Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/VI/C

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C.Démence.

Nous avons dû distinguer les cas de démence suivant qu’ils étaient ou non accompagnés de paralysie générale. Nous avons eu soin de conserver ce mot de démence, et nous nous sommes gardés de lui substituer, comme l’a fait M. Parchappe, celui de folie chronique qui peut comprendre plusieurs états très différents. Nous avons déjà fait voir que dans la manie chronique, les lésions observées s’écartaient tout à fait de celles de la démence proprement dite. Nous n’avons que 11 observations, et voici le tableau des altérations constatées.

Membranes.
Adhérence de la dure-mère au crâne, 1
Épaississement de l’arachnoïde, 7
Infiltration gélatiniforme, 6
Teinte opaline de l’arachnoïde, 3
Sérosité limpide dans la cavité de l’arachnoïde, 5
Kyste séreux sous-arachnoïdien, 1
Adhérence des membranes à la couche corticale, 1
Tissu cérébral.
Pâleur de la substance grise, 1
Teinte jaunâtre, id. 1
Œdème cérébral, 6
Affaissement des circonvolutions, 5
Adhérence du ventricule droit, 1
Granulations de la membrane ventriculaire, 1
Dilatation des ventricules par de la sérosité limpide, 1
Dilatation par de la sérosité rougeâtre et grumeleuse, 1
Traces de foyers apoplectiques, 1


L’épaississement et l’opacité, ainsi que l’infiltration gélatiniforme, se trouvent en première ligne ; il en est de même pour la démence paralytique, mais l’adhérence si fréquente dans cette dernière n’a été notée qu’une fois ici. Viennent ensuite l’œdème cérébral, la présence d’une quantité considérable de sérosité dans la cavité de l’arachnoïde, disposition en rapport avec l’atrophie des circonvolutions antérieures. La pâleur de la substance grise ne serait-elle point l’effet de la macération que subit le cerveau au milieu du liquide qui l’infiltre si fréquemment ? On serait autorisé à le croire, car nous avons remarqué la coïncidence de ces deux états. Une fois l’adhérence de la dure-mère à la voûte du crâne était tellement considérable, qu’une très forte traction était nécessaire pour l’en séparer. L’adhérence des ventricules n’est point une chose très commune, et nous désespérions de la rencontrer quand, à la fin de cette année, elle vient de se présenter à notre observation. Elle avait lieu entre la partie supérieure du ventricule et le corps strié, elle était limitée à la partie antérieure. La teinte jaune de la substance grise, les granulations de la membrane ventriculaire, la dilatation des ventricules, la présence d’un kyste sous-arachnoïdien, n’ont été observées qu’une fois. Nous sommes portés à attribuer quelque valeur à l’affaissement de la partie antérieure des circonvolutions ; on voit cependant qu’il n’existe que dans la moitié des cas, et ne peut être regardé comme une lésion invariable et pathognomonique. L’épaississement de l’arachnoïde, l’infiltration gélatiniforme ont été plus fréquemment observés.

Démence avec paralysie générale.

Sur 70 observations, 42 ont été recueillies dans des cas de démence avec paralysie générale. Voici le tableau des altérations qu’elles nous ont présentées rangées par ordre de fréquence :

Sérosité gélatiniforme,
29
Épaississement et opacité de l’arachnoïde,
27
Adhérences des membranes à la partie antérieure et supérieure (générale, 1 ; latérale, 1),
26
Ramollissement de la substance corticale,
18
Sérosité dans la cavité de l’arachnoïde (limpide, 9 ; sanguinolente, 4 ; albumineuse, 1),
14
Œdème cérébral,
13
Atrophie des lobes antérieurs,
10
Dilatation des ventricules par la sérosité,
9
Granulations de la membrane ventriculaire,
8
Pseudo-membranes dans la cavité de l’arachnoïde avec caillots sanguins, 4 ; sans caillots, 3,
7
Dureté de la substance blanche,
6
Piqueté, id.
4
Injection de la pie-mère,
4
Infiltration sanguinolente de la pie-mère (séreuse, 1 ; purulente, 2),
4
Granulations purulentes sous-arachnoïdiennes, 3 ; à la base, 1,
4
Kystes des plexus choroïdes,
4
Pâleur de la substance corticale,
3
Couleur jaunâtre, id.
3
Hémorragie cérébrale,
3
Coloration lilas de la substance corticale,
2
Apoplexie méningée,
1
État poisseux de l’arachnoïde,
1
Pus dans la cavité de l’arachnoïde,
1
Adhérence de la pie-mère à la base,
1
Diminution de consistance de la substance blanche,
1
Adhérence de la dure-mère au crâne,
1
Injection de la substance corticale,
1
Coloration verdâtre de la substance corticale des corps striés, etc.,
1

Faisons remarquer avant tout que les lésions résident d’une manière presque exclusive dans les méninges, et principalement dans la pie-mère, l’arachnoïde et dans la couche corticale, ce qui viendrait infirmer la localisation de la motilité dans la substance médullaire ; qu’elles s’observent le plus souvent à la partie antérieure et supérieure des hémisphères, et que ce n’est que par exception qu’on les rencontre à la base et sur les parties latérales.

De toutes les formes du délire, la démence paralytique est certainement celle où les altérations pathologiques existent de la manière la plus constante, et pour laquelle il y a coïncidence entre les différents auteurs. Quant aux groupes principaux, nous allons les passer en revue. Nous avons noté 29 fois l’infiltration du tissu cellulaire sous-arachnoïdien par un liquide demi-transparent, tremblant comme la gelée, et d’une teinte jaunâtre : c’est la sérosité gélatiniforme. Cette lésion, quoiqu’elle ne soit point spéciale à la démence, puisqu’on l’observe dans quelques cas de délire aigu, chez des individus âgés nullement aliénés, et dans la démence simple, n’en est pas moins celle que nous avons le plus souvent observée. L’épaississement avec opacité de l’arachnoïde vient ensuite : il est le plus souvent limité à la partie supérieure et antérieure des hémisphères ; il augmente beaucoup la consistance de cette membrane, et permet de l’enlever par lambeaux considérables et dans toute son étendue.

26 fois l’adhérence des membranes à la substance corticale a été observée ; 24 fois sur 26 elle était limitée à la partie antérieure et supérieure des hémisphères, et vers la grande scissure interlobaire. Chaque lambeau entraîne avec lui un fragment superficiel de la substance corticale, et laisse une surface inégale et chagrinée sur la partie qui lui correspond ; une seule fois cette adhérence a été trouvée générale ; dans un autre cas, elle s’étendait vers les parties latérales et inférieures.

Une lésion bien remarquable est le ramollissement de la couche corticale. Il s’est moins souvent offert à nous qu’à M. Parchappe (18 sur 42). Nous ne le désignons point comme lui sous le nom de ramollissement de la partie moyenne de la couche corticale. Quoique l’existence d’une couche moyenne ait été décrite par plusieurs anatomistes, et qu’on voie assez distinctement une bande plus claire au milieu de la couche corticale, nous ne pensons point qu’elle doive être plutôt ramollie que la couche profonde et superficielle ; rien ne le prouve, et nous pensons que l’apparence signalée n’est que le résultat de l’adhérence de la partie la plus externe aux méninges. Quoi qu’il en soit, jusqu’à nouvel ordre, cette altération peut être regardée comme spéciale à la démence paralytique, quoique dans la démence simple nous l’ayons constatée une fois.

L’œdème cérébral été observé 13 fois. Cet état remarquable de la pulpe cérébrale imbibée d’une sérosité limpide qu’on exprime par la pression en quantité considérable, a été regardé par M. Etoc-Demazy comme spécial à la stupidité. On voit qu’il est loin d’être étranger à la démence paralytique.

14 fois une grande quantité de sérosité a été trouvée renfermée dans la cavité de l’arachnoïde ; le plus souvent elle est réunie à la partie antérieure, et semble destinée à remplir le vide que laisse l’atrophie des circonvolutions cérébrales ; on peut la reconnaître d’avance aux rides que présente la dure-mère en cet endroit et à la fluctuation qu’on y détermine. Une fois elle était trouble et albumineuse, 4 fois sanguinolente ; 10 fois l’atrophie des circonvolutions antérieures a été notée.

Dans 9 cas, les ventricules latéraux étaient distendus par de la sérosité, et leur capacité doublée et triplée.

Un état particulier de la membrane interne des ventricules qui leur donne un aspect rugueux et chagriné (granulations), a été observé 6 fois ; il nous a paru en rapport avec l’ancienneté de l’affection.

Nous n’avons pu constater que 6 fois la dureté de la substance blanche, et nous ne l’avons admise que lorsque la comparaison avec d’autres cerveaux n’a pu nous laisser aucun doute.

La présence de fausses membranes dans la cavité de l’arachnoïde n’est point un fait rare dans la démence paralytique. Tantôt cette pseudo-membrane, d’épaisseur variable, opaque, se moule sur les circonvolutions ; tantôt elle est parsemée de taches rougeâtres. Dans quelques cas, elle formait une poche contenant des caillots et du sang liquide (apoplexie méningée).

Nous avons vu trois fois de petits corps du volume d’une lentille, jaunâtres, semblables à du pus concret, ordinairement placés sur le trajet des vaisseaux, dans les anfractuosités cérébrales, au-dessous de l’arachnoïde ; une fois seulement à la base du cerveau.

Les modifications de couleur de la substance corticale n’ont été notées que 8 fois ; 3 fois elle était pâle et macérée, (3) d’une couleur tirant sur le café au lait, (2) coloration lilas.

Trois fois l’hémorragie cérébrale a compliqué la démence paralytique.

Parmi les altérations que nous avons encore rencontrées, nous ferons remarquer l’apoplexie méningée, l’état poisseux de l’arachnoïde, la présence du pus dans sa cavité, l’adhérence des membranes à la base, etc.

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