Recherches sur les végétaux nourrissans/Article IX

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devoir réunir ici pour eſſayer de répandre du jour ſur le mécaniſme de l’aliment & ſur la nature de chacune des parties qui le conſtituent. Je ne me ſuis pas engagé à ſuivre tous ces effets dans les ſécrétions qu’il doit ſubir, avant de pouvoir former les parties organiques. Cette queſtion importante eſt entièrement du reſſort des Phyſiologiſtes. Je vais donc pourſuivre mon examen, & m’arrêter maintenant aux ſubſtances dans leſquelles la matière alimentaire ſe trouve le plus abondamment répandue dans la Nature, & que l’on connoît ſous le nom générique de farineux.


Article IX.


Des farineux.


On appelle en général les farineux, toute ſubſtance végétale ordinairement blanche, peu ſapide, ſe diviſant aiſément ſous l’effort du pilon ou de la meule, ſe combinant avec l’eau, dont elle partage la tranſparence & la limpidité, étant ſuſceptible de trois degrés de la fermentation, & exhalant ſur les charbons ardens, une odeur qu’on déſigne ſous le nom de pain grillé. C’eſt dans les ſemences que la Nature a répandu le plus abondamment l’aliment farineux ; auſſi ſont-ce ces parties de la fructification des Plantes que les hommes ont choiſies de préférence pour compoſer leur nourriture fondamentale ; & l’on ſait que dans les contrées où les racines ſont la ſubſtance journalière, la matière farineuſe en eſt toujours la baſe. On ne la trouve point ſeulement contenue dans les ſemences & dans les racines ; elle ſe rencontre encore dans le tronc des arbres & des arbriſſeaux.

La matière farineuſe n’eſt point un mucilage ſimple, comme on l’a ſoupçonné pendant long-temps ; elle eſt compoſée le plus ordinairement, d’un véritable ſucre, d’une ſubſtance extractive & d’une gomme particulière nommée amidon. En cet état, elle peut ſervir en totalité à la nourriture ; mais lorſqu’au lieu de ſucre, c’eſt avec un principe réſineux ou cauſtique qu’elle eſt combinée, il ſaut l’en débarraſſer, comme nous le dirons par la ſuite, parce qu’alors les autres principes qui conſtituent le corps farineux, ne pourroient exercer leurs effets nutritifs :

ils n’agiroient plus que comme médicament.

Le farineux qui mérite de tenir le premier rang, eſt ſans contredit le froment, ſoit qu’on le conſidère du côté de ſa vertu nutritive, ſoit par rapport à l’excellence de l’aliment qu’on en prépare. Pendant long-temps nous avons vu ceux qui en font le commerce, s’aſſurer préalablement par différentes épreuves, de ſa qualité, ſans faire attention en même-temps que ces épreuves offroient des phénomènes que ne préfentoient pas les autres grains de la même ſamille, ſoumis aux mêmes eſſais ; circonſtance qui auroit du nous conduire plutôt à la connoiſſance du corps particulier d’où il dépendoit.

Je crois en avoir dit ſuffiſamment, pour laiſſer deviner qu’il s’agit ici de la matière glutineuſe, découverte dans le froment par Beccari & dont l’exiſtence avoit été ſoupçonnée par les Marchands de grains & les Boulangers, long temps avant que ce Phyſicien n’en eût donné la démonſtration. Cette découverte, quoique très-importante, fut cependant enſevelie dans l’oubli preſque à ſon origine ; ce n’eſt guère que quinze ans après, que l’attention des Chimiſtes de tous les pays, ſe réveilla au ſujet de cette matière ; qu’elle devint l’objet de pluſieurs thèſes ſoutenues dans différentes Univerſités, & qu’on l’examina par la voie de l’analyſe, dans les Cours de Chimie publics & particuliers.

Eclairé par les travaux de Beccari, de Keſſel-Meyer & de Model, jaloux de marcher ſur les traces de ces ſavans, pour développer de plus en plus la nature & les propriétés des alimens farineux, j’entrepris une ſuite d’expériences pour répandre du jour ſur leurs parties conſtituantes, & je me flatte que les raiſons ſur leſquelles je m’appuie, pour établir que la matière glutineuſe n’eſt point la partie principalement nutritive du froment, ainſi que le prétendoient les Chimiſtes d’après quelques analogies, ont été adoptées, puiſque aucun d’eux, que je fâche, n’a rien objecté juſqu’à préſent de ſolide à ce ſujet.

II eſt vrai que pour diſcuter complètement la queſtion dont il s’agit, j’ai cherché à connoître la place que la matière glutineuſe occupoit dans le froment, ſes effets au grenier, ſous la meule & dans la bluterie ; comment elle elle ſe trouvoit diſſéminée dans les farines, l’eſpèce d’altération qu’elle y occaſionnoit, à quels ſignes on apercevoit qu’elle étoit viciée, ſes fonctions dans le levain & la pâte, les changemens qu’elle éprouvoit lors de ſa cuiſſon au four ; enfin la forme que lui ſaiſoit prendre la préparation de la bouillie & du pain. Toutes ces recherches m’ont paru néceſfaires pour l’entière connoiſſance de cette matière vraiment ſingulière, & je m’eſtimerai très-heureux ſi elles peuvent fournir quelques lumières à ceux qui s’occupent de plus grands objets ; je déclare que c’eſt par ce moyen que je ſuis parvenu à expliquer tous les phénomènes qu’offrent deux Arts de première néceſſité, la Meunerie & la Boulangerie.

La propriété qu’a la matière glutineuſe de prendre par le moyen de l’eau, la forme d’une pâte qui reſſemble beaucoup pour le coup d’œil, aux parties membraneuſes des animaux, telles que le tiſſu cellulaire & l’épiploon, l’état ſpongieux qu’elle acquiert dans ce fluide lorſqu’elle y a bouilli un moment, ſon analogie avec la limphe animale, la ſolidité d’une corne tranſparente qu’elle a dès qu’on en a ſéparé l’eau à l’aide de l’évaporation, la promptitude avec laquelle elle s’altère & ſe corrompt en exhalant une odeur déteſtable, les produits ſemblables à ceux des animaux, qu’elle fournit à la cornue ; voilà ſans doute les raiſons principales qui ont déterminé à faire regarder cette ſubſtance glutineuſe comme la partie principalement nutritive du froment. Joignez à toutes ces conſidérations l’idée dans laquelle on eſt que ce grain eſt le plus nourriſſant entre les graminés, ce qui ſuffiſoit pour confirmer cette opinion ; combien d’hypothèſes doivent leur exigence à des conjectures moins vraiſemblables !

Une autre circonſtance qui a donné lieu encore à l’erreur, c’eſt que d’après toutes les expériences que j’ai ſaites, il paraît conſtaté que le blé eſt d’autant plus nourriſſant, qu’il contient moins de ſon & plus de matière glutineuſe ; mais on a oublié de faire attention que ce blé ſi abondant en matière glutineuſe, renferme auſſi une plus grande proportion d’amidon ; la quantité de ces deux ſubſtances variant en raiſon du ſol, de la culture & de la ſaiſon : mais qu’avons-nous beſoin d’entaſſer ici les preuves ſur une choſe qu’il n’eſt plus permis de conteſter !

Comme les végétaux que j’ai à propoſer pour remplacer en temps de diſette nos alimens ordinaires, ne renferment point de ſubſtance glutineuſe, & que la plupart ſervent au contraire de réceptacle à l’amidon, je ne puis me diſpenſer de fixer de nouveau les idées ſur cet objet ſi important à la matière que je traite, & de faire en ſorte de convaincre, je ne dis pas ceux qui craignant d’avouer qu’ils ſe ſont trompés, aiment mieux accréditer des erreurs groſſières, que de revenir ſur leurs pas, mais l’homme honnête, trop ami de la vérité, pour ne lui pas faire le ſacrifice de ſon opinion.


Article X


De la Matière glutineuſe du Froment.


Il auroit ſallu, ce me ſemble, avant d’établir des théories brillantes pour prouver que la matière glutineuſe eſt la partie principalement nutritive du froment, il auroit ſallu, dis-je, expliquer d’abord ce qu’on doit entendre par cette expreſſion principalement