Recherches sur des hybrides végétaux/I/10

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Traduction par Albert Chappelier.
Gauthier-Villars (Bulletin biologique de la France et de la Belgique, t. XLIp. 400-405).



Recherches sur les hybrides d’autres plantes.


Des recherches ultérieures auront pour but d’établir si la loi de développement, établie pour Pisum, vaut également pour les hybrides d’autres plantes. Dans ce but, on a procédé, dernièrement, à plusieurs expériences : deux d’entre elles, faites sur une petite échelle, viennent d’être terminées avec des espèces du genre Phaseolus ; on va les mentionner ici.

Une expérience faite avec Phaseolus vulgaris et Phaseolus nanus L. donna un résultat tout à fait concordant. Ph. nanus a, en plus de sa tige naine, des gousses vertes uniformément renflées ; par contre, Ph. vulgaris a une tige de 10 à 12 pieds et des gousses jaunes et étranglées à la maturité. Les rapports numériques des différentes formes que l’on rencontrait dans chaque génération étaient les mêmes que chez Pisum. La formation des combinaisons constantes, suivant également la loi de la combinaison simple des caractères, exactement comme dans le cas de Pisum. On obtint :

Combinaison constante
Axe
Couleur de la gousse non mûre
Forme de la gousse mûre
1 long verte bombée
2 » » étranglée
3 » jaune bombée
4 » » étranglée
5 court verte bombée
6 » » étranglée
7 » jaune bombée
8 » » étranglée

La couleur verte de la gousse, sa forme bombée, et la grande tige, étaient, comme chez Pisum, des caractères dominants.

Une autre expérience, faite avec deux espèces très différentes de Phaseolus, ne donna qu’un résultat partiel. On prit, comme plante femelle, Ph. nanus L., espèce tout à fait constante, à fleurs blanches en grappes courtes, à petites graines blanches dans des gousses droites, bombées et lisses ; — comme plante mâle, Ph. multiflorus W. à tige haute et grimpante, à fleurs d’un rouge pourpre en très longues grappes, à gousses rugueuses, recourbées en forme de faucille et grosses graines tachetées et flammées de noir sur un fond rouge-fleur de pêcher.

L’hybride avait la plus grande analogie avec la plante mâle, seules les fleurs se montraient moins colorées. La fécondité était très limitée : sur 17 plantes donnant ensemble plusieurs centaines de fleurs, on ne récolta en tout que 49 graines. Celles-ci étaient de taille moyenne et avaient un dessin analogue à celui de Ph. multiflorus ; la couleur du fond elle-même n’était pas essentiellement différente. L’année suivante, on obtint 44 plantes dont 31 seulement arrivèrent à floraison. Les caractères de Ph. nanus, qui étaient tous latents chez l’hybride, réapparaissaient dans différentes combinaisons ; le rapport dans lequel ils sont avec les caractères dominants devait toutefois rester très peu précis, vu le très petit nombre des plantes d’expérience. Pour quelques caractères cependant, ceux de l’axe et de la forme des gousses par exemple, le rapport était, de même que chez Pisum, presque exactement 1 : 3.

Si cette expérience contribue peu à fixer le nombre des différentes formes, elle nous fournit cependant, un exemple remarquable de changement de coloration chez les fleurs et les graines des hybrides. On sait que chez Pisum, les caractères couleur de fleur et couleur des graines se montrent, sans modification, dans la première génération et dans les suivantes, et que les descendants des hybrides ont exclusivement l’un ou l’autre des deux caractères souches. Il en est autrement dans l’expérience présente. La couleur blanche des fleurs et des graines de Ph. nanus apparut, il est vrai, dès la première génération, chez un individu assez fructifère ; mais les fleurs des 30 autres plantes offraient tous les passages du rouge pourpre au violet pâle. La coloration de l’épisperme n’était pas moins variée que celle des fleurs. Aucune plante ne pouvait passer pour parfaitement fertile ; quelques-unes ne produisirent aucun fruit ; chez d’autres, les dernières fleurs seules donnaient des fruits qui n’arrivaient plus à maturité ; 15 plantes seules fournirent des graines bien conformées. Les formes à fleurs rouges dominantes sont celles qui ont la plus grande tendance à l’infécondité : en effet, sur 16 plantes, 4 seulement donnèrent des graines mûres. Trois d’entre elles avaient des graines d’un dessin analogue à celui de Ph. multiflorus ; toutefois le fond était moins intense ; la quatrième plante ne donna qu’une graine d’un brun uniforme. Les formes où dominaient les fleurs violettes avaient des graines brun sombre, brun noir et noir pur.

L’expérience fut encore poursuivie pendant deux générations dans des conditions également défectueuses, car, même les descendants de plantes relativement fertiles furent, pour une part, peu fertiles ou complètement stériles. On ne retrouva plus d’autres colorations de fleurs et de graines en dehors de celles déjà citées. Les formes qui, dans la première génération, avaient un ou plusieurs des caractères dominés, restaient, en ce qui les concerne, constantes sans exception. De même, parmi les plantes à fleurs violettes et graines brunes ou noires, quelques-unes gardaient la même couleur de fleur et de graines dans les générations suivantes ; la plupart, cependant, à côté de descendants tout à fait semblables à elles-mêmes, en donnaient d’autres à fleurs blanches et à épisperme de la même couleur. Les plantes à fleurs rouges furent si peu fertiles qu’on ne peut rien affirmer avec certitude au sujet de leur descendance.

Malgré les nombreuses causes de perturbation qu’eut à éviter l’observateur, il ressort cependant suffisamment de cette expérience que le développement des hybrides, en ce qui concerne les caractères ayant trait à la forme de la plante, suit les mêmes lois que chez Pisum. Pour ce qui est du caractère de couleur, il semble positivement difficile d’obtenir une concordance suffisante dans les résultats. Outre que la combinaison de deux colorations blanche et rouge-pourpre donne toute une série de couleurs allant du pourpre au violet pâle et au blanc, on doit être frappé de ce fait que, sur 31 plantes donnant des fleurs, une seule prend le caractère récessif de couleur blanche, tandis que chez Pisum le fait se présente en moyenne une fois sur quatre plantes.

Mais ces phénomènes, énigmatiques en eux-mêmes, trouveraient, peut-être, une explication dans la loi qui s’applique à Pisum, si l’on admettait que la couleur des fleurs et des graines du Ph. multiflorus est composée de deux ou de plusieurs couleurs complètement indépendantes et dont chacune se comporte, chez la plante, comme tout autre caractère constant. Si la couleur des fleurs A était composée des caractères indépendants A1 + A2 + …… donnant comme effet d’ensemble une coloration rouge-pourpre, il devait se former par fécondation avec le caractère différentiel couleur blanche a, les combinaisons hybrides A1a + A2a + …… ; il en serait de même pour la coloration correspondante d’épispermes. D’après la supposition précédente, chacune de ces combinaisons de couleurs hybrides serait autonome et se développerait, par conséquent, d’une façon absolument indépendante des autres. On voit donc facilement que, de la combinaison des différentes séries des formes évolutives, devrait provenir une série complète de couleurs. Si, par exemple, A = A1 + A2, aux hybrides A1a et A2a correspondent les séries de développement :

A1 + 2 A1a + a
A2 + 2 A2a + a

Les membres de ces séries peuvent donner 9 combinaisons différentes, et chacune d’elles sert à désigner une autre couleur :

21 A1A2aA1A242 A1aA2aA1aA221 A2aaA2a
2 A1A2a4 A1aA2a2 A2aa
21 A1A2aA1a42 A1aA2aA1aa21 A2aaaa

Les nombres placés devant chaque combinaison indiquent en même temps combien il y a, dans la série, de plantes avec la coloration correspondante : il y en a au total 16. Donc, sur la moyenne, chaque groupe de 16 plantes comprendra toutes les couleurs, mais, ainsi que la série elle-même l’indique, dans des proportions inégales.

Si la formation des couleurs se faisait vraiment de cette façon, on pourrait également expliquer ce fait, précédemment cité, que la couleur blanche des fleurs et des gousses ne se trouvait qu’une fois sur 31 plantes de la première génération. Cette coloration n’existe qu’une fois dans la série ; elle ne pouvait donc se produire, en moyenne, qu’une fois pour 16 plantes, et même pour 64 dans le cas de trois caractères de couleur.

Il ne faut pas oublier, toutefois, que l’explication proposée ici repose sur une simple supposition qui n’a d’autre appui que le résultat très incomplet de l’expérience dont on vient de parler. Il serait, du reste, intéressant de poursuivre, dans des recherches analogues, l’étude du développement de la couleur chez les hybrides. Nous apprendrions vraisemblablement par là à comprendre l’extraordinaire diversité du coloris de nos plantes d’ornement.

La seule chose que l’on connaisse, à peu près avec certitude jusqu’à présent, est que le caractère coloris est extrêmement variable chez la plupart des plantes d’ornement. On a souvent émis l’idée que la stabilité des espèces est ébranlée à un haut degré ou même complètement détruite par la culture ; on est très porté à représenter la formation des espèces cultivées comme étant irrégulière et accidentelle ; on cite alors, ordinairement, les colorations des plantes d’ornement, comme exemple d’instabilité. On ne voit cependant pas bien comment le simple transfert dans un jardin pourrait avoir comme conséquence une révolution si décisive et si durable dans l’organisme végétal. Personne ne voudra sérieusement affirmer que le développement de la plante soit régi, en plein champ, par d’autres lois que dans une plate-bande de jardin. Ici comme là, doivent apparaître des modifications typiques lorsque les conditions de vie de l’espèce sont changées et que cette espèce possède la faculté de s’adapter aux conditions nouvelles. Nous admettrons volontiers que la culture favorise la production de nouvelles variétés et que la main de l’homme obtient plus d’une variation qui devrait disparaître à l’état de nature, mais rien ne nous autorise à admettre que la propension à former des variétés soit exaltée au point que les espèces perdent bientôt toute autonomie et que leurs descendants s’enchaînent en une suite sans fin de formes extrêmement instables. Si une modification dans les conditions de végétation était la seule raison de la variabilité, on devrait s’attendre à ce que les plantes cultivées qui ont été entretenues pendant des siècles dans des conditions presque identiques, aient retrouvé une nouvelle fixité. On sait que ce n’est pas le cas, car c’est justement parmi elles que l’on trouve, non seulement les formes les plus différentes, mais aussi les plus variables. Seules les légumineuses, comme Pisum, Phaseolus, Lens, dont les organes reproducteurs sont protégés par la carène, font une remarquable exception. Là aussi, il y a eu, pendant une culture de plus de 1 000 ans dans les conditions les plus diverses, production de nombreuses variétés. Celles-ci montrent cependant, lorsque les conditions de vie restent semblables, une fixité comparable à celle des espèces sauvages.

Suivant toute vraisemblance, la variabilité des végétaux cultivés dépend d’un facteur auquel on a jusqu’ici accordé peu d’attention. Diverses expériences nous amènent à penser que nos plantes cultivées sont, à peu d’exception près, des membres de différentes séries d’hybrides dont la descendance régulière est modifiée et contrariée par de fréquents croisements entre les différentes formes. Les végétaux cultivés, en effet, sont, la plupart du temps, élevés en grand nombre côte à côte ; cette circonstance favorise les fécondations croisées entre les variétés présentes et les espèces elles-mêmes. La vraisemblance de cette idée se trouve corroborée par ce fait que, dans le grand nombre des formes variables, on en trouve toujours quelques-unes qui restent constantes par l’un ou l’autre de leurs caractères, pourvu que l’on écarte avec soin toute influence étrangère. Ces formes se développent exactement comme certains termes de nos séries d’hybrides. Et même, pour le plus sensible de tous les caractères, celui de couleur, il ne peut échapper à une observation attentive que la tendance à la variabilité apparaît à des degrés très différents chez les diverses formes. Parmi des plantes provenant d’une fécondation spontanée, il y en a souvent dont les descendants diffèrent beaucoup les uns des autres par la nature et le groupement des couleurs, tandis que d’autres donnent des formes peu différentes ; et, sur une très grande quantité, on en trouve quelques-unes qui transmettent à leurs descendants leur coloris non modifié. Les Dianthus cultivés en sont un instructif exemple. Un spécimen de Dianthus caryophyllus à fleurs blanches, dérivant lui-même d’une variété blanche, fut enfermé dans une serre pendant la floraison ; les nombreuses graines obtenues donnèrent toutes également des individus à fleurs blanches. Une aberration rouge tirant un peu sur le violet et une autre blanche rayée de rouge donnèrent un résultat analogue. Beaucoup d’autres, par contre, qui avaient été protégées de la même manière, donnèrent des descendants d’un dessin et d’un coloris plus ou moins différents.

Si l’on considère les coloris qui proviennent, chez les plantes d’ornement, de fécondations semblables, il sera difficile de se refuser à admettre que, dans ce cas également, le développement s’effectue suivant une loi déterminée qui peut trouver son expression dans la combinaison de plusieurs caractères-couleur indépendants.