysipèle de la face et du cuir chevelu.
1 4
Fièvre intermittente.
1 »
Phlegmon.
1 »
Syphilis.
1 »
Maladies antérieures non indiquées.
5 15
65 154
CAUSES EXTERNES.
Chute sur la tête.
6 20
Mercure.
1 1
7 21
258 925

Les modifications que nous avons fait subir à ce tableau sont de peu d’importance. Il existe plusieurs cases que nous n’avons pu remplir, tandis qu’il nous a été nécessaire d’en établir de nouvelles. C’est surtout à la classe des maladies organiques que nous avons dû mentionner avec soin les maladies non cérébrales qui ont déterminé le délire. Nous avons noté un grand nombre de fois la congestion cérébrale sur l’importance de laquelle nous reviendrons, et qui a été négligée par M. Parchappe. On sera peut-être étonné de voir figurer au nombre des causes des variétés d’aliénation mentale ; il est cependant facile de constater l’influence réciproque qu’elles exercent les unes sur les autres : l’hypocondrie conduit au suicide, l’épilepsie à la manie, la manie à la démence.

Nous avons cru devoir dans le tableau qui suit, emprunté en grande partie à l’ouvrage de M. Parchappe, supprimer tout ce qui a trait au sexe féminin. Dans quelques cas où les sexes n’ont point été distingués, nous avons été contraints de les confondre.

Sur 649 malades dont nous avons dépouillé les observations, nous n’avons pu noter que 258 causes, c’est-à-dire un peu moins de la moitié du chiffre des admissions. Il faut en retrancher celles qui se sont trouvées réunies chez un même malade, ce qui est arrivé quelques fois. Nous ferons remarquer que nous avons mis à part les cas d’hérédité.

Nous avons fait tous nos efforts pour nous bien assurer de leur valeur et de leur importance. De sages mesures établies à Bicêtre pour les permissions accordées aux parents et aux visiteurs ont favorisé nos recherches.